
inscrit comme avocat au barreau de la cour d'appel de Poitiers
Sous-lieutenant au 325ème Régiment d'Infanterie
Né le 26 mai 1892 - Bourges (Cher)
Tué le 5 avril 1918 - Aubvillers (Somme)
Ecoutons ce que dit de lui son petit neveu Yves-Marie Adeline* dans '"Histoire des Adeline", recueil non publié destiné à ses descendants:
"Du côté Veillechèze donc, on honorait particulièrement la mémoire d’Yves de Veillechèze de la Mardière (Poitiers 1892 - Pour la France à Grivesnes 5 avril 1918), chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume, Croix de Guerre 14-18, frère de mon grand’père maternel François de Veillechèze de la Mardière. Comme Jean Allard-Meeûs, il taquinait la muse, et sans doute avec plus de bonheur. Contrairement à lui, il n’a pas laissé de trace en-dehors du cercle familial, mais sa personnalité mérite d’être méditée.
Mon grand-oncle Yves avait un idéal politique très élevé, militant à l’Action Française, assurant bénévolement le secrétariat de M. Marie de Roux (1878-1943) le célèbre avocat de Maurras et de l’Action Française. Lui aussi était juriste, par tradition chez ces Veillechèze qui ont toujours porté la robe. Il se destinait à une carrière universitaire quand survint la Grande Guerre. Ayant été mobilisé au 125ème Régiment d’Infanterie de Poitiers, il enrageait de rester inactif, car il était considéré comme sursitaire, préparant son doctorat, tandis que son frère aîné François se battait déjà. Finalement il réussit à s’engager au 325ème régiment d’Infanterie, précisément celui où combattait son frère.
Pour les noces d’argent de ses parents, mes arrières grand’parents Jean de Veillechèze de la Mardière et Marguerite Letard de la Bouralière, qui avaient huit enfants, mais qui en ces circonstances dramatiques n’avaient plus avec eux que leurs cinq filles, il leur envoya ce poème intitulé Des fleurs:
________________________________________
« Je vous offre ces fleurs, jacinthe, marjolaine,
J’unis à l’églantier un rameau d’aubépin,
Dans les prés ondulants j’ai cueilli ce matin,
Par grandes gerbes d’or, la Marguerite Reine
J’ai dépouillé les bois de la blanche anémone
Et j’ai fait du muguet frissonner les grelots
Et de toutes ces fleurs je tresse une couronne
Que je pose à vos pieds, ému, les yeux mi-clos
Je vous offre ces fleurs, éphémère cadeau
Et symbole pourtant de jeunesse éternelle
Elles sont d’un instant, comme un dessin sur l’eau,
Elles meurent… mais la nature est toujours belle
La fleur morte, en effet, pour le printemps suivant
Recèle une autre fleur qui d’un jeune éclat brille,
Ainsi, pour que toujours des fleurs jettent au vent
Leur parfum, vous avez créé une famille.
Vous avez défié le temps et ses injures
Car depuis vingt-cinq ans
Le printemps a souri sur les jeunes figures
De tout jeunes enfants
Et la petite ménagère
Et l’artiste aux doigts merveilleux
Et puis, orgueil de la Grand’Mère
Les trois têtes aux jolis yeux
Sont à votre foyer des fleurs
Qui font revivre la jeunesse
L’amour, les anciens bonheurs
Et s’évanouir la tristesse
Ah ! quelle est la douleur altière
Qui devant ces yeux-là ne s’adoucirait pas !
Et peut-on voir quelque misère
Quand pour la consoler un enfant tend les bras ?
Je vous offre ces fleurs, jacinthe, marjolaine,
Mais si vous en mettez au repas familier,
Songeant à vos trois fils à la guerre lointaine,
Vous joindrez au bouquet un rameau de laurier ».
__________________________________________
Certes, il y a des maladresses et une façon un peu convenue ; mais on y lit de jolies trouvailles (« un dessin sur l’eau ») et mon grand-oncle Yves y mettait de la douceur, une exquise délicatesse pour ses parents inquiets. Il fut fait officier en juillet 1916, reçut la Croix de Guerre le 10 juin 1917 à Verdun.
Quand vint la dernière grande offensive allemande de 1918, son régiment fut envoyé sur la Somme pour combler la brèche faite par l’ennemi sur le front anglais. Au matin du 4 avril 1918, il écrivit un dernier mot laconique à ses parents : « Tout va bien, suis en bonne santé. Yves. ». Le jour même, il fut renversé par un éclatemment d’obus. Il se releva indemne, mais suffoqué, et ses hommes l’entendirent qui disait: « Six mètres trop court… »
Le lendemain 5 avril, il n’écrivit pas le matin. L’après-midi, vers 15 heures, il conduisit sa section à l’attaque, traversant un champ de blés verts, près de Grivesnes, au sud-est d’Amiens. Un obus autrichien éclata tout près. Il reçut trois éclats, dont un à la gorge, et s’effondra. Les Allemands menèrent une contre-attaque et prirent le terrain. L’oncle Yves était certainement mort, mais ses parents ne purent en avoir la confirmation pendant trois mois ; lorsqu’enfin le 325ème Régiment d’Infanterie put reconquérir le terrain sur l’ennemi. Le père de Chalain, aumônier jésuite, se pencha sur le corps qui déjà se décomposait. Il reconnut sa chevalière gravée à ses armes, qu’il portait autour d’un doigt décharné. Tout autour, le blé avait poussé, comme en écho aux paroles qu’il chantait chez les Camelots du Roi :
_____________________________________________
« Demain, sur nos tombeaux,
Les blés seront plus beaux ! »
En ouvrant sa cantine militaire, on avait découvert un carnet personnel sur lequel il avait écrit : « Si la destinée me trahit, n’importe où sera mon corps, je désire qu’en le cimetière de ma ville, à côté du nom des miens, mon nom soit gravé. En ce dessein j’ai composé mon épitaphe :
En souvenir d’Yves de la Mardière
Ravi en sa jeunesse au doux monde
En expiation des erreurs d’un long siècle
Que son sang volontairement répandu
Fasse éclore
Dans une France plus belle
Des lys blancs ! »
_______________________________________________
La destinée l’a trahi. Il n’a pas pu réaliser ce dont il rêvait : consacrer son talent et ses forces à l’éclosion d’une France plus belle, sous les lys blancs. En souvenir de son oncle mort à vingt-six ans, ma mère fut appelée Yvonne, puis elle-même à son tour me donna son prénom, ajouté à celui de la Mère de Dieu. J’ai parfois eu scrupule à honorer sa mémoire avant même celle de son frère mon aïeul François, mais les mânes de la famille m’y portaient : toute ma jeunesse j’ai aspiré à réaliser le vœu de mon grand-oncle. A la parution de mon premier livre politique, L’Aube royale, je suis allé sur sa tombe le lui offrir en prière. Chaque année, sauf si j’en suis empêché, je viens me recueillir à la Toussaint sur le caveau de Poitiers où il repose, au Cimetière de la Pierre-Levée. « La fleur morte, pour le printemps suivant, recèle une autre fleur… ». J’ai essayé d’être cette autre fleur, pour reprendre le flambeau et lui donner raison ; pour qu’il soit vainqueur, en définitive, du destin qui l’avait frappé. C’est aussi cela, une famille : « Ainsi, pour que toujours des fleurs jettent au vent leur parfum … ».
Le nom d’Yves de Veillechèze de La Mardière fut gravé sur un mur du Panthéon, ainsi que dans la salle des pas perdus du palais de justice de Poitiers, sur une plaque évoquant les avocats du barreau de Poitiers morts pour la France. L’oncle Yves n’avait jamais plaidé, mais était officiellement avocat.
* Yves-Marie Adeline est l'auteur d'un ouvrage publié en 2011 aux édition Ellipse "1914, une tragédie Européenne"