Patrice ayant cité une expression utilisée lors d'un interview donnée à une journaliste dans un autre sujet pour me mettre le pied à l'étrier, je me lance dans ce thème uniquement à partir de mon expérience. Loin de moi l'idée de sortir de mon chapeau une réponsez définitive à ce sujet qui n'est pas prêt de finir de passionner.
Devoir de Mémoire et devoir de savoir autour de la Première Guerre mondiale (j'insiste sur ce point)
D'abord, Patrice a posé la question : "Qu'est-ce que le devoir de Mémoire" ? L'obligation de se souvenir. Mais quel souvenir ? Pour nombre d'entre-nous (sur le forum), il s'agit de perpétuer le sacrifice, les souffrances de personnes qu'ils ont connu, de leur famille, ou de l'histoire qui leur a été transmise et qu'ils veulent transmettre à leur tour (étoffée vu les recheches entreprises).
Mais cette Mémoire se perd, la société oublie car nous oublions. Car comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, les faits qui nous intéressent ont 90 ans. Et comme je le disais à mes élèves, une partie des combattants de cette guerre sont nés exactement 100 ans avant eux et qu'ils avaient 14 ans en 1907 ! Quatre générations. Ajouté à une transmission de la mémoire familiale qui s'efface, qui ne se fait pas pour tant de raisons. Le devoir Mémoire a été le devoir de se souvenir d'un traumatisme (traumatisme pour la société mais aussi pour chaque famille, chaque individu). J'ai lu plusieurs fois sur le forum des témoignages de personnes qui se retrouvaient face à des membres de leur famille qui ne voulaient pas parler.
Et dans d'autres cas, les grands-parents ne veulent pas en parler de peur d'embêter les enfants. Cest pourtant par là que commence le souvenir. Quand j'invite mes élèves à voir leurs grands-parents ou leurs arrière grands parents quand ils ont la chance de les avoir, je vois bien que cela n'a jamais été fait sur ce sujet. Pour être honnête, dans certains cas, ils n'ont pas forcemment envie d'entendre les vieilles histoires ; nous savons les regrets que certains auront plus tard. Problème de génération assez logique à mes yeux. Pour leur parler de l'Histoire récente, je leur dis souvent "dans la Préhistoire". Je n'utilise pas ce mot au sens correct, mais dans le sens "ces moments que vous n'avez pas connu puisque vous n'étiez pas nés" sans sous-entendus ; Bientôt les élèves qui arriveront en 3e ne sauront plus ce qu'est le 11 septembre. Alors quand je leur explique que j'ai vu la chute du mur de Berlin à la télévision, pour eux cela n'a rien de spectaculaire. On vit beaucoup au présent et dans le futur (surtout pour les plus jeunes) et le passé, c'est la référence de ce qui n'est pas bien, l'époque de leurs parents par exemple. D'abord "où on va ?" avant de voir "d'où on vient ?" ; A 14 ans, on leur demande déjà le métier qu'ils veulent faire. L'expérience de la vie fera ensuite son oeuvre.
Et voilà des générations qui n'ont pas oublié mais plus simplement qui ne savent pas, alors que ce sujet est encore si sensible, nous tient tant à coeur. Le problème n'est plus de transmettre une Mémoire, mais bien que ces nouvelles générations sachent. Certains y trouveront motif à se passionner, comme nous. La majorité saura au moins ce que cela représente.
Devoir de Savoir : devoir car ce n'est pas une simple guerre, elle a modelé des pans de notre société, elle a changé beaucoup de choses, elle a été un traumatisme. Savoir car ne pas la connaître c'est déjà ne pas comprendre beaucoup d'éléments de notre environnement quotidien.
Qu'on le veuille ou non, tant qu'il y aura des survivants de cette guerre, elle ne sera pas encore totalement dans le passé, elle gardera une place particulière. Ensuite, sans vouloir jouer les madames Soleil, elle gardera une place particulière car elle est extrêmement documentée en images par exemple (support n°1 des nouvelles générations). Et quand je vois l'intérêt qu'elle suscite chaque année chez les élèves, même s'ils ne se souviendront pas de tout, ils sauront.
Et avant qu'on nous tape dessus (les enseignants) sur le manque de résultats dans la transmission de la mémoire, je rappellerai que l'éducation ne se fait pas qu'à l'école : elle se fait dans la famille, dans la société (qui par l'intermédiaire de l'Etat fixe nos programmes) et à l'école. La place de l'école est centrale j'en conviens. On pourra me sortir toutes les perles d'élèves qu'on voudra avec condescendance, on oubliera systématiquement que cela ne représente qu'une minorité de personnes. Mais, comme dans les reportages sur le 11 novembre évoqués récemment, il faut du spectaculaire. Je suis d'un naturel optimiste.
Voici les programmes officiels de troisième sur notre thème : Après avoir situé chronologiquement les grandes phases ses conséquences (4 à 5 heures) militaires du conflit, on insiste sur le caractère total de cette guerre (économie, société, culture),sur les souffrances des soldats et les difficultés des populations.
Le bilan de la guerre inclut les révolutions de 1917 en Russie, la vague révolutionnaire qui suit et son écrasement.
Voici les accompagnements officiels du programme de troisième sur notre thème : La Première Guerre mondiale et ses conséquences
On doit renoncer au récit chronologique des phases du conflit et privilégier la mise en évidence de ses grandes caractéristiques : son aspect total et la brutalisation des rapports humains qu’il a impliquée. Cela permet de faire comprendre, par delà les conséquences plus immédiates de la guerre, étudiées dans son bilan, sa résonance profonde et traumatique sur le siècle qui commence. La notion de brutalisation (mal traduite du terme anglais brutalization que le néologisme « ensauvagement » aurait mieux fait comprendre) reflète la place fondatrice de la violence liée à la guerre. Des recherches récentes ont mis en évidence cette violence d’un conflit marqué par le premier génocide du siècle, celui des Arméniens, et pendant lequel, pour la première fois en Europe, s’ouvrent des camps de concentration ; cette pratique, partagée par tous les belligérants pour les ressortissants de pays ennemis, atteint des groupes entiers de population (tels ces Français et surtout ces Françaises de la région de Lille qui ont été déportés en Prusse orientale). Si l’extermination des Juifs et des Tziganes n’est pas directement issue de la Première Guerre mondiale, certains des hommes qui ont vécu ce conflit deviennent capables d’appliquer une haine exterminatrice : à deux reprises, en 1931 et en 1939, Hitler invoque la déportation des Arméniens pour justifier sa politique antisémite. Il faut donc envisager le conflit dans son aspect fondateur d’une violence totale (totalitaire ?) qui marque le XXe siècle.
Ma conclusion est qu'avec le temps, on voit de plus en plus les événements du passé comme des faits historiques déshumanisés puisque nous n'avons pas connu leurs acteurs. Observons le souvenir de la guerre de 1870 ou même des guerres napoléoniennes (et leurs commémorations !). Alors passons autant que possible les souvenirs de famille pour qu'ils ne se perdent pas ; et quand j'écris cela, c'est aussi à chacun de nous de parler de ce que lui a vécu personnellement car nos parcours sont aussi un morceau, certes infime, de cette grande Histoire. Mais je ne vais pas développer, je deviens hors sujet.
Si mes propos ont pu choquer ou ne sont pas toujours clairs (pas facile de s'exprimer sur ce sujet clairement), n'hésitez pas ! Et je le répète, ce n'est que le fruit de ma vision des choses qui n'attend que d'être précisée, critiquée.
Et que les graines semées, comme disait Mireille, poussent. Je suis aussi optimiste.
Pour aller bien plus loin que mon intervention précédente, je vous invite à consulter le site du CRDP de l'académie de Champagne-Ardennes. Vous y trouverez un dossier très complet sur Enseigner la Mémoire, problématique et enjeux de mémoire.
Cette rubrique a été créée et est actualisée par Jean-Pierre HUSSON. Elle développe tous les thèmes qui intéressent ce sujet de manière extrêmement complète et argumentée (chaque question a une réponse qui s'appuie sur des sources citées intégralement). A mon sens, incontournable sur le thème de la Mémoire. Certes, certaines parties s'adressent spécifiquement aux enseignants et d'autres portent sur la Seconde Guerre mondiale et la guerre d'Algérie, mais les problématiques étudiées intéresseront tout de même les intervenants de ce forum.
Voici les thèmes étudiés :
Que signifie enseigner la mémoire aujourd'hui ?
Quelles mémoires doit-on enseigner ?
Les mémoires blessées, occultées ou refoulées
Le rôle des enseignants dans la transmission de la mémoire
Les historiens confrontés au « devoir de mémoire »
Judiciarisation du passé, lois mémorielles et crise d'identité nationale
La spécificité de l'enseignement de l'histoire et de la mémoire
De la mémoire des deux guerres mondiales à la mémoire de la guerre d'Algérie
Voici quelques exemples de problématiques abordées dans ces rubriques :
Quels rapports y a-t-il entre le « savoir savant » élaboré par la communauté scientifique des historiens et la transmission de la mémoire ? entre histoire et commémoration ?
Quelle est la portée réelle des commémorations dans les classes ?
Quel est l'intérêt pédagogique des voyages scolaires sur les lieux de mémoire ?
Qu'est-ce qui doit être prioritaire pour les enseignants ?
- Enseigner l'histoire ?
- Faire des élèves de nos classes des citoyens responsables ?
- Commémorer ?
- Transmettre la mémoire ?
Les historiens confrontés au « devoir de mémoire »
Comment les professeurs d'histoire de collège et de lycée se situent-ils par rapport au « devoir de mémoire » ?
« Devoir de mémoire » ou « travail de mémoire » ?
Se mettre à niveau sur le plan scientifique et enseigner l'histoire
Le rôle respectif des témoins, des historiens et des enseignants
La question n'est pas "quel était l'objectif" on le comprend facilement en lisant , mais plutôt comment Frédéric est tombé sur un blog d'ado ! C'est un journal perso d'une ado de 17 ans !!! Pas une page sur ce qu'elle a pensé de sa sortie à Verdun ! Ne vous effarouchez pas comme ça. "Ensuite direction le fort de Douaumont. (...) Je sais pas comment les soldats faisaient pour vivre dedans." , il n'y a pas le bon rose dans les couleurs du forum...
"Ensuite direction l'ossuaire (impressionnant le cimetière) et la ville morte." Evidemment on aimerait qu'elle dise plus qu'elle est impressionnée (l'ossuaire a dû avoir son effet, tout comme le cimetière), mais on voit ici toute la difficulté d'enseigner aux adolescents. Nous sommes en concurrence avec les loisirs, les copains et "Lui" !
Je sais par avance, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, pour une partie des élèves que nous emmenons en sortie pédagogique, c'est l'occasion de ne pas être à l'école, d'être avec les copains, de faire un voyage. Mais il y en a beaucoup (la majorité à mon avis) d'autres pour qui c'est une vraie découverte, qui vont beaucoup apprendre de ces sorties et qui resteront marqués (combien d'entre-vous se souviennent de leurs sorties scolaires ? Quand j'ai l'occasion d'en discuter avec des adultes, Verdun et la Normandie sont des souvenirs forts bien des années après, plus que le contenu de ce qui leur a été enseigné).
Je termine pour dire que, malgré certaines manières toujours peu académiques chez cette jeune, c'est drôlement bien écrit.
Et ne voyez pas mon intervention comme du laxisme ou un fatalisme quelconque. Si on ne fait rien, rien ne change, c'est évident. Mais on part trop souvent d'un exemple pour en faire une généralité surtout sur les sujets qui nous tiennent à coeur. Après on a l'impression d'être un "vieux con" car les jeunes aujourd'hui... ils parlent plus de leurs centres d'intérêt dans leurs blogs, ce qui ne veut pas dire qu'ils se désintéressent du reste, de notre sujet pas plus d'ailleurs. Ils en parlent moins, et les graines chez certains germeront plus tard... comme pour nous.
Bonjour
V'zêtes durs, il y a longtemps que vous avez été jeunes ???? Bin alors pas assez pour commencer à regretter, y compris les c.....ies (et je ne parle pas des émois) qui vont avec ! Il me semble qu'il y a un fil sur les v..x c..s : logique : en vieillissant on reprend plaisir aux c...ies) il faut dire qu'elle n'a pas vraiment été aidée :
Déjeuner dans un gymnase à Verdun. Super...Il faisait beau et on va s'enfermer dans un gymnase o_0 Va chercher l'erreur. On a pu quand même en profiter un peu, avec le fleuve/lac/ruisseau et les canards ! Après direction la citadelle de Verdun. A l'intérieur nous attend un petit manège.
C'est la faute de personne, mais bon il a fallu tomber sur ce blog, puis lire ... c'est comme quand j'ouvre la télé sur Les feux de l'amour !! Rogntudjuu !
Cordialement
Alain
PS : la couleur utilisée est #BF89AA
Voilà ce que j'ai vécu aujourd'hui et je voudrai vous en faire part, collant bien avec se sujet :
accompagnant et guidant un groupe scolaire pour une visite des champs de bataille, je discute auparavant avec leur prof d'histoire qui avait fait un travail remarquable de préparation de la visite, nous nous arretons un peu plus tard dans un cimetière allemand dans lequel j'explique, je leur montre et livre des anecdotes et je sens ce groupe vraiment captivé par ce que je dis, posant des questions, j'ai alors cette sensation (certains profs vont me comprendre) que quelque chose se passe à cet instant, quelque chose de difficillement définissable... comme une sorte d'osmose entre eux et moi. Plus je continuai, plus je sentais cela.
Leur prof, visiblement touché aussi, me remercie et propose une minute de silence... et là, au milieu des croix noires , sous la pluie et le vent, le silence fût un moment remarquable : j'ai vu des larmes, oui j'ecris bien des larmes couler chez ces jeunes de 14 ans !
Bien sur cela ne se passe pas comme ça avec tous les groupes scolaires, loin de là, mais j'espère simplement que j'aurai l'occasion de revivre des moments comme aujourd'hui !
Est-ce-cela le devoir de mémoire, je ne sais pas.
Je voudrai aussi remercier les enseignants, je crois nombreux ici, eux qui sont si souvent critiqués et accusés de tous les maux, et bien certains sont vraiment remarquables.