LOUISE
Goélette de 154 tx immatriculée à Paimpol.
Armateur LEBRETON et TROADEC. Affréteur PIERROT de Bordeaux
Appareille de Swansea pour Bordeaux avec un chargement de charbon
Capitaine Olivier Le Guyader ayant sous ses ordres 4 hommes (Equipage de cinq commandant compris)
Le 3 Décembre 1916, se trouve par 49°17 N et 05°17 W, route au S25W à 6 nœuds
Mer belle. Petit clapot de NE. Jolie brise de NE. Très bonne visibilité.
Un sous-marin est aperçu à 2 milles dans le sud portant le pavillon de guerre allemand. Il s’approche et hisse les pavillons « LR » (mettez en panne). La goélette met en panne et le sous-marin hisse « AB » (abandonnez le navire).
Le capitaine fait mettre l’embarcation à la mer et vient le long du sous-marin.
Le commandant allemand s’adresse au capitaine Le Guyader dans un français très correct, mais avec un léger accent étranger (de toute évidence allemand).
Il lui demande port de départ, destination et chargement, ainsi que les papiers que le capitaine déclare avoir laissés à bord de la goélette.
A l’exception d’un matelot, il fait monter l’équipage sur le sous-marin tandis que son second et deux marins allemands descendent dans l’embarcation, munis de deux bombes sphériques de 25 cm de diamètre d’où sortait un cordon long d’un mètre, semblant en caoutchouc. Le canot pousse vers la goélette, en panne à 200 m.
L’officier en second du sous-marin parlait facilement le français. En passant sur l’arrière, il prend le loch resté à la traîne, puis tout le monde monte à bord.
Dans la chambre, il prend quelques vivres : beurre, pain, conserves et lard, tandis que les deux marins prennent dans le poste avant 100 kg de pommes de terre qui s’y trouvaient. Ces vivres ont été recherchés avec soin ; on peut même penser que c’est par nécessité.
Puis le second fait signe à son commandant que les bombes sont amorcées, une dans le poste avant, l’autre sur le pont milieu. Le canot revient vers le sous-marin et une explosion retentit dix minutes plus tard. La goélette s’enfonce lentement et met dix minutes à disparaître.
Pendant tout ce temps, une heure environ, le capitaine Le Guyader a pu discuter avec le commandant allemand. Celui-ci avait environ 32 ans et portait une casquette avec, sur l’écusson, l’aigle impérial. Il n’avait aucun galon sur les manches. Il lui a demandé ses impressions sur les conséquences de la mobilisation, lui faisant remarquer au passage que, de tous les belligérants, seuls les Anglais n’avaient pas décrété la mobilisation générale.
Il a posé cette question curieuse : « Croyez-vous, capitaine, qu’il soit amusant de rester 20 jours à bord d’un pareil petit bateau sans jamais rejoindre un port ?» Le capitaine n’a pas donné de réponse.
Avant de faire rembarquer les Français dans leur canot, le commandant allemand y a fait déposer quelques uns des pains pris sur la goélette.
Le second avait environ 25 ans. Il portait une casquette avec deux petits galons dorés dans l’écusson.
Le sous-marin n’avait pas de numéro, mais portait une plaque de cuivre ovale sur le côté du kiosque, avec un nom gravé en relief (sans doute le nom du chantier de construction) et en dessous, en lettres plus grosses, le mot KIEL.
Il mesurait environ 65 m. Il avait une pièce d’artillerie (sans doute de 88 mm) sur l’avant du kiosque et un petit canon sur le côté. Il y avait une rambarde circulaire autour du kiosque et sur l’avant un capot à fermeture et un mât de trois mètres rétractable. Deux câbles d’acier, sans doute munis de couteaux couraient vers l’avant. Sur la partie avant du kiosque, une petite plateforme surélevée portait des manettes dont le commandant avait les commandes et qui permettaient de manœuvrer le sous-marin. Celui-ci manoeuvrait très facilement. L’équipage du LOUISE est unanime pour dire que la manœuvre s’effectuait sans aucun bruit. Il n’a même pas entendu le moteur, alors que celui-ci a fonctionné à plusieurs reprises pour s’approcher ou s’éloigner de la goélette.
A l’ouverture du capot, un marin notait tout ce que lui transmettait le commandant.
L’équipage portait des vêtements d’une pièce en caoutchouc et de grosses bottes.
Voici la silhouette de ce sous-marin.

Il a ensuite fait route au NW en demi-plongée.
L’équipage de LOUISE a fait route à la voile pendant cinq heures vers Ouessant. A 25 milles dans le N26W du phare de la Vierge, il a été recueilli par le vapeur norvégien KALFOND, de Stavanger, faisant route de Barcelone vers Londres, et qui les a déposés à Ramsgate.
(nota : ce cargo de 1210 t, construit à Dundee en 1900, naviguera jusqu’en 1953)
Conclusion de la commission d’enquête
« LOUISE semble avoir été coulée par un sous-marin allemand de dimension restreinte. Le capitaine n’a rien pu faire pour s’échapper.
D’un autre côté, le commandant du sous-marin a agi sans brutalité. A part quelques vivres, il n’a rien trouvé d’intéressant sur la goélette. Les papiers du bord ont été sauvés, le capitaine ayant déclaré les avoir laissés sur le voilier, alors qu’ils étaient cachés dans l’embarcation. La question du câble à couteaux pour filets semble à étudier. »
Bref, l’enquêteur ne se mouille pas trop. Mais on notera l’attention extraordinaire toujours accordée aux papiers qui semblent parfois plus importants que les hommes.
Voici la configuration de l’attaque donnée par le capitaine Le Guyader

Le sous-marin attaquant
C’était l’UC 21 du KL Rheinhold Saltzwedel.
Le même jour, il coulera les petits voiliers français AIGLON et VERDUN.
C’est un redoutable sous-marinier que l’on retrouvera à plusieurs reprises. (Quelques renseignements sur lui au sujet « Goélette MARNE »)
Au moins, ce rapport d’enquête nous apprend que Saltzwedel parlait bien français, mais avec un léger accent étranger… !
Cdlt