Et le voici dans la tranchée de départ, 4 minutes avant l'assaut.

Les sections sont déployées sur le gradin. Le sergent ANDRÉ plaisante avec ses “nettoyeurs” et agite son revolver. Tout est prêt. La 2ème compagnie, qui doit nous suivre, s'est avancée dans les boyaux, SANDRIN, dans sa belle capote à boutons d'or, la Légion d'Honneur pendante, en tête, avec son capitaine. Nos mains se serrent à bloc. Nos regards se pénètrent. “Au revoir, mon vieux !” Quels instants !
Dix heures moins deux… sur la petite échelle de franchissement, entouré de ma liaison et de mes deux clairons, je compte les secondes. Dix heures ! “La première, en avant !” Avec quelle exaltation je le hurle ! Me hisse sur le parapet, brandis mon sabre et vois, d'un coup d'œil, toute ma compagnie bondir ! A droite, à gauche, très loin, le mur humain avance. Claquements stridents, la fusillade commence… Je cours comme un fou… Mais n'avait-on pas dit qu'il fallait marcher au pas ? Je ralentis et, instinctivement, cherche mon revolver, attaché tout à l'heure, à mon ceinturon. Plus de revolver ! Sans doute s'est-il décroché à l'escalade du parapet… Tant pis ! Mais c'est désagréable…
Le crépitement continue, peu nourri, irrégulier. La ligne parvient aux fils de fer, pauvres fils de fer déchiquetés que l'on enjambe ou piétine, et dont j'admirais au passage, je m'en souviens, la solidité. Des bonnets plats, verdâtres, sur des faces hagardes, se distinguent tout à coup, dans les brèches du parapet. Quelle hâte d'arriver ! Il semble que l'on sera alors sauvé…
A quelques mètres sur ma gauche, un Boche tire sans me voir. Désarmé que je suis, je le montre à mon voisin de droite et il s'affaisse avec une expression que je n'oublierai pas. Je reverrai longtemps ce corps flasque, coincé dans la tranchée étroite, debout quand même…
La première tranchée est sautée d'un bond. Victoire ! Tout le monde se rue en désordre. La tranchée de doublement est vide. Déjà la 2ème compagnie nous a rejoints. Tout se mélange, tout le monde court droit devant soi, délirant à l'aveuglette… “Eh ! bien, mon lieutenant, ça va ?” C'est CORNILLAUD. “Magnifique !”… Et voilà SANDRIN, excité plus que jamais. Il se répand en imprécation parce qu'il n'a plus ses gens sous la main… Pauvre ami ! C'est ma dernière image de lui…
Que d'hommes ! La vague française partout a franchi les tranchées allemandes et déferle vers la route de Béthune, plantée de grands arbres, à deux kilomètres de nous. A ma droite, un boyau que je dois longer pour atteindre mon objectif : le cimetière de Souchez, par le Cabaret Rouge.
Cordialement,
Jean-Claude Poncet