Bonjour,
Effectivement, ce fut un sacré personnage que le parisien Jean Barrez, sergent au 228ème d’infanterie durant la Grande guerre qui deviendra entre autres journaliste, parolier, dessinateur humoristique et publicitaire célèbre pour ses affiches et compositions, ami de Maurice Chevalier et surnommé « le chansonnier-dessinateur de Paris dit Joë Bridge ! »
Né Jean Louis Charles Joseph le 14 mars 1886 à New-York, lors d'un voyage d'affaires de son père, Charles Joseph Prosper, négociant en tissus, et de Marie Albertine Hervey, Jean Barrez fut un homme aux mille vies !
Habitant dans sa jeunesse au 4 de la rue Chomel dans le 7ème arrondissement de Paris, il étudie le droit et obtient son bac à dix-sept ans. Il a appris l'anglais et l'allemand et féru de sport pratique le rugby et l'escrime au collège où il se révèle doué, devenant champion amateur national et international aux nombreux titres.
Après que son professeur d'allemand au collège Stanislas ait décelé chez lui un don certain pour le dessin, Jean Barrez commence par exercer la profession de pharmacien mais décide, en 1904, âgé de 18 ans, de travailler dans le music-hall et prend le pseudonyme de « Joë Bridge ».
Renié par son père qui ne veut pas d’un saltimbanque dans la famille, licencié en droit, ès- lettres, il se lance dans le journalisme en 1911 et travaille pour le journal « Comoedia » pour lequel il créé un personnage fétiche, « Gédéon Gueule d’Empeigne » et sa chienne Roquette, utilisant son personnage pour illustrer les affiches des spectacles et écrire des articles.
Après avoir créé l’affiche de « L’habit vert » pour le Théâtre des variétés, il s’occupe des revues du Bataclan, entremêlant ses différentes passions, journalisme, publicité, music-hall, le sport, découvrant la pratique de l’aviron sur un canot qui lui permettra de sillonner la Marne en tous sens, découvrant les merveilles de la nature environnant cette rivière.
Le dessin restera le fil permanent de ses multiples activités tout au long de sa carrière.
Lorsque la guerre éclate, engagé volontaire pour trois ans en 1904 pour le 28ème d’infanterie, promu caporal l’année suivante en 1905, puis sergent en 1906, il est rappelé à son poste à la mobilisation générale. Le 3 août 1914, il est mobilisé en tant que sergent au 128ème d’infanterie. Il s’impose par sa bravoure lors des combats de l’Aisne mais est blessé d’une balle dans la main gauche puis d’une autre au niveau de l’oreille gauche. Capturé par les Allemands ce 29 août 1915 à Macquigny, il est fait prisonnier et transféré au camp d’Aten-Grabow en Prusse orientale.
Là il va faire la rencontre et devenir l’ami d’un certain Maurice Chevalier, chanteur déjà célèbre, qu'il retrouve parmi les milliers de prisonniers. Maurice Chevalier avait été fait prisonnier également dès 1914 après avoir été blessé dans les combats de Meurthe-et-Moselle. Les deux hommes s’entendent et montent dans le camp un cabaret de fortune « La Boite à Grabow » où ils jouent ensemble des revues écrites par Joë Bridge qui permettent de remonter le moral des autres prisonniers. Formé ensuite en tant qu’infirmier au camp de prisonniers, tout comme Maurice Chevalier, il soignera les soldats du typhus tout en ne ménageant pas sa peine avec plusieurs tentatives infructueuses d’évasion.
Mais à l’été 1916 apparaît un espoir de quitter le camp : les pays belligérants, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge de Genève, font à échéance fixe des échanges de docteurs et d’infirmiers et les prisonniers pouvant prouver leur titre d’infirmier aux autorités allemandes pouvaient ainsi se retrouver sur la liste de départ. Joë et Maurice (qui en plus bénéficiera de l’appui de la célèbre Mistinguett) s’inscrivent et après un interrogatoire se retrouvent admis sur la liste et finalement libérés, reprenant le train jusqu’à Paris.
Sa conduite durant ses vingt-sept mois de captivité lui vaudra la Médaille d'Argent des Épidémies, la Médaille Militaire ainsi qu’une Croix de guerre avec palme.
De retour au dépôt le 26 janvier 1917 il doit entrer à l’hôpital n°5 d’Évreux pour subir une amputation de l’index gauche, à cause de séquelles de la blessure qu’il avait reçue à Macquigny en 1914. Une fois rétabli, le 13 juin 1917 il est employé comme instructeur à la préparation militaire puis passe à la 3ème section d’infirmiers militaires. L’année suivante, en juin 1918, il passe au 39ème d’infanterie à Rouen, au sein duquel il terminera la guerre et sera promu adjudant, adjudant-chef de réserve.
Démobilisé le 20 mars 1919 il est affecté dans la réserve du 119ème d’infanterie, passé au 5ème d’infanterie en 1924 puis au 46ème d’infanterie et sera classé sans affectation le 1er mars 1927. Il est dégagé de toutes obligations militaires le 15 octobre 1935.
Après la guerre il fonde en 1920, pendant « les années folles », un cabaret qu’il nomme « la République de Montmartre » pour « promouvoir la gaîté et l'esprit français et venir en aide aux artistes malheureux ». Également la troupe de comédie musicale « Du non petit diable », entièrement composée d’enfants où il fera également chanter son copain le célèbre Maurice Chevalier. Commençant à se faire un nom dans le dessin, celui que l'on surnomme désormais « le Toulouse Lautrec de l'Affiche » crée, en 1922, la première agence moderne de publicité, "Les Ateliers Joë Bridge" au 224 de la rue de Rivoli, regroupant une douzaine d'excellents artistes dans des spécialités diverses. Il en sortira des œuvres de réclames encore connues aujourd'hui : Olida, Cigares Diplomates, Moto-sacoche, Voisin, Vermorel, les chocolats Félix Potin, les cigarettes Gauloises, etc...., une succursale, « Cinétude » réalisant le premier dessin animé publicitaire pour les Parfums Harris. Transformant, en une nuit, la boutique d'un tailleur du boulevard des Capucines en une Bastille d'où « Gédéon Gueule d’Empeigne » fait les promotions d'un marchand de chaussures, il préfigure les « événementiels » puis lance les inhalateurs de poche, créant, en 1921, un nouveau personnage et une formule récurrente : « Ugène, passe-moi l'odorigène ! ». Déclinée dans toute la presse, elle lui apporte succès et reconnaissance, préfigurant ce qu’on appellera plus tard le marketing !
Le sport est toujours présent et en 1925, il retrouve la pratique de l'aviron et devient président et entraîneur du Rowing Club de Paris à Asnières. De 1924 à 1928, il est vice-président de la Ligue parisienne de football, président du Stade Olympique de l'Est, participant aux compétitions artistiques des Jeux olympiques d’été de 1928 à Amsterdam.
Dans les années 30, il invente un numéro de Music-Hall original et inédit : alliant performances artistique et physique, il dessine en direct sur un tableau de 3m par 2m, tout en parlant et chantant, accompagné par un orchestre, caricaturant les célébrités du moment. Son esprit et sa gouaille de chansonnier le feront applaudir sur toutes les scènes de France, Belgique, Suisse, Allemagne et Angleterre où, pendant douze ans, des tournées s'enchaîneront. On lui devra également les paroles de nombreuses chansons ainsi que les dessins de nombreuses partitions, dans la foulée il réalisera une magnifique bande dessinée nommée « Mowgli ou la Meute Enchantée ».
L’année 1939, pendant « la drôle de guerre » Joë et Maurice Chevalier se retrouvent sur les planches pour divertir les soldats lors d'une tournée sur le front avec Nita Raya et Joséphine Baker, lieutenante de l'armée américaine et pour laquelle, il écrira « O mon Tommy ». Dans les cabarets parisiens, sa verve et son fusain ne ménagent pas l'occupant. Il entre dans la résistance en 1942, dans le réseau « Vengeance », sous le pseudonyme de « Bayard ». Le 8 mai 1944, après une arrestation manquée, il rejoint le maquis dans l'Eure. Agent de liaison, officier FFI, à 58 ans, il transporte sur sa bicyclette des armes démontées, du plastic et participe au parachutage des alliés. Il est affecté ensuite comme capitaine dans une compagnie de transports à Évreux. En avril 1945, il s'engage au 1er Régiment de Marche de la Légion étrangère qui combattra et repoussera les Allemands de Strasbourg à l’Arlberg et au Tyrol. Il recevra la Croix de guerre 39/45 puis la Légion d'Honneur en 1952.
A la libération il revient au journalisme, envoyé spécial de « La France au combat », assistera en octobre 1946, au procès de Nuremberg où son crayon croquera les dignitaires du régime nazi. En 1947 il est président du syndicat autonome des dessinateurs journalistes. En juillet 1952, il réalise pour le journal belge « La Dernière Heure » et une bande dessinée « Jefke suit le Tour de France ».
Syndicaliste infatigable, défenseur passionné des reporters-dessinateurs à la Commission de la Carte, il sera président des dessinateurs journalistes de 1947 à 1958 au S.N.J. (Syndicat National des Journalistes.)
La France des années 60 et le tournoi des 5 nations fait découvrir le rugby à de nombreux français et Joë Bridge, ancien rugbyman dans sa jeunesse, va en restituer remarquablement le mouvement dans de nombreux dessins qu'il livrera à la Fédération Française de Rugby jusqu'en 1964. Ce seront ses dernières commandes. Après s'être réconcilié avec son vieux copain Maurice Chevalier dont le chemin, hélas, divergea du sien dans les années 40, pendant la guerre, Jean Barrez dit Joë Bridge, qui se maria trois fois, s'en alla rejoindre le 10 avril 1967 les Pierrots du Paradis de sa Butte Montmartre où il vécut... Une vie digne d’un roman !
(Extrait des écrits de Jean Barrez, fils de Joë Bridge, le 26/06/2012, dans « Caricatures & caricatures. Actualité-Recherche sur l’histoire de la caricature politique et du dessin de presse » + Fiche matricule + Tableau d’honneur de l’illustration + Acte de décès)
Jean Barrez dit Joë Bridge, sergent au 228ème d’infanterie, un sacré personnage !
Jean Barrez dit Joë Bridge, sergent au 228ème d’infanterie, un sacré personnage !
Dernière modification par bruno17 le mar. déc. 24, 2024 11:02 am, modifié 1 fois.
Bruno BAVEREL - Romans: "La voiture de Vandier" - "Les aventures du lieutenant Maréchal" - "Le manuscrit de Magerøya ou le Tombeau des quatre ours" (Éditions des Indes Savantes)
Re: Jean Barrez dit Joë Bridge, sergent au 228ème d’infanterie, un sacré personnage !
Bonjour Bruno17
Merci our le partage. ... mille vies en effet...
Merci our le partage. ... mille vies en effet...
Salutations
Michel
Michel