Bonjour,
Les femmes de ma famille pendant la guerre... si Brigitte permet que j'utilise son sujet pour apporter un maigre témoignage.
Dans ma famille, les hommes qui avaient vécu la guerre en parlaient peu, ou avec des larmes au bord des paupières, le menton tremblant... Ce qu'ils en ont dit tient en quelques lignes. Et les femmes, quel héritage de mémoire ont-elles transmis ?
¤ L'une d'elle, en Savoie, disait que les hommes étaient rares après la guerre, que toutes les filles couraient après son fiancé, mais que « c'était elle qui l'avait eu ». Son regard pétillait, mais je pense plus d'amour que de sa chance...
¤ Ma grand-tante Suzanne, de Gex, Ain, a dû renoncer en 1918 à se marier avec Albert, son promis revenu de la guerre. Celui-ci avait à charge ses deux sœurs, qui ne se sont pas mariées. Ma grand-tante a alors épousé un autre prétendant, décédé dans les années 60. Les deux sœurs n'étant plus alors à la charge d'Albert, c'est seulement que les promis ont pu se marier, même si une vie s'était écoulée.
Sur cette photo, "tante Suzanne et Dindin", autrement dit Suzanne Gavaggio et Albert Saint-Oyant (au 44e RI), qui devront attendre 1/2 siècle pour s'unir :
¤ Je possède une lettre de mon arrière grand-mère Louise Richard, agricultrice à Peron, Ain, écrivant à son fils Léon le 29 août 1918. Elle lui relate la visite de la future belle-famille : ils se sont émerveillés de la vue depuis les pâturages sur le lac de Genève, se sont inquiétés des fortes chaleur et du faible niveau d'eau du Suran... Quand elle écrit, ce 29 août, le corps de son fils vient d'être criblé de balles de mitrailleuses, devant le talus de chemin de fer entre Montécouvé et Juvigny. En 1940, quand les Allemands arrivent à la ferme, elle les attend un fusil de chasse à la main, «
pour son petit », il faut la désarmer, parlementer avec des officiers qui se montrent compréhensifs.
Le 29 août 1918, de l'encre sur la lettre, tandis que sur le livret...
¤ Mon autre arrière-grand-mère, de Bazouges-sous-Edée, Côtes d'Armor, gardait un visage refermé sur le malheur. Orpheline à 13 ans, son jeune frère à charge, elle était « montée » travailler à Paris, avait pu payer une formation de menuisier à son frère et se marier en 1905. Son mari et son frère ont été mobilisés, alors a commencé l'attente angoissante. Peu avant le 11 Novembre 1918, elle apprenait le décès de son frère, survenu le 30 octobre. Neuf ans après, son mari, éprouvé par l'ypérite, décédait dans un accident. Elle se retrouvait à nouveau seule avec son fils...
La famille Clément, vers 1910 mon arrière grand-mère, son mari qui va partir au 102e RI, leur fils :
¤ Un autre témoignage en dehors de la famille, madame F., racontant le retour à la ferme Dicourt, au pied du fort de Vaux : l'impatience de revenir au foyer, et puis... rien, même plus de chemin pour indiquer où était la ferme, plus aucun repères dans un océan de cratères... et dans ses yeux, toute la détresse de la petit fille qu'elle était ce jour-là.
Je pourrais continuer cette litanie qui montre que cette guerre fut pour ces femmes une épreuve d'angoisse, de deuils, de rêves brisés.
L'ouvrage quotidien servait certainement de dérivatif : toutes les femmes de la famille travaillaient, et ce déjà bien avant la guerre. Les femmes d'agriculteurs ou d'artisans prenaient en charge tout ce qui ne demandait pas la force des bras (encore que) et leur activité du matin au soir ne le cédait en rien aux femmes employées de maison. Leur quotidien était difficile avant la guerre, il l'a été plus après le départ des hommes, auquel s'est rajouté l'angoisse de les perdre. Leur seule préoccupation, qu'elles aient été mère, épouse ou fille de soldat, était le retour de cet homme, de préférence entier.
Au final, rien de bien commun avec les photos de souriantes munitionnettes, les discours sur l'effort de guerre permettant aux femmes d'accéder au travail, les médailles des courageuses infirmières...
Bien cordialement,
Régis