Bonjour à tous
Condamné à mort….
Le prévenu est le soldat Maurice Etienne S de la classe 1914, célibataire, agriculteur, né et résidant dans la Nièvre. Le soldat Maurice Etienne S a été incorporé au 27e RI le 11 décembre 1914 puis a été transféré au 134e le 11 décembre 1914.
Dossier du CdG n° 266 de la 15e DI présidé par le Cel De Seganville siégeant à Ménil aux Bois
Le soldat Maurice Etienne S est inculpé d’abandon de poste sur un territoire en état de guerre, en vertu de l’article 213 du CdJM, les faits remontent
au 26 juin 1915. Le jugement rendu par le CdG de la 15e DI a eu lieu le
21 juillet 1915.
La première question posée aux juges a été : le soldat Maurice Etienne S est-il coupable d’avoir, le 26 juin 1915 à Mécrin (Meuse), abandonné son poste en quittant sans autorisation sa compagnie qui se rendait aux tranchées ?
La seconde question posée a été : ledit abandon de poste a-t-il eu lieu sur un territoire en état de guerre ?
Aux deux questions, à l’unanimité les 5 juges sont répondu
oui
Le CdG de la 15e DI a condamné le soldat Maurice Etienne S à la peine de
2 ans de prison en application de l’article 213.
Le 21 juillet 1915, le Général commandant la 15e DI
a suspendu la peine jusqu’à la fin de la campagne.
Le soldat S a été transféré au 56e RI
Dossier du CdG n° 349 de la 15e DI présidé par le Lt Cel Poupart siégeant à Francheville
Le soldat Maurice Etienne S est inculpé de provocation de militaires à la désobéissance, en vertu de l’article 2 de la loi du 28 juillet 1894, les faits remontent au
10 novembre 1915. Le jugement rendu par le CdG de la 15e DI a eu lieu le
10 décembre 1915.
La question posée aux juges a été : le soldat Maurice Etienne S est-il coupable d’avoir, le 10 novembre 1915 à Tahure, provoqué des soldats de sa compagnie à la désobéissance en leur disant, au moment où ils recevaient l’ordre de se rendre au boyau Merle : « n’y allez pas, demi-tour, on va à la boucherie, vous n’en avez donc pas, allons, allons, tout le monde aux abris, on vous monte le cou »
A cette question, à l’unanimité les 5 juges ont déclaré l’accusé
coupable
A la majorité, les juges ont indiqué qu’il y avait des circonstances atténuantes
Le CdG de la 15e DI a condamné le soldat Maurice Etienne S à la peine de
1 an de prison en application de l’article 2 de la loi du 28 juillet 1894.
Le 10 décembre 1915, le Général commandant la 15e DI
a suspendu la peine jusqu’à la fin de la campagne.
Le soldat a été transféré au 27e RI
Dossier du CdG n° 449 de la 15e DI présidé par le Lt Cel Poupart siégeant à Commercy
Rapport du 29 mai du capitaine Patacchini de la 9e Cie du 27e :
Le 29 mai 1916, une petite boite métallique était lancée de la tranchée allemande dans le poste d’écoute dans la tranchée Bolle.

Le soldat Aubry du 27e en sentinelle à ce poste qui avait d’abord cru recevoir un explosif, remit cette boite à son chef de section qui me l’a rapporté. La boite de fabrication allemande contenait un chargeur à 5 cartouches et un billet extrait d’un carnet à souches. Les phrases suivantes sont écrites en français « nous avons reçu votre aimable offerte, venez par ici, aussitôt nous vous donnerons l’occasion de passer vers nous sans danger, si c’est impossible, passez ce soir à 9h15 accompagné d’un camarade signé un lieutenant ».

Mes soupçons se portèrent sur le soldat Maurice Etienne S de la 9e Cie déjà condamné 2 fois par le CdG qui me connait aucune satisfaction, qui nia d’abord énergiquement puis finit par avouer la vérité : « c’est moi qui ai provoqué ce billet » C’est hier soir que j’ai commencé. Les boches ont tiré 2 coups de feu, j’ai sifflé 2 fois, ils ont joué de l’harmonica. J’ai dit au lieutenant que les boches s’amusaient mais je ne lui ai pas dit que j’avais répondu. Le 29 mai, vers 8h30, je suis allé au poste d’écoute où se trouvait le soldat Clodomir Léon Marcel T qui me dit : « Maurice Etienne S, on passe chez les boches, il faudrait leur envoyer un bout de papier pour les prévenir ». Maurice Etienne S rédigea le billet suivant : « mes chers camarades, je suis dégouté de tout, ne sachant quoi faire pour passer chez vous. A 9 h ce soir, ne tirez pas et faites venir un officier sachant parler français ». Le papier fut mis dans l’enveloppe d’un paquet de cartouches avec un morceau d’ailette de grenade pour donner du poids puis lancé par Maurice Etienne S dans la tranchée allemande. Au bout d’un certain temps, un allemand sortit la tête, fit des signes et murmura quelques paroles. Le soldat Clodomir Léon Marcel T assista à tout ce manège et approuva.
Pour la compréhension de l’enchainement des faits, il faut mentionner que le soldat Aubry avait remplacé Clodomir Léon Marcel T au poste d’écoute.
Attendu des faits précités, le parquet du CdG de la 15e DI demande la comparution de ces 2 soldats pour :
1-tentative de désertion à l’ennemi
2-d’intelligence avec l’ennemi dans le but de favoriser ses entreprises
pour le soldat Maurice Etienne S et complicité du même crime par assistance pour soldat Clodomir Léon Marcel T
Ces faits sont punis par les articles 238 et 205 du CdJM
Les témoins sont le lieutenant Rimaud, le sergent Fontaine, les soldats Aubry, Saubron et Gaudron
Le CdG s’est réuni le 2 juin 1916, il est composé du Lt Cel Poupart du 134e président du CdG, du chef de bataillon Drüssel du 134e, du capitaine Mouton de l’état-major de la 15e DI, du sous-lieutenant Lepagnole du 48e RA et du maréchal des logis-chef Benech du 8e escadron du train
Les PV d’interrogations de chaque accusé, de chaque témoin représente plusieurs pages ce qui rend difficile la présentation de ces PV. Je vais m’attacher à en faire un résumé le plus fidèle.
Les interrogatoires des accusés ont eu lieu le 31 mai 1916. A l’instruction, le soldat Maurice Etienne S reconnait la matérialité des faits relevés contre lui, mais il déclara avoir agi sans réflexion et jamais n’avoir eu l’intention de passer à l’ennemi mais voulait obliger les allemands à se montrer. Le soldat Clodomir Léon Marcel T a déclaré que Maurice Etienne S lui avait dit qu’en lançant ce papier, il espérait trouver une occasion de se réhabiliter de sa condamnation en tuant un officier allemand, mais nia énergiquement avoir provoqué par ses paroles, l’acte criminel de Maurice Etienne S.
Lors d’une confrontation, Maurice Etienne S indique avoir dit au soldat Aubry, quand il est revenu dans la tranchée, qu’il avait lancé le papier mais le soldat Aubry affirme avoir entendu cette déclaration pendant l’interrogatoire du soldat Maurice Etienne S par le capitaine Patacchini : « à ce moment, j’étais relevé de ma faction ».
Les interrogatoires des 2 accusés par le commissaire-rapporteur Vermeil ne correspondent plus tout à fait aux aveux faits devant le capitaine Patacchini
Les 2 soldats nient certaines des accusations et se renvoient la faute. Le soldat Maurice Etienne S a prétendu tant à l’instruction qu’aux débats que le soldat Clodomir Léon Marcel T l’avait provoqué qu’à écrire le billet ce que Clodomir Léon Marcel T a toujours nié. L’attitude de Clodomir Léon Marcel T a toujours été correcte au cours des interrogatoires, il n’a pas de condamnation antérieure. Le soldat Maurice Etienne S est considéré comme un mauvais sujet qui a subi plusieurs condamnations dont une avant la guerre.
A l’issue de la tenue du CdG, les questions suivantes ont été posées aux juges
1-le soldat Maurice Etienne S est-il coupable d’avoir, le 29 mars 1916 à la tranchée Bolle, tenté de déserter à l’ennemi en correspondant avec des sujets ennemis dans le but de faciliter son passage dans la tranchée allemande, laquelle tentative manifestée par un commencement d’exécution n’a manqué son but que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ?
2-est-il coupable le même jour, au même endroit, entretenu des intelligences avec l’ennemi dans le but de favoriser ses entreprises en lançant un billet dans la tranchée ennemie, lequel billet a été suivi d’une réponse d’un allemand invitant ledit Maurice Etienne S à passer dans la tranchée ennemie avec un camarade ?
3-le soldat Clodomir Léon Marcel T est-il coupable d’avoir le même jour, au même lieu, tenté de déserter à l’ennemi en correspondant avec des sujets ennemis dans le but de faciliter son passage dans la tranchée allemande laquelle tentative manifestée par un commencement d’exécution n’a manqué que par suite des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ?
4-est-il coupable d’avoir le même jour, au même lieu, assisté avec connaissance ledit Maurice Etienne S auteur du crime d’intelligences avec l’ennemi dans le but de favoriser ses entreprises en lançant un billet dans la tranchée ennemie spécifié ci-dessus dans les faits qui l’ont préparé ou facilité et dans ceux qui l’ont consommé ?
Les juges ont répondu :
Sur les 1ère et 2e questions : à l’unanimité, l’accusé Maurice Etienne S est coupable
Sur la 3e question : à la majorité de 3 voix contre 2, l’accusé Clodomir Léon Marcel T n’est pas coupable
Sur la 4e question : à l’unanimité, l’accusé Clodomir Léon Marcel T est coupable
A la majorité, il y a des circonstances atténuantes en faveur de l’accusé Clodomir Léon Marcel T
Le CdG a condamné le soldat Maurice Etienne S à l’unanimité à la peine de mort avec dégradation militaire en application des articles 238, 205, 202, 135 et 139 du CdJM et le soldat Clodomir Léon Marcel T à la peine de 10 ans de travaux forcés et à la dégradation militaire
L’exécution de la sentence capitale a eu lieu le 2 juin à 15h 00 à la sortie Ouest du village de Boncourt. Un courrier du commandant la 15e DI précise que les 4 Cies du 27e et une section du 48e RA seront présentes, ordonne au capitaine Allain du 27e de désigner dans sa compagnie :
-12 hommes pour former le peloton d’exécution
-1 sergent pour donner le coup de grâce
-1 adjudant comme chef de peloton
-1 soldat pour bander les yeux du condamné
-2 brancardiers pour relever le corps
Le médecin-major Colleville, le sous-lieutenant Lepagnole (juge) du 48e RA, le greffier du CdG assisteront à l’exécution.
Aussitôt après la lecture de la sentence, le piquet d’infanterie s’est approché et a fait feu sur le condamné qui est tombé mort ainsi que l’a constaté le médecin-major commis à cet effet.
Epilogue côté allemand : Sur le terrain, à 21h15, un officier de la Cie Patacchini s’est présenté au point où le soldat Maurice Etienne S devait se porter pour mettre son projet à exécution. Il a sifflé, un allemand s’est présenté. L’officier s’est aussitôt retiré et en application d’un programme arrêté l’après-midi, l’artillerie de Liouville avertie par un signal optique a ouvert le feu sur la tranchée ennemie avec une précision qui a dû obtenir d’heureux résultats. Les allemands doivent avoir la conviction qu’ils ont été victimes d’une ruse de guerre.
Epilogue côté français : le 17 juin 1922, le président de la république a commué en 1 jour de prison le restant de la peine de 10 ans de travaux forcés requise contre le soldat Clodomir Léon Marcel T
Remarques sur le contexte de ce dernier jugement : dans ce dernier dossier, on ne trouve aucune demande adressée au conseil de révision, aucune demande de recours en grâce. Dans le dossier BB24 sur les recours en grâce des AN, on ne trouve aucune trace d’une demande concernant ce soldat. Pourtant la loi du 27avril 1916 sur le recours au conseil de révision est déjà votée depuis un bon mois, même si le décret n’est paru que le 8 juin 1916. Pour les 2 premiers dossiers en CdG du soldat Maurice Etienne S, un mois s’est écoulé entre le délit et le jugement. Pour ce dernier dossier, l’action de justice a été très diligente : le délit ou plutôt le crime a été commis le 26 mai, les interrogatoires ont lieu le 31 mai, le CdG s’est réuni le 2 juin, l’exécution a eu lieu également le 2 juin. Tout cela est très rapide comme au début du conflit. Pour expliquer la « promptitude » de l’action judiciaire, on peut émettre l’hypothèse suivante : vu la gravité de l’action de ce soldat et des preuves retrouvées, l’autorité militaire n’a pas voulu que ce soldat échappe, par le biais d’une grâce présidentielle ou du recours au conseil de révision nouvellement automatique, à la sanction suprême.
Enfin si je peux présenter ce cas, c’est grâce aux livres d’André Bach, aux informations qu’ils contiennent et au « décryptage » des méandres de la justice militaire réalisé par André Bach.
Cordialement
yves