COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire

olivier 12
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Re: COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire

Message par olivier 12 »

Bonsoir à tous,

COLBERT

Voici un récit tout à fait étonnant et qui semble ne figurer dans aucun ouvrage.

Il s’agit d’une lettre envoyée en Avril 1915, par le second capitaine du COLBERT, Frédéric Rouillé, à son frère, Capitaine de Frégate affecté à la 2e section ( ?). (Quel était ce service ?)

La note du Capitaine de Frégate est ainsi rédigée :

20 Avril 1915

« J’ai reçu hier une lettre venant de New York, émanant d’un parent Capitaine au Long Cours et 1er officier sur un grand steamer de la Compagnie Havraise Péninsulaire. Il effectuait un voyage Europe – New York et me raconte l’aventure arrivée à ce steamer le 28 Mars dernier dans les parages des îles Scilly, quand il a rencontré le sous-marin U 28 qui a coulé le même jour le vapeur FALABA.
Grâce au sang froid et à l’habileté de cet officier qui fut mandé à bord du sous-marin pour fournir des explications, le commandant du sous-marin a permis au steamer français de continuer sa route, de sorte qu’il a échappé à une destruction certaine. »

Voici le texte de la lettre

Mon cher frère,

……
Comme je te l’ai écrit en partant du Havre, nous avions de notre propre initiative maquillé notre navire. Un nom neutre inscrit sur des panneaux pendant notre séjour au Havre fut boulonné à la place du notre. Une fois au large, nous arborions un pavillon approprié. Je ne te dis pas lequel de peur que cette lettre ne soit ouverte par un indiscret et que cela n’entraîne des complications diplomatiques. Il te suffit de savoir que je me débrouille bien dans cette langue dont nous avons emprunté le pavillon.
Pas de sous-marin pendant la traversée de la Manche et nous avons mouillé de nuit sur rade de notre port à charbon. En un tour de main, j’ai fait sauter le postiche et au matin, le pavillon français était à poste.
Le 27 Mars au soir, route sur l’Amérique après avoir charbonné. Aussitôt au large, nous avons remis en place les panneaux et le pavillon neutre.

Le 28 Mars au matin, vers 06h25, j’arpentais la passerelle de long en large quand j’aperçus à un quart sur l’arrière tribord une espèce de caisse , mais une caisse qui se déplaçait à grande vitesse. Je prends les jumelles et suis aussitôt fixé : nous sommes poursuivis par un sous-marin.
Je préviens le commandant. Nous calons les soupapes et la machine donne tout ce qu’elle peut. Nous arrivons à filer plus de 13 nds. Mais c’est peine perdue. Ces boches ont des outils contre lesquels on ne peut lutter. Je t’avoue que je n’ai pas eu peur, mais que j’ai été très désappointé car je me croyais hors de toute atteinte. Je n’ai pas réfléchi aux conséquences, si les Allemands avaient éventé la comédie que nous leur jouions.
Ils auraient sans doute envoyé navire et équipage par le fond.

A 07h00, le sous-marin, à moins d’un mille, envoie ses couleurs et le signal « Mettez en panne ou je fais feu » accompagné de deux coups de pétard à blanc. Dès qu’on a stoppé il demande : « Envoyez une embarcation ».

Je propose au commandant d’aller voir l’Allemand de près. Mais j’ai du mal à décider quatre hommes à venir avec moi. Ils auraient préféré mettre les baleinières à l’eau pour sauver leur peau. Enfin, le canot est armé. Je saute dedans et décoste aussitôt car la houle menaçait de le faire chavirer ou de le mettre en piteux état.

A peine à 10 mètres, je vois notre pavillon neutre qui s’affale : première gaffe ! Là, j’ai eu la frousse car j’ai cru qu’on allait hisser le pavillon français. Mais non ! Et croyant qu’on le salue, le sous-marin répond…ça, c’est le comble !

Enfin, j’accoste le sous-marin. Le commandant, entre 30 et 35 ans, me fait signe d’embarquer. Je saute et…tombe dans les bras d’un matelot allemand !
Première chose qu’on me demande : les papiers. Comme tu t’en doutes, je les avais « oubliés » à bord. Suit une conversation qu’il serait trop long de te raconter mais au cours de laquelle je ne « comprends » que ce que je veux bien comprendre. Je fais l’ignorant chaque fois qu’il me paraît bon de le faire. Finalement, le commandant me dit que je peux retourner à bord et continuer ma route sur l’Amérique.

Comme je me disposais à embarquer dans mon canot, une lame vint balayer le pont du sous-marin, le couvrant jusqu’au kiosque et me frappa dans le dos, me faisant débarquer plus vite que je n’aurais voulu. Ce fut à la grande joie des Allemands qui partirent d’un grand éclat de rire. Je t’assure que je riais aussi de bon cœur ; m’étant relevé tout ruisselant, je leur tirai très poliment ma casquette et officiers et matelots me répondirent par un signe amical de la main.

Dire qu’ils étaient tombés dans le panneau !

A peine avais-je quitté le sous-marin, que vois-je ? l’équipage du C… était aux postes de sauvetage et commençait à déborder les embarcations : deuxième gaffe! Persuadés que le navire était perdu, ils ne s’occupaient plus de moi. Par signes, je parviens à leur faire comprendre d’arrêter. Je reviens le long du bord avec mon canot aux trois quarts plein d’eau. Je t’assure que c’est grâce aux mécaniciens qu’il n’a pas coulé sous les palans, car eux seuls se sont intéressés à ma démarche. Mais nous avons eu bien de la misère pour le remettre sur son chantier. Puis nous avons repris la route après avoir vu un chalutier nous tourner autour : sûrement un ravitailleur.
Le point de ravitaillement doit être N/S pointe ouest des Scilly et E/W île Sandy.
D’ailleurs, si les torpilleurs, au lieu de faire la belle jambe à l’entrée des ports, poussaient un peu au large, faute d’attraper les sous-marins, ils pourraient au moins attraper les ravitailleurs, et sans ravitailleurs… plus de sous-marins.

Je n’ai pas l’impression d’avoir fait quelque chose d’extraordinaire. Mais à midi, le commandant nous a offert le champagne et a fait un petit speech devant tout l’équipage. Il a terminé en disant :

- « Si le C… est encore à flot, le sang froid de Monsieur R… n’y est pas étranger. Vous tous ici présents, rappelez-vous que vous lui devez peut-être la vie car avec ce temps, et si loin des côtes, qui sait si nous eussions pu tous nous en sortir. » ?

Nous sommes arrivés à New York à midi et avons mouillé en rivière où nous attendons les ordres. Le pilote nous a apporté un journal du 9 Avril et j’ai vu que le FALABA avait été coulé le 28 Mars dans le canal de Bristol, mais que l’on ne connaît pas le numéro du sous-marin qui l’a coulé. Il y aurait eu une centaine de victimes.
Moi, je peux te dire que c’est un coup de l’U 28, et que le FALABA est le paquebot que nous avons aperçu au large, à 10 milles environ, une heure après l’avoir rencontré. »

Signé Rouillé.

A la fin de sa note, le capitaine de frégate ajoute : « Les couleurs arborées étaient les couleurs espagnoles"

Commentaire

Le récit semble tout à fait véridique. On note d’ailleurs qu’il est bien du second capitaine Rouillé. Celui-ci emploie dans ce récit, comme dans celui qu’il fera plus tard du naufrage du COLBERT (voir post ci-dessus) l’expression « L’équipage est aux postes de sauvetage » alors que l’expression plus usuelle est « l’équipage est aux postes d’abandon »

Le sous-marin


C’était donc l’U 28 que Frédéric Rouillé avait du identifier (mais il ne dit pas comment dans sa lettre – peut-être au cours de la conversation avec le commandant-.)
Le commandant était le KL Freiherr Georg von FORSTNER.

Il serait vraiment intéressant de retrouver ce que dit le KTB du sous-marin à propos de cette rencontre qui semble unique dans les annales de la guerre sous-marine. ;)

Notons qu’au cours du torpillage du FALABA un passager, rescapé par la suite, prit deux photos assez remarquables de l’U 28 en surface. Elles parurent dans l’Illustration et dans des revues britanniques.
Les voici :

Image

Image

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olivier 12
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Re: COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

Voici un autre document concernant l'affaire ci-dessus et daté de Juin 1915.

Il s'agit d'une note envoyée par l'Etat-Major Général, 2e section, au Ministre de la Marine

"Je vous envoie un rapport fort intéressant du capitaine du vapeur COLBERT qui vient de rentrer à Marseille.
Ce capitaine et son équipage ont fait preuve de sang froid, présence d'esprit et décision en inventant un stratagème qu'il n'y a peut-être pas lieu d'ébruiter pour le moment.
J'estime que le capitaine et le second capitaine, Monsieur Rouillé, méritent une récompense.
Les renseignements donnés sur le chalutier ravitailleur pourraient avoir une grande importance. "

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Yves D
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Re: COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire

Message par Yves D »

Bonjour à tous
On retrouve trace de cette affaire avec U 28 en deux lignes dans Spindler, Der Handelskrieg mit U-Booten vol. 2:
28.3.15
S du Canal St George. Vent fort, mer grosse. Fait surface au lever du jour après avoir passé la nuit sur le fond. Un vapeur avec pavillon espagnol est arrêté. Papiers en ordre, il est relâché.
Peu après, U 28 aperçoit le Falaba... mais c'est là une autre histoire.
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jojo32
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Re: COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire

Message par jojo32 »

Bonjour à tous,

Voici une vue du COLBERT à quai à Alger.

http://img513.imageshack.us/img513/1149/colbertc.jpg

Récit du second capitaine Frédéric Rouillé à propos du naufrage :

"Je viens de quitter le quart lorsque COLBERT est secoué par une violente explosion. Une gerbe d'eau monte jusqu'au sommet de la cheminée. Nous venons d'être touchés par une torpille.
Le premier moment de stupeur passé, nous nous rendons compte que la cloison étanche entre la machine et la cale 4 est détruite. L'eau s'engouffre avec violence par la brèche de la coque. COLBERT s'enfonce par l'arrière sans prendre de gite.
Les hommes courent aux postes de sauvetage, descendent les embarcations à la mer, opération difficile à cause de la vitesse du navire. Elles cognent violemment le long de la coque. Les radeaux sont largués et tombent le long du bord.
COLBERT S'enfonce de plus en plus par l'arrière. A un moment donné, il se cabre. Tout ce qui se trouve sur la partie avant dégringole, fauchant tout sur son passage.
J'étais près de la cheminée où l'eau arrive en trombe. Je me jette à la mer et j'ai la sensation d'être dans une véritable tornade liquide. Combien de temps pour remonter à la surface ? Je l'ignore, mais à force de nager et de me débattre, je fais surface. Il était temps car je commençais à suffoquer. Je regarde autour de moi : la mer est couverte de balles de foin et d'objets hétéroclites. Je saisis une balle de foin et je peux enfin m'y reposer."

Outre une citation à l'ordre du corps d'armée, le commandant Rouillé fut fait chevalier de la Légion d'Honneur en 1961. Il fut le parrain de la promotion 1966 des élèves de l'Ecole Nationale de la Marine Marchande de Saint Malo.

(source : "Les 110 ans de la Havraise Péninsulaire" de Charles Limonier)

Cdlt
Bonsoir Olivier,
Je souhaite enregistrer la photo du COLBERT dont vous parlez dans votre message. Helas le lien ne répond pas.
Vous serait-il possible de de donner la marche à suivre pour l'octenir.
Vous en remerciant par avance,
Cordialement.
jojo
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Yves D
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Re: COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire

Message par Yves D »

Bonsoir Jojo
Etonnant, je viens d'essayer en cliquant sur le lien et la photo s'est affichée aussitôt.
Cdlt
Yves
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Rutilius
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COLBERT ― Cargo mixte ― Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur (1908~1917).

Message par Rutilius »

Bonjour à tous,

L’engagement du cargo mixte Colbert
avec le sous-marin allemand U-39, survenu le 6 avril 1916


• Chalutier Afrique-II ― alors commandé par le lieutenant de vaisseau André Clément Louis BATSALEJournal de navigation n° ... /... ― 6 mars ~ 17 mai 1916 ― : Service historique de la Défense, Cote SS Y 18, p. num. 588.

« 6 avril [1916]

................................................................................................................................

12 h. à 16 h. ― A 2 h. 55 [Lire : 14 h. 55], nous avons aperçu un sous-marin donnant la chasse au grand vapeur Colbert ; alors, nous avons fait route dessus, et comme nous avons été à portée de canon, nous avons tiré sur lui plusieurs coups, et il a coulé (sic) en 10 minutes de temps ; et, ensuite, nous avons fait route avec le Colbert pour le convoyer.

16 h. à 18 h. ― Escorté le Colbert ; en vue, un vapeur sans pavillon courant sur le Colbert avec une vitesse supérieure à la nôtre. »

_________________________________________________________________________________________

Mention marginale : « Dépenses pendant le tir : 6 projectiles, 6 gargousses, 9 étoupilles. »
_________________________________________________________________________________________


Passagers militaires victimes de l’engagement

― ANGLADE Pierre Jean Philippe, né le 21 novembre 1879 à Fillols (Pyrénées-Orientales), décédé le 6 avril 1916 « à bord du Colbert [des suites de] blessures de guerre ». Soldat de 2e classe, 126e Régi-ment d’infanterie territoriale, matricule n° 6.484 au corps, classe 1899, n° 1.132 au recrutement de Perpignan.

• Fils de Pierre ANGLADE, dit Philippe, né vers 1853, « propriétaire », et de Marie SARRAT, née vers 1859, son épouse (Registre des actes de naissance de la commune de Fillols, Année 1879, f° 6, acte n° 19). Époux de Rose ... Cultivateur.

— CARPENTIER Charles. Zouave de 2e classe, 4e Régiment de marche de zouaves, matricule n° 26.376 au corps. Grièvement blessé.

□ Par arrêté du Ministre de la Guerre en date du 28 septembre 1919 (J.O. 6 nov. 1919, p. 12.404 et 12.408), inscrit au tableau spécial de la Médaille militaire dans les termes suivants : « CARPENTIER (Charles), mle 26376, zouave de réserve à la 1re compagnie du 4e rég. de marche de zouaves : a été blessé très grièvement le 6 avril 1916, sur le Colbert, au cours d’une attaque par sous-marins. Enuclé-ation de l’œil droit. » (Rang du 4 septembre 1917).


Distinctions honorifiques

Le Temps, n° 20.023, Mardi 2 mai 1916, p. 1,
en rubrique « Sur mer ».

« La défense du Colbert

Le lieutenant de vaisseau auxiliaire Commelin est inscrit au tableau spécial de la Légion d’honneur avec ce motif : " A fait preuve des plus brillantes qualités professionnelles d’énergie et de commande-ment lors de l’attaque du Colbert par un sous-marin ennemi. Malgré les pertes causées par le feu de l’ennemi, a canonné ce dernier et l’a maintenu à distance pendant deux heures et demie, jusqu’à l’arri-vée d’un chalutier qui a obligé le sous-marin à plonger. A assuré ainsi le salut de son bâtiment."

Sont cités à l’ordre de l’armée pour leur courage dans la défense du Colbert contre un sous-marin, l’état-major et l’équipage du vapeur, et particulièrement l’enseigne Rouillé, le mécanicien Pierre Meyer, les matelots Ciergo et Lucien Fabre. »
Dernière modification par Rutilius le mar. oct. 25, 2022 4:53 pm, modifié 3 fois.
Bien amicalement à vous,
Daniel.
gildelan
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Re: COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire

Message par gildelan »

Bonjour à tous,
Engagement du 6 avril 1916 avec le sous-marin allemand U-39 - Citation et rapport du Capitaine COMMELIN, commandant le vapeur COLBERT :
1 citation à l’Ordre de l’Armée
Le vapeur français COLBERT, capitaine COMMELIN, capitaine au long cours, d’un tonnage brut de 5750 tonnes, armateurs MM. E. GROSOS et fils, parti de Bizerte le 5 avril 1916 à destination de Toulon, a été attaqué en cours de route sur la côte ouest de Sardaigne, le 6 avril, par un sous-marin ennemi.

Texte de la citation à l’Ordre de l’Armée
(Journal officiel du 1er mai 1916)

« L’état-major et l’équipage du vapeur militarisé COLBERT ont fait preuve de calme et de dévouement au cours de la résistance énergique opposée à l’ennemi lors de l’attaque de ce bâtiment par un sous-marin ».

Rapport du Capitaine COMMELIN, commandant le vapeur COLBERT

Le 6 avril 1916 vers 13h30, me trouvant dans la chambre de veille, l’officier de quart Monsieur GAUTHIER Elie, Enseigne de vaisseau auxiliaire, me prévint que nous étions attaqués par un sous-marin dont deux projectiles venaient de tomber près du bord. Me rendant immédiatement sur la passerelle, j’aperçus en effet à l’horizon, à 6 milles de distance environ, une fumée très noire et d’une forme diffuse ; les projectiles commençaient à tomber le long du bord, à un intervalle d’une minute environ. Je fis mettre le cap à terre dans la direction du cap Manu. Je me trouvais par L : 39°55’N et 8°00’E (méridien de Greenwich), à une trentaine de milles de la côte de Sardaigne. Dans cette direction, je présentais l’arrière au sous-marin, pour que les projectiles aient moins de force de pénétration et qu’ils ricochent en tombant le long du bord, en même temps, dans le but de préserver les chaudières et la machine.

Pendant 15 minutes environ, nous n’apercevions plus le sous-marin, parce qu’il ne fumait plus, mais le tir n’en était pas moins précis et plus rapide. Deux projectiles tombèrent dans la chambre de la machine dont l’un fit beaucoup de dégâts et quelques blessés. Notre salut dépendait de l’énergie, du courage et du sang-froid de chacun. Il était du devoir de chacun de rester à son poste jusqu’à la dernière seconde. JE fis entendre et comprendre à tout le monde qu’il n’y avait aucun danger, même avec des trous dans la coque, parce que nous avions tout ce qu’il fallait pour aveugler une voie d’eau ; les matelas serviraient en cette circonstance ainsi que les panneaux et les madriers, pour appliquer solidement les matelas sur la coque. En outre, je leur ai dit que je comptais sur leur courage et les services de chacun d’eux en se conduisant, en la circonstance, comme de véritables Français.

Tout le monde a suivi l’exemple des officiers, ce qui nous a permis de donner la vitesse maxima pour nous diriger sur la côte dans le but de sauver les troupes passagères, l’équipage et le navire. J’avais fait dire à tout le monde de se munir de son gilet de sauvetage par mesure de précaution et que les hommes non utiles à l’artillerie se tiennent dans les cales avant, à l’abri des projectiles. Vers 2 heures, plusieurs projectiles éclatent à bord, tuant un homme et en blessant d’autres. Quand le sous-marin se trouva à 2 milles ½ environ, j’ai fait ouvrir le feu des canons de 47 mm. Le tir était bon, mais malheureusement trop court. Le sous-marin s’est alors maintenu à 3 milles environ et a continué sa canonnade avec un tir très précis, vu que la mer était calme. Les projectiles les plus éloignés tombaient de chaque côté, à une dizaine de mètre du navire, les gerbes d’eau et les éclats nous aspergeaient à chaque coup ; d’autres coups étaient un peu trop longs, d’autres trop courts.

Voyant mes projectiles s’épuiser rapidement en répondant un coup sur deux tirés par le sous-marin, j’ai fait ralentir le tir, de façon à conserver des projectiles pour le maintenir à distance pendant l’évacuation, le cas échéant, si le navire venait à être coulé ou échoué sur la plage. Un certain moment, les obus tombaient près du sous-marin, mais il s’est vite écarté.

Vers 15h30, un chalutier (l’AFRIQUE II) est venu à notre secours avec ses obus de gros calibre. Il a obligé le sous-marin à plonger, après un échange de 5 à 6 coups de canon. Avant de plonger, il a redoublé l’activité de son tir sur nous pendant 5 minutes, tirant en moyenne 4 coups par minute, mais son tir était un peu trop long. Quelques obus sont tombés le long du bord et les autres sur l’avant. J’étais résolu de le tenir en échec jusqu’au dernier projectile ; pendant cet intervalle, le secours aurait pu nous arriver. Les fils de télégraphie sans fil ont été rompus deux fois, ce qui nous a isolés de toute communication pendant une heure environ. Le poste a été atteint également, mais il a pu être réparé par le second-maître télégraphiste temporaire VALZI Jean et le sergent du 1er Génie GALLAIS Louis qui ont montré beaucoup de sang-froid en la circonstance et l’exemple de courage.

Dès le début de la canonnade, plusieurs obus ont éclaté à bord, blessant plusieurs hommes et causant quelques dégâts matériels. Les avaries principales étaient : les tuyaux de vapeur crevés, mais le chef mécanicien M. MEYER Pierre procéda aussitôt à l’aveuglement des fuites, montrant le bon exemple et le sang-froid d’un chef, le télégraphe et le porte-voix de la machine ont été également brisés durant le combat, mais ont pu être réparés en peu de temps avec le concours du tout le monde. La barre à gouverner a été atteinte, mais une réparation provisoire a pu être faite sans l’immobiliser pendant longtemps. La barre de fortune et les palans avaient été disposés à l’arrière par l’officier en second M. ROUILLE Frédéric, Enseigne de vaisseau auxiliaire, qui avait bien tout prévu.

Cet officier m’a déjà prêté son précieux concours le 28 mars 1915, lorsque j’ai rencontré le sous-marin U-28 en pleine mer d’Irlande, à 75 milles de la côte à 5h30 du matin, comme l’avait relaté mon long rapport détaillé que j’avais déposé à la Marine à Marseille, en mai.

Cet officier s’est donc distingué en deux circonstances et m’a aidé à sauver le navire et l’équipage. Je tiens à vous le signaler spécialement. Durant la canonnade, tout le monde a bien accompli sa tâche, mais il y en a, parmi le nombre de l’équipage qui se sont particulièrement distingués : tel est le cas du matelot LENA Jean (matricule 1226, La Ciotat), qui est resté à la barre à côté de moi durant toute la canonnade, sans broncher sous les sifflements des obus et les éclats des projectiles. Le quartier-maître canonnier ARANZADI Martin (matricule 9044 Bor.) a fait bravement son devoir. Plusieurs obus ont éclatés à côté de lui, blessant quelques-uns de ses camarades et perforant des caisses à obus, mais il n’en a pas moins continué son tir avec beaucoup de sang-froid et de précision, aisé du canonnier auxiliaire OLIERIC Victor (matricule 704 Bi.) qui a montré également beaucoup de bravoure en disant : « Nous irons jusqu’au bout ». Le matelot boulanger-coq FABRE Lucien (matricule 43.903.-5), qui faisait les fonctions de canonnier servant et pourvoyeur, a été profondément atteint aux cuisses par des éclats d’obus qui n’ont pu être extraits et ont déterminé une énorme hémorragie. Il aurait voulu continuer ses fonctions, mais l’hémorragie l’en empêcha.

Les hommes du troisième quart de chauffe se sont également brillamment comportés durant le combat. Après l’assurance que je leur ai donnée en leur disant qu’il n’y avait pas de danger et que nous serions certainement sauvés, chacun faisant son devoir, ils m’ont répondu immédiatement : « Si c’est de la pression qu’il vous faut, il y en aura ; que l’on nous donne du charbon ».

En effet, ils ont toujours eu le maximum. Ce sont les nommés :
- DUGOURNEAU Jean, n° matricule 9.799 Nord, faisant fonction de chauffeur,
- CORBI Jean, n° matricule 54.057-5, faisant fonction de chauffeur,
- GHIO Dominique, n° matricule 886 Bas, faisant fonction de chauffeur,
- BONI Etienne, n° matricule 4.499 M, faisant fonction de chauffeur,
- CIERGO Antoine, n° matricule 60.635-5, faisant fonction de graisseur.

Le nommé MARCHAND Joseph est venu de lui-même remplacer son camarade CIERGO qui a été blessé et qui a malgré cela, continué son service après un pansement provisoire.

Le matelot de quart de la machine M. PERSON Victor, n° matricule 6.561-H, mécanicien principal de 2ème classe auxiliaire, est resté à son poste montrant le bon exemple en encourageant ses hommes à rester à leur poste. Il en est de même pour M. GAUTHIER Elie, Enseigne de vaisseau auxiliaire, n° matricule 236-G, qui n’a cessé de m’assister sur la passerelle durant toute la canonnade qui a duré de 13h30 à 15h57.

Nous avons tiré 148 obus et le sous-marin plus de 200.

Le médecin auxiliaire AMBLARD a prodigué les soins nécessaires aux blessés avec beaucoup de dévouement, assisté du personnel du bord et particulièrement des trois infirmiers passagers qui sont les nommés :
- SCHIANO de PEPE Henri, soldat infirmier au 5ème bataillon d’Afrique,
- BERNAT Omer, soldat infirmier à la 25ème section,
- SCHWARTZKOPF, soldat brancardier au 5ème bataillon d’Afrique.

Le maître de manœuvre MAZEAS a prêté courageusement son concours aux canonniers durant le combat.

Vers midi 15, j’ai rencontré un convoi de deux grands navires se dirigeant vers le sud. Vers midi 45, un autre convoi de deux autres navires faisant même route, dont l’un des navires était un grand quatre-mâts (type Colomain anglais). Ces deux convois ont dû passer très près du sous-marin, mais il ne les a pas attaqués.

Signé : COMMELIN

Extrait du rapport de la commission d’enquête

… Il y a eu un soldat passager tué et 3 soldats passagers grièvement blessés qui ont été débarqués à Ajaccio. En outre, 5 soldats passagers et 3 marins de l’équipage sérieusement blessés ont été débarqués à Toulon. Enfin, 8 soldats passagers et un marin de l’équipage ont été légèrement blessés…

La tactique du sous-marin, au cours de l’action paraît avoir été de se tenir hors de la portée des pièces du 47 mm du COLBERT qu’il a pu canonner en toute sécurité, grâce à la supériorité du calibre de ses pièces.

Le COLBERT n’en a pas moins dû son salut à son artillerie qui lui a permis de tenir son adversaire à distance jusqu’au moment où celui-ci a été mis dans l’obligation de plonger pour ne pas affronter le tir du chalutier.

Le Capitaine s’est conformé aux instructions qu’il avait reçues et il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter la perte de son bâtiment.

Sa résolution de se rapprocher de la terre pour s’y échouer si besoin était, le choix de l’endroit éventuel de l’échouage, le soin qu’il a pris de ménager ses munitions dès qu’il a eu constaté que le sous-marin était à une distance trop grande pour pouvoir être atteint, et enfin la manœuvre par laquelle il a maintenu le navire près de terre jusqu’au moment où le feu du chalutier a obligé le sous-marin à plonger, montrent qu’il a jugé d’un coup d’œil la situation et qu’il a gardé tout son sang-froid en dépit des pertes essuyées par son personnel. Il a agi avec courage et habileté et a fait preuve, dans des circonstances critiques, des plus brillantes qualités d’énergie et de commandement.

(source : livre d'or de la Marine - guerre 14/18)

Bien amicalement à vous,
Gilbert
Excès de peur enhardit.
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Re: COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

Un petit complément sur le capitaine au long cours Frédéric Rouillé, second capitaine du COLBERT en 1915 - 1916 - 1917

Né à Saint Briac le 17 Avril 1883.
Brevet de Capitaine au Long Cours enregistré à Saint Malo n° 709
A effectué presque toute sa carrière à la Havraise Péninsulaire (commandant après la Grande Guerre)
Outre une citation à l'ordre du corps d'armée, fut fait Chevalier de la Légion d'Honneur en 1961.
Parrain de la promotion 1966 de l'Ecole Nationale de la Marine Marchande de Saint Malo
Décédé le 6 Septembre 1975 à Saint Briac.

Cdlt
olivier
Rutilius
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COLBERT ― Cargo mixte ― Compagnie havraise péninsulaire de navigation à vapeur (1908~1917).

Message par Rutilius »

Bonsoir à tous,


La perte du cargo mixte Colbert, survenue le 30 avril 1917


Journal officiel du 21 mai 1917, p. 4.040.

J.O. 21-V-1917 - 4.040 - .JPG
J.O. 21-V-1917 - 4.040 - .JPG (159.49 Kio) Consulté 598 fois


Le Miroir, n° 187, Dimanche 22 juillet 1917, p. 7.


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COLBERT - L.Mi. 22-VII-1917 - .jpg
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Bien amicalement à vous,
Daniel.
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Mike010
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Re: COLBERT - Compagnie Havraise Péninsulaire

Message par Mike010 »

Mention du ''Colbert'' dans le JMO du 37e RIC - janvier 1917
http://www.memoiredeshommes.sga.defense ... iewer.html

Embarquement le 17/01/1917 á Marseille d'une partie du 37e RIC á bord du Colbert.
Débarquement le 24/01/1917 á Salonique (Gréce)
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