Bonsoir à tous,
Complément à la biographie de
Jean de la Ville de Mirmont.
• Bulletin des écrivains, n° 2, mai 1915, p.1, « L’hommage aux morts ».
« Jean de la Ville de Mirmont
Ceux qui ont connu Jean de la Ville de Mirmont garderont le souvenir d’un jeune homme aimable, austère un peu, et discret à l’extrême. Il aimait la conversation, s’y donnait beaucoup, mais l’orientait de telle sorte qu’elle ne le laissât pas deviner. Curieux et érudit, il parcourait divers domaines, se plaisait aux détails comme aux idées générales, savait trouver, dans de minimes incidents, une source de réfle-xions et parfois même semblait donner dans cette élégance des dilettantes qui les rend d’autant plus attentifs aux choses qu’elles ont moins d’importance.
L’été dernier, il publia Les Dimanches de Jean Dézert, court roman dans lequel il sut peindre l’ennui avec intérêt, avec variété la monotonie. De ce livre, il ne parlait guère, par une sorte de délicatesse que bien des confrères n’eurent point celle de ne pas imiter. Mais la catastrophe où nous sommes nous vaudra, heureuse fortune ! une révision de valeurs impitoyables. Les œuvres de ce temps prendront un recul de cinquante années. C’est dire que demeureront seulement celles-là qui sont vraiment des œuvres ; c’est dire aussi qu’elles seront mises à leur place légitime. La place des Dimanches de Jean Dézert je la vois dans cette famille d’écrits nommés parfois psychologiques qui sont composés sous l’aspect de l’existence plus que sous celui de l’art, et qu’on lit, moins pour y goûter des mérites littéraires que parce qu’ils sont un document sur une attitude intellectuelle ou sentimentale.
Au début de la guerre, Jean de la Ville de Mirmont était libre. Réformé quelques années plus tôt, il pouvait s’engager ou rester. Il choisit la part la plus dure, soit qu’il le crût de son devoir, soit qu’il fût entraîné par l’enthousiasme que l’on vit alors, soit qu’il eût le goût de la bataille, soit aussi que, pouvant éviter le danger, il éprouvât de cela une noble volupté à y courir.
Il eut mille difficultés à s’engager, mais il fut tenace et fatigua les bureaux et les conseils de révision jusqu’à ce qu’on l’admît. Quelques mois après nous apprenions qu’il était mort en combattant.
Je ne répéterai pas à son propos le vers de Péguy que l’on a tant cité : « Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre », car la guerre se réalise au-delà du juste et de l’injuste, et lorsque quelqu’un meurt, que cela soit pour une noble cause n’autorise point les autres à le priver de leur pitié en procla-mant leur envie. Ce qu’il est permis d’espérer, c’est que les regrets furent moins amers d’une vie libre-ment sacrifiée, et même que toute tristesse a pu disparaître devant l’orgueil de se voir mourir en héros. »
VINCENT MUSELLI *
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* Vincent MUSELLI, Argentan (Orne), 22 mai 1879 – Paris, 28 juin 1956, poète français.