Un complément sur le premier torpillage du 2 Juin 1917
Liste d’équipage

Rapport du capitaine
Quitté Barry le 31 Mai 1917 à 17h00 pour La Nouvelle Orléans avec 1400 tonnes de charbon. Mouillé sur rade et appareillé le 1er Juin à 03h00. Par le travers de Bishop à 20h30.
Brise fraîche de nord, grains, mer assez grosse, route en zigzags.
A 10h50 le 2 Juin, torpillé sans avertissement. Seule la vigie Mousselon, au mât de misaine, a vu la torpille à quelques mètres du bord. Violente explosion et deux ouvertures béantes à bâbord et tribord. L’eau envahit le navire rapidement. Mis les embarcations à la mer, qui restent à proximité, prêtes à embarquer le personnel en cas d’urgence. Envoyé signal de détresse par TSF avec position 47°58 N 08°17 W.
Tiré au canon pour attirer l’attention d’un convoi escorté par plusieurs contre-torpilleurs qui venait de nous dépasser et dont nous pouvions attendre du secours.
Le navire, dont plusieurs tôles ont été dérivetées par l’explosion, s’enfonce rapidement.
A 13h10, aperçu périscope du sous-marin. Seule la pièce arrière peut être utilisée, la pièce avant ayant été bloquée par l’explosion. Pensant qu’il allait nous torpiller une seconde fois, je fais embarquer l’équipage dans les baleinières. Le vapeur ANDRE, capitaine Smith, approche et accepte de nous recueillir à condition de faire très vite vu la dangerosité de la zone.

Avons constaté la disparition du mousse Henri Fontelet. Affolé, il a voulu sauter dans un canot au moment où l’on coupait les saisines. Il est resté accroché au plat-bord quelques instants, puis est tombé à la mer. Nous lui avons lancé un radeau, mais il n’a pas reparu.
L’équipage a montré le plus grand sang froid. Je signale Monsieur Causseque, TSF, qui a pu remettre en état son émetteur avarié, et Monsieur Daguerressard, 2e capitaine, qui a assuré le service avec le plus grand calme. Je témoigne une vive gratitude au commandant du vapeur ANDRE.
Rapport du capitaine du remorqueur ATLAS du 3 Juin 1917
Le 3 Juin, l’ATLAS appareille de Brest, convoyé par GABION, destroyer anglais G 56 et BEGONIA pour aller chercher MISSISSIPI. Il trouve le MISSISSIPI qui fait route par ses propres moyens à 5 ou 6 nœuds au milieu d’un groupe de quatre bâtiments.
Par le travers de Saint Mathieu, c’est BEGONIA qui le prend en remorque pour le mouiller en rade de Brest.
Une visite rapide a permis de constater :
- qu’il a été frappé par une torpille à tribord, au dessous de la flottaison, à hauteur de la cale 2 (vide)
- que la cale 2 est pleine d’eau
- que quelques éclats ont traversé la coque sur bâbord
- que la cale 1 contient un peu d’eau, due aux infiltrations
- que les autres cales et le compartiment machine n’ont pas souffert et sont totalement secs
- que le bateau a reçu un obus sur la passerelle à bâbord, mais qu’il n’y a pas traces de sang ; l’obus a sans doute été tiré après l’évacuation
- que, d’après les douilles vides, la pièce arrière a tiré 30 coups sur bâbord.
Quand il a été abandonné, le navire possédait encore des munitions (200 coups). Machine, chaudières et TSF étaient en bon état et il n’était pas en danger de couler.
Cet abandon paraît inexplicable.
Note téléphonique du commandant de Marine Bayonne
Capitaine et équipage du MISSISSIPI viennent d’arriver à Bayonne, des Açores via Lisbonne et l’Espagne.
Résultat de l’enquête :
- il est prouvé que le capitaine a fait évacuer trop tôt son navire
- il est probable que, comme MISSISSIPI ne coulait pas, il a fait ouvrir le feu au canon par le navire anglais qui l’a recueilli afin de l’achever
- l’officier enquêteur estime que le capitaine du MISSISSIPI est passible du conseil de guerre et demande s’il doit le garder à Bayonne où lui permettre d’aller à Pornichet voir sa famille.
La réponse à la question est : « Gardez le capitaine à Bayonne ».
Enquête
Le navire ayant été ramené à Brest sans encombres, capitaine et équipage vont subir un interrogatoire long et serré, très détaillé. Il serait trop long de reproduire tous les témoignages, mais on peut résumer les principaux.
Le capitaine déclare
- avoir voulu remettre en route
- avoir demandé au 2e capitaine de faire remonter les embarcations
- n’avoir pas réuni les principaux de l’équipage avant de prendre des décisions
- que l’équipage paraissait décidé à abandonner le navire
- que finalement, tout le monde a quitté le navire sans ordre précis d’évacuation
Le chef mécanicien déclare
- qu’il pensait qu’il fallait remettre en marche la machine et s’éloigner au plus vite du sous-marin. Après l’abandon, il se trouvait dans le même canot que le capitaine et lui a dit à plusieurs reprises : « Faîtes rallier ».
Le capitaine rétorque : Il n’a pas dit « Retournez à bord » mais, « si on retourne à bord, on pourra remettre la machine en route et s’éloigner ».
Mais une fois monté sur l’ANDRE, il était furieux car il a vu que plusieurs embarcations avaient accosté avant lui, les hommes étaient montés sur le vapeur anglais, et les canots avaient été abandonnés en dérive. On ne pouvait plus retourner sur MISSISSIPI faute de moyens. De plus, le capitaine d’ANDRE ne voulait pas perdre de temps sur place.
Le chef mécanicien affirme que le capitaine lui a demandé de démolir la machine.
Le capitaine reconnaît avoir dit au chef mécanicien de seulement prendre des dispositions pour saborder le navire en faisant envahir par l’eau le compartiment machine.
Le chef mécanicien précise que l’ordre n’a pas été exécuté car l’officier de quart, Monsieur Avenel, avait quitté son poste et était resté en haut des échelles.
Le 1er lieutenant Cloche déclare que le capitaine lui a dit d’aller avec les canonniers anglais de l’ANDRE et de tirer sur le MISSISSIPI pour le couler. 8 à 9 coups ont été tirés, très défectueux, et un seul obus a touché la passerelle.
Il est alors revenu voir le capitaine David et lui a suggéré d’aller plutôt sur MISSISSIPI, d’aveugler la voie d’eau et d’étançonner la cloison étanche puisque le navire flottait et ne s’enfonçait plus.
Le capitaine lui a répondu que la voie d’eau était trop importante. Mais ce n’était pas son avis à lui.
Le capitaine reconnaît avoir pensé faire couler le MISSISSIPI afin qu’il ne soit pas pillé par les Allemands. Mais il a donné immédiatement un contre-ordre, après avoir pris l’avis du second capitaine. MISSISSIPI a bien été canonné, mais par les Anglais et pour leur propre compte. Ils tiraient d’ailleurs fort maladroitement sur un radeau qu’ils avaient pris pour le sous-marin.
Quand on lui demande pourquoi il ne mentionne pas ce fait dans son rapport de mer, ni dans sa déposition à Lisbonne, il répond que cela lui semblait inutile puisque l’ordre n’avait pas eu d’effet.
On lui demande aussi pourquoi, dans son message de détresse, il fait une erreur de près de 20 milles sur la latitude, alors que la longitude est bonne.
Il répond qu’en raison des zigzags, l’estime n’était pas très bonne et qu’il pensait se trouver à la latitude de Brest.
En ce qui concerne le mousse, il explique que le garçon était à tribord sur la passerelle au moment de l’explosion et qu’il a été entièrement recouvert par la trombe d’eau qui en a résulté. Il n’était pas blessé, mais affolé. Il s’est précipité vers un canot quand lui-même a donné l’ordre de les mettre à la mer. Le maître d’équipage et le charpentier l’ont vu tenter de sauter, s’accrocher quelques instants au plat-bord, puis tomber à la mer. Le 2e capitaine a lancé un radeau qui est tombé juste à côté de lui. Mais il ne l’a pas vu reparaître.
L’interrogatoire du 2e capitaine reprend tous les faits, que ce dernier confirme de bout en bout. On note que, sans l’accabler, il se montre très froid dans ses réponses concernant l’attitude de son commandant.
Quand le capitaine lui déclare vers 13h00, craindre un second torpillage par le sous-marin, le 2e capitaine lui rétorque que c’est improbable car le commandant allemand n’aurait pas attendu deux heures trente pour se décider à envoyer une 2e torpille.
Tout l’équipage interrogé confirme le déroulement des faits à peu de variantes près.
Le capitaine David conclut en affirmant qu’il est allé à bord de l’ANDRE pour voir comment il pourrait sauver son navire. Mais son équipage y avait embarqué avant lui, sans son ordre et, faute de moyens, il n’a pu revenir sur MISSISSIPI.
Conclusions de la Commission d’enquête
Il est évident que les réponses alambiquées du capitaine ne vont pas jouer en sa faveur. D’autant plus qu’il apparaît assez évident qu’il n’a pas eu le bon sens et l’autorité nécessaires dans cette situation.
La commission conclut :
- la responsabilité du capitaine de MISSISSIPI est gravement engagée.
- il a abandonné son navire en état de marche
- il a tenté de couler le MISSISSIPI et a caché cette tentative tant dans son rapport de mer que dans ses dépositions à Lisbonne et à Bayonne
- il doit être traduit devant un conseil de guerre.
- L’officier mécanicien Avenel mérite une sévère punition pour avoir quitté son poste à la machine
- Les mécaniciens chauffeurs Cloarec et Allo méritent la Croix de Guerre, ou tout au moins un témoignage officiel de satisfaction pour être restés jusqu’au bout à leur poste dans la machine et dans la chaufferie. Allo, notamment, a déjà échappé à un torpillage sur le MEDIE de la compagnie Paquet, puis à un 2e torpillage sur l’OLGA. C’est de plus à sa grande franchise que l’on doit d’avoir tiré au clair la conduite du capitaine David, et cela n’est pas sans importance.
Nota : à ce propos, il ne semble pas y avoir eu de 2e attaque le 2 Juillet suivant, comme signalé par Frank dans son post du 02/11/2008. Les mécaniciens Cloarec et Allo ont été récompensés pour leur conduite lors de l'attaque du 2 Juin.
On ne trouve aucun document complémentaire traitant du déroulement conseil de guerre, si celui-ci a bien eu lieu.
Le sous-marin attaquant
C’était donc l’U 87 du KL Rudolph SCHNEIDER.
Le KTB donne la position 48°17 N 08°13 W.
Cdlt