Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

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jef52
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

28 décembre 1914 - Aux siens
Voici ce qu'il y avait au rapport ce matin :
" Le général de brigade porte à la connaissance de la brigade les félicitations qu'il tient à adresser à la 21e compagnie du 306e régiment d'infanterie qui sous la conduite intelligente et énergique de son chef, le lieutenant Raoul Bloch, a effectué une reconnaissance intéressante sur la rive S. de l'Aisne. C'est de cette façon qu'on montre à l'ennemi qu'on lui défend de réapparaître au S. de l' Aisne suivant les ordres du commandant ".
Je ne demandais pas l'ordre ni les louanges, la réussite m'avait suffi; il paraît, suivant les désirs du colonel, que nous avons manoeuvré comme de l'active, chefs, cadres et soldats.
Cette lettre, ma chérie aimée, va t'arriver pour le Nouvel An. Que te dire? J'en ai trop sur le coeur; les mots doux et aimants m'arrivent trop en foule et je ne sais plus que te dire. C'est la première fois depuis vingt ans que nous nous retrouvons séparés au moment du renouvellement de l'année, et dans quelles circonstances ! Si la défense du Pays me contraint d'être loin de toi, jamais tout mon coeur, toute mon âme n'ont été plus près. Que te souhaiter, quels voeux nous faire? Le retour victorieux, la fin de la guerre prochaine, la santé, que sais-je encore, et surtout reprendre cette douce vie à six au foyer, vie qui nous sera d'autant plus chère et plus exquise que nous en aurons été privés plus longtemps. Il a fallu que le Devoir me semble bien grand, bien fort, bien impérieux pour que je quitte volontairement tout ce que j'ai quitté; le destin , je l'espère, m'en sera reconnaissant et me permettra de vous retrouver tous les cinq, vous que je chéris tant. Le contraire serait injuste, aussi très réellement je n'y crois pas et n'y pense même pas.
Laissez moi, à l'occasion de 1915, vous serrer tous les cinq dans mes bras, longuement, tendrement; vous dire combien je vous aime, combien je vous chéris et avec quel coeur je combats, combattant pour vous.
Vous êtes toute ma vie! Quel bonheur lorsque, la tâche terminée et la France victorieuse, nous nous retrouverons ensemble, combien nous goûterons cette reprise de notre douce existence antérieure! Les chéris auront grandi et mûri au contact des grandes et terribles choses qui se passent; ils seront fiers de leur Pays qu'ils aimeront davantage parce qu'il aura été plus peiné pour sortir triomphant de la dure épreuve. Quand vous reverrai-je? Peut-être relativement bientôt, peut-être dans des mois. Notre commun amour, notre affection ne fera que grandir à l'épreuve de la patience qu'il faudra porter de plus en plus loin. Et toi, ma chère Alice, prends patience, et surtout aie confiance en celui qui t'a quittée parce qu'il t'aimait profondément. Je suis courageux sans vantardise, je ne m'exposerai jamais inutilement, c'est d'ailleurs une faute; je me dois au Pays, à toi, à nos chéris, tu peux être tranquille, je ferai comme tu le dis et comme c'est mon but, mon Devoir, tout mon Devoir, en pensant à ceux que je désire retrouver.
"Désormais je sais enfin que tous ces morts, ces Français et ces Allemands, étaient des frères, que je suis leur frère" Ernst Toller
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jef52
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

30 décembre 1914 - Aux siens
Je verrai de nos trous finir l'année et commencer l'autre. Que nous apportera-t-elle en plus de la victoire, et quand la victoire? Mystère qui s'éclaircira au fur et à mesure de l'écoulement des longues journées pendant lesquelles nous allons vivre loin l'un de l'autre, mais si près en pensée. Je me reporte malgré moi à l'année dernière, l'année s'était terminée si gaiement à la maison. Quel changement! Tout à l'heure avec J. nous étions montés au dessus du village d'où l'on a une vue merveilleuse jusqu'à Soissons; le temps alternait, gris et ensoleillé, sur une nature bien vivante sous sa parure hivernale; de tous côtés le canon, la fusillade, la fumée des obus. Nous restions muets tous deux, mais la pensée était la même sur la gravité des heures qui s'écoulent, sur l'état moral tout nouveau que l'on ressent depuis le déchaînement du fléau, sur le mûrissement brusque et profond de tout un peuple qui le subit; on comprend qu'une génération qui a vu la guerre soit très autre que celle qui ne l'a connue que par les récits de ceux qui l'ont vécue ou par l'histoire. Les jours comptent double et triple et quand les nerfs se détendent on se sent, malgré l'action, malgré la vie de combattant, vieillir, non pas au sens d'usure mais au sens réel de l'avancée de la vie. Quelle catastrophe mondiale et cependant libératrice du monde ! Le piloris de l'histoire ne sera pas assez pour les bandits qui ont déchaîné ce fléau ! On aura, j'en suis certain, la patience nécessaire, du moins du côté de l'armée, car ce sera long, terriblement long et je prévois encore des mois et des saisons avant que avant que la bête ne soit réduite. Elle est forte, résistante, et cette résistance, même pour les ennemis, sur deux fronts aussi colossaux est admirable; admirables aussi seront ceux qui en viendront à bout, et les Alliés en viendront à bout.
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jef52
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

6 janvier 1915 - Aux siens
On reparle moins de notre déplacement, mais tout est prêt pour un départ rapide. Avec quelle joie je m'en irai du côté de l'Alsace, et quels souvenirs en pénétrant en uniforme dans ce pays de nos rêves! Nos pauvres papas en tressailleraient dans leurs tombes! Enfin la "revanche" dont ils ont tant parlé, dont leur coeur débordait ! et mon brave frère, mon ancien sous la capote et dans quels tragiques moments! avec quel plaisir je les vengerai ainsi que Robert mon frère trop tôt disparu. Quelle note à faire payer aux Bandits et combien je serai féroce créancier.
Dis-leur à tous, aux frères et soeurs, que jamais peut-être nos coeurs n'ont tant vibré à l'unisson et n'ont communié d'une façon aussi intense. Je pense souvent à tous ceux qui t'entourent en ce moment d'une affection si tendre et t'aident à supporter vaillamment la lourde contribution au pays que je t'ai imposée ainsi qu'à moi-même. Etre de ceux qui auront contribué directement à te rendre ton berceau natal sera pour moi une bien douce joie et comme un complément à notre vie si unie et si tendre. Quel bel anniversaire de nos 20 ans de ménage, la "rue de la Mésange" redevenue française! quel plus beau cadeau pourrai-je rêver de t'apporter! et Lauterbourg Niederbronn, Bionville, tout cela sous nos trois couleurs! Tu peux comprendre pourquoi je voulais et devais partir, toute la tradition familiale n'est-elle pas avec moi! Pouvoir emmener toi et nos chéris en Alsace-Lorraine et leur dire : Papa a aidé dans la mesure de ses forces à rendre ces beaux pays à la France , quelle plus belle récompense pour moi ?
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

Généalogie de Raoul Bloch établie par Mme Andrée Gerschel
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