Bonjour Brigitte, bonjour à tous,
Ces éléments sur l’action de Gabrielle Duchêne sont très intéressants.
Dans la foulée, voici d’autres éléments sur le travail féminin, tirés essentiellement d’une publication de 2014, «
14 18, l’autre front. Les femmes de Gironde au temps de la Grande Guerre », éd. Archives Départementales de la Gironde, et quelques indications issues d’un article d’octobre 1920, «
main d’œuvre militaire et civile au 1er janvier 1918 », par le lt-colonel d’artillerie Delavallière, éd. Berger-Levrault. Et quelques souvenirs de la mémoire familiale…
Avant le 2 Août
A la veille de la guerre, un recensement compte 7,7 millions de femmes actives, dont 3,5 sont dans le secteur agricole. Au total, 39% des femmes sont considérées comme actives (66% aujourd’hui, mais les critères INSEE sont différents).
On a déjà relevé, sur le forum, pour l’immédiat avant-guerre, des fortes
disparités de revenu selon les régions, mais aussi selon leur mode de calcul (à la journée, à la pièce), ou encore le lieu de travail (usine, atelier, domicile).
La
diversité des métiers (il n’y a ni répertoire ROM définissant les métiers et leurs compétences, ni conventions collectives) brouille aussi toute comparaison. Une employée de maison peut être : femme de service, de chambre, de ménage, de garde, servante, cuisinière, lingère, bonne à tout faire, etc… dont la rémunération dépendra du statut social de l’employeur. Pendant la guerre, une de mes grand-mères (âgée alors de 16 ans) était employée de maison dans l’hôtel particulier, rue de Médicis à Paris, de propriétaires d’un grand magasin parisien. Je serais bien en peine de savoir à quel emploi précis la rattacher ! Dans un atelier de textile, on va différencier les coupeuses, rencontreuses, surjeteuses raseuses, presseuses, bottineuses, doubleuses, finisseuses, rabatteuses, laveuses essoreuses, savonneuses, lisseuses à la main, lieuses, piqueuses calendreuses, repasseuses, etc, puis toutes les spécialités de mécaniciennes, aides-mécaniciennes…
A chaque activité peut s’appliquer un « tarif » différent.
Au 2 Août
La mobilisation entraine la fermeture de nombreux
ateliers ou activités artisanales (départ du patron, des ouvriers qualifiés). Toujours dans la mémoire familiale, le départ des ouvriers qualifiés dans la petite taillerie de pierres précieuses, cette fois à Gex (Ain), cause de sérieux problèmes d’après les courriers échangés.
La
loi du 5 août 1914 prévoit une allocation aux femmes de mobilisés sans ressources :
1fr 25, majorée de
50 cts par enfant à charge. A noter qu’avant la fin août 1914, les prix des denrées ont déjà sérieusement flambés, parfois de 20%... ce qui va amener le gouvernement à légiférer et encadrer le prix du pain (aliment de base et cause de révoltes « frumentaires »).
Dans le monde
agricole, en pleine moisson, il n’y a pas besoin de l’appel aux femmes du Président du Conseil, le 7 août, pour savoir ce qu’il reste à faire ! 850 000 femmes se retrouvent de facto chef d’exploitation, il y va de la survie de la ferme de finir les moissons avec tout le travail, très physique, qui s’ensuit. Concrètement, un sac de blé à monter au grenier, c’est plus de 40 kg sur les épaules. Mon beau-père évoquait les concours des jeunes hommes, à celui qui porterait le chargement le plus lourd, sous le regard attentif de toutes les jeunes filles ! Et monter le foin à la fourche dans un char, c’est autant un savoir-faire qu’une performance physique.
Les travaux agricoles seront difficiles à terminer – environ 30% des hommes sont partis, plus tard ce sera 60% – et les chevaux les plus vaillants sont réquisitionnés. Un grand-oncle mobilisé, agriculteur à Peron (Ain), s’inquiète dans ses courriers du devenir de la jument « Cocotte » qui rend de louables services à l’exploitation… Mais le travail sera effectué, pas uniquement par les femmes : les « vieux » fournissent une aide précieuse, ne serait-ce que par leurs conseils, les enfants participent largement, toutes les familles s’entraident en oubliant le temps d’une moisson leurs querelles.
Dans
l’industrie, il y a un double mouvement : ralentissement de l’activité, chômage, mais aussi l’embauche de 8 400 ouvrières, prévue par la dépêche ministérielle du 13 mars 1912. Ces ouvrières viennent compléter les effectifs des établissements constructeurs et de l’artillerie ainsi que les poudreries. Les cartoucheries ne sont pas encore concernées.
Après le 2 Août
Le
20 septembre 1914, le risque de pénurie de matériel face à une durée maintenant inconnue de la guerre, entraîne une mobilisation de l’industrie privée, qui va employer les femmes dans les nombreux secteurs qui leurs sont habituellement dévolus, et donc dans un premier temps hors métallurgie, synonyme de métiers physiques et virils réservés aux hommes. Mais malgré le rappel des ouvriers métallurgistes dans les usines (
ordre du 11 octobre 1914 par la Direction de l’Artillerie, section des Budgets et Comptes), ou la possibilité offerte aux employeurs de réclamer un mobilisé (lettre d’accréditation « 864 », puis « 935 », puis, face aux falsifications, la « lettre 23 600 » de février 1915), il faut bien se tourner vers la main-d’oeuvre féminine, pour les tâches les moins physiques. Le lieutenant-colonel Delavallière indique que les femmes seraient réticentes à ces métiers en usine (perçus comme pénibles, dangereux, salissant ?). D’où une politique salariale attractive et les nombreuses incitations auprès des industriels à faciliter les tâches par du matériel de levage ou de manutention (voir le Bulletin des Usines du sous-secrétariat aux munitions, et les "vœux" exprimés par le Comité du Travail Féminin, créé en avril 1916).
Le
20 juillet 1916, il est fait interdiction d’employer des hommes mobilisés là ou des femmes peuvent les remplacer. Une liste précise les tâches concernées :
- Fabrication des obus de 75 à 220 en acier forgé
- Fabrication des têtes et corps de gaines
- Emboutissage des étuis de cartouches et douilles de 75
- Assemblage des bombes LS et DLS (soudure des bombes du mortier de tranchée de 58).
En septembre 1916, cette liste s’étend à certaines opérations de fabrication des obus en fonte ou fonte aciérée des calibres 95 à 220, à toutes les grenades (dont la VB).
De fait les effectifs féminins s’accroissent dans les secteurs travaillant pour l’armée :
3 août 1914 : 13 000
Janvier 1916 : 104 000
Janvier 1917 : 345 000
Janvier 1918 : 401 000
Les salaires restent disparates, toujours selon les régions, et selon les qualifications demandées. Pour les entreprises travaillant pour les marchés publiques, ils sont connus, un décret du 10 août 1899 obligeant leur déclaration pour souscrire à un marché.
Des commissions (
instruction du 1er decembre 1916) sont instaurées par Région pour établir un « bordereau » (on parle aussi de « tarif ») établissant les grilles salariales par activité. Ces salaires sont calculés sur le salaire moyen relevé dans la Région, entérinant ainsi les disparités.
La
loi du 10 juillet 1915, relevée dans l’article sur Gabrielle Duchêne, impose un salaire horaire pour les ouvrières confectionneuses (capote, vareuse, pantalons…) à domicile travaillant pour l’industrie de guerre :
0,275 fr/heure, et
0,30 fr/h pour les ouvrières en équipement militaire (par ex. musettes).
Cette loi fait suite à des scandales : l’intendance paye 4fr 11 une capote militaire aux fournisseurs ayant obtenu un marché (soumissionnaire). Dans la région bordelaise, certains soumissionnaires sous-traitent ensuite à des sous-entrepreneuses qui font travailler leur « réseau » de petites mains, ces dernières effectuant l’intégralité du travail : assemblages à la machine à coudre des pièces qui leur sont livrées par l’Intendance déjà coupées, repassage, voire livraison des pièces finies à l’Intendance. Leur rémunération, pour une capote complète, soit 10 heures de travail, a dans certains cas frisé l’aumône :
1fr 50 (somme de laquelle il faut déduire 40 cts de fils et usure de machine). La sous-entrepreneuse, perçoit 1fr 80 (soit 30 cts de bénéfice), le soumissionnaire perçoit 4fr 11 (bénéfice de 2fr 31). Dans une entreprise de textile de la même région bordelaise, pour le même travail, les couturières touchent
2fr 60 à 2fr 75. La loi du 10 juillet 1915 permet ainsi de garantir une rémunération de
2fr 75 par capote assemblée, quelque soit le lieu du territoire.
Une
loi du 17 août 1915 revalorise les salaires dans les entreprises travaillant pour l’armement.
Un
arrêté du 15 juin 1917 impose, pour les femmes de plus de 18 ans, un minimum dans les usines de guerre :
40 cts/heure pour une ouvrière non spécialisée,
50 cts pour une ouvrière spécialisée.
Dans le même temps, en août 1917, l’allocation aux femmes de mobilisés passe à
1fr 50 (1fr 25 en 1914) et à
1fr par enfant (50 cts en 1914).
En 1917, en Gironde, on peut relever les salaires suivants :
- Dans l’usine Carde (munitions), les discussions du 30 mai 1917 tournent autour de 40 cts/h pour les femmes manœuvres, 70 cts/h pour les ouvrières. Le salaire réellement perçu est supérieur, car il englobe des primes (performance individuelle), des boni (performance d’équipe) et une prime de cherté de vie (autour de 10 cts/h, avec un maximum d’1fr/jour). Dans ce cas, un salaire de 8fr/jour doit être envisageable, mais ces efforts tarifaires de 1917 ne sont que la conséquence d’une inflation atteignant 25% à la sortie de l’hiver.
Après le 11 Novembre
Une lettre aux ouvrières du ministre de l’armement Louis Loucheur, le
13 novembre 1918, invite les femmes à se rendre utiles au pays « En retournant à vos anciennes occupations ou en vous employant à d’autres travaux du temps de paix ». La prime de départ allouée est d’un jour de salaire par trimestre travaillé, majoré de 30 jours de salaire, à condition de partir avant le 5 décembre…
Une loi du
22 novembre 1918 va encore plus clarifier la situation : pour toute femme occupant le poste d’un mobilisé, au retour de celui-ci elle doit lui céder la place à sa demande.
Ce tour d'horizon demanderait à être consolidé par d'autres relevés de "tarifs" régionaux, de nombreuses études l'on certainement fait, mais avec une diffusion très locale. On peut néanmoins supposer que notre bretonne à coiffe traditionnelle de l'Atelier de Brest gagne ses 4 fr par jour, ce qui était peut-être ses meilleures années salariales.
Bien cordialement,
Régis