Un « Women’s Forum » en 1913 par Gérard Guicheteau
http://www.tak.fr/femmes-womens-forum-1913-1/
Le « 8th Women’s Forum » vient de se dérouler à Deauville.
En 1913, à Paris, se tenait le 10e « Congrès international des femmes »… (1re partie)
Ces jours d’octobre 2012 s’est tenu à Deauville le 8th Women’s Forum présidé par Mme Véronique Morali – emploi obligatoire de l’anglais, œuf corse. 1430 dames venues de 60 pays furent accueillies. Manquaient juste Valérie T., Cécile D. et Trudi Kohl (j’avais espéré qu’elle irait y faire un tour, j’ai attendu en vain). Cette réunion me remet en mémoire qu’il exista, née à Paris en 1878, une organisation féminine mondialisante dénommée Congrès international des femmes. Son dixième congrès se tint début juin 1913, rue Blanche, à Paris, dernier d’avant-guerre, avec délégation allemande. C’était le temps où les « pigeons » causaient français à la tribune et où « franchouillard » restait inconnu, au contraire de « youpin », de « bougnoule » ou de « boche ».
Le congrès ne s’amuse pas
La permanence du bureau dans les intervalles était tenue par la Secrétaire. En 1913, c’était le rôle de Ghenia Avril de Sainte Croix, assistée d’une brillante avocate, ex-institutrice révoquée, Maria Vérone, et d’une sororité où figuraient entre autres Marcelle Tynaire, Daniel Lesueur (pseudo de Jeanne Loiseau), la terrible Marguerite Durand, actrice, journaliste et théoricienne (qui tenait Tigre, son lion, en laisse), la Dr Madeleine Pelletier (première femme médecin-psychiatre de France), la vicomtesse de Kergariou, présidente de l’Oeuvre des Nourrissons de Plestin-les-Grèves, Cécile Brunschvicg, présidente de l’Oeuvre ouvrière des Réchauds de midi, ou Pauline Kergomard, inspectrice générale de l’Instruction publique, qui souhaitait qu’on répondît à cette question : « Comment lutter contre la démoralisation de la jeunesse par le journal, l’image, le spectacle, etc. ? »
L’ouverture solennelle réunit la foule des grands jours dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, gracieusement prêté par l’administration. Après les discours de bienvenue, les déléguées des mouvements nationaux dressèrent un rapide tableau de la situation dans chacun des pays représentés. Il y eut bien évidemment l’Angleterre et l’Ecosse, la Hollande, la Belgique et la province de Bohême (qui n’était pas encore connue sous la sotte appellation de « Tchékie »), toute l’Europe du Nord, les Etats-Unis et le Canada, l’Australie et l’Afrique du Sud… on vit même des représentantes de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie et de la Russie – provinces baltes et polonaise comprises. Des barbons célèbres, au moins par la politique, vinrent faire reluire leurs excuses à la tribune. Les vrais misogynes étaient absents. Les jours suivants, rue Blanche, six sections se répartirent les travaux. Le compte rendu rempli un gros volume de près de six cents pages dont l’édition fut confiée à Ghenia Avril de Sainte-Croix. Il semble que peu de curieux aient eu envie d’aller le feuilleter. On y trouve pourtant un intéressant portrait de groupe d’un mouvement que 1914 (et 1917) allait casser net. L’Europe encore en paix permettait alors de rêver à un monde ouvert et fraternel.
Les femmes au temps des pignoufs
En France, comme aujourd’hui, les pignoufs machistes étaient de loin les plus nombreux. Ceux d’entre eux qui avaient quelque culture se réchauffaient la testostérone au délire de Schopenhauer sur les femmes, lequel se résume à ceci : « Que peut-on attendre de la part des femmes, si l’on réfléchit que, dans le monde entier, ce sexe n’a pu produire un seul esprit véritablement grand, ni une œuvre complète et originale dans les Beaux-Arts, ni, en quoi que ce soit, un seul ouvrage de valeur durable. » Parmi les adeptes des aphorismes du penseur de Dantzick (orthographe d’époque), on trouvait au premier rang un auteur à succès : Théodore Joran, « éditeur scientifique » de Le Mensonge du féminisme et de Autour du féminisme, paru en 1906. Soutenu par la traîtreuse Kaete Schirmacher, « une de nos agrégées et doctoresses ès-lettres », dame « autant Allemande que Française », ce monsieur faisait grand cas d’un certain Moebius (si si !), docteur de Leipzick, qui apportait la preuve scientifique de l’Infériorité intellectuelle de la femme établie par la Physiologie (évaluée par la méthode Bouvard et Pécuchet). Théodore Joran avait traduit et introduit en France des morceaux choisis de l’ouvrage qui portait ce titre. Il affirmait qu’il aurait contresigné tous les dires du « bon docteur allemand », que les féministes étaient « des hyènes », et qu’elles n’avaient trouvé à reprocher à Moebius « que le port de la barbe pour cacher sa laideur »…
En attendant, outre-Manche, en gare de Bristol, Winston Churchill, ministre du Commerce, s’était pris un coup de cravache au travers de la figure par une intrépide suffragette (Le Figaro du 13 novembre 1907) – sort auquel allait échapper Lloyd George, Chancelier de l’Echiquier, parlant à l’Albert Hall au mois de décembre 1908, et pourtant favorable au mouvement que notre bon Figaro qualifiait « de vraie calamité publique ».
De rares soutiens aux droits des femmes
Le principal soutien des femmes en lutte pour leurs droits élémentaires, était alors Ferdinand Buisson. Libre penseur, protestant d’origine, président de la Ligue des droits de l’homme, directeur de l’enseignement primaire au temps où Jules Ferry faisait la loi, papy barbu de 72 ans, député RRRS(1) par intermittence, il déplorait que la France soit restée « sous la superstition du droit romain » et que nous soyions à la traîne, « seuls avec l’Espagne et la Turquie » (laquelle se vivait encore ottomane). Jadis, il y avait eu Schœlcher, Considérant, Jean Macé, Pierre Leroux… Léon Richer, co-fondateur avec Maria Deraismes d’une « Société pour l’amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits », et à l’origine du Congrès international (bureau permanent créé en 1878).
Ferdinand Buisson assurait la relève de la pensée progressiste. Pour lui, et ceux qui le suivaient, l’obtention du « suffrage » (le droit de vote) commandait tout le reste. En 1906, on en avait débattu à la Chambre des députés ; Ferdinand Buisson avait repris le projet de feu Paul Dussaussoy, catholique-libéral, mort avant d’avoir vu discuter (et rejeter) ce qui avait été combattu en termes choisis par mon cher Clemenceau, lequel voyait la main des curés fourrées jusque dans les isoloirs. En 1913, une proposition de loi sur le vote des femmes aux élections municipales et cantonales avait été rejetée d’une manière qui rebondit étrangement aujourd’hui. Passons…
On en reparlerait, et notamment de cette concession aux antiféministes indécrottables et ricaneurs, sinon grivois, qui proposait de limiter le droit de vote aux « célibataires, veuves ou divorcées », concession qui avait, elle aussi, été rejetée. C’était la section Suffrage, sous la présidence de Maria Vérone, qui allait s’intéresser à ce problème très-pyrogène.
Les plus militantes des congressistes, s’il advint qu’elles vécurent jusque là, eurent à patienter jusqu’en 1944. Entre temps, Cécile Brunschvicg avait été nommée sous-secrétaire d’Etat à l’Education nationale en 1936, sous l’autorité de Jean Zay, dans le premier gouvernement de Léon Blum, après la victoire du Front populaire… mais les femmes n’avaient toujours pas eu le droit d’élire et d’être élue.
(à suivre)
1.↑RRRS : parti Républicain, Radical et Radical Socialiste.