Les circonstances du décès, extrait du livre de Paul CHACK "On se bat sur mer"■ Marins de la Foudre déclarés « Morts pour la France » : (*)
― LE GALL Jean Marie, né le 18 juillet 1897 à Landéda (Finistère) et y domicilié, décédé le 28 janvier 1915 à El Arich (Égypte), « tué à l’ennemi », Quartier-maître fusilier, « Aviation-Foudre », Matricule n° 11.596 – Le Conquet (Acte transcrit à Landéda, le 15 mai 1915).
<<Le 27 janvier, Le Gall s'envole de Port-Saïd; Partridge l'accompagne, officier de dix-huit ans, dirait-on, engagé dans l'armée indienne au début de la guerre, et bombardé lieutenant...
L'hydravion survole le canal. A Kantara est amarré le cuirassé Swiftsure, ses grosses pièces pointées vers le désert. Plus loin, vers Ferdane, c'est le sloop Clio. Sur la rive d'Asie, la tête de pont de Kantara, que borde le réseau barbelé semble un nid d'insectes bloqué par une toile d'araignée. Déblayant les tranchées où sans cesse le sable retombe, transportant des sacs de terre aux parapets, les Indiens semblent autant de fourmis affairés qui entassent ou enfouissent leurs provisions. Là s'amorce la route d'El-Arish qu'il faut surveiller aujourd'hui. L'hydravion quitte les terribles remous du canal, où l'air rafraîchi par les eaux lutte avec le souffle brûlant des sables. Sur le désert, le conflit aérien s'apaise : de
grandes lames invisibles et régulières tantôt enlèvent l'avion et tantôt le font descendre. Le Gall est en extase, il « laisse faire » son appareil et se croit sur une vedette rapide qui tanguerait dans la houle...
Voici l'ennemi, établi à huit kilomètres du canal, à cheval sur la route d'El-Arish. Quelques coups de feu saluent l'avion. Loin dans le sud, on aperçoit une petite tache dans le ciel. C'est de Saizieu qui, depuis deux heures, survole les lignes turques à six cents mètres et « fait des cartons » avec son mousqueton de cavalerie. Bientôt paraît une ligne verte, l'oasis de Katia. Mais, depuis un moment, le ronflement de l'avion a des spasmes. Le Gall coupe l'allumage, le moteur
chauffe, l'huile n'arrive plus : mauvaise affaire, il faut rentrer. L'hydravion se dirige vers la Méditerranée, nappe bleu sombre qui prolonge dans le nord l'immensité dorée des sables. D'élan en élan, par bonds et par saccades, l'appareil s'approche de la mer. Et lorsque, sans rémission, après un dernier râle, l'hélice stoppe. Le Gall amérit doucement sur le cristal bleu. Un coup d'oeil au moteur. Rien à faire, les bielles sont en salade, le tuyau d'huile est cassé... Pas un
bateau en vue. La brise se lève de terre, souffle très doux dont on sent à peine la caresse chaude, mais qui entraîne vite au large le petit flotteur aux ailes immenses.
Le Gall est triste... S'il était libre, il resterait là, sur son siège de pilote, en perdition dans la nuit qui vient. Mais il n'est pas seul, son jeune compagnon est officier, et déjà gonfle son gilet de sauvetage. A l'eau maintenant. Les deux aviateurs tirent leur coupe, arrivent à la plage : en un instant, leurs vêtements sont secs. Sur la mer plus sombre, l'avion n'est plus qu'une silhouette indécise dont Le Gall ne peut arracher son regard... Pourtant, il faut se mettre en marche; Port-
Saïd est à quelque quarante kilomètres, on n'y sera guère avant trois heures du matin. En quelques enjambées, les deux hommes rallient la route de Romani qui longe la mer. L'or du désert se ternit, devient livide. Devant les naufragés, le soleil couchant exécute sur le ciel, sur le sable et sur les eaux son habituelle symphonie de pourpre, de mauve et de violet, puis disparaît. Il faut ouvrir l'œil : les premiers palmiers de Katia sont à dix kilomètres sur la gauche et les Bédouins pourraient bien détacher de l'oasis une patrouille vers Port-Saïd. Qui sait si l'un d'eux, embusqué dans quelque tranchée de sable, n'a pas vu l'hydravion amérir?
Avec la nuit, le froid s'est abattu sur le désert. Parfois, les fugitifs s'arrêtent, croyant voir une ombre, entendre un bruit... Rien. Rien que le babil cadencé du ressac perceptible aux points où la route suit l'extrême bord de l'eau. La lune presque pleine et déjà haute regarde les silhouettes frêles qu'elle protège en illuminant la lande sans fin d'où l'attaque pourrait venir. Silencieux, les aviateurs cheminent, écrasés par le silence poignant du désert. Des étoiles filantes raient le ciel clouté d'or.
Une heure du matin. Le canal doit être tout près, et sur la gauche on devrait apercevoir les projecteurs qu'allument les navires pour la traversée nocturne. Mais, depuis quelque temps, le transit de nuit est arrêté; on craint que, du désert, des nappes de balles ne viennent balayer les passerelles... Les lumières de Port-Saïd sont masquées. Aucune lueur ne trahit l'approche d'un centre civilisé; on dirait que le désert ne finira pas. Tout à coup, le sable disparaît, la lune se mire dans un lac. La route commence de longer la région inondée ; la chaussée n'est plus qu'une digue entre la mer et la nappe d'eau protectrice.
Soudain, droit devant, un bruit de pas et des ombres, une vingtaine d'ombres. Les aviateurs se couchent et Partridge appelle :
— Hello!
Plus rien. On dirait que la troupe s'est évaporée dans la nuit... Couchée sans doute. Silence. Des minutes de silence. Puis :
— Qui vive?
— Armée indienne, lieutenant Partridge.
— Avance au ralliement !
Diable! Le mot de ralliement? Naturellement, Partridge l'ignore. Son expérience militaire est de fraîche date. Il n'a pas prévu le retour possible en pleine nuit... Il ne sait pas que les soldats indiens appliquent la consigne avec une brutalité aveugle et fusillent raide quiconque ne peut donner le mot... Il ne sait pas non plus que les patrouilles ont reçu l'ordre de se méfier et qu'elles voient des Allemands partout... Dans l'obscurité, la voix s'impatiente :
— Avancez, ou je fais feu.
Les aviateurs se lèvent, et lentement, en pleine clarté, s'approchent. Pour prouver qu'ils sont amis. Le Gall commence de siffler une marche anglaise.
Vingt éclairs dans la nuit. Vingt détonations.
Deux morts sur la route... >>
http://www.archive.org/stream/onsebatsu ... 3/mode/2up
Cordialement
IM Louis Jean
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