Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

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jef52
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Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

Bonjour à toutes et tous.
La correspondance de Raoul Bloch est parvenue jusqu'à moi et les lettres sont assez nombreuses et intéressantes pour mériter un partage et faire perdurer le souvenir de cet homme. C'était le but de Madame Simon qui souhaitait partager ces documents pour qu'ils ne soient " ni perdus ni détruits" et de Michel Archambault qui me les a remis.
Je publierai donc ici le plus régulièrement possible ces courriers après une présentation rapide de Raoul Bloch

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Raoul Bloch est né à Auxerre ( Yonne) le 11 avril 1872
Elève du collège d'Auxerre
Elève à l'école des Hautes Etudes Commerciales 1889-1891
Service militaire à Sens 1893-1894
Entré à la maison Gompel et Cie 1892
fondé de pouvoirs en 1895
Président du conseil d'administration et administrateur délégué principal de la SA Paris-France
Conseiller du commerce extérieur 1904
Vice-président du conseil d'administration de la Société Française des Magasins modernes
Vice-président du conseil d'administration de la Société Paris-Maroc
Président du conseil d'administration de la Société de l'Hôtel Excelsior de Casablanca
Vice président du conseil d'administration de la Société de Chaux, Ciments et Matériaux de construction au Maroc.
Président de la Société Internationale d'Etudes et de Travaux Publics au Maroc
Mobilisé comme Lieutenant d'Infanterie Territoriale , service des Etapes, Etat Major du 6e corps d'armée
Passé sur sa demande au 306e Régiment d'Infanterie, lieutenant à la 21è compagnie, novembre 1914
Promu capitaine au 306e, 21è compagnie le 07 mars 1915
Tué le 12mai 1916 devant Verdun
Cité à l'ordre du jour de l'armée le 10 juin 1916
"Désormais je sais enfin que tous ces morts, ces Français et ces Allemands, étaient des frères, que je suis leur frère" Ernst Toller
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jef52
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

14 août 1914 - Aux siens
Combien j'aimerais mieux être au front avec toutes ces troupes admirables qui, malgré une chaleur affreuse, marchent, se battent, et arriveront à triompher
J'ai bien réfléchi, je t'assure, et un combat violent s'est livré en moi pour tous les motifs que tu devines. Ce n'est ni la recherche de la gloire, ni le désir de paraître, tu me connais assez; j'obéis à un sentiment profond qui me semble comme la voix de nos parents qui me dit qu'à mon âge, valide, énergique, on doit courir sus à l'ennemi qui a gâché tout dans le monde depuis quarante-quatre ans, qui a causé en France tant de tristesses et qui, à l'heure actuelle, soulève le monde d'indignation et de colère. J'en ai vu et combien de mon âge passer dans les trains, officiers et soldat, et je me suis demandé ou était mon devoir. Je puis rendre des services partout, je le sais, j'en ai la bonne volonté et le désir, et j'y réussirai. Je sais qu' à un moment donné nos convois sur route et nos gîtes d'étapes seront très visés par l'ennemi, mais je ne le crois cependant pas, car je suis persuadé qu' à un moment donné ce sera chez eux la déroute.
Pour cela il faut le concours de tous les hommes valides unis dans un suprême effort, c'est ce qui m'a conduit à faire ma demande à tête reposée, sans emballement. Si on n'y donne pas suite, j'en serai mortifié plus qu'on ne peut le penser, mais je ferai mon devoir, tout mon devoir là ou je serai contraint de rester.
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jef52
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

17 août 1914 - Aux siens
Je sais bien que, d'ici peu, nous aurons beaucoup à faire, trop même pour un cadre d'officiers et d'hommes relativement restreint pour le gros effort qui sera demandé, mais de savoir tant d'hommes déjà engagés, c'est pour moi un véritable crève-coeur. J'ai télégraphié à P. à deux reprises, le suppliant d'intercéder au Ministère pour qu'on me fasse partir avec un régiment, et je suis sans nouvelles. J'en suis réellement navré à pleurer. Chaque fois que je vois des troupes passer ici, je me désole de rester jusqu'à présent en réserve. J'ai demandé à trois colonels de me prendre, deux manquaient d'officiers de réserve, ils n'auraient pas demandé mieux de m'emmener, mais, sans ordres supérieurs, rien à faire. Je t'en prie, dis à P. de s'en occuper; des masses de régiments de réserve sont encore à partir; dis-lui d'insister. Au besoin même j'irai rejoindre un des régiments qui aura été décimé et privé de la plupart de ses officiers. Je me ronge d'être ou je suis, je sais fort bien que j'y serai utile mais enfin, à 40 ans, on peut faire mieux!
Tous les officiers supérieurs savent mon désir ardent de me mettre dans le rang, mais je sens qu'ils désirent, eux, me garder; si P. pouvait réussir, ce serait pour moi un véritable bonheur. Je t'en supplie téléphone-lui. Je sais que dans un régiment je rendrai de réels services; j'ai l'âme trempée et le coeur d'aplomb. Je suis certain que j'entraînerai mes hommes avec honneur et courage. A mon âge on ne peut me laisser en réserve, c'est une véritable humiliation en pareil moment.
Dans ma première dépêche, datant de jeudi, je lui disais de ne pas te parler de ma démarche, mais je sais qu'au fond du coeur tu m'approuveras et que nos parents ne penseraient pas autrement. Je te demande comme une grave et profonde prière d'insister auprès de P. ; s'il ne peut rien, j'en appelle à R.qui ne me refusera pas de s'en occuper.
J'ai vu, la rage réellement au coeur , passer des officiers de mon âge, et même beaucoup plus âgés que moi , dés les débuts . Pourquoi ne dois-je pas aussi être employé dans les débuts? S'il le fallait j'irai jusqu'à rendre mes galons et je prendrai le sac. J'espère ardemment l'ordre que j'attends de tous mes voeux
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jef52
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

17 octobre 1914 - Aux siens
J'ai tellement honte réellement de me voir ainsi, qu'à partir de demain je reste dans ma chambre, pour ne pas être mêlé aux divers officiers que l'on rencontre oisifs dans les rues.
J'ai prévenu ce matin que si cette situation durait, je demanderais à rejoindre mon ancien régiment, le 82e, qui est actuellement à Varennes, en Argonne, près de Sainte-Menehould. Il fait partie du 5e Corps qui est dans l'Argonne et la Woevre. Je trouve que c'est infamant, à 42 ans, solide, vigoureux de corps et d'âme, de rester aussi inutile, alors que le pays demande à tous l'effort maximum.
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jef52
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

A Mademoiselle B.V.
Troyes 27 octobre 1914

Chère Mademoiselle,
Votre bonne lettre du 24, reçue ce matin, m'a fait infiniment plaisir; elle me prouve, une fois de plus, l'affectueux dévouement que vous m'avez toujours montré depuis les longues années que nous travaillons ensemble.
J' ai bien réfléchi, croyez le bien, à tout ce que vous me dites, mais il faut être, comme je l'ai été à maintes reprises, bien près du front, à Châlons récemment encore pendant un mois, pour comprendre les pensées qui peuvent venir au cerveau. Je suis de sang-froid, vous le savez; c'est après mûre réflexion qu'en août déjà, à deux reprises, j'ai demandé officiellement, voyant l'hécatombe d'officiers ( nous ne savions pas nous battre à ce moment!) , à rejoindre la ligne de feu. C'était le gros moment d'anxiété, je n'ai pas eu de réponse.
A l'heure actuelle, le manque d'officiers se fait sentir cruellement; dans maints régiments, on fait bien de l'avancement mérité sur place, mais les vides sont grands. Je vois partir au front des régiments de territoriaux avec des officiers, presque tous de 38 à 50 ans, officiers de toutes classes, de toutes situations, à peu près tous pères de famille. Dans la réserve, nombreux sont ceux de mon âge. Et pendant ce temps, depuis huit jours, je suis inoccupé, alors que le plus impérieux des devoirs est de donner le maximum au pays. Ce faisant, je concours à la défense de la patrie, de mes concitoyens, de mon foyer, de ma famille, des affaires dont je m'occupe. Je sais, un lieutenant n'a pas d'influence sur la guerre et sur les opérations, mais c'est un fils de France qui apporte comme le petit soldat sa force, son énergie et son enthousiasme. Un lieutenant quelquefois, un sous-officier, un soldat même ont apporté maintes fois un concours important à une opération. A Donchery, près Sedan, d'où j'étais très près, en août, un sous-lieutenant près d'un pont avec ses 50 hommes, a sauvé deux régiments et leur a permis de traverser la Meuse! C' est l'effort de tous et l'esprit de sacrifice de tous qui donnent ces résultats magnifiques de cette terrible campagne.
Le vrai devoir en ce moment est le grand devoir envers la France; il prime tous las autres; c'est pourquoi j'aspire ardemment à avoir enfin l'autorisation de l'accomplir, de plus âgés peuvent faire mon service qui a eu cependant ses heurs de danger et de grosse activité. Je puis faire plus, je dois tenter de le faire. La plus grosse mortification qui pourrait m'arriver serait le refus qu'on opposerait à ma demande, j'espère ne pas avoir cette triste déconvenue.
Nous vivons des heures critiques, angoissantes, mais merveilleuses pour la France qui sortira victorieuse de cette lutte titanesque. Ce sera long, des mois et des mois, avant qu'on ait réduit ces bandits admirablement organisés pour leur oeuvre de mort et de destruction; mais lorsqu'ils seront écrasés, quelles ruines d'abord et de suite quel essor nouveau de tout en France et dans le monde, et quel soupir de soulagement de voir la Bête finalement morte!
J'ai bien réfléchi, toutes mes réflexions n'ont pu me détacher de ce que je crois être mon grand et vrai Devoir. Me laissera-t-on l'accomplir? Je le souhaite de tous mes voeux.
Au revoir, Mademoiselle, merci de votre lettre et croyez à toute mon amitié.

P.S. Inutile de vous dire que je n'ai parlé de rien à Mme Raoul; inutile de l'inquiéter si la réponse est négative, et il sera temps de lui dire si elle est ce que je souhaite, c'est-à-dire affirmative.
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

29 octobre 1914 - A ses frères et soeurs

De suite, j'ai compris ou était mon réel devoir; de là mes demandes au ministère dès le mois d'août restées sans réponse, ou du moins je le croyais, comme vous allez le voir.
Récemment, c'est-à-dire il y a 20 jours environ, on a scindé complètement le service: D'un côté celui des chemins de fer ( ravitaillement, voies ferrées, évacuations etc...), de l'autre celui des étapes. J'ai été classé, je ne sais pourquoi, dans le second: c'est-à-dire celui qui n'aura pas grand chose à faire de toute la campagne. C'en était trop, et de suite j'ai adressé ma demande pressante au ministère. Hier, je reçois le télégramme ci-après :
" Après recherches avez été affecté 306e régiment d'infanterie, décision ministérielle 21 août, comprenons pas votre question actuelle"
Je n'avais reçu aucune lettre de service; mes supérieurs et sans doute le 306e aucun avis! Je consulte l'Officiel et, le 24 août, je lis: BLOCH ( sans prénom), lieutenant de réserve ( alors que je suis territorial), du service des Etapes, est affecté au 306e régiment d'infanterie.
J'attends, je l'avoue, impatiemment de faire mon devoir comme je le désire et le comprends; comme Français et Juif je dois le faire doublement. Il faut au pays en ce moment tous ses hommes valides pour la défense les armes à la main; je suis dans un service qui peut se faire fort bien avec des hommes d'âge et moins ingambes, mon devoir est d'offrir mes services ailleurs.
Je ne suis que lieutenant, je n'influerai pas sur les opérations! Si tout le monde en dehors des chefs tenait ce raisonnement, qu'aurions-nous au front ? Et puis, un lieutenant énergique et de sang-froid avec sa petite section peut, dans certains cas, faire beaucoup et décider de l'issue d'un petit coin de combat. Or, il y a beaucoup de lieutenants décidés, déduisez-en la suite.
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jef52 »

9 novembre 1914- Aux siens

C'est donc la dernière lettre que je t'écris avant d'aborder le combat; je ne regrette pas le grand sacrifice que je fais au Pays qui a besoin de tous ses enfants et de tout leur dévouement. Sois vaillante comme je le suis et le serai, sans vantardise, sans témérité; je te l'ai promis et tiendrai ma promesse, je te l'assure. Je ferai simplement mon devoir de citoyen, d'époux, de père, de frère, comme tous ceux de notre famille qui, depuis trois mois, sauvegardent nos foyers. Tu sais que je ne démériterai ni d'eux tous, ni de mes aînés, ni de toi, ni de nos chéris. Quand je reviendrai, car je reviendrai, nous nous retrouverons dans notre nid si chéri, et nous serons tous les six doucement fiers et réconfortés du devoir accompli par le chef de famille qui aura simplement fait son devoir comme tant d'autres.
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

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jobdx
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

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Citation (visible aussi dans la FM): Croix de Guerre avec palme
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Re: Correspondance Raoul Bloch 1914-1916

Message par jobdx »

Extraits JMO du 306ème RI le 12 mai 1916 :
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