Comme le fil sur les immatriculations militaires de la Grande Guerre se stabilise, concernant la France, nous allons changer de pays ! J’aurais voulu commencer par l’ennemi – l’Allemagne – mais je manque encore de photos pour illustrer ce fil a minima, donc c’est au tour du plus gros des Alliés, la Grande-Bretagne avec son empire.
Pour les passionnés anglais d’histoire des immatriculations, ce qui a rapport à la Première Guerre mondiale fait partie des rares sujets encore peu couverts. Le Service Automobile britannique (que les Anglais appellent M.T. pour Motor Transport) a été traité au sein de l’A.S.C. (Army Service Corps) dont il était une composante, par un lieutenant-colonel spécialiste du sujet, Michael Young, dans un ouvrage paru vers 2000 et considéré comme la référence. Mais son auteur n’est pas rentré dans le détail des immatriculations, et il a fallu attendre 2011 pour que le sujet soit abordé dans un livre dédié au S.A. australien, « The Benzine Lancers » publié par un Australien nommé Rod Dux.
Dès 1909, une conférence organisée par la Grande-Bretagne avec ses Dominions avait retenu le principe qu’un minimum de standardisation devait s’appliquer aux moyens à mettre en commun par les différentes armées. Après le déclenchement du conflit, ce principe vint s’imposer à l’immatriculation des véhicules, dont les systèmes purent varier d’un théâtre d’opérations à un autre, chaque théâtre appliquant cependant un système unique à tous les véhicules qu’il engageait, quelle que soit leur provenance au sein de l’empire. Toute ma science provient ainsi de l’ouvrage que j’ai nommé, dans la mesure où la description des séries, si elle a été faite par l’auteur sous l’angle des véhicules possédés par l’Australie, est valable pour les autres pays engagés, le Royaume-Uni en premier.
A l’inverse, comme les Australiens n’ont pas combattu en Italie, et que leur M.T. n’a jamais été envoyé dans les Balkans, les immatriculations relatives à ces deux théâtres de guerre ne sont pas abordées, tant pis. De façon symétrique, comme les Australiens n’avaient pas de chars, je n'ai pas de détails sur l'immatriculation spécifique appliquée aux tanks, qui semble avoir mis en oeuvre des tranches bien délimitées, comme en France, et sans marquage avec la flèche de Sydney dont je parle plus bas. Ce sujet pourra faire l'objet d'un fil à lui si j'arrive à en savoir plus...
Comme les autres belligérants de 1914, le Royaume-Uni n’avait pas mis en place avant la guerre d’immatriculation spéciale pour ses véhicules militaires, la série normale servant pour cela, une situation qui ne changea pas au cours du conflit pour les véhicules qui opéraient seulement sur le territoire national. L’habitude semble avoir été prise d’immatriculer auprès des autorités civiles de l’endroit où le constructeur automobile résidait, au moment de la réception des véhicules, mais les exemples sont aussi nombreux d’immatriculations avec un préfixe en usage pour le Grand Londres, caractérisé par la lettre initiale L.
Pour les véhicules préparés en sections complètes pour aller au combat, l’ASC a utilisé deux « parcs d’organisation », l’un situé à Bulford dans la région de Salisbury, l’autre à Camberwell dans le sud de Londres. A ce moment, les véhicules recevaient une immatriculation de la forme ASC BUL suivi d’un numéro de série, qui leur servait lors du convoyage vers les ports d’embarquement, le trajet maritime et le transfert vers le théâtre des opérations.

Ce tracteur à vapeur Foden a conservé au front son immatriculation BUL du parc de Bulford
Chaque théâtre d’opérations appliquait alors son propre système, toujours caractérisé par l’emploi d’une flèche verticale au milieu de l’immatriculation (Broad Arrow, ou marque du comte de Sydney, dont l’origine remonte au 17ème siècle et qui servait à marquer ce qui était propriété de l’Etat). D’après les photos d’époque, il semble que la forme de la flèche ait varié – en hauteur ou en épaisseur – d’un théâtre à un autre, selon le pochoir utilisé. Les véhicules de la Croix Rouge ne portaient pas de flèche à ce niveau, on peut risquer l’hypothèse que la Broad Arrow, qui formalisait l’appartenance à l’Etat (que celui-ci soit la Grande-Bretagne ou un membre du futur Commonwealth), n’ait justement pas été apposée sur des véhicules qui ne lui appartenaient pas, voire étaient la propriété d’organisations ou d’Etats étrangers.
Quoiqu’il en soit, les préfixes utilisés pour indiquer la catégorie du véhicule différaient d’un front à un autre, ce qui permet la localisation de la prise de vue d’un véhicule ou d’un autre :
Western Front (France) : M - voiture, A - ambulance, L - camion, RA - Croix Rouge ambulance, RC - Croix Rouge voiture, RL - Croix Rouge camion, S - véhicule à vapeur, T - caterpillar (le L pour lorry manquait le plus souvent)

Militaires sud-africains dans une staff car Daimler - un bel exemple de Broad Arrow

Double immatriculation pour la Rolls-Royce du maréchal Haig - civile de Londres (LB) et militaire (M)

Deux volontaires auxiliaires féminines de la Croix Rouge devant leur ambulance, de fabrication US (jantes Kelsey) - Buick peut-être

Une compagnie Water Tank enseignant à des Américains comment on filtre la rivière - camion de fabrication Locomobile (USA) sans doute
Mésopotamie : B - moto, C - voiture ou véhicule blindé, D - camionnette, E - carterpillar
Egypte (et les Balkans il semble) : L - camion, LA - ambulance, LB - moto, LC - voiture ou véhicule blindé

Une auto-mitrailleuse Rolls-Royce à Salonique en 1916 déjà présentée par bobrah - source "Le Miroir"
Le problème est que l’auteur n’a pas retrouvé de textes réglementaires, de sorte que ces listes – fondées sur l’observation de nombreuses photos – peuvent ne pas être exhaustives, et que les dates d’application de ces divers systèmes ne sont pas exactement connues. Il est également sûr que d’autres systèmes, moins formalisés, ont été utilisés sur des bases aussi locales que provisoires, avant l’imposition des systèmes à la Broad Arrow. L’auteur donne différents exemples de tels systèmes, comme ceux primitivement employés en Egypte, qui sont documentés au moyen de nombreuses photos.
A la fin de la guerre (la réglementation correspondante, elle, a été retrouvée et date de septembre 1918), un autre système apparut, pour différencier les véhicules possédés par la Grande-Bretagne, l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, la Croix Rouge, …, mais on ne sait s’il a été généralisé ni même appliqué en dehors du territoire britannique. Il est cependant sûr qu’il a servi aux règlements de fin de conflit et à la démobilisation. Cette fois, un simple tiret servait de séparateur, pas la flèche, et la catégorie du véhicule n’était pas présente à ce niveau…
Voilà donc une synthèse succincte mais à peu près complète par rapport à l’état actuel de la connaissance des systèmes les plus utilisés par l’empire britannique. Je joins quelques photos pour illustrer mon propos, et serais heureux de partager mon savoir tout neuf avec les forumeurs qui voudraient poser des questions ou poster des photos !
Bien cordialement,
Thierry