Pour compléter les divers sujets ouverts concernant le 44e R.A.C du Mans (Sarthe), voici deux photographies illustrant une catégorie de combattants de première ligne, sur le papier classés "artilleurs" mais participant aux combats en première ligne à côté de l'infanterie.
Ces artilleurs constituent même une exception car ils connaissent rarement les relèves et sont même assez souvent "oubliés" en ligne tant leur présence est reconnue nécessaire. Toutefois, certains régiments d'infanterie les voient d'un mauvais œil car leurs actions déchaînent des réactions violentes de l'ennemi et, si les fantassins admettent l'efficacité du tir des "crapouillots" lors des offensives, tout "zèle" intempestif est sévèrement condamné lorsque le secteur est calme...
Les chefs "offensifs" encouragent par contre les initiatives des jeunes officiers, surtout de réserve, qui constituent l'essentiel du personnel d'encadrement des batteries d'artillerie de tranchée. Cette subdivision de l'artillerie présente d'ailleurs deux singularités:
-à l'origine, les batteries ont été formées avec des "désignés d'office" par les chefs de corps des divers régiments d'artillerie de campagne des Corps d'Armée qui n'y ont pas envoyé l'élite de leurs ressources humaines, ce qui explique la réputation sulfureuse de "fortes têtes" des "crapouilloteurs". Même si l'accroissement de l'artillerie de tranchée a changé la donne avec un mode de désignation de ses personnels centralisé à partir de l'été 1915, la "réputation" des artilleurs de tranchée durera aussi longtemps que l'arme.
-les unités d'artillerie de tranchée ont toujours été incroyablement sous-encadrées, les batteries sont le plus souvent commandées par un lieutenant et les groupes par des capitaines, faits impensables dans les autres composantes de l'artillerie.
Le capitaine de la Chapelle, "K-KI" en littérature, a parfaitement résumé cet état de fait dans son beau livre "Hors du Cadre" (éditions Berger-Levrault 1923) où il rappelle notamment qu'il a commandé en 1918 un Groupement d'Artillerie de Tranchée de plus de 3.000 hommes avec le grade de capitaine de réserve...
Il n'en reste pas moins que les artilleurs de tranchée ont le plus souvent fait preuve d'un courage et d'un esprit de corps de petite unité, vraiment exceptionnels.
Voici d'abord des "Crapouilloteurs" de la 69e Division appartenant depuis 1915 à la 105e batterie du 44e R.A.C. Unité formée surtout avec un mélange de personnels picards originaires de la 2e Région et de sarthois du 44e R.A.C. Cette unité, au cours des réorganisations successives de l'artillerie de tranchée, est devenue le 1er octobre 1917 la 101e batterie du 268e R.A.C puis le 1er avril 1918, la 132e batterie du 175e R.A.T. Cette batterie a servi des mortiers de tranchée de 58 T, a essayé les premiers mortiers d'accompagnement Jouhandeau-Deslandres et a aussi été doté quelque temps du mortier Van Deuren avant de revenir au mortier de 58 T n° 2.
Les JMO de la batterie au cours de cette période contiennent une impressionnante liste de citations accordées à ses personnels, une Citation collective à l'ordre du Corps d'Armée du Général Passaga (dit "le Gaulois", inspirateur et créateur des "corps francs" au sein des unités sous ses ordres) attribuée en juin 1917 pour l'action de la batterie dans l'Aisne puis une citation collective à l'ordre de l'Armée en date du 29 novembre 1917 pour les combats de Verdun. Conservée en avril 1918 comme batterie de tranchée organique du 32e Corps d'Armée, à une période où beaucoup de batteries de tranchée sont dissoutes, cette batterie est toutefois transformée le 16 août 1918 en 27e batterie du 209e R.A.C.P (Régiment d'Artillerie de Campagne Portée armé de 75 sur tracteurs automobiles) lors du déclin irréversible de l'artillerie de tranchée à la fin de la guerre, prélude à sa disparition pure et simple au début de 1919.

"Crapouilloteurs" de la 105e batterie du 44e R.A.C en 1917.
Au dos de cette carte, le langage simple d'un de ces artilleurs témoigne de l'esprit du temps "Nous sommes au repos bien gagné, nous avons rentré dans le beau département de l'Aisne sans regret. Nous avons fait notre partie de gloire".
La seconde photographie montre une autre batterie de tranchée formée de toute pièce avec des personnels du dépôt du 44e R.A.C au Mans. Il s'agit de la 153e batterie du 44e R.A.C, formée en avril 1916 et équipée de mortiers de tranchée de 75 T Schneider. En août de la même année, elle reçoit une section armée de mortiers de tranchée de 150 T modèle 1916 Batignolles et reçoit l'appellation de "batterie mixte de 75/150". Elle devient le 1er octobre 1917 118e batterie du 238e R.A.C. La batterie de tranchée est dissoute le 15 mars 1918 et est transformée en batterie d'artillerie lourde de campagne, armée de 155 C modèle 1917 Schneider et reçoit l'appellation de 14e batterie du 138e R.A.L.

Artilleurs de tranchée de la 153e batterie mixte 75/150 du 44e R.A.C posant autour d'un mortier de 150T modèle 1916.
On notera sur les deux clichés le port sur la manche gauche de la "bombe d'artillerie de tranchée", symbole des artilleurs de tranchée servant dans des batteries de "crapouillots".
Cordialement,
Guy François.