Bonjour à tous et bon dimanche,
Voici la suite des carnets de guerre d'Albert Thierry (publiés en 17 et 18 dans "La Grande Revue").
Le 28e RI est arrivé à Aix-Noulette près du front. La 11e brigade (28e et 24e RI) a été mise à la disposition de la 43e DI.
Bonne lecture
Bien cordialement
Vincent Le Calvez
Samedi, 15 mai 1915
… Promenade avec G… et T… Lecture des grands communiqués, des félicitations au général en chef : moi j’attendrais la fin… Aéroplanes, ballons, détonations de mitrailleuses.
Revue à neuf heures et demie. Ordre du départ.
Dans les journaux, la mort d’André Lafon, le pauvre élève Gilles, la mort de Paul-Albert Laurens, l’ami de Péguy. Hélas tout ce que cette guerre aura coûté !
Départ vers dix heures. Nous arrivons à Boyeffles au milieu d’une magnifique canonnade. Entre Bouvigny et Boyeffles, la crête, et le prodigieux et magnifique éblouissement noir et rouge du Nord, Béthune et Lens, les usines en plein feu, les mines intactes, et la fumée blanche, noire et verte des canons occupés à les protéger et à les reconquérir.
O patrie !
Aix-Noulette, village de briques rouges et grises, avec un très vilain clocher hérissé de ces briques sur chaque arête, avec un abreuvoir débordant et très sale, un petit ruisseau frais qui sent l’aubépine, et d’innombrables estaminets.
Puis nous longeons un bois en revenant sur le sud vers la hauteur boisée de Notre-Dame-de-Lorette après avoir traversé la voie ferrée des mines de Béthunes et rencontré plusieurs blessés. Puis nous entrons dans un bois par une pénible grimpette. Et nous nous arrêtons sous un grand hêtre entre la crête et une batterie de quatre pièces de 120 qui nous assourdissent.
Halte sous ce grand hêtre.
Sans imaginations vaniteuses, en combattant le désir de mourir glorieusement, en souhaitant avec sérieux de vivre pour les devoirs si nombreux qui m’attendent, je m’appuie pour avancer en esprit au souvenir de Soulas et au souvenir de Jacques.
Il est cinq heures, le bombardement redouble. On dit que le …° attaque… Le soleil descend.
Souvenir de Jacques, mort en service commandé. Souvenir de Soulas mort des suites de ses blessures…
Nous traînons, il commence à faire froid, le bombardement diminue, un soleil doré et rond descend dans le branchage.
O nid terrible de la foudre, ô gueule enflammée du canon !
J’écris dans ce carnet et je lis les Psaumes.
Le texte français est bien moins beau que le texte latin et catholique ; monotonie de psaume, quoiqu’ils diffèrent bien de sentiment, mais pas immédiatement à une attention non avertie ; monotonie de verset à verset, la prosodie hébraïque consistant surtout, ai-je lu ça dans Renan ou dans Reinach, dans la répétition de la pensée en changeant les termes, mais par là justement un pathétique rebond du cœur, un élan pour ainsi dire sans rechutes ; cela même à examiner, que Claudel appelle le gémissement inénarrable !
… Nous lirons les psaumes ensemble plus tard …
(Plus tard nous irons nous promener dans la majesté du soir… Plus tard nous irons nous promener dans ce grand temple nocturne où luisent des millions de lampes…)
Ordre de revenir à Aix-Noulette. Rumeur que l’attaque du …° n’a pas réussi, du moins que conjointement à elle, sur la droite, une attaque allemande se produisait sur la gauche, et qu’il y a des blessés pour avoir couru trop vite sur notre artillerie …
Détonation impérieuse, vibration tympanique, majesté du 120. Nous revenons, la nuit vient bleue et grise. Il fait un peu triste, un peu froid. Mais jamais je n’oublierai l’éblouissement fumant, houilleux et empourpré de Boyeffles, et, l’immense plaine du Nord de Béthunes à Lens !
Aix-Noulette ; nous passons le côté intact, jusqu’à une usine à haute cheminée carrée, puis nous tournons sur la droite, et voilà le côté démoli : des toitures complètement étuilées, laissant voir le canevas de la charpente, des maisons abattues, selon la règle, sauf la cheminée, une élégante dont il ne reste rien que la façade, murs de côté et planchers jetés par terre, fenêtres crevées, et tout en haut, toute seule du toit, la fenêtre de la mansarde…
… J’ai mal aux épaules, cette fois-ci surtout la gauche ; au cou, au diaphragme, aux deux talons. Ca n’est que ça : vive la France !
Nous couchons dans l’école. (Il y reste une petite table et deux tableaux noirs). Souvenirs à l’école de Louan ! à l’école de Berry-au-Bac ! Songer que Gillaume a donné congé aux enfants pour célébrer le torpillage du Lusitania. Infamie de cette race…
A. Thierry, le 15 mai 1915
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Re: A. Thierry, le 15 mai 1915
Bonjour à tous,
Vincent: c'est un régal pour moi de lire ces lieux où j'ai joué enfant.
Albert Thierry écrit: "Puis nous entrons dans un bois par une pénible grimpette..."
Si vous venez à Bouvigny, demandez "ch' bos d'mont" (le bois du mont), vous y trouverez une maison isolée et au pied une tombe. Non ce n'est pas une tombe de poilu mais celle d'une guérisseuse dont le voeux d'être enterrée là fut autorisé pour service rendu. L'histoire ne dit pas si elle fut amenée à soigner des soldats: Bouvigny était un lieu de cantonnement à quelques km (2 ou 3 par la crète) de Lorette.
Il écrit aussi: "Aix-Noulette ; nous passons le côté intact, jusqu’à une usine à haute cheminée carrée"
Peut-être la brasserie Brasme (j'y ai travaillé) aujourd'hui disparue.

cordialement, François
PS: Alain C. connait très bien ce secteur
Vincent: c'est un régal pour moi de lire ces lieux où j'ai joué enfant.
Albert Thierry écrit: "Puis nous entrons dans un bois par une pénible grimpette..."
Si vous venez à Bouvigny, demandez "ch' bos d'mont" (le bois du mont), vous y trouverez une maison isolée et au pied une tombe. Non ce n'est pas une tombe de poilu mais celle d'une guérisseuse dont le voeux d'être enterrée là fut autorisé pour service rendu. L'histoire ne dit pas si elle fut amenée à soigner des soldats: Bouvigny était un lieu de cantonnement à quelques km (2 ou 3 par la crète) de Lorette.
Il écrit aussi: "Aix-Noulette ; nous passons le côté intact, jusqu’à une usine à haute cheminée carrée"
Peut-être la brasserie Brasme (j'y ai travaillé) aujourd'hui disparue.

cordialement, François
PS: Alain C. connait très bien ce secteur
