Après nous avoir distribué 120 cartouches à chacun nous allâmes prendre notre grand sac et chacun en retira ce qu'il voulut pour faire le havre-sac, chacun se débrouilla comme il l'entendit, puis, après avoir rendu le grand sac, "chacun passa aux billets" [dans la marge : à la soupe] et à 2 heures il y eu permissionnaires. Roth, Portanier et moi sortirent ensemble. Nous remontâmes d'abord les Champs-Elysées jusqu'à l’Étoile, car je voulais faire monter Roth et Portanier au sommet de l'Arc de Triomphe, mais nous ne pûmes mettre notre projet à exécution car la porte de l'escalier était fermée. Nous redescendîmes les Champs-Elysées jusqu'au Rond-Point et là nous prîmes le métro qui nous conduisit jusqu'à la place de Clichy.
source Le cartographe
Boulevard de Clichy, je proposai à mes deux copains de se faire photographier, histoire de laisser un souvenir à nos familles en cas d'accident. Ils furent tous deux de mon avis, Roth se fit photographier seul et moi et Portanier nous nous fîmes prendre ensemble. le photographe devait envoyer les photos à nos familles respectives, deux mois après il ne l'avait pas encore fait ; il fallut que mon père s'en occupa sérieusement pour qu'elles nous fussent envoyées. Après cela, nous continuâmes notre ballade du côté de la place Pigalle, en faisant de temps à autre une petite halte au bistro du coin et visite, moi et ensuite Portanier, à une prêtresse de Vénus. Après cela, nous cherchâmes un restaurant, nous en trouvâmes un dans les environs, c'était un restaurant italien assez chic, à trois nous en eûmes pour une quinzaine de francs. Avant de partir, les patrons nous offrirent une bouteille d'Asti. En quittant le restaurant, et comme nous nous dirigions vers la plus prochaine station de métro, nous tombâmes sur un bec de gaz [argot =
agent de police ?], et lorsque nous le quittâmes, il était bien 8 heures 1/2. En arrivant sur le boulevard, nous trouvâmes un civil avec qui nous échangeâmes quelques mots ; il voulut nous payer une tournée mais cela lui fut impossible car après 8 heures l'on ne servait plus à boire aux militaires. En désespoir de cause il me refila une pièce de 2 francs pour la boire à sa santé et, ma foi, je ne la refusai pas, c'était toujours autant de pris. Enfin, nous réussîmes quand même à prendre le métro et vers les 10 heures nous arrivâmes au Grand-Palais où nous aurions dû déjà être là depuis une heure. A la porte l'on nous pris nos noms et nos spécialités et nous allâmes nous plumer.
Le lendemain, sitôt le jus dégusté, nous fîmes nos sacs et descendîmes dans le hall ; un appel eut lieu et l'on reprit de nouveau les noms et spécialités des hommes qui, la veille, étaient rentrés en retard. Sur 250 de la compagnie, il y en avait bien 240, et l'on nous dit que la punition nous suivrait sur le front mais nul de nous n'en entendit jamais parlé, ça passa au bleu.
<< On peut critiquer les parlements comme les rois, parce que tout ce qui est humain est plein de fautes.
Nous épuiserions notre vie à faire le procès des choses. >> Clemenceau