Bonjour à tous,
AMIRAL MAGON
Un complément sur le torpillage de ce transport
Rapport du Lieutenant Colonel FREYDENBERG, commandant du 40e régiment d’infanterie de la 30e division de Salonique (sous couvert de l’Amiral commandant supérieur à Argostoli )
Emplacements occupés par les hommes et les animaux
Entrepont avant
Compagnie de mitrailleuses du 40e
Reliquat des 1er et 2e bataillons du 40e
Animaux du 40e
Sous le pont dunette
10e et 11e compagnies du 40e
CHR du 40e
Détachement automobile
Cale avant
Conducteurs du 40e et animaux
Cale arrière
Artillerie (30e batterie du 57e)
Déroulement des faits
Rien à signaler jusqu’au 25 Janvier 1917. Ceintures distribuées au départ. Exercice d’abandon chaque jour. Le 25 à 11h00, ARC est en tête du convoi. AMIRAL MAGON à 600 m derrière. PAMPA à 400 m derrière MAGON. Beau temps. Houle assez forte. Exercice d’abandon a été effectué à 09h00.
A 11h10, les officiers prennent leur repas quand la sirène retentit. Le capitaine Lenormand a aperçu la périscope d’un sous-marin et le voit lancer sa torpille. Il manœuvre immédiatement pour l’éviter. Mais la torpille jaillit hors de l’eau, change de direction en retombant et frappe l’arrière du navire à hauteur de la cloison étanche séparant la cale des artilleurs de celle de l’infanterie.
AMIRAL MAGON disparaît dans les flots 9 minutes après l’explosion. Pendant les dernières minutes, la gite est telle qu’il est impossible de se tenir debout sur le pont. Les opérations de sauvetage doivent s’effectuer avec une très grande rapidité. Aucun homme n’a perdu son sang froid, pas un cri, pas une bousculade. Les postes d’abandon sont pris dès le 1er coup de sirène. Mais il y a déjà de lourdes pertes à la batterie d’artillerie et aux 10e et 11e compagnies du 40e.
Les échelles de sortie de la cale sont brisées, ainsi qu’un radeau et une embarcation. En un instant, les palefreniers occupés à soigner les chevaux et les artilleurs restés dans la cale sont noyés.
Radeaux et embarcations sont mis à l’eau. Mais le MAGON continue à courir sur son erre pendant 150 à 200 m et laisse derrière lui 6 radeaux non reliés au navire. Une fausse manœuvre fait apiquer une embarcation et deux autres, trop chargées, chavirent. Les hommes s’accrochent à des flotteurs. Certains hommes, quoique munis de ceintures, hésitent à sauter à l’eau. Je leur intime l’ordre de sauter à la mer et ils s’exécutent. Quelques hommes, accrochés à des bouts qui pendent le long du navire, refusent de s’en éloigner.
Je saute à la mer en dernier, en même temps que le capitaine Lenormand. Quelques secondes après, le MAGON s’enfonce d’un seul coup par l’arrière. De gros jets de vapeur indiquent que l’eau a atteint les foyers. L’avant se dresse hors de l’eau, puis s’engloutit, entraînant dans son remous les quelques isolés qui ne s’étaient pas suffisamment éloignés.
L’ARC vient recueillir les hommes en perdition. On voit le périscope du sous-marin à 30 m de l’ARC. Le contre-torpilleur lui tire quelques coups de canon. Des marins de l’ARC se jettent à la mer pour recueillir des hommes en perdition et les ramener à bord.
Pendant 6 heures, jusqu’à l’arrivée de BOMBARDE, ARC a recueilli 347 hommes et 13 officiers. Quelques bons nageurs du 40e ont aussi participé au sauvetage de leurs camarades. J’ai été recueilli, accroché à une planche, deux heures trente après la disparition du MAGON.
Le porte drapeau et le drapeau du 40e avaient été embarqués sur un radeau qui a chaviré à 5 reprises. Lors du 4e chavirage, il a coulé à pic et l’état de fatigue des survivants était tel qu’aucun n’a pu lui porter secours.
Pertes en personnel
Officiers 23 dont un capitaine serbe et les officiers d’infanterie de Saratier, Jourdan et Clément.
Hommes de troupe 128 (artillerie, infanterie, 5e génie)
Equipage 7 officiers dont le TSF et 48 hommes
Ces pertes sont douloureuses, mais il faut tenir compte des circonstances défavorables
- Mal fait par la torpille
- Rapidité du naufrage
- Mer houleuse
- Heure du déjeuner. Beaucoup d’hommes sont morts de congestion.
Conclusion
Il n’entre pas dans mes compétences d’étudier les mesures de sécurité à prendre (renforcement des escortes par exemple). Mais je note
- les exercices d’abandon journaliers sont indispensables. Il faut aussi en faire la nuit un torpillage par clair de lune n’étant pas à exclure.
- Les radeaux en caissons métalliques doivent être vérifiés régulièrement car beaucoup ont coulé, noyant leurs passagers
- Les radeaux doivent être reliés au navire par un câble. Chaque équipe de radeau doit larguer elle-même son radeau, sans attendre que l’équipage le fasse.
- Ceintures de sauvetage excellentes. Renforcer quand même les bretelles
ARC a fait tout son possible, sauvant d’abord les isolés pendant trois heures, avant de s’occuper des radeaux.
Je demande qu’officiers, adjudants et aspirants du 40e soient indemnisés de la perte de leurs effets, équipements et harnachements et qu’une nouvelle première mise en campagne leur soit accordée.
Je demande une citation à l’Ordre de la Division pour le soldat de 2e classe BLANC, motif
« Ayant gagné l’ARC à la nage, s’est jeté plusieurs fois à l’eau pour recueillir des isolés en perdition. »
Fait à bord de JULES FERRY le 4 Février 1917
Signé Freydenberg
Liste de l’équipage rescapé d’AMIRAL MAGON
Conclusion de la Commission d’enquête
Cette commission s’est réunie à bord du VOLTAIRE le 1er Février 1917. Elle se composait de :
- Contre Amiral commandant supérieur à Argostoli
- CF TALON, commandant du VOLTAIRE
- LV de GUILLEBON, du MIRABEAU
- LV DELEVOYE du VOLTAIRE
Elle a entendu :
- CLC LENORMAND, commandant de l'AMIRAL MAGON
- Mr FURET Jean-François, officier de quart
- Mr BOUVIER, officier mécanicien de quart
- Matelot SINOU, timonier
- Matelot ROBERT, de veille sur la passerelle
- Matelot BEGUEL, vigie
- Canonnier L’HUILLIER, de veille à la pièce
Il ressort des dépositions de chacun que :
- Le sous-marin a été aperçu à 5 ou 6 quarts sur bâbord. ARC était à 800 m et le périscope a été vu à une distance nettement inférieure.
- Le commandant déjeunait dans la chambre de veille. L’officier de quart était sur tribord. Quand il a vu le sous-marin, il a mis la barre « A droite toute ». Le commandant est sorti aussitôt et a confirmé l’ordre, a actionné le sifflet, demandé la vitesse maximum, puis a fait stopper au moment de l’explosion de la torpille.
- L’officier de quart a donné l’ordre d’ouvrir le feu et l’ordre de hisser le signal d’alerte « Boule à bâbord ». Mais, par erreur du timonier, on a hissé le cône à tribord, ce qui a entraîné une erreur de manœuvre de PAMPA qui suivait.
- Aucun appel TSF n’a été envoyé, le temps ayant manqué.. Le commandant dit qu’il comptait sur ARC pour l’envoyer.
La prescription de l’article 29 aurait du conduire à venir tout à gauche. Mais l’officier de quart a pensé que le rayon de giration d’AMIRAL MAGON maintiendrait l’adversaire dans le cercle mort et que MAGON serait alors plus longtemps en position dangereuse.
La commission ne relève donc aucune faute dans la manœuvre effectuée. Les ordres donnés et les manœuvres effectuées ne prêtent à aucune critique.
Signé : TALON
Récompenses
Citation à l’Ordre de l’Armée
LENORMAND René Capitaine
Son bâtiment ayant été torpillé par un sous-marin, a assuré dans toute la mesure du possible l’évacuation des passagers et de l’équipage grâce à son énergie et à sa bonne organisation préventive.
FREYDENBERG Lieutenant Colonel Commandant d’Armes
A assuré dans toute la mesure disponible l’évacuation des passagers et de l’équipage grâce à son énergie et à l’ascendant qu’il a su exercer sur ses hommes
RIOU Yves Maître d’équipage 20028 Tréguier
Lors du torpillage de son bâtiment, a fait preuve de la plus grande énergie. S’est jeté plusieurs fois à la mer pour ramener des soldats sur le point de se noyer.
Témoignage Officiel de Satisfaction du Ministre
Aux officiers, aux troupes et à l’équipage d’AMIRAL MAGON pour le calme, l’énergie et la discipline dont ils ont fait preuve lors du torpillage de ce navire par un sous-marin.
Aux officiers et aux équipages d’ARC et BOMBARDE pour l’énergie et l’habileté professionnelle déployées lors du sauvetage des passagers de l’AMIRAL MAGON torpillé par un sous-marin.
Signé : LACAZE
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