Bonsoir à tous,
Voici un petit témoignage d'un ancien de la classe 1910.
À 86 ans, Jules Viel est l'un des vice-présidents de l'association des anciens du 28e RI, il écrit son témoignage publié dans le numéro 89 du 3e trimestre 1976 :
"J'ai reçu ce matin (19.08.76) la lettre concernant le projet de pélerinage à Loivre et y souscrit volontiers ; donc carte blanche... Ainsi que tu en avais exprimé le désir, je vais essayerde te narrer l'aventure qui m'est arrivée le 3 septembre 1914 [le 4] à l'affaire d'Orbais.
Ce jour là, alors que la retraite se poursuivait, dans l'après-midi un clairon sonne la charge, aussitôt nous faisons demi-tour et à plusieurs centaines de mètres, les allemands : le feu à volonté nous est commandé, mais cela ne dure pas longtemps et ordre nous est donné de nous replier.
A ce moment là deux de mes hommes sont blessés, l'un au bras, l'autre à la cuisse, traversée par une balle ; j'emmène ce dernier derrière une meule de grain et lui fais son pansement puis le conduis dans une ferme qui, je crois, était la ferme des Thomassets où déjà il y avait des blessés ; on trouve un cheval, une voiture que l'on remplit de blessés et je pars rejoindre ma compagnie.
A peine avais-je fait quelques centaines de mètres que je ressens un violent coup au genou ; mais je continue néanmoins et, ayant rejoint un groupe de camarades, la douleur étant plus forte, je regarde et je vois une goutte de sang ; je prends mon mouchoir et l'essuie. Mais, pour repartir c'était plus dur et enfin au bout d'un moment n'y tenant plus, je m'arrête sur le bord de la route. C'est alors qu'une partie de ma compagnie arrive dont Henri LELOUP et Félix CHERET qui me prennent chacun par un bras et je fais ainsi quatre kilomètres souffrant atrocement.
Enfin, nous arrivons à un poste de secours et je suis mis sur un brancard ; quand le médecin major m'a regardé, il n'a pas voulu me reconnaître blessé et m'a traité de tous les noms : lâche, feignant, mauvais français, et j'en passe, me menaçant de me faire exécuter si je ne reprenais pas la route ; inutile de dire que je me défendais.
Par bonheur pour moi, car je ne sais ce qu'il me serait arrivé, vint à passer un aumônier de la division, il s'approche et demande ce qui se passait ; il y a eu une violente discussion entre lui et le major et finalement ce dernier dit aux infirmiers : "foutez le là, les boches le ramaseront". Ce qui fut dit fut fait et je suis resté sur le terrain.
Le soir venu je me suis traîné dans une maison face au terrain où se trouvaient les blessés et le lendemain, dans la matinée, nous avons eu la surprise d'avoir la visite des uhlans.
Dans la soirée, nous avons été transportés à Montmirail où nous sommes restés jusqu'au 9, jour où nous avons, avec joie, vu remonter le 28e et retrouvé notre liberté.
Le 10, nous embarquons à Joiselle et le 12 arrivons à l'hôpital de Château-du-Loir où je reste jusqu'au 22 ; de là, dirigé sur l'hôpital d'Evreux pour avoir une convalescence, je m'y présente le 24, mais une déconvenue m'attendait, car la fatigue du voyage, deux jours, avait aggravé mon cas et c'est avec un genou aussi gros que ma tête que je me suis présenté devant le docteur lequel m'a envoyé immédiatement à la radioscopie. Diagnostique ? forte hydarthrose et balle dans la partie inférieure de la cuisse gauche, la base sous la rotule et le sommet à un millimètre du fémur, laquelle a été extraite le 25 ; j'ai donc gardé cette balle pendant 21 jours ; finalement, en fait de convalescence, j'ai eu 15 jours de repos au corps.
[...] Il est entendu que ce récit ne mérite guère l'attention... s'il n'en vaut pas la peine, n'en parle pas [...]"
Bonne soirée
Vincent
Lâche, feignant, mauvais français...
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Re: Lâche, feignant, mauvais français...
Site Internet : Adolphe Orange du 28e RI http://vlecalvez.free.fr
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
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Re: Lâche, feignant, mauvais français...
Bonjour Vincent,[...] Il est entendu que ce récit ne mérite guère l'attention... s'il n'en vaut pas la peine, n'en parle pas [...]"[/i]
Tu as bien fait de ne pas suivre cette recommandation !! Merci pour ce beau témoignage " d' erreur judiciaire", Jules Viel s ' en est bien sorti mais pour bien d' autre ça s' est terminé au tourniquet !! Je suis en train de lire le bouquin du Gal Bach et avec, en plus, des histoires comme celle ci, je me dis qu' il serait vraiment temps de réhabiliter tous ces gars ( oui je sais, combat de dinosaure

Amicalement,
Jef
"Désormais je sais enfin que tous ces morts, ces Français et ces Allemands, étaient des frères, que je suis leur frère" Ernst Toller
Le blog du 232e RI http://232emeri.canalblog.com/
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