Re: COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire
Publié : dim. mai 11, 2014 2:39 pm
Bonjour,
Quelques explications complémentaires, concernant le subterfuge qui a permis au Colbert d'échapper à l'U 28 le 28 mars 1915.
"En mars 1915, étant dans le port du Havre, à bord de Colbert, nous remarquons près de nous, à quai, un bateau espagnol, le Rio de Jano du port de Bilbao. Le navire avait une silhouette se rapprochant beaucoup de celle du Colbert. Le commandant Commelin et moi décidons d'augmenter cette ressemblance en apportant quelques modifications au Colbert : cheminée peinte en noir, préparation de plaques de bois portant les inscriptions Rio de Jano, Bilbao, pour les substituer à celles du Colbert. J'achète un pavillon espagnol ; je le passe à l'eau de javel, à la brosse métallique, j'use les coins du pavillon, le macule de suie ; après un bon rinçage, il parait très usagé. Du Havre, nous faisons route pour Cardiff où nous remplissons les soutes de charbon ; nous appareillons le 27 mars au soir à destination de Philadelphie. Dès le départ, nous mettons en place les plaques Rio de Jano et Bilbao. Le pavillon espagnol est hissé au mât arrière. A la nuit, les feux de route sont allumés comme en temps de paix et le pavillon éclairé par une lampe à réflecteur. Rien de particulier pendant la nuit. Nous marchons à la vitesse de onze noeuds. Le 28, j'étais de quart de 4 à 8 H. A 6 h, je mets la bordée de quart à laver le pont. Inspectant l'horizon à la jumelle dès la pointe du jour, j'aperçois assez loin sur l'arrière comme une lame qui déferlait. Au bout d'un quart d'heure, cette lame s'était sensiblement rapprochée de nous. Me doutant que c'était un sous-marin en demi-plongée, j'appelle le Commandant. Une demi-heure plus tard, le sous-marin, complètement sorti de l'eau, était à moins d'un mille de nous. J'avertis l'équipage et lui demande de continuer à laver le pont, comme si de rien n'était. A 7 h 30, le sous-marin tire un coup de semonce et hisse à un petit mât le signal "Stoppez immédiatement". Nous hissons l'aperçu et stoppons la machine. Un autre signal "Envoyez les papiers". Le Commandant me dit :"Rouillé, prenez la baleinière avec le maître d'équipage et trois hommes. Recommandez-leur le silence, allez à bord du sous-marin, gardez votre sang-froid et dites au Commandant du sous-marin que l'état du temps ne permet pas de risquer les papiers du bord dans une embarcation ; s'il veut les voir, qu'il vienne à bord." Nous accostons sous le vent du sous-marin. Un homme sort du capot, nous lance une amarre. Au roulis, je saute sur le pont du sous-marin. Le matelot allemand m'attrape à bras le corps et me conduit au kiosque. Deux hommes s'y trouvent, vêtus de scaphandres : l'un d'eux me dit : - Your papers ! Ce à quoi je réponds : - El Capitan no queue que el paper se passa à entro bel boat si el boat se fundio, que puede acere despues ? Ils se regardent, se disent quelques mots en allemand. Celui qui m'avait parlé dit : - You are going to America ? - Si signor, si signor, America, America ! - All right, go on ! Vous pensez bien que je ne me suis pas fait prier et, attrapant la filière du sous-marin, je me laisse glisser vers l'arrière. Au moment d'embarquer, une lame passe sur l'arrière du sous-marin et se déverse dans notre embarcation. Au même moment, j'entends le maître d'équipage crier au matelot se trouvant à l'avant du canot - Déborde donc, espèce de c.. ! Le bruit de la mer, allié à celui du vent, ne permit pas à cette exclamation d'être entendue de ceux qui étaient dans le kiosque. Le matelot allemand largue notre amarre. Nous rejoignons le Colbert où on lave toujours le pont. La baleinière est hissée à bord et nous remettons cap à l'ouest. Le sous-marin nous suit à 3 milles sur l'arrière du travers babord jusqu'à 9 heures. A ce moment, nous apercevons une fumée dans le sud. Le sous-marin nous quitte et met le cap dessus. C'est en arrivant à Philaldelphie qu'on nous apprit que, le 28 mars, le vapeur anglais Falaba avait été coulé dans les parages où nous étions le jour de notre arraisonnement."
"La NCHP (Navale et Commerciale Havraise Péninsulaire) a bien voulu nous autoriser à publier quelques articles parus dans les notes d'information de la compagnie. Qu'elle soit remerciée. Il nous a paru intéressant de reproduire les souvenirs du commandant Rouillé, Officier de Marine de Réserve, embarqué en 1915 comme second capitaine sur le navire ravitailleur de l'armée d'Orient, Colbert, appartenant à NCHP (à l'époque CHP). Le commandant Rouillé nous raconte comment son bateau fut arraisonné par le sous-marin allemand U 28."
Ce récit est paru dans Cols Bleus, n° 1121 du 7 février 1970, au sein d'un article "La guerre sous-marine dans la Manche en 1915, 1. L'aventure de l'U 28, 2. Le Colbert échappe à l'U 28, en pages 10 à 12. La suite, qui concerne la rencontre de 1916 et la destruction de 1917 sont publiés dans le n° 1123 du 21 février 1970, en pages 19 et 20.
Cordialement.
Quelques explications complémentaires, concernant le subterfuge qui a permis au Colbert d'échapper à l'U 28 le 28 mars 1915.
"En mars 1915, étant dans le port du Havre, à bord de Colbert, nous remarquons près de nous, à quai, un bateau espagnol, le Rio de Jano du port de Bilbao. Le navire avait une silhouette se rapprochant beaucoup de celle du Colbert. Le commandant Commelin et moi décidons d'augmenter cette ressemblance en apportant quelques modifications au Colbert : cheminée peinte en noir, préparation de plaques de bois portant les inscriptions Rio de Jano, Bilbao, pour les substituer à celles du Colbert. J'achète un pavillon espagnol ; je le passe à l'eau de javel, à la brosse métallique, j'use les coins du pavillon, le macule de suie ; après un bon rinçage, il parait très usagé. Du Havre, nous faisons route pour Cardiff où nous remplissons les soutes de charbon ; nous appareillons le 27 mars au soir à destination de Philadelphie. Dès le départ, nous mettons en place les plaques Rio de Jano et Bilbao. Le pavillon espagnol est hissé au mât arrière. A la nuit, les feux de route sont allumés comme en temps de paix et le pavillon éclairé par une lampe à réflecteur. Rien de particulier pendant la nuit. Nous marchons à la vitesse de onze noeuds. Le 28, j'étais de quart de 4 à 8 H. A 6 h, je mets la bordée de quart à laver le pont. Inspectant l'horizon à la jumelle dès la pointe du jour, j'aperçois assez loin sur l'arrière comme une lame qui déferlait. Au bout d'un quart d'heure, cette lame s'était sensiblement rapprochée de nous. Me doutant que c'était un sous-marin en demi-plongée, j'appelle le Commandant. Une demi-heure plus tard, le sous-marin, complètement sorti de l'eau, était à moins d'un mille de nous. J'avertis l'équipage et lui demande de continuer à laver le pont, comme si de rien n'était. A 7 h 30, le sous-marin tire un coup de semonce et hisse à un petit mât le signal "Stoppez immédiatement". Nous hissons l'aperçu et stoppons la machine. Un autre signal "Envoyez les papiers". Le Commandant me dit :"Rouillé, prenez la baleinière avec le maître d'équipage et trois hommes. Recommandez-leur le silence, allez à bord du sous-marin, gardez votre sang-froid et dites au Commandant du sous-marin que l'état du temps ne permet pas de risquer les papiers du bord dans une embarcation ; s'il veut les voir, qu'il vienne à bord." Nous accostons sous le vent du sous-marin. Un homme sort du capot, nous lance une amarre. Au roulis, je saute sur le pont du sous-marin. Le matelot allemand m'attrape à bras le corps et me conduit au kiosque. Deux hommes s'y trouvent, vêtus de scaphandres : l'un d'eux me dit : - Your papers ! Ce à quoi je réponds : - El Capitan no queue que el paper se passa à entro bel boat si el boat se fundio, que puede acere despues ? Ils se regardent, se disent quelques mots en allemand. Celui qui m'avait parlé dit : - You are going to America ? - Si signor, si signor, America, America ! - All right, go on ! Vous pensez bien que je ne me suis pas fait prier et, attrapant la filière du sous-marin, je me laisse glisser vers l'arrière. Au moment d'embarquer, une lame passe sur l'arrière du sous-marin et se déverse dans notre embarcation. Au même moment, j'entends le maître d'équipage crier au matelot se trouvant à l'avant du canot - Déborde donc, espèce de c.. ! Le bruit de la mer, allié à celui du vent, ne permit pas à cette exclamation d'être entendue de ceux qui étaient dans le kiosque. Le matelot allemand largue notre amarre. Nous rejoignons le Colbert où on lave toujours le pont. La baleinière est hissée à bord et nous remettons cap à l'ouest. Le sous-marin nous suit à 3 milles sur l'arrière du travers babord jusqu'à 9 heures. A ce moment, nous apercevons une fumée dans le sud. Le sous-marin nous quitte et met le cap dessus. C'est en arrivant à Philaldelphie qu'on nous apprit que, le 28 mars, le vapeur anglais Falaba avait été coulé dans les parages où nous étions le jour de notre arraisonnement."
"La NCHP (Navale et Commerciale Havraise Péninsulaire) a bien voulu nous autoriser à publier quelques articles parus dans les notes d'information de la compagnie. Qu'elle soit remerciée. Il nous a paru intéressant de reproduire les souvenirs du commandant Rouillé, Officier de Marine de Réserve, embarqué en 1915 comme second capitaine sur le navire ravitailleur de l'armée d'Orient, Colbert, appartenant à NCHP (à l'époque CHP). Le commandant Rouillé nous raconte comment son bateau fut arraisonné par le sous-marin allemand U 28."
Ce récit est paru dans Cols Bleus, n° 1121 du 7 février 1970, au sein d'un article "La guerre sous-marine dans la Manche en 1915, 1. L'aventure de l'U 28, 2. Le Colbert échappe à l'U 28, en pages 10 à 12. La suite, qui concerne la rencontre de 1916 et la destruction de 1917 sont publiés dans le n° 1123 du 21 février 1970, en pages 19 et 20.
Cordialement.