Algérie. Août 1914. En cette aube du 4 août André GAGLIONE terminait sa nuit de veille dans les entrepôts des Ponts et Chaussées du port de Bône et se rendait, comme tous les matins, vers la jetée Nord. Sa petite échelle sur l'épaule, il allait à pas lents éteindre le fanal qui marquait l'entrée du port. Encore une belle journée qui s'annonçait ; belle mais chaude comme savent l'être les journées d'août à Bône la Coquette... Le préposé aux feux ne regrettait pas de travailler de nuit, surtout en été : cela lui permettait de se reposer pendant les heures chaudes de la journée, tout au moins quand le brouhaha de la rue ne l'empêchait pas de dormir.. La soixantaine passée, il ressentait cependant une certaine lassitude, des douleurs rhumatismales... Ah ! Encore quelques années à tirer et il pourrait postuler pour une petite retraite ; oui petite car il n'était entré aux Ponts et Chaussées que sur le tard... Les échos lointains d'une musique militaire le tirèrent de sa rêverie. Ah oui ! c'était un bataillon du 3eme R.T.A. qui faisait ses adieux à la ville et se dirigeait vers la gare pour rejoindre Alger et de là, Marseille.
La Mobilisation Générale avait été décrétée le 1er août et tous les jeunes hommes avaient aussitôt rejoint les casernes de la région.... Mais le Président Poincaré avait bien précisé que la Mobilisation n'était pas la Guerre ! « Pourvu qu'il ait raison ! » pensait le petit employé des P.et C.. Dans les cafés de la ville les discussions allaient bon train ; partisans et adversaires de la Guerre s'empoignaient ; on disait qu'un sergent français avait été tué sans raison par les Allemands à la frontière alsacienne et qu'il fallait le venger ! André Gaglione était pacifiste : « La guerre...pas bon ! » pensait-il...Ces jeunes qui partaient au son des tambours, reviendraient-ils au pays ?C'est surtout pour eux qu'il s'inquiétait, car à Bône,on était bien loin de l'Allemagne et même de la France; on ne risquait pas grand-chose..... Alors...
Le jour se levant, une silhouette sombre se dessina derrière le môle : celle d'un navire de guerre. Aussitôt, le pilote du port se dirigea, à la rame, dans sa direction pour l'assister dans ses manoeuvres. Un marin qui flânait sur les quais commenta : « Ce n'est pas un bateau français, ça. Peut-être un anglais ? ». Le petit père Gaglione, intrigué, continua cependant son chemin. Pas longtemps, car un long sifflement troua le silence du matin, suivi d'une détonation et d'un fracas du côté de la ville ; un nuage de poussière s'élevait du Palais Calvin, au bas du Cours Bertagna. « Mais...il nous bombarde !» s'exclama le marin. Le préposé aux feux n'eut pas le temps de répondre : un deuxième obus s'abattit sur le quai à quelques mètres de lui et le faucha. André GAGLIONE fut le premier civil français victime de cette guerre qui devait faire tant de morts ! Le croiseur allemand Breslau continua à bombarder la ville sans défense, qui ignorait que la guerre venait d'être déclarée. Plus d'une centaine de coups de canons furent tirés, provoquant, outre le décès d'André GAGLIONE, des dégâts matériels limités et une dizaine de blessés.
Quelques instants plus tard, un deuxième croiseur allemand, le Goeben, arborant pavillon russe, répétait l'opération à Philippeville et Stora. Là, les dégâts furent plus conséquents, surtout en pertes humaines... Dix-sept zouaves, qui attendaient d'embarquer et cinq civils perdirent la vie à cette occasion. Ce furent les premières victimes du conflit. Le Fort El Kantara, le seul à posséder un vieux canon, réussit à riposter et même, semble-t-il, à toucher l'énorme navire (plus de 1000 hommes d'équipage!) qui battit rapidement en retraite. Les premiers coups de canon français de cette guerre avaient été tirés par le Lieutenant CARDOT. Les deux croiseurs allemands furent poursuivis par la marine britannique mais réussirent à lui échapper et à se réfugier en Turquie dont ils adoptèrent le pavillon jusqu’à la fin du conflit.
Ce « fait d'armes » fut récompensé par Guillaume II par une citation des deux navires à l'ordre de la Nation.... Parmi les membres de l’équipage du Goeben se trouvait un jeune officier, Karl Dönitz, futur amiral, choisi plus tard par Hitler pour lui succéder à la tête du Reich… (P.Bompassant)
Premières victimes.
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Re: Premières victimes.
Bonsoir .Très beau récit ,merci beaucoup.
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Re: Premières victimes.
-Le texte suivant est un témoignage inédit sur le même sujet. On le doit à un Bônois, M. Roland RIBOUD , dont le père a été un témoin direct de cette attaque allemande.
« 4 août 1914 . Mon père évoquait souvent son aventure de ce jour. Avec son ami Robert Monvoisin et quelques autres du quartier des Français (ruines d’Hippone), ils avaient décidé d’aller pêcher au petit matin sur la plage de Joanonville.
Arrivés à 3 heures 30, ils avaient été arrêtés par quelques pêcheurs professionnels tapis derrière les derniers cabanons, qui leur avaient montré la masse sombre d’un grand navire en panne à trois ou quatre milles du bord, étrave dirigée vers le guide-lame de la Seybouse (lieu-dit : les Petites Pierres). Le bateau semblait avoir talonné un banc de sable :il tentait de se dégager par une marche arrière, perceptible par le bouillonnement de l’eau sous la poupe et les battements prolongés et saccadés de ses hélices. De lourdes volutes s’élevaient de ses 4 cheminées. Jamais un navire français ne se serait aventuré dans les hauts-fonds de Joanonville.
A la présence insolite de ce navire s’ajoutait le comportement à terre de marins qui fouissaient le sable avec des outils, à la recherche de quelque chose.
Intrigués et méfiants, les pêcheurs avaient dépêché l’un d’entre eux à la gendarmerie, en ville. Le jour se levait du côté de La Calle, on apercevait mieux le navire et surtout son armement de tourelles avant et arrière : un croiseur, peut-être un cuirassé… Il avait réussi à se dégager et avait rappelé ses équipes à terre et leurs canots. Il était 4 heures du matin : c’était l’aube.
Alors, prenant sa vitesse de croisière : le navire pivota Nord-Ouest, longea la jetée Sud et soudain tira ses bordées de canons sur babord en défilant tout le long des jetées. D’abord, panique sur la plage. Puis les gens de Joanonville crurent à un exercice puisque les batteries du Lion et des Caroubiers restèrent muettes. Sans se presser, le croiseur se dirigea vers le Cap de Garde, passant majestueusement devant les fortins de la Caroube et de Saint Bernard muets, tirant ses derniers obus sur le sémaphore et se dirigeant à allure modérée vers le Nord-Est.
On sut plus tard qu’il s’agissait du croiseur allemand Breslau qui avait tenté de couper le câble sous-marin téléphonique reliant Bône à Marseille (il s’immergeait à St Cloud), et qu’il était chargé, avec le cuirassé Goeben opérant en même temps à Philippeville, d’entraver l’embarquement des troupes algériennes vers la France. » . R.RIBOUD
« 4 août 1914 . Mon père évoquait souvent son aventure de ce jour. Avec son ami Robert Monvoisin et quelques autres du quartier des Français (ruines d’Hippone), ils avaient décidé d’aller pêcher au petit matin sur la plage de Joanonville.
Arrivés à 3 heures 30, ils avaient été arrêtés par quelques pêcheurs professionnels tapis derrière les derniers cabanons, qui leur avaient montré la masse sombre d’un grand navire en panne à trois ou quatre milles du bord, étrave dirigée vers le guide-lame de la Seybouse (lieu-dit : les Petites Pierres). Le bateau semblait avoir talonné un banc de sable :il tentait de se dégager par une marche arrière, perceptible par le bouillonnement de l’eau sous la poupe et les battements prolongés et saccadés de ses hélices. De lourdes volutes s’élevaient de ses 4 cheminées. Jamais un navire français ne se serait aventuré dans les hauts-fonds de Joanonville.
A la présence insolite de ce navire s’ajoutait le comportement à terre de marins qui fouissaient le sable avec des outils, à la recherche de quelque chose.
Intrigués et méfiants, les pêcheurs avaient dépêché l’un d’entre eux à la gendarmerie, en ville. Le jour se levait du côté de La Calle, on apercevait mieux le navire et surtout son armement de tourelles avant et arrière : un croiseur, peut-être un cuirassé… Il avait réussi à se dégager et avait rappelé ses équipes à terre et leurs canots. Il était 4 heures du matin : c’était l’aube.
Alors, prenant sa vitesse de croisière : le navire pivota Nord-Ouest, longea la jetée Sud et soudain tira ses bordées de canons sur babord en défilant tout le long des jetées. D’abord, panique sur la plage. Puis les gens de Joanonville crurent à un exercice puisque les batteries du Lion et des Caroubiers restèrent muettes. Sans se presser, le croiseur se dirigea vers le Cap de Garde, passant majestueusement devant les fortins de la Caroube et de Saint Bernard muets, tirant ses derniers obus sur le sémaphore et se dirigeant à allure modérée vers le Nord-Est.
On sut plus tard qu’il s’agissait du croiseur allemand Breslau qui avait tenté de couper le câble sous-marin téléphonique reliant Bône à Marseille (il s’immergeait à St Cloud), et qu’il était chargé, avec le cuirassé Goeben opérant en même temps à Philippeville, d’entraver l’embarquement des troupes algériennes vers la France. » . R.RIBOUD
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Re: Premières victimes.
Mon oncle, rappelé dans l'Artillerie, était cantonné au Fort Madher à Stora (Philippeville). Il envoya cette carte postale à sa famille. "Les allemands nous ont bombardés. La X représente un endroit qu'un obus allemand a dégringolé." Il s'agissait d'une conserverie de sardines.
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- Inscription : dim. juil. 20, 2014 2:00 am
Re: Premières victimes.
Mon oncle, rappelé dans l'Artillerie, était cantonné au Fort Madher à Stora (Philippeville). Il envoya cette carte postale à sa famille. "Les allemands nous ont bombardés. La X représente un endroit qu'un obus allemand a dégringolé." Il s'agissait d'une conserverie de sardines.

Re: Premières victimes.
Bonjour,
C'est un évènement méconnu qui nous est raconté avec beaucoup de talent!
Cordialement,
Jurançon
C'est un évènement méconnu qui nous est raconté avec beaucoup de talent!
Cordialement,
Jurançon
Re: Premières victimes.
Bonjour
Merci à Bompassant de nous faire part de cet événement raconté avec tant de justesse . les mots sont bien choisis ...
Cordialement
Merci à Bompassant de nous faire part de cet événement raconté avec tant de justesse . les mots sont bien choisis ...
Cordialement
Re: Premières victimes.
Bonjour,
Merci de nous faire découvrir cet épisode méconnu. Pour ma part, il était plus que méconnu, car totalement inconnu !
Cordialement,
Nicolas
Merci de nous faire découvrir cet épisode méconnu. Pour ma part, il était plus que méconnu, car totalement inconnu !
Cordialement,
Nicolas
-
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- Inscription : dim. juil. 20, 2014 2:00 am
Re: Premières victimes.
Merci pour vos commentaires. P.B.
Re: Premières victimes.
Bonjour à tous
Bompassant, je lis avec plaisir ton article. En janvier, j'étais à Philippeville et à Bône. J'ai retrouvé la tombe de Gaglione aprés 2 heures de recherches au cimetiére de Bône. Les soldats français du 3e Zouaves mort à Philippeville sont enterrés aujourd'hui à Oran (cimetiére du Petit Lac), j'ai mis des photos sur ce forum (sujet sur le Goeben). La batterie d'El Kantara n'existe plus et un des canons est au musée de l'Armée à Paris (vu par ALVF). Quand au lieutenant Cardot il voulait réglé son canon la veille mais sur l'ordre de son supérieure, il lui avait dit qu'il avait le temps de le temps de le faire. Il a tiré au jugé, le dernier obus est tombé à quelques métres du Goeben mais ne la pas toucher. Si vous désirez j'ai des photos de la Stora, de l'île de Sereguena par le où le Goeben s'est échapé, j'ai aussi des photos du fort Genois de Bône, le tout pris en janvier 2014.
Amicalement
David1980
pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... 3647_2.htm
Bompassant, je lis avec plaisir ton article. En janvier, j'étais à Philippeville et à Bône. J'ai retrouvé la tombe de Gaglione aprés 2 heures de recherches au cimetiére de Bône. Les soldats français du 3e Zouaves mort à Philippeville sont enterrés aujourd'hui à Oran (cimetiére du Petit Lac), j'ai mis des photos sur ce forum (sujet sur le Goeben). La batterie d'El Kantara n'existe plus et un des canons est au musée de l'Armée à Paris (vu par ALVF). Quand au lieutenant Cardot il voulait réglé son canon la veille mais sur l'ordre de son supérieure, il lui avait dit qu'il avait le temps de le temps de le faire. Il a tiré au jugé, le dernier obus est tombé à quelques métres du Goeben mais ne la pas toucher. Si vous désirez j'ai des photos de la Stora, de l'île de Sereguena par le où le Goeben s'est échapé, j'ai aussi des photos du fort Genois de Bône, le tout pris en janvier 2014.
Amicalement
David1980
pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviati ... 3647_2.htm