Ephéméride 17 janvier

[chanteloube]

Bonjour à toutes et à tous,
Voici une lettre. Une des 568 lettres conservées du soldat OLIVE du RI40

Lettre 75
Le 17/1/15

Bien Chers parents

Quoique toujours gai je possède en ce moment une immense colère, il n'y a plus moyen d'écrire une lettre a peu près malgré toute la meilleure volonté que j'y apporte. Je vous ai dit dans ma lettre du 13 et 14 que nous comptions être relevés le 3ème jour vu le mauvais état des tranchées et surtout que nous n'avions eu que 3 jours de repos, nous n'avons pas eu cette chance et il nous a fallu rester un quatrième jour et alors bien soigner pluie comme chez nous cet à dire à torrents, grêle et tonnerre que je n'avais jamais entendu dans cette illustre Meuse, et puis nous arrivons ici à 1h ce matin, encore à Chattancourt aujourd'hui il neige et il faut que nous nous décrottions car vous devez un peu voir dans l'état que nous sommes c'est à dire minables, enfin je vous écris cette lettre et puis comme on dit laisse pleuvoir.
Maintenant je suis heureux (la colère me passe, c'était un nuage) d'avoir trouvé en arrivant une lettre contenant un journal, une lettre proprement dite, une carte de ma frangine une de Léonie et une d'Eugène en plus comme apothéose 3 colis, celui de l'imperméable, celui à tabacs et celui à papillotes. Il était temps car je suis fauché, heureusement mon collègue de Mazamet est la, vous avez eu une heureuse idée de m'expédier de mèche à briquet il y a 15 jours que j'en ai plus et ne pensais jamais à en demander et ici il y a pas mèche pour ça.
Dans le prochain colis, teinture d'iode, fil écru, fortes aiguilles, rhum et... attend, figatellis, banons et produits alimentaires pour mes locataires et un passe montagne.
Je suis content aussi d'apprendre que papa reste à la maison après tout notre bonne République en a bien assez pour faire ce que fesons (je taille mon crayon) pour nous geler les ripatons nous tremper jusqu'aux os et pour rester là jusqu'à la Trinité et qui sait, c'est que si Titin Pontier dit qu'à son endroit ils sont bien retranchés je sais ce qu'il dirait d'ici alors, toujours est il que les Boches ont la facilité de nous canarder toujours tellement ils sont bien cachés et dire que nous étions qu'à 150 m, et nous avons la difficulté de nous terrer devant ça tant nous sommes en vue et exposé, alors qu'est ce qu'il viendrait faire ici, malheureusement il n'en est pas de même de Monsieur Pontier il n'a pas de veine, c'est une mauvaise étrenne du jour de l'an le plus veinard c'est encore cousin si on le reprend dans le régiment où il était il a beaucoup de chance de rester à Nice car pour le genre de guerre que l'on fait en ce moment les artilleurs n'ont guère de pertes.
Si vous me voyez maintenant sans képi avec le bonnet de police et mon couvre nuque en toile cirée qui se rabat jusque sur les épaules je semble le pêcheur à la morue que l'on voit sur les images surtout avec les moustaches rasées seulement avec la pluie sans visière il n'y a pas la vie l'eau vient s'écouler sur le nez comme si c'était un tuyau de descente quand même on voit de ces choses ici pire qu'au cinéma, je m'en rappelle quand papa me disait souvent et surtout à table, “ton régiment ti fallat pas di maou ” ah oui, ah elle est belle la vie de caserne !
Qu'est ce que c'est à côté d'ici. Quand même quand nous serons de retour ceux qui auront des parents qui n'auront pas seulement servi en caserne, ces derniers n'auront plus la parole, quand nous dirons mais qu'est ce que c'est à côté de ce que nous avons endurés et ce que nous avons vus, enfin ce retour vienne vite qu'on aille se reposer quelques jours à notre beau Sormiou, puis faire la malle et monter à Paris.
C'est qu'il va y avoir du travail pour mon métier et les grandes adjudications ne manqueront pas pour se remonter toutes ces villes je ne vise plus que ça maintenant, c'est d'ailleurs le raisonnement de tous ceux qui ont un bon métier en main, le mien c'est encore un des meilleurs mais pour ça il faut revoir Mazargues.
Je m'arrête j'ai les mains gelées, suis toujours en bonne santé bonne appétit froid aux pieds à propos envoyez moi des chaussettes quand aux autres quand on les a portées quelque temps il faut les jeter elle se pourrissent avec cet humidité elles se défont comme du coton et ne tiennent plus chaud.

Je vous embrasse bien fort.


Noël


J’attire votre attention sur la partie mise en gras, elle prouve que tôt dans le guerre les soldats ont eu le sentiment «Qu’ils auraient des droits » après le conflit.

Cordialement
CC