4 décembre, 93 ans que le caporal Floch, les soldats Blanchard, Durantet,Gay, Pettelet et Quinault sont morts en martyr à Vingré. Ce matin, à 7h30, notre pensée allait vers eux et certains étaient présents devant le petit monument.
Honneur à eux et tous leurs camarades fusillés pour l'exemple. Cette année, ma pensée va vers le Lt Chappelant fusillé injustement au bois des Loges et dont la Mémoire n'a jamais été lavée, et dont la terre qui porte sa souffrance va être transformée en poubelle;
J'ai honte.
Jean Luc Pamart
Vingré
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Bonsoir
Tout est dans le regard.
Merci pour eux. Merci à eux

Cordialement
Jérôme Charraud
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Jérôme Charraud
Les 68, 90, 268 et 290e RI dans la GG
Les soldats de l'Indre tombés pendant la GG
"" Avançons, gais lurons, garnements, de notre vieux régiment."

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- Gilles ROLAND
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Re: Vingré
Bonsoir,
Pour ceux qui n’y sont pas allés, le panneau d’information
Cordialement
Gilles [:gilles roland]
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Cordialement
Gilles [:gilles roland]
-Ca sent le macchab, dit Le Moal. -J’te crois, y en a plein par ici. Jean Berthaud « 1915 sur les Hauts-de Meuse en Champagne »
VESTIGES.1914.1918 MAJ le 10 novembre 2015
VESTIGES.1914.1918 MAJ le 10 novembre 2015
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Re: Vingré

Bonsoir Jean-Luc,
Chapelant est là, tous les jours, au-dessus de ma table à dessins...
Amicalement,
Stéphan
-
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Re: Vingré
Stéphane, quelle émotion devant son portrait, que je ne connaissait pas. Quelle en est la source?
- Stephan @gosto
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Re: Vingré
Bonsoir Jean-Luc,
***Quelle en est la source ?***
Tu dois l'avoir dans ta bibliothèque, en face de la cheminée
"En avant ! Capitaine Lionel Lemoël. 1914-1916", Alan Sutton, 2004.
J'avais fait ce dessin pour Didier Guénaff ; tu le retrouveras reproduit en page 172.
Amicalement,
Stéphan
***Quelle en est la source ?***
Tu dois l'avoir dans ta bibliothèque, en face de la cheminée

"En avant ! Capitaine Lionel Lemoël. 1914-1916", Alan Sutton, 2004.
J'avais fait ce dessin pour Didier Guénaff ; tu le retrouveras reproduit en page 172.
Amicalement,
Stéphan
Re: Vingré
Chapelant
( texte tiré d'un cahier tapé à la machine à écrire par un officier )
La seule condamnation du lieutenant Chapelant, évoquée dès le moins de mai 1920 par le Progrès Civique, suffirait à déshonorer les cours martiales.
Le 7 octobre 1914, le 98e de ligne, commandé par le lieutenant-colonel Didier, se trouve engagé dans une action devant le bois des Loges.
Le lieutenant Chapelant, chef de la section de mitrailleuses du régiment, occupe une position au nord du village de Roye, près de la voie ferrée, avec la 3e compagnie, commandée par le capitaine Rigaud.
À 5 heures du matin, après un violent bombardement, la section Chapelant aperçoit à 100 mètres un détachement d'artillerie allemande. Les "moulins à café" sont mis en action. Les fantassins ennemis reculent ; mais ils reviennent bientôt avec des renforts considérables.
Une des deux mitrailleuses françaises est bloquée.
Par une poussée générale, l'ennemi déborde à droite et à gauche la tranchée où se trouve Chapelant.
"Dès ce moment, me raconte un de ceux qui vécurent ces heures tragiques, nous recevons des balles de tous les côtés. La mitrailleuse que je servais continue sa besogne. Mais bientôt deux projectiles la mettent hors d'usage. J'en rends compte au lieutenant qui me répond : défendez-vous avec vos mousquetons. Hélas ! Nous n'avions plus de munitions. Nous étions, en outre, très inférieurs en nombre. La situation devient de minute en minute plus critique. On apprend que le capitaine Rigaud a été tué, que les hommes de la 3e compagnie ont été capturés. Chapelant sort de la tranchée pour voir ce qui se passe. Plusieurs camarades le suivent. Ils sont cernés par un fort détachement allemand et faits prisonniers. Une balle blesse Chapelant au genou. Les mitrailleurs Peillon, Mortan, Bost réussissent à s'évader."
Ce court récit, il faut le dire tout de suite, est conforme dans ses grandes lignes à celui de tous les témoins de cette mêlée confuse.
L'un d'eux, M. Boiteux, caporal-armurier à la section de mitrailleuses commandée par le sous-lieutenant Chapelant, écrivait le 14 avril 1916, au père du malheureux officier :
« Je réponds à votre lettre en m'efforçant de vous dire ce que je sais sur votre fils, le sous-lieutenant Chapelant du 98e R.I., sur les faits du 7 octobre 1914.
J'étais mitrailleur armurier dans la section que commandait votre fils.
Depuis le 5 octobre, nous étions en position avec nos mitrailleuses, près de la voie ferrée de Beuvraignes, en avant du château des Loges. Le 7 octobre, dès la première heure, nous subîmes un bombardement très violent des Allemands ; et, vers 5 heures du matin le bombardement cessa subitement. À ce moment, nous nous rendîmes compte que l'infanterie boche était à environ 100 mètres en avant de nos positions. Nos mitrailleuses aussitôt mises en action arrêtèrent par leur feu l'avance des Boches. Cet arrêt ne fut que momentané, car les Boches revinrent en plus grand nombre.
À ce moment, nous avions une mitrailleuse de bloquée, ne fonctionnant plus. Les Boches, faisant une poussée générale, débordèrent en la dépassant aux deux extrémités, la tranchée où nous étions, nous coupant ainsi toute retraite, à environ 25 mètres en avant. Le sergent major qui commandait une section de la 3e compagnie se trouvait à environ 30 mètres de l'endroit où nous étions. Il envoya un pli au lieutenant lui disant que les Allemands étaient dans le village.
Le lieutenant lui fit répondre d'envoyer un homme auprès du colonel pour prendre des ordres. Le sergent major lui répondit qu'il en avait envoyé un, mais qu'il avait été tué en route, ce à quoi le lieutenant lui fit dire d'en envoyer un autre mais déséquipé.
C'est à ce moment que les Boches qui occupaient la position indiquée plus haut s'apprêtaient à nous cerner. Une seule de nos mitrailleuses continuait à tirer : c'était celle de votre fils. Mais à la suite d'un éclat d'obus reçu, cette pièce fut bloquée à son tour, et nous ne pouvions plus tirer.
Les Boches nous firent signe qu'il fallait nous rendre. Le lieutenant sortit seul de la tranchée pour se rendre compte de la situation, et c'est alors qu'il fut blessé par une balle allemande, se trouva sur le talus du chemin de fer et il tomba.
Mes camarades mitrailleurs, Mortan, Bost, Peillon et Monnier qui voulaient sortir de la tranchée, furent aussitôt faits prisonniers, et les Boches renvoyèrent Mortan pour dire à ceux des nôtres qui restaient encore qu'il fallait se rendre. Mortan resta avec nous et personne ne se rendit. Bost, qui était prisonnier des Boches, réussit à leur échapper le même jour pour venir nous rejoindre vers une heure de l'après-midi, et Peillon leur a échappé pour nous rejoindre le même jour à la faveur de la nuit.
Voilà les faits.
------
Le soir même, le lieutenant-colonel Didier réunit les débris de la section de mitrailleuses, neuf hommes en tout, pour la réorganiser.
"Il est impossible de reconstituer le groupe, observe le caporal Pellardy. Le lieutenant est blessé, le sergent est tué.
- Formez une équipe d'une pièce, répond le lieutenant-colonel, qui ajoute dans une crise de rage : "quant au lieutenant, il s'est conduit en lâche. Il est chez les Allemands, qu'il y reste ! Cela vaudra mieux pour lui."
Cet officier supérieur s'était mis en esprit que Chapelant avait capitulé devant l'ennemi.
Dans la soirée, à un de ses subordonnés qui lui demandait les nouvelles de l'action, dont la fin avait été heureuse pour nous, il répondait :
"Sans ce cochon de Chapelant, ce serait le plus beau jour de ma vie. On a tiré sur lui et ses hommes au moment où ils se sont rendus. Chapelant a été blessé par une balle française. Il n'a qu'à crever comme un chien."
------
En fait, Chapelant, au moment même où ses chefs l'accusaient de lâcheté, n'avait qu'une préoccupation : échapper aux Allemands pour retrouver ses camarades.
Et il y réussit malgré sa blessure.
Le 8 octobre, le lieutenant-colonel Didier est informé qu'on a vu le lieutenant Chapelant, blessé, sur le terrain.
"Qu'on aille le chercher ! ordonne-t-il, je le ferai fusiller pour exemple. "
Dans la matinée du 9 seulement, c'est-à-dire après qu'on ait laissé le blessé une nuit entière là on l'avait aperçu la veille, les brancardiers Coutisson, Sabatier, Goulfes vont le ramasser. Ils le trouvent étendu à 50 mètres environ de la voie ferrée. Chapelant est épuisé. Péniblement il raconte qu'il a profité du brouillard pour s'évader. Mais ses forces l'ont trahi. Il n'a pu se traîner jusqu'à nos positions.
On le porte tout d'abord au poste de secours, à 600 mètres en arrière, puis en le conduit à l'ambulance du Plessis, à environ 4 km des Loges.
Pour ne pas perdre de temps, le lieutenant-colonel Didier donne l'ordre de l'amener, le jour même, au château des Loges où il doit subir un premier interrogatoire.
Le soldat Bierce retourne donc au Plessis, et Chapelant, à qui chaque mouvement arrache un cri de douleur, est transporté au château.
Dans la cour, le lieutenant-colonel attend.
Il aperçoit le tombereau dans lequel le blessé est étendu.
Il s'avance et questionne Bierce.
"Qu'amènes-tu là, toi ?
- le lieutenant Chapelant, mon colonel.
- comment dis-tu ? Le lieutenant ! Ce n'est pas un soldat ! C'est un lâche !"
Le blessé est immédiatement conduit dans une pièce, où autour du colonel, plusieurs officiers sont réunis.
Que se passe-t-il alors ?
Nul n'a pu le dire.
Tandis que les infirmiers le reconduisaient au Plessis, Chapelant prononce cette seule phrase : "pourquoi le colonel ne menace-t-il de me faire fusiller ? J'ai cependant fait tout mon devoir."
Le lendemain, le lieutenant, toujours couché sur son tombereau, refait le trajet entre l'ambulance et le château.
Cette fois Bierce entend le colonel l'injurier, le traiter de lâche, lui dire :
"Tiens, voilà mon revolver. Brûle toi la cervelle pour ne pas prouver ta lâcheté une seconde fois !
- je n'ai pas à me brûler la cervelle, puisque je suis innocent."
------
Comment a été conduite l'instruction contre le lieutenant Chapelant ?
Une pièce se trouve dans le dossier – qui est actuellement aux archives du ministère de la guerre – va nous le dire.
C'est un morceau de papier jaune, sale, chiffonné, écrit au crayon.
On y lit :
Le 7 octobre, vers douze heures, le sergent C... était dans la même tranchée que moi. À un moment donné, il a fait passer un papier disant que les Allemands avaient occupé le village. Je lui ai fait une demande (sic) : en êtes-vous bien sur ?
- R. c'est ce qu'on me dit de la droite de la tranchée ;
Je lui dis : c'est un compte rendu au colonel relatant la mort du capitaine Rigaud, le nombre de vos tués et blessés, et l'état moral de vos hommes. Le gradé et les hommes qui le porteront s'assureront si le village est occupé. Je ne sais pas si le gradé y est allé. Le sergent major transmet à nouveau que le village est occupé par les Allemands et que le colonel allemand demandait à voir le commandant de la tranchée.
Alors je lui ai dit : faites ce que vous devez faire. Puis toute la compagnie partit vers les lignes allemandes. Mes hommes (mitrailleurs) m'ont dit : "la compagnie se rend."
Alors j'ai dit : suivons ! !
Nous avions jeté nos armes.
Le capitaine allemand qui causait français nous a fait coucher, puis a dit : si vos camarades ne se rendent pas, je les fait (sic) attaquer par deux bataillons. Un sergent de la 3e compagnie est allé voir s'il restait encore du monde dans la tranchée évacuée ; je ne sais pas ce qu'il est advenu.
À gauche de la voie ferrée et à 50 mètres, se trouvait une tranchée française occupée par une dizaine d'hommes ; il fit sortir deux d'entre nous pour leur faire signe de se rendre. Comme ils ne bougeaient pas, il appela le lieutenant ; je me présentai. Il me dit d'aller vers les deux hommes et d'agiter le mouchoir, ce que je fis ! !
À ce moment, je fus blessé et je me mis à l'abri derrière la voie ferrée de la tranchée allemande. Les autres étaient derrière la ligne allemande ; je ne sais pas ce qu'ils sont devenus.
Hier matin deux hommes valides qui étaient restés sont passés dans les lignes françaises ; ils ne m'ont pas emporté.
Les Allemands ont réoccupé leur tranchée dans la journée. Le soir ils attaquèrent et furent repoussés, et ce matin j'ai rejoint (avec un homme) (ceci en surcharge) la 3e compagnie en me traînant vers les lignes françaises.
Lu et approuvé conforme à mes déclarations textuellement enregistrées.
J. CHAPELANT E. GRAPIN
Dans l'angle gauche, en haut et en travers, cette date :
"9 octobre 17 heures."
Ce document n'est pas de l'écriture de Chapelant.
Mais quel était ce Grapin ? Aucun des témoins auxquels je m'adressai en 1921 ne pût me donner la moindre indication. Fort heureusement, à la suite de la campagne du Progrès Civique et de l'intervention de la Ligue des Droits de l'Homme, le Garde des Sceaux, au commencement de 1922, chargea la Cour d'Appel de Riom de procéder, aux fins de réhabilitation, à une enquête sur les circonstances de la condamnation du jeune officier. On pût ainsi établir l'identité du signataire de cette fameuse pièce sur laquelle se sont appuyés les juges militaires.
M. Grapin, capitaine à l'époque où se sont déroulés les faits, est maintenant chef de bataillon au 98e R.I. à Roanne. Entendu par voie de commission rogatoire, il a exposé dans quelles conditions avait été établi son rapport.
Je ne faisais point partie du 98e d'infanterie, au mois d'octobre 1914, lors de l'affaire Chapelant, a-t-il déclaré. J'étais alors capitaine à l'état-major de la 50e brigade d'infanterie comprenant les 16e et 98e régiments.
Le 7 ou le 8 octobre, le colonel Pentel commandant la brigade avait appris très sommairement par le lieutenant-colonel Didier, que le sous-lieutenant Chapelant était passé avec une trentaine d'hommes. Le matin du 9 octobre, le colonel Pentel, ayant appris que le sous-lieutenant Chapelant, blessé, avait été amené au poste de commandement de la brigade, prescrivit d'aller l'interroger, non pas comme officier de police judiciaire mais comme officier d’état-major, pour en obtenir des renseignements pouvant intéresser les opérations.
‘“Je me suis rendu en conséquence auprès du sous-lieutenant Chapelant que j'ai trouvé sur la paille, une jambe brisée. Je lui dis en l'abordant que le commandant de la brigade m'avait chargé de lui demander comment il avait quitté nos lignes et ce qu'il avait fait depuis ce moment jusqu'à son retour dans nos positions. Sur sa réponse qu'il était prêt à tout me raconter, je me suis mis en mesure d'écrire au crayon sur une simple feuille de papier, la teneur de ses déclarations.Je dois vous dire que dès le commencement de son récit, Chapelant m'a paru très déprimé, physiquement et surtout moralement, et qu'il n'a pas semblé se rendre compte de la portée et de la gravité de son récit.”
Il nous faut mentionner que la pièce fut rédigée par le capitaine Grapin, vers 9 ou 10 heures, derrière un pan de mur démoli et "sous le bombardement". Ceci explique certaines particularités notamment dans le style sans précisions. Sous le bombardement, on n'a pas, il faut bien l'admettre, le loisir de construire ses phrases, de les ciseler et d'en peser le sens d'une manière satisfaisante.
Un fait est donc acquis. Lorsque le capitaine Grapiet aussi l'officiern a entendu Chapelant, celui-ci était très déprimé physiquement et surtout moralement. Comme le fait remarquer l'un des conseils juridiques de la Ligue dans les cahiers du 10 août 1922, il faut admettre qu'il n'a pas eu conscience de ce qu'il a dit ; le capitaine a pu lui poser des questions auxquelles il a répondu sans comprendre
Revenons à la Cour martiale. Celle-ci se réunit le 10 dans une chambre du château des Loges. Le commandant Gaube préside, avec comme assesseurs le capitaine Raoux, le lieutenant Bourseau. Un tout jeune homme, le sous-lieutenant Lemoël, remplit les fonctions de commissaire du gouvernement.
Pour la troisième fois le tombereau transporte Chapelant aux Loges.
Aucun soldat n'assiste à l'audience.
Voici l'acte d'accusation :
1° - le sous-lieutenant Chapelant (sic) connaissait la mort du capitaine Rigault, lorsque circula le premier papier du sergent major G... et, étant le seul officier, n'a pas pris le commandement de la ligne de feu.
2° - le sous-lieutenant Chapelant n'a rien fait pour contre-balancer les assertions du sergent-major, ni pour empêcher de laisser circuler des papiers dont la lecture était déprimante pour une troupe dans le moral était déjà affaibli.
3° - le sous-lieutenant Chapelant s'est rendu à l'ennemi sans aucune pression de la part de cet ennemi, seulement parce qu'il avait vu une vingtaine d'hommes de la 3e compagnie qui agitaient des drapeaux blancs au milieu des lignes adverses.
4° - le sous-lieutenant Chapelant, sans aucune menace de la part de l'ennemi, n'a pas hésité à exhorter les soldats français restés fidèles au poste à se rendre.
L'accusé Chapelant ; le rapporteur près du conseil de guerre ; Lemoël; le greffier ; Rochard.
Aux Loges, le 10 octobre 1914.
Voyons maintenant le texte du jugement rendu.
13e CORPS D'ARMÉE
25e division, 10e brigade
98e régiment d'infanterie
Acte de jugement du conseil spécial de guerre du 10 octobre 1914
Le nommé Chapelant Jean - Julien - Marie, né le 4 juin 1891 à AMPUIS (Rhône), sous-lieutenant au 98e R.I., domicilié à Roanne,
Convaincu d'avoir capitulé en rase campagne en faisant poser les armes à sa troupe et en l'entraînant dans sa capitulation, sans avoir au préalable fait ce que lui prescrivaient le devoir et l'honneur.
Est condamné à l'unanimité des voix à la peine de mort avec dégradation militaire, par application de l'article 210 du Code de justice militaire.
Le chef de bataillon Gaube, président du Conseil de guerre.
Signé : Gaube
Le capitaine Raoux, juge le lieutenant Bourseau, juge
signé : Raoux signé : Bourseau
aux Loges, le 10 octobre 1914
G. Didier
L'arrêt ne porte la signature ni du rapporteur, nI du greffier.
Mais il est une troisième pièce bien étrange, c'est le procès-verbal de la séance du Conseil de guerre spécial :
IIIe ARMÉE, 13e CORPS D'ARMÉE.
25e division, 59e brigade
98e régiment d'infanterie
En exécution des prescriptions d'une note du général de division, du 10 octobre.
Les Loges, le 10 octobre 1914.
Procès-verbal de la séance du Conseil de guerre spécial du 98e, du 10 octobre 1914, concernant le sous-lieutenant Chapelant.
ACTE D'ACCUSATION
contre :
Chapelant Jean - Julien - Marie, né le 4 juin 1891, à Ampuis (Rhône), sous-lieutenant à Roanne.
Interrogatoire de l'accusé.
Or, sous ce titre : interrogatoire de l'accusé, que trouve-t-on ?
Le procès d'aveux du sous-lieutenant Chapelant ?
Non point.
On trouve uniquement l'acte d'accusation publié plus haut.
Puis :
d'après l'interrogatoire précédent, il résulte que les faits reprochés au sous-lieutenant Chapelant entraînent les conclusions suivantes :
1° - le sous-lieutenant Chapelant, étant le seul chef responsable de la ligne de feu d'après le troisième paragraphe de l'interrogatoire précédent, tombe sous le coup de l'article 210 du Code de justice militaire :
"tout général, tout commandant d'une troupe armée qui capitule en rase campagne est puni :
1 - de la peine de mort avec dégradation militaire si la capitulation a eu pour résultat de faire poser les armes à sa troupe ou si, avant de traiter verbalement, il n'a pas fait tout ce que lui prescrivaient le devoir et l'honneur.
2 - de la destitution dans les autres cas.
2° - d'autre part, comme suite au paragraphe 3 de l'interrogatoire, il résulte que le sous-lieutenant Chapelant s'est rendu coupable de provoquer ou favoriser la désertion et qu'aux termes de l'article 242 du Code de justice militaire, il doit être puni de la peine encourue par le déserteur lui-même (article 238 : est puni de mort avec dégradation militaire, tout militaire coupable de désertion à l'ennemi.)
Copies certifiées conformes
signée : Didier
…d'après l'interrogatoire !
ET IL N'Y A PAS D’INTERROGATOIRE !!!
Et on est réduit à mettre dans la bouche du sous-lieutenant Chapelant les allégations de l'accusateur !
Remarquons, d'autre part, que dans le procès-verbal, on précise deux chefs d'accusation :
1 - la capitulation en rase campagne, prévue et punie par l'article 210 du Code de justice militaire.
2 - la provocation à la désertion, prévue et punie par les articles 238 et 242.
Mais alors se pose une question : a-t-on communiqué aux juges le chiffon de papier des prétendus aveux ?
Si oui, il faut admettre qu'ils l'ont considéré comme sans valeur, puisqu'ils n'ont pas retenu une partie des faits avoués.
Si non, il faut admettre que les juges ont estimé ce document trop suspect pour en tenir compte.
Ou bien, malgré la date qu'il porte, n'avait-il pas été fabriqué encore ?
Enfin il reste à signaler le rapport du commissaire du gouvernement :
13e CORPS D'ARMÉE
98e d'infanterie
les Loges, 17 octobre 1914
Rapport du Commissaire du gouvernement, rapporteur au Conseil de guerre, concernant l'affaire Chapelant.
Le 7 octobre 1914, le sous-lieutenant Chapelant s'est rendu à l'ennemi entraînant sa troupe dans sa reddition dans les circonstances indiquées au rapport joint à l'acte d'accusation. À la suite de quoi, le lieutenant-colonel commandant le 98e ordonna la mise en jugement du sous-lieutenant Chapelant devant un Conseil de guerre spécial.
L'accusation reproche au sous-lieutenant Chapelant de s'être rendu à l'ennemi sans aucune pression de la part de celui-ci, seulement parce qu'il avait vu une vingtaine d'hommes de la 3e compagnie agiter des drapeaux blancs et d'avoir entraîné sa troupe dans les lignes adverses.
Chapelant reconnaît les faits et appose sa signature sur la pièce rapportant l'interrogatoire. Il allègue pour sa défense l'état de dépression extrême dans laquelle il se trouvait, ainsi que son isolement du régiment. L'accusation lui reproche de n'avoir pas essayé de se mettre en liaison et de n'avoir pas su résister aux bruits que faisait courir le sergent-major G... Comme conclusion d'enquête, le rapporteur conclut à la responsabilité du sous-lieutenant Chapelant, seul officier restant sur la ligne de feu et déclare qu'il tombe sous le coup de l'article 210 du Code de justice militaire.
Le rapporteur Lemoël.
Vu et transmis : les Loges, le 18 octobre 1914.
Le lieutenant-colonel Didier, commandant le 98e
signé : Didier
Cette pièce est datée du 17 octobre 1914. Elle a donc été rédigée sept jours après le jugement, six jours après l'exécution.
"Nous déclarons ne pas comprendre, écrivent les Conseils juridiques de la Ligue des Droits de l'Homme. D'après le code de justice militaire, le rapport doit être fait avant la mise en jugement."
COMMENT EXPLIQUER QUE, DANS CETTE AFFAIRE, LE RAPPORT AIT ÉTÉ FAIT UNE SEMAINE APRÈS ?
Voici une explication plausible : lorsque le dossier de l'affaire parvint soit à la Division, soit à un échelon supérieur, on s'aperçut que le rapport du Commissaire-rapporteur manquait. On demanda au lieutenant-colonel Didier de le... joindre. Ordre fut donné au sous-lieutenant Lemoël d'en rédiger un. Cet officier rédigea alors le rapport, mais il ne l'antidata pas.
Relevons que c'est dans cette pièce, postérieure de 7 jours au jugement, qu'il est parlé pour la première fois des aveux écrits. Nous y lisons cette phrase : "Chapelant reconnaît les faits et appose sa signature sur la pièce rapportant l'interrogatoire."
Insistons sur ce point :
Ni dans l'acte d'accusation, ni dans le jugement, ni dans le procès-verbal de la séance du Conseil de guerre, on ne fait la moindre allusion aux aveux signés de Chapelant.
On n'en parle pour la première fois que dans une pièce postérieure de sept jours à la condamnation.
QUE DE COMMENTAIRES, QUE D'APPRÉCIATIONS, QUE DE SOUPÇONS NE PEUT-ON FONDER SUR CETTE BIZARRE CONSTATATION.
Lorsqu'ils écrivaient ces lignes, nos amis de la Ligue ne connaissaient point certaine pièce découverte au cours de l'enquête par le conseiller de la Cour de Lyon, pièce qui apporte la preuve irréfutable que Chapelant a été condamné par ordre :
13e Corps d'Armée
la poste, 9 octobre, 13 h 15.
Le général Demange, commandant la 25e division, au colonel Pentel, commandant la 50e brigade.
Le sous-lieutenant Chapelant doit être immédiatement livré au Conseil de guerre spécial du 98e d'infanterie, lequel saura, je n'en doute pas, faire son devoir.
Signé : Demange
Lequel saura sans doute faire son devoir. Qui osera contester la signification de cette formule ? Le lieutenant-colonel Didier, lui, alla plus loin et apporta à ses subordonnés des précisions, d'après le témoignage de M. Richard, qui fut greffier du Conseil de guerre spécial. Interrogé lui aussi par un magistrat de Riom, M. Richard a déclaré :
Le colonel Didier, commandant le régiment à cette époque, a insisté avant l'audience auprès des membres du Conseil de guerre spécial, sur la nécessité et l'opportunité de faire un exemple, et je me rappelle avoir entendu le colonel Didier dire alors au commandant Gaube qui devait présider le conseil :
"vous entendez Gaube, il faut me le fusiller"
Le commandant Gaube n'a rien répondu. Sans pouvoir appuyer mon opinion sur un fait précis quelconque, j'ai cependant l'impression, que je conserve encore, que l'opinion du colonel Didier a dû beaucoup influencé sur l'esprit des juges, tous officiers du 98e régiment d'infanterie dont le colonel Didier était le chef, qui était redouté en raison de son intransigeance et de sa sévérité.
"Vous entendez Gaube, il faut me le fusiller" peut-on imaginer un ordre plus net, plus abominable !
------
L'arrêt de mort rendu, le lieutenant-colonel Didier, poussé on peut le croire – et son attitude cynique avant la réunion de la Cour martiale et au moment de l'exécution le montrera bien – par le désir de couvrir sa responsabilité plus que par remords, manifeste un scrupule.
Pendant l'audience, il a vu, sans s'émouvoir, Chapelant brisé par d'intolérables souffrances.
Mais il feint d'avoir pitié.
C'est un pauvre être infirme et déjà martyrisé qu'il va falloir passer par les armes. Quel que soit son désir de faire un exemple, Didier hésite. Il ordonne d'abord que le condamné soit reconduit à l'ambulance, puis téléphone à la Division pour demander au général Demange qu'il soit sursis à l'exécution jusqu'à la guérison de l'officier mitrailleur.
Le général refuse.
Il adresse au colonel l’ordre suivant :
13e Corps d'Armée
25e Division
Q.G., 10 octobre 1914
le général commandant la 25e division d'infanterie au colonel commandant le 98e d'infanterie, sous le couvert du colonel commandant la 50e brigade.
Vous avez demandé des instructions concernant l'exécution de la sentence prononcée aujourd'hui par le Conseil de guerre spécial du 98e régiment d'infanterie contre le sous-lieutenant Chapelant de ce régiment.
Le colonel commandant la 50e brigade, le général commandant la 25e division et le général commandant le 13e Corps d'armer estiment que la justice doit suivre son cours.
Vous devez donc vous conformer aux prescriptions de la dépêche ministérielle nº 287 2/10 du 1er septembre 1914.
Demange
à ce texte officiel une lettre était jointe :
Mon Cher Didier,
Je comprends et partage vos scrupules, croyez-le bien. Mais la loi nous domine tous deux. Vous trouverez demain, avec l'aide de votre médecin, le moyen de mettre debout ce malheureux avant de le faire tomber.
Signé : Demange
P.S. le colonel Pentel estime à juste titre à mon avis, que doit être passé outre à la considération que vous faites valoir et qui importe peu, puisqu'il s'agit d'enlever la vie à cet homme, et ce serait une aggravation de peine non prévue par le Code que de surseoir à l'exécution jusqu'à guérison de la blessure du condamné.
L'aumônier Lestrade intervient à son tour auprès du général, mais en vain.
L'exécution aura lieu le 11 octobre à 9 h 45 du matin.
Aussitôt la nouvelle connue, une vive agitation se manifeste parmi les hommes. Une trentaine de soldats quittent même la tranchée pour venir protester contre cet assassinat, et c'est alors que le lieutenant-colonel Didier, prévenu, se décide à se rendre à l'endroit du supplice.
Mais, auparavant, il va faire une suprême visite à Chapelant couché sur son brancard au poste de secours.
Pour le réconforter ?
Non.
Pour lui offrir une seconde fois son revolver.
Le blessé repousse l'arme.
"Je ne me tuerai pas, dit-il. C'est contraire à mes principes. Et il ajoute : Je ne suis pas un lâche, j'ai fait tout mon devoir."
Les infirmiers reçoivent alors l'ordre de l'enlever et de le transporter en face du château, de l'autre côté de la route.
Chapelant, absolument incapable de faire un mouvement, est ficelé sur le brancard qu'on dresse ensuite contre un pommier.
À ceux qui font cette affreuse corvée, une dernière fois, il répète :
"Je meurs innocent. On le saura plus tard. Surtout ne dites rien à mes parents."
À ce moment le peloton d'exécution, dissimulé dans un bosquet, apparaît.
Quelques secondes...
Un commandement...
Tout est fini.
Le brancard sur lequel gît maintenant un cadavre est transporté dans une grange.
L'aumônier récite les prières des morts et accompagne le corps jusqu'à la fosse commune où il est inhumé.
Voilà le drame.
Un des rares témoins, le docteur Paul Guichard, de Saint-Étienne, a adressé au père de la victime à Ampuis une lettre émouvante où on lit :
« Ce sera pour moi, comme pour tout ceux qui étaient présents, le souvenir le plus douloureux de cette guerre que la vision de ce colonel, excité par la boisson, la pipe à la bouche et le revolver au poing, se promenant à grands pas autour de la victime couchée sur un brancard, gesticulant, vociférant des injures contre elle.
Chapelant a fait preuve d'un très grand courage. On trouvera d'ailleurs cette attestation dans le petit rapport que j'ai fourni à mon médecin divisionnaire, après l'exécution. Je veux que mon attestation serve à préciser que, devant la mort, il n'a pas été un lâche.
Puisse justice lui être rendue ! Mais il faut que celle-ci accable son colonel bourreau dont la conduite dans cette affaire a soulevé l'indignation et l’écoeurement de tous ses officiers, de tous ses soldats. »
Un autre témoin, le brancardier Sabatier, écrit à la date du 24 avril 1916 :
« Le 11 octobre au matin, le jour de l'exécution, j'ai aidé à le sortir du poste de secours. Nous l'avons déposé dans la cour du château. Alors le colonel fit retirer les brancardiers et resta seul avec l'aumônier auprès de votre fils. Ils eurent une altercation. Ensuite le colonel nous fit venir et nous portâmes votre fils à l'endroit de l'exécution.
En route votre fils m'a dit :
"le colonel m'a offert son revolver pour que je me tue ; je lui ai répondu que je n'avais pas à me tuer, que j'avais fait mon devoir."
Il m'a dit aussi qu'il avait demandé à être guéri avant d'être traduit en Conseil de guerre, qu'on lui avait refusé.
Arrivé sur le lieu de l'exécution, votre fils me toucha la main, me dit adieu et ajouta :
"Je meurs innocent, on le saura plus tard. Ne dis jamais rien à mes parents."
C'est moi qui l'ai attaché sur le brancard et l'adjudant qui commandait le peloton lui a bandé les yeux. Était présent l'aumônier Lestrade qui lui a fait baiser le Christ et qui l'a encouragé.
Lorsque votre fils a été attaché et qu'il a eu les yeux bandés, le peloton d'exécution qui était dans un bosquet s'avança et tira.
Votre fils était mort. Je dois vous dire que le colonel était présent à l'exécution.
Nous le transportâmes dans une grange où l'on a procédé à l'autopsie en face des majors. L'aumônier Lestrade récita les prières des morts et accompagna votre fils jusqu'à la fosse commune, où nous l'avons inhumé. L'aumônier pleurait à chaudes larmes et était très peiné. J'ai même entendu dire qu'il avait dit : "on vient de fusiller un innocent ". »
Un autre témoin encore, M. Péroudon, avoué à Saint-Étienne, écrit à la date du 15 mars 1920 :
« De l'exécution même, je n'ai connu les détails que par ouï-dire. Cependant, le jour même, je rencontrai au cours d'une liaison l'aumônier Lestrade, au bois du Plessier, et comme je l'avais vu la nuit précédente, implorer le général, je lui demandai si l'exécution avait eu lieu. Il me répondit que oui, que le lieutenant Chapelant était mort courageusement, mais que le colonel Didier s'était mal comporté.
"J'ai assisté, me dit-il et ce sont là ses propres paroles, à des spectacles bien pénibles depuis le début de la guerre. Je n'ai jamais assisté à un spectacle si écoeurant."
Comme j'insistais pour avoir des détails, il détourna la conversation et je compris nettement qu'il lui était pénible d'avoir à porter un jugement sévère sur le colonel Didier.
Deux ou trois jours plus tard, je rencontrai le docteur Guichard, mon voisin et ami, qui avait assuré le service médical de l'exécution.
Il me confirma que le lieutenant Chapelant était mort courageusement ; mais que le colonel Didier l'avait injurié avant de mourir et avait assisté à l'exécution la pipe à la bouche. »
L'innocence de Chapelant, elle, est encore établie par un autre témoignage dont l'importance n'échappe à personne. Celui du lieutenant de Troismonts.
Cet officier fut chargé en 1915 d'enquêter sur l'affaire Chapelant. Il fit un rapport dont on ne retrouve, chose étrange, aucune trace dans les archives de la 25e division d'infanterie, ni dans les archives du XIIIe corps dont dépendait cette division.
Entendu lui aussi par commission rogatoire de la Cour de Riom, le lieutenant Troismonts a fait mieux qu'apporter un témoignage verbal, il a transmis au magistrat qui le faisait interroger, une pièce dont personne ne songera à constater l'authenticité.
Le 11 mars 1922, l'ancien officier écrivait, s'adressant au magistrat riomois :
Monsieur le Conseiller,
Vous m'avez fait l'honneur de faire recueillir, par commission rogatoire, mon témoignage dans une affaire en révision (affaire du lieutenant Chapelant).
J'ai pu retrouver, depuis, le brouillon de la note que je fis à l'époque. Elle est ce qu'elle est.
Je me fais un cas de conscience de vous l'adresser à toutes fins utiles.
Veuillez agréer, Monsieur le Conseiller, l'assurance de ma autre considération.
Troismonts.
NOTE
Il ressort de l'ensemble de la procédure que la version Chapelant paraît sincère ; le récit C...semble des plus suspect.
Il ne ressort pas que l'ordre de se rendre ait émané de l'initiative du sous-lieutenant. Il me semble au contraire qu'il ait mis une certaine ténacité à rester aux suggestions venant de la droite...
Aucun témoignage ne confirme au surplus, les allégations de C.. relatives aux instructions de Chapelant, en vue de parlementer pour une reddition. Les témoins sont unanimes à dire qu'à aucun moment, aucun papier suspect ne fut mis en circulation par G...
Rien ne permet de dire qu'on se trouve en présence d'une défection générale. Tout porte à croire au contraire de défections individuelles produites au centre de la ligne (1re et 2e sections) dont font partie les sept inculpés susnommés...
Orvilliers, le 11 février 1915
Troismonts
Faut-il quelque chose de plus ? Voici la déposition faite le 8 mars 1922 par le sergent Badion, aujourd'hui avocat, près de la Cour du Puy, qui, au cours de l'enquête, servit de greffier au lieutenant de Troismonts. Il a déclaré :
« De cette information, j'ai eu l'impression bien nette que Chapelant n'était pas coupable du crime pour lequel il avait été condamné et exécuté ; qu'il n'avait pas de munitions ; que ces mitrailleuses étaient hors de services ; que bien loin de rendre sa troupe de mitrailleurs et d'influencer la troupe voisine, il leur avait ordonné d'attendre et donné des instructions pour se ravitailler et rendre compte de leur situation ; qu'il avait été le dernier fait prisonnier, alors que toute résistance lui paraissait impossible et croyant que tout était fini – après avoir vu les hommes de la 3e compagnie sortis de leurs trous – qu'il avait subi une contrainte physique et morale en montant sur le talus où il fut blessé aussitôt.
Le lieutenant de Troismonts avait demandé les pièces de la condamnation au Conseil de guerre spécial du 98e. Elles parvinrent au Conseil de guerre de la division. Nous fûmes stupéfaits au Conseil de guerre de voir ce qu'elles étaient. Ce jugement était plus que sommaire et informe. Il indiquait que le crime était la capitulation en rase campagne, crime spécial aux officiers supérieurs.
L'officier qui avait été commissaire rapporteur était un jeune Saint-Cyrien que je connus bien par la suite et qui a été tué, le lieutenant Lemoël, qui n'était pas majeur.
Nous fûmes stupéfaits le lieutenant et moi, que les témoins de notre information n'aient pas été entendus au 98e lors du jugement de Chapelant.
Il n'est pas douteux qu' en présence de telles informations, de documents aussi probants, la Cour Suprême prononce la réhabilitation de Chapelant.
L'affaire lui a été soumise de nouveau le 20 février 1925 à la demande même du Ministre de la Justice.
Mais Didier ? Mais Demange ? Que va-t-on en faire ?
B.Mouze
Re: Vingré
Vingré
Vingré !
Ce nom évoque un des crimes les plus effroyables de la guerre.
En novembre 1914, le 298e d'infanterie se trouvait dans l'Aisne. Le 27, on laisse dans une tranchée de première ligne, en avant du village de Vingré, avec mission de surveiller l'ennemi à droite, un poste de cinq sentinelles doubles commandées par le caporal de Voguë. À sa gauche sont placées deux escouades, la 5e et la 6e, commandées respectivement par les caporaux Floch et Venat.
Tout semble calme.
Soudain, vers cinq heures du soir, sans qu'un coup de fusil ait été tiré, le poste du caporal de Voguë est surpris et enlevé. Les Allemands pénètrent brusquement dans les tranchées des 5e et 6e escouades.
Un cri retentit : "voilà les boches"
Instinctivement, nos soldats reculent dans le boyau. Ils arrivent ainsi jusqu'à l'abri de leur chef de section, le lieutenant Paulaud.
"Allons vers la tranchée de résistance" crie ce dernier.
L'ordre est aussitôt exécuté. Paulaud y parvient un des premiers. Le commandant de compagnie l'y accueille mal.
"Eh bien, Paulaud, que signifie ? C'est du joli ! Allez immédiatement reprendre votre position".
Officier et soldats obéissent.
Les deux escouades rebroussent chemin et regagnent sans coup férir l'emplacement qu'elles occupaient.
L'incident était banal. Rien ne permettait de penser qu'il dût avoir des suites tragiques.
Cependant le colonel croit devoir signaler à la division l'enlèvement du poste commandé par le caporal de Voguë.
Le général de division Julien et le général de Villaret, commandant le corps d'armée, demandent des détails complémentaires. On les informe alors du mouvement de retraite exécutée par les 5e et 6e escouades.
Aussitôt un officier, le commandant Guignot, est chargé de procéder à une enquête. Mais on a soin de lui dire, ou de lui faire entendre ce que l'on désire : un exemple.
Ainsi préparé, il entend tout d'abord le lieutenant Paulaud, qui lui raconte les faits sans s'attribuer l'honneur d'avoir déterminé les hommes à remonter en ligne. Auparavant, pour s'éviter toute contradiction, celui-ci avait d'ailleurs eu soin de prendre à part ses soldats et de leur recommander de ne pas le mettre en cause et d'alléguer une panique : « de toute façon, tout s’arrangera » concluait-il.
Les malheureux lui firent confiance.
Mais au surplus, ils n'eurent pas de grandes explications à donner, car le commandant Guignot, qui savait ce que l'on attendait de lui en haut lieu, ne s'attarda pas à leur demander des explications minutieuses.
Son rapport, dont l'original se trouve entre les mains de la veuve d'une de ses victimes, fut d'autant plus formel que son enquête avait été plus légèrement faite. On y lisait entre autres choses ceci :
« Le lieutenant Paulaud, qui se trouvait dans l'abri de sa section, vit apparaître un groupe d'hommes descendants en désordre et en tumulte des tranchées de première ligne, par le boyau de communication. Il dut user de toute son autorité, appuyée par celle du lieutenant Paupier, commandant de compagnie, pour faire remonter les hommes et occuper la tranchée. »
Ce texte mettait l'officier hors de cause, mais accablait les soldats.
C'était précisément ce que le commandant Guignot voulait, ainsi qu'il résulte du fait suivant : un sous-officier de la compagnie, le sergent Grenier, informé de la tournure grave que prenait l'affaire, se présenta à lui pour déposer.
« Qui vous demande quelque chose ? interrogea rudement le commandant.
- Mais, mon commandant...
- Si vous insistez, je vais prendre des sanctions contre vous. »
Grenier dut se retirer.
Cette intervention du sergent, Guignot l'a niée, il est vrai, à l'audience du Conseil de guerre de Clermont-Ferrand où fut jugé Paulaud. Mais de nombreux témoignages établissent qu'il a menti.
Il y a du reste, sur la manière dont cet officier procéda à son information, un autre témoignage que personne n'osera mettre en doute.
Dans son carnet de route ( que j'ai feuilleté avec émotion ! ) le malheureux caporal Floch écrivait à la date du 28 novembre :
« J'ai été appelé par le commandant du 5e bataillon, qui m'a interrogé. Je n'ai pu lui dire que la vérité. Il m'a dit à plusieurs reprises de me taire, me disant que je comparaîtrais devant le Conseil de guerre parce que je m'étais sauvé. Je lui ai dit que j’avais été pris dans une bousculade et forcé de suivre. Il n'a rien voulu entendre ».
Il n'a rien voulu entendre !
Résultat :
Cinq jours plus tard, le caporal Floch et ses camarades tombaient sous des balles françaises.
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Pendant que le commandant Guignot se livre à ce simulacre d'enquête, les généraux Julien et Villaret, avec le précieux concours du lieutenant commissaire rapporteur Achalme, préparent le crime ! Et quel crime !
Ils décident que la Cour martiale devra condamner à mort les vingt-quatre hommes qui se sont repliés.
Aujourd'hui on cherche à nier le fait.
Mais trop de témoignages – que l'on ne saurait prétendre inspirés par l'esprit de parti – ne leur permettent pas.
L'abbé Dubourg, actuellement directeur des oeuvres de diocèse de Besançon, était aumônier de la division. Deux jours avant la réunion du Conseil de guerre, il rencontre sur une route un groupe d'officiers. Parmi eux se trouvait le colonel Pinoteau, commandant le 98e.
Celui-ci s'avance vers le prêtre :
« Monsieur l'aumônier, lui dit-il, prenez vos mesures. Nous allons avoir vingt-quatre exécutions.
- vingt-quatre !
- peut-être douze. »
Un peu plus tard, le même jour, le colonel Pinoteau aborde le lieutenant Paupier :
« Lieutenant, on va fusiller une escouade.
- Une escouade ! Mais non colonel, c'est douze hommes !
- On en fusillera au moins six », réplique le colonel.
Ces variations dans le chiffre des condamnés d'avance, s'expliquent par le fait que, depuis deux jours, une discussion se poursuivait entre le général de Villaret, qui voulait, en exemple, sacrifier les deux escouades, et quelques officiers soucieux de limiter le nombre des victimes. Ces derniers, finalement, l'emportèrent.
On s'arrêta au chiffre de six, et des ordres en conséquence furent donnés à la Cour martiale.
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La Cour se réunit dans une salle d'école. Président : le colonel Pinoteau ; deux juges : le lieutenant Diot et un adjudant tué depuis; commissaire du gouvernement : le lieutenant Achalme ; défenseur : le sous-lieutenant Bodé, que l'on avertit seulement deux heures avant l'audience de la mission qu'il doit remplir.
Il n'a le temps ni d'interroger les accusés, ni d'examiner les pièces du dossier.
Qu'importe !
Les auteurs de ce crime militaire s'efforcent aujourd'hui avec un déconcertant cynisme, de tirer argument de la plaidoirie prononcée le 2 décembre 1914 par le sous-lieutenant Bodé.
« À aucun moment, disent-ils, le défenseur n'a parlé d'ordre de repli. Il s'est borné à montrer que la peur était quelque chose d'indépendant avec la volonté, à quoi tout le monde peut succomber, et qu'il ne fallait pas tenir grief aux accusés de la panique qui s'était produite le 28 novembre ».
Il ne dit rien de plus parce que l'on s'était arrangé pour qu'il ne sut rien de plus.
Et, de même qu'il n'y avait pas eu d'instruction, il n'y eut pas de débat.
Le lieutenant Achalme demanda pour tous les accusés la peine de mort.
Mais la Cour martiale avait reçu l'ordre d'appliquer le châtiment suprême à six seulement d'entre eux. Elle désigne Floch, Gay, Pettelet, Quinault, Blanchard et Durandet.
Pourquoi ? Nul ne sait. Ce fut l'oeuvre du hasard. Les juges eux-mêmes n'y attachèrent évidemment aucune importance.
L'exemple était aussi bon avec ceux-là qu'avec d'autres, n'est-ce pas ?
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L'arrêt rendu, on demande, dans la compagnie des condamnés, à un homme de bonne volonté pour les prévenir. Le sergent Moncoudiol s'en charge.
Quand il pénètre dans la cave où les malheureux sont enfermés, une telle émotion l'étreint qu'il ne peut parler. D'un geste, il leur tend une feuille de papier, un crayon, une enveloppe.
« C'est pour apprendre à nos familles qu'on va nous fusiller demain, dit Gay. Pourtant on nous avait assuré que le jugement serait une simple formalité. »
Quinault prend la parole à son tour :
« Enfin, Moncoudiol, toi qui nous connais, toi qui nous as vu à l'œuvre, avec qui nous avons combattu, crois-tu que nous méritions la mort ?
- mais non, mon vieux Quinault. Et tous les copains jugent comme moi. D'ailleurs, on ne peut pas vous fusiller comme cela, bien que ce soit la guerre. Il y a une justice et d'un moment à l'autre votre grâce arrivera.
- C'est vrai, répond Quinault ; pour les assassins il en est ainsi. Mais, pour nous, l'aube viendra avant. Vois-tu Moncoudiol, ce n'est pas la mort qui nous effraie. Elle nous attend tous les jours. Nous l'avons frôlée souvent. Pettelet a été blessé. Moi aussi. Mais ce qui est cruel, c'est de songer que nous allons mourir fusillés par nos camarades, tués par ceux dont nous partagions les dangers, la vie. Cela, vois-tu, c'est horrible ! »
Moncoudiol, immobile, pleure. Il cherche des mots qui consolent et ne trouve pas.
« Nous, demain, nous n'existerons plus, poursuit Quinault. Mais nos familles, nos femmes, nos enfants, comment vont-ils apprendre cela ? Quelle honte pour nous de songer que nos gosses devront rougir de leur père ! »
Le sergent n'en peut plus. Les sanglots l'étouffent. Il quitte en chancelant la cave qui a déjà l'apparence d'un tombeau.
Les condamnés, restés seuls, écrivent leur dernière lettre.
Le caporal Floch qui, avant d'être mobilisé, exerçait les fonctions de greffier de paix à Breteuil, est le seul à posséder quelque instruction. Ses adieux à sa femme sont aussi son éclatante justification :
Vingré, le 4 décembre 1914.
Ma bien chère Lucie,
Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.
Voici pourquoi :
Le 27 novembre, vers cinq heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m'ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J'ai profité d'un moment de bousculade pour m' échapper des mains des Allemands. J'ai suivi mes camarades, et ensuite j'ai été accusé d'abandon de poste en présence de l'ennemi.
Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de guerre. Six ont été condamnés à mort, dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu'il y a dedans.
Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l'âme en peine. Je te demande, à deux genoux, humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l'embarras dans lequel je vais te mettre...
Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.
Je vais me confesser à l'instant, et j'espère te revoir dans un monde meilleur.
Je meurs innocent du crime d'abandon de poste qui m'est reproché. Si, au lieu de m'échapper des Allemands, j'étais resté prisonnier, j'aurais encore la vie sauve. C'est la fatalité.
Ma dernière pensée à toi jusqu'au bout.
Henri Floch
Et voici les adieux de Gay :
Ma chère femme,
Le 27 novembre, à trois heures du soir, l'artillerie allemande s'est mise à bombarder les tranchées pendant deux heures. La première section, qui était à notre droite, a évacué sa tranchée sans qu'on le sache.
Vers 5h 30 du soir, nous mangeons la soupe en veillant devant nos créneaux, quand tout à coup, les Allemands viennent par la tranchée de la première section. On nous croise la baïonnette en disant : "Rendez-vous ! Haut les mains ! On vous fusille !"
Je me suis vu prisonnier avec un autre de mon escouade. Je saisis un moment d’inattention pour m'échapper. Il y avait un pare-éclats en face de moi. Je me suis jeté en face, au risque de me faire tuer par les balles, et comme je n'ai plus vu de camarades, je suis descendu par la tranchée rejoindre ma section et nous sommes remontés pour réoccuper la tranchée.
Le lendemain, tous les officiers et chefs étaient bien à leurs postes et nous, pour ne pas être restés prisonniers des Allemands, nous avons passé en Conseil de guerre, toute la demi-section.
Tous les autres ont été acquittés et nous avons été six condamnés qui ne sont pas plus coupables que les autres, mais si nous mourons pour les autres, nous serons vengés par Dieu.
Pardonne-moi bien de la peine que je vais te faire, ainsi qu'à mes pauvres parents. Je n'ai pas peur de la mort, puisque je suis innocent du fait qu'on me rapproche.
La lettre de Quinault est peut-être plus émouvante encore dans son naïf langage :
Ma chère femme,
Je t'écris mes dernières nouvelles. C'est fini pour moi. C'est bien triste. Je n'ai pas le courage. Je me (ici sont quelques mots illisibles). Pour toi tu ne me verras plus.
Il nous est arrivé une histoire dans la compagnie. Nous sommes passés vingt-quatre en Conseil de guerre. Nous sommes six condamnés à mort. Moi je suis dans les six et je ne suis pas plus coupable que les camarades, mais notre vie est sacrifiée pour les autres.
Ah ! Autre chose : si vous pouviez m'emmener à Vallon. Je suis enterré à Vingré.
Dernier adieu, chère petite femme. C'est fini pour moi. Adieu à tous, pour la vie. Dernière lettre de moi, décédé au 298e régiment d'infanterie, 19e compagnie, pour un motif dont je ne sais pas la raison. Les officiers ont tous les torts et c'est nous qui sommes condamnés pour eux. Ceux qui s'en tireront pourront te raconter. Jamais j'aurais cru finir mes jours à Vingré et surtout d'être fusillé pour si peu de chose et n'être pas coupable.
Ça ne s'est jamais vu, une affaire comme cela. Je suis enterré à Vingré !... Ah ! Autre chose, si vous pouvez m'emmener à Vallon ! »
À cette heure suprême, sa pensée se tournait vers le petit cimetière de son village de l'Allier, où il lui semblait que l'éternel sommeil serait plus paisible.
S'il avait su !
S'il avait su que lorsque "l'affaire" serait connue à Vallon, le curé refuserait de célébrer un service funèbre à sa mémoire, que les boutiques des marchands se fermeraient devant sa femme, que son fils serait mis en quarantaine à l'école, qu'on lui jetterait la pierre, et enfin que ses êtres si chers devraient fuir devant cette haine sauvage...
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La nuit vient, passe.
Voici le matin du 4 décembre.
Les condamnés ont gardé une lueur d'espoir. Le sergent Moncoudiol leur a dit : « on ne peut pas fusiller comme cela, bien que ce soit la guerre ».
Le lieutenant Paulaud leur a assuré que : « tout ça s'arrangera ».
Un cliquetis d'armes les arrache de leur torpeur. La porte s'ouvre. Un adjudant s'avance. Mais ce n'est pas leur grâce qu'il apporte. Il vient leur dire que l'heure est venue, qu'ils vont mourir.
Résignation ou stupeur, aucune plainte…
Ils se lèvent, sortent, tête nue, en manche de chemise, sous le vent glacial et marchent, le front haut vers le terrain où doit avoir lieu l'exécution, au bas du village de Vingré, à 400 m des lignes ennemies.
Le haut commandement a décidé de donner à cette tragédie le caractère d'une grande solennité militaire. Ne s'agit-il pas d’un exemple ? Toutes les compagnies disponibles forment le carré ; on a placé la compagnie à laquelle appartenaient ceux qui vont mourir au premier rang.
Pendant la nuit six poteaux ont été dressés. D'un pas ferme les six condamnés vont s'y adosser.
On les attache.
Un commandement. Le crépitement des balles. Les six hommes sont morts.
Alors se produit ceci : tous les hommes de la 19e compagnie éclatent en sanglots. L'émotion gagne de proche en proche, si vite que les officiers sont impuissants à la réprimer. Devant cette manifestation unanime, le colonel Pinoteau ne sait quelle attitude prendre.
Seul le commandant Guignot va et vient, satisfait.
Apercevant le lieutenant Paupier, qui baisse la tête pour ne pas voir l'affreux spectacle, il lui donne un coup section le menton : « Paupier, relevez la tête ! »
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Au cours de mon enquête sur l'affaire de Vingré, j'ai tenu à entendre celui qui, dans l'ordre des responsabilités, partage la première place avec le général de Villaret : M. le substitut Achalme.
Je l'ai trouvé dans son cabinet de Saint-Étienne, examinant un dossier :
« Monsieur le Substitut, en novembre 1914, au Conseil de guerre de Vingré, qui condamna à mort six soldats dont l'innocence a été par la suite reconnue, vous avez occupé les redoutables fonctions de commissaire du gouvernement. C'est à ce sujet que je voudrais vous interroger ».
M.Achalme parut me demander un instant s'il parlerait ou s'il se tairait.
« Substitut à Bourg, dit-il enfin, mobilisé comme lieutenant dans un régiment de la 63e division d'infanterie, le général me fit appeler un jour pour me demander de bien vouloir suivre les affaires du Conseil de guerre. J'acceptai étant entendu que ce ne serait qu'à titre provisoire. Je ne me sentais aucun goût pour cette besogne.
- Comme je vous comprends !
- Le 30 novembre dans l'après-midi, j'ai reçu du général de division...
- Le général Julien.
- Ne mettons pas de nom si vous le voulez bien... l'ordre de réunir, pour le lendemain, le Conseil de guerre ; il s'agissait de juger les hommes qui avaient abandonné une tranchée. Je me rendis à Vingré où j'arrivai à six heures du soir. Vingt-quatre hommes étaient inculpés. Bien que ce ne fût pas pour moi une obligation, je passai la nuit à les interroger tous. Aucun d'eux ne me parla de l'ordre de repli donné par le lieutenant Paulaud.
- Avez-vous entendu des témoins ?
- Non, mais j'ai dit aux inculpés et aux défenseurs que je me mettais à leur disposition pour faire entendre à l'audience tous les officiers, sous-officiers et soldats dont il considéreraient le témoignage utile.
- On ne vous en indiqua pas ?
- Aucun.
- Sur quoi vous êtes-vous appuyé pour requérir devant la Cour martiale ?
- Je me suis appuyé sur les pièces du dossier, sur les rapports du commandant de compagnie et du chef de bataillon. Je n'avais rien d'autre à ma disposition. Ces documents établissaient clairement le crime d'abandon de poste.
- Vous aviez devant vous vingt-quatre inculpés. Six seulement ont été condamnés à mort. Quelles ont été vos réquisitions ?
- J'ai laissé le Conseil libre de prononcer les peines.
- Sur quoi les juges se sont-ils basés pour condamner le caporal Floch, les soldats Quinault, Blanchard, Pettelet, Durandet et Pierre Gay ?
- Le Conseil s'est trouvé dans une situation fort embarrassante. Les juges ont estimé qu'il était inadmissible que les vingt-quatre hommes fussent au même titre responsables de la panique. Ils ont cherché à s'éclairer. Après la plaidoirie même, on a fait revenir à la barre le sergent Diot et le sous lieutenant Paulaud. Le président leur a demandé une dernière fois de renseigner les juges. Ces témoins ont conservé une attitude impassible. Aucun d'eux n'a dit mot pour sauver les accusés. Le Conseil, dans ces conditions, a condamné les hommes qui se trouvaient le plus près des Allemands.
- Pourquoi ce chiffre de six ? »
M. le Substitut Achalme ne peut dissimuler l'embarras que lui cause ma question. Je me décide à lui venir en aide.
« Est-ce que le nombre de six n'avait pas été fixé par le général de division ? »
Je regarde dans les yeux M. le Substitut. Il n'ose nier. Il cherche une formule.
« Je ne sais si le haut commandement avait donné des ordres secrets au président de la Cour martiale. Moi, je n'en ai reçu aucun.
- Vous ne pouvez ignorer ce fait : il a été établi par l'enquête de révision. Vous ne pouvez ignorer non plus la déclaration du général Linder : "Paulaud a manqué de caractère au cours de l'instruction. Pour décharger sa responsabilité, il a cru devoir charger les hommes qui étaient sous ses ordres et abonder dans le sens de ses chefs qui voulaient une condamnation."
À cette question, M. Achalme se garde de répondre.
« Si j'avais connu, me dit-il, la phrase prononcée par Paulaud après l'arrêt : "on vient de condamner des innocents" je vous jure que j'aurais immédiatement adressé un rapport à mes chefs et que l'exécution n'aurait pas eu lieu... On nous accable aujourd'hui, mais on nous juge sans tenir compte des circonstances dans lesquelles les faits se sont passés il y a sept ans.
En novembre 1914, les chefs prenaient encore à la lettre l'ordre de Joffre du 5 septembre : "il faut se faire tuer sur place plutôt que de perdre un pouce de terrain". Nous étions à ce moment la seule division ayant réussi à traverser l'Aisne. Nos chefs ne comprenaient pas la guerre. Ils imaginaient que la perte d'une tranchée constituait un désastre.
- Tout cela n'était pas une raison suffisante pour fusiller des innocents.
- Je suis le premier à reconnaître que l'arrêt de réhabilitation a été une mesure de justice, surtout après l'abandon des poursuites contre le caporal de Voguë. Voyez-vous, l'institution des Cours martiales a été une lourde faute. La responsabilité en incombe une bonne part au pouvoir civil qui a eu le tort d'abandonner ses droits aux mains de l'autorité militaire. »
Telle est fidèlement reproduite la conversation que j'eus avec le commissaire du gouvernement à Vingré.
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Examinons maintenant ses déclarations.
Non sans quelque timidité, M. Achalme dit avoir ignoré que le commandement, avant l'audience, avait fixé le nombre des hommes à condamner.
Ce n'est pas exact. Un parlementaire, plaidant sa cause, ma affirmé : « S'il n'y a eu que six condamnations, c'est surtout grâce à M. Achalme qui, avant l'audience, est intervenu auprès des généraux Julien et de Villaret pour que l'on ne maintint pas le chiffre de 12 hommes qui semblait définitivement arrêté ».
Au surplus, comment M. Achalme eût-il pu ignorer ce que tant d'autres moins bien placés que lui pour être renseignés, savaient ?
Devant le général Linder, le docteur Raymond, de Vichy, aide-major au 298e, a déposé devant l'enquête de révision :
« Apprenant un soir que plusieurs hommes de la 19e compagnie du 298e allaient être jugés par le Conseil de guerre, je me rendis au centre du village de Vingré. J'étais fort étonné de cette nouvelle, car je n'avais pas entendu dire que des hommes s'étaient rendus coupables d'un délit passible du Conseil de guerre. Mais mon étonnement devint de la stupéfaction quand, voyant s'avancer sur la route de Vic sur Aisne un aumônier militaire, et lui demandant ce qui l’amenait, il me répondit que le lendemain six au moins de ces hommes allaient être fusillés, peut-être douze.
J'affirme que ce propos a été tenu avant l'ouverture du Conseil de guerre, et je me souviens de l'émotion douloureuse que j'ai ressentie en voyant passer, quelques minutes après, les malheureux inculpés qui se rendaient vers la maison du colonel, sans se douter du sort qui les attendait ».
M. Achalme prétend avoir laissé le Conseil libre de juger. Est-ce vrai ?
« Non » répond le témoin C.H. Viellay, ex sergent-major à la compagnie à laquelle appartenaient les six victimes et qui assista à l'audience. « Pour ne pas se tromper, a-t-il écrit, le commissaire du gouvernement a requis la peine de mort contre tous les accusés, plus de vingt ».
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La vérité est que le lieutenant Achalme n'a rempli ni son devoir de soldat, ni son devoir de magistrat.
Après avoir reçu le rapport du commandant Guignot, le général Julien avait délivré contre les hommes des 5e et 6e escouades un ordre d'informer qui les rendait justiciables du Conseil de guerre prévu par le décret Millerand, où ils eussent bénéficié de quelques garanties : instruction préalable, délai de vingt-quatre heures entre la citation et l'audience, nombre de juges : 5 au lieu de 3. Cet ordre d'informer, le général de Villaret, dans sa hâte de faire un exemple, le déchira pour y substituer, bien qu' il n'y eut pas flagrant délit, un ordre de mise en jugement direct devant une Cour martiale.
Mais c'était précisément le rôle des magistrats mobilisés dans les Conseils de guerre de redresser les erreurs commises par les généraux ignorants, insouciants ou inhumains.
Ce rôle, M. Achalme ne l'a pas rempli. Il s'est servilement prêté à une fantaisie sanguinaire. Il est complice.
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Au surplus, pour apprécier les responsabilités, on possède un document si net, si terrible dans sa modération, qu'il ne permettra pas à la justice de se dérober indéfiniment à son devoir, lequel n'est pas seulement de réhabiliter les innocents, mais aussi de frapper les coupables.
Ce document, on le trouve au Journal Officiel du 18 février 1921, et c'est l'arrêt de la Cour de Cassation dans l'affaire des martyres de Vingré :
Attendu que par jugement du Conseil de guerre spécial de la 63e division d'infanterie, en date du 3 décembre 1914, le caporal Floch (Paul), et les soldats Gay (Pierre), Pettelet (Claude), Quinault (Jean), Durandet (Jean) et Blanchard (Jean-Marie), tous du 298e R.I., ont été condamné à la peine de mort pour abandon de poste devant l'ennemi ; que ce jugement a reçu son exécution le lendemain à l'égard de tous les condamnés qui ont été passés par les armes.
Attendu qu'il résultait du rapport dressé en vertu de l'article 108 du code de justice militaire que le 27 novembre 1914, une tranchée de première ligne, située en avant du village de Vingré (secteur de la Maison détruite), et à laquelle on accédait par un boyau central, était occupée dans sa partie gauche par une demi section du 298e R.I. (5e et 6e escouades), et dans sa partie droite par une autre demi section du même régiment (3e et 4e escouades) ; que cette partie droite, ayant été violemment bombardée par l'artillerie allemande, avait dû être évacuée dans l'après-midi, et qu'on n'y avait laissé qu'un caporal et quatre sentinelles doubles ; que vers 5 heures du soir, les Allemands s'étaient brusquement emparés de ce petit poste sans qu'un coup de fusil ait été tiré ; que, grâce à cette surprise, ils avaient pu s'infiltrer dans la partie gauche de la tranchée et tomber à l'improviste sur les hommes des 5e et 6e escouades qui, pris de panique, s'étaient enfuis par le boyau central jusqu'à la tranchée de deuxième ligne, d'où les officiers avaient éprouvé de grandes difficultés pour les faire remonter en première ligne. Que vainement, le sous-lieutenant Paulaud, chef de section, leur avait crié d'avancer ; qu'ils n'avaient pas exécuté cet ordre, et que cet officier, quand il s'était précipité pour aller réoccuper la tranchée, n'avait été suivi que par un seul soldat.
Attendu que cette dernière partie du rapport précité était empruntée à la déposition faite par le sous-lieutenant Paulaud, le 1er décembre 1914, devant le commissaire rapporteur, que cette déposition avait été sévère pour les inculpés et lui-même l'a reconnu dans l'enquête de révision. Que cet officier peut donc être considéré comme ayant été un des principaux témoins de l'accusation.
Attendu que l'autorité de son témoignage – qui N'A PAS ÉTÉ CONTRÔLÉ DANS L'INFORMATION DE 1914 et qui n'a pas été confirmé par aucun témoin ou inculpé alors entendus par le lieutenant rapporteur – a été contestée par les dépositions de plusieurs témoins au cours des deux enquêtes de révision ; que, notamment, les caporaux Lafloque, Bardet, le sergent Rimaud et le soldat Darlet, ayant appartenus en cette qualité au 298e R.I., les trois premiers non entendus dans les instructions préalables et définitives, ont déclaré : « que les hommes des 5e et 6e escouades, surpris par les Allemands, avaient reflué de la tranchée de première ligne vers le boyau de communication où ils s'étaient heurtés aux hommes des 7e et 8e escouades qui, aux cris de : "Voilà les Boches !", étaient sortis de leurs abris situés à 60 mètres de ladite tranchée ; qu'il s’en était résulté une confusion et QU'À CE MOMENT LE CHEF DE SECTION, le sous-lieutenant Paulaud, sortit de son abri voisin, LEUR AVAIT DONNÉ L'ORDRE DE SE REPLIER SUR LA TRANCHÉE DE RÉSISTANCE ; QUE CET OFFICIER ÉTAIT PARTI LUI-MÊME PRÉCIPITAMMENT ET L'UN DES PREMIERS DANS CETTE DIRECTION.
Attendu que le lieutenant Paupier qui commandait la compagnie et se trouvait dans la tranchée de résistance, a déclaré QU' EN EFFET LE SOUS-LIEUTENANT PAULAUD ÉTAIT ARRIVÉ L'UN DES PREMIERS DANS CETTE TRANCHÉE, QU'Il LUI AVAIT DRESSÉ UNE OBSERVATION À CE SUJET ET QUE, quelques instants après, TOUS LES HOMMES, sur l'ordre que lui-même leur avait donné, ÉTAIENT REMONTÉS EN PREMIÈRE LIGNE, à la suite de leur chef de section.
Attendu que le sous-lieutenant Paulaud a, dans les deux enquêtes de révision, protesté contre ces dépositions et nié spécialement avoir donné un ordre de repli ; mais en admettant même que l'ordre de repli n'ait pas été donné par lui, il n'en demeure pas moins constant que cet ordre a été proféré et entendu par les hommes comme s'il émanait d'un supérieur, et qu'on ne serait dans ces conditions leur faire un grief de l'avoir exécuté.
Attendu que le dit ordre, inconnu du Conseil de guerre, constitue un fait nouveau de nature à établir l'innocence des condamnés dans les termes de l'article 443, 4e, du Code d'instruction criminelle ; que le sous-lieutenant Paulaud lui-même a exprimé sa conviction de l'innocence des condamnés quelques instants après leur exécution, dans des conditions de sincérité qui ont été rapportées par un témoin de l'enquête et qu'il a affirmé de nouveau cette conviction à diverses reprises dans ces dernières dépositions.
Attendu qu'en l'état des constatations qui précèdent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les deux autres faits invoqués comme nouveaux, il y a lieu d'accueillir la demande en révision dont la Cour est saisie.
Et vu l'article 445, paragraphe 8, du Code d'instruction criminelle ;
Attendu qu'en raison du décès des condamnés, il y a impossibilité de procéder à de nouveaux débats ; qu'il appartient en conséquence à la Cour de Cassation de statuer au fond sans renvoi, en présence des parties civiles et du curateur nommé par elles à la mémoire des morts.
Par ces motifs :
Casse et annule le jugement du Conseil de guerre spécial de la 63e division d'infanterie en date du 3 décembre 1914, qui a condamné le caporal Floch et les soldats Gay, Pettelet, Quinault, Blanchard et Durandet à la peine de mort.
Décharge leur mémoire de cette condamnation.
Ordonne l'affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l'article 446 du Code d'instruction criminelle et son insertion au Journal Officiel ; ordonne également que le présent arrêt sera imprimé ; qu'il sera transmis sur les registres du Conseil de guerre de la 63e division d'infanterie, et que mention en sera faite en marge du jugement annulé.
L'arrêt, statuant sur les conclusions des parties civiles, alloue ensuite, à titre de réparation :
1 - à chacune des dames Rose Meuchard (veuve Floch) ; Marie Pettelet (veuve Pettelet) ; Marie Minard (veuve Gay) ; Nathalie Greuzat (veuve Quinault), Michelle Destage (veuve Blanchard) ; Claudine Drizard (veuve Durandet), une pension annuelle et viagère de 1000 francs.
2 - à chacun des trois mineurs Pettelet et Durandet une pension annuelle de 1000 francs, le payement de cette pension devant cesser à leur majorité.
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C'est là un commencement de justice. Ce n'est pas toute la justice. On veut bien enfin reconnaître l'innocence des condamnés.
Mais les autres ?
Mais ceux qui ont donné l'ordre de les condamner ?
Mais ceux qui ont obéi ?
Mais le commandant Guignot qui, ayant mission de procéder à une enquête, n'a entendu aucun témoin, a refusé d'entendre ceux qui s'offraient, qui a accepté sans examen une version suspecte parce qu'il savait que le haut commandement voulait un exemple, qui n'a pas daigné écouter les explications des accusés, et par sa déshonorante servilité, les a envoyés à la mort ?
Mais le lieutenant rapporteur Achalme, qui n'a pas même contrôlé ainsi que le reconnaît l'arrêt de la Cour de Cassation le témoignage intéressé du sous-lieutenant Paulaud et, dans une affaire capitale, s'est borné à un simulacre d'instruction ?
Mais les généraux Julien et de Villaret qui, d'avance, ont ordonné l'exécution de tous les soldats des 5e et 6e escouades et ne se sont résignés au chiffre de six victimes qu'à titre de transaction ?
Mais le colonel Pinoteau, président de la Cour Martiale qui a accepté de condamner par ordre et poussé son infâme obéissance jusqu'à priver les accusés de moyens de défense ?
Est-ce la main de la justice ne s'abattra pas sur ces hommes ?
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Vingré !
Ce nom évoque un des crimes les plus effroyables de la guerre.
En novembre 1914, le 298e d'infanterie se trouvait dans l'Aisne. Le 27, on laisse dans une tranchée de première ligne, en avant du village de Vingré, avec mission de surveiller l'ennemi à droite, un poste de cinq sentinelles doubles commandées par le caporal de Voguë. À sa gauche sont placées deux escouades, la 5e et la 6e, commandées respectivement par les caporaux Floch et Venat.
Tout semble calme.
Soudain, vers cinq heures du soir, sans qu'un coup de fusil ait été tiré, le poste du caporal de Voguë est surpris et enlevé. Les Allemands pénètrent brusquement dans les tranchées des 5e et 6e escouades.
Un cri retentit : "voilà les boches"
Instinctivement, nos soldats reculent dans le boyau. Ils arrivent ainsi jusqu'à l'abri de leur chef de section, le lieutenant Paulaud.
"Allons vers la tranchée de résistance" crie ce dernier.
L'ordre est aussitôt exécuté. Paulaud y parvient un des premiers. Le commandant de compagnie l'y accueille mal.
"Eh bien, Paulaud, que signifie ? C'est du joli ! Allez immédiatement reprendre votre position".
Officier et soldats obéissent.
Les deux escouades rebroussent chemin et regagnent sans coup férir l'emplacement qu'elles occupaient.
L'incident était banal. Rien ne permettait de penser qu'il dût avoir des suites tragiques.
Cependant le colonel croit devoir signaler à la division l'enlèvement du poste commandé par le caporal de Voguë.
Le général de division Julien et le général de Villaret, commandant le corps d'armée, demandent des détails complémentaires. On les informe alors du mouvement de retraite exécutée par les 5e et 6e escouades.
Aussitôt un officier, le commandant Guignot, est chargé de procéder à une enquête. Mais on a soin de lui dire, ou de lui faire entendre ce que l'on désire : un exemple.
Ainsi préparé, il entend tout d'abord le lieutenant Paulaud, qui lui raconte les faits sans s'attribuer l'honneur d'avoir déterminé les hommes à remonter en ligne. Auparavant, pour s'éviter toute contradiction, celui-ci avait d'ailleurs eu soin de prendre à part ses soldats et de leur recommander de ne pas le mettre en cause et d'alléguer une panique : « de toute façon, tout s’arrangera » concluait-il.
Les malheureux lui firent confiance.
Mais au surplus, ils n'eurent pas de grandes explications à donner, car le commandant Guignot, qui savait ce que l'on attendait de lui en haut lieu, ne s'attarda pas à leur demander des explications minutieuses.
Son rapport, dont l'original se trouve entre les mains de la veuve d'une de ses victimes, fut d'autant plus formel que son enquête avait été plus légèrement faite. On y lisait entre autres choses ceci :
« Le lieutenant Paulaud, qui se trouvait dans l'abri de sa section, vit apparaître un groupe d'hommes descendants en désordre et en tumulte des tranchées de première ligne, par le boyau de communication. Il dut user de toute son autorité, appuyée par celle du lieutenant Paupier, commandant de compagnie, pour faire remonter les hommes et occuper la tranchée. »
Ce texte mettait l'officier hors de cause, mais accablait les soldats.
C'était précisément ce que le commandant Guignot voulait, ainsi qu'il résulte du fait suivant : un sous-officier de la compagnie, le sergent Grenier, informé de la tournure grave que prenait l'affaire, se présenta à lui pour déposer.
« Qui vous demande quelque chose ? interrogea rudement le commandant.
- Mais, mon commandant...
- Si vous insistez, je vais prendre des sanctions contre vous. »
Grenier dut se retirer.
Cette intervention du sergent, Guignot l'a niée, il est vrai, à l'audience du Conseil de guerre de Clermont-Ferrand où fut jugé Paulaud. Mais de nombreux témoignages établissent qu'il a menti.
Il y a du reste, sur la manière dont cet officier procéda à son information, un autre témoignage que personne n'osera mettre en doute.
Dans son carnet de route ( que j'ai feuilleté avec émotion ! ) le malheureux caporal Floch écrivait à la date du 28 novembre :
« J'ai été appelé par le commandant du 5e bataillon, qui m'a interrogé. Je n'ai pu lui dire que la vérité. Il m'a dit à plusieurs reprises de me taire, me disant que je comparaîtrais devant le Conseil de guerre parce que je m'étais sauvé. Je lui ai dit que j’avais été pris dans une bousculade et forcé de suivre. Il n'a rien voulu entendre ».
Il n'a rien voulu entendre !
Résultat :
Cinq jours plus tard, le caporal Floch et ses camarades tombaient sous des balles françaises.
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Pendant que le commandant Guignot se livre à ce simulacre d'enquête, les généraux Julien et Villaret, avec le précieux concours du lieutenant commissaire rapporteur Achalme, préparent le crime ! Et quel crime !
Ils décident que la Cour martiale devra condamner à mort les vingt-quatre hommes qui se sont repliés.
Aujourd'hui on cherche à nier le fait.
Mais trop de témoignages – que l'on ne saurait prétendre inspirés par l'esprit de parti – ne leur permettent pas.
L'abbé Dubourg, actuellement directeur des oeuvres de diocèse de Besançon, était aumônier de la division. Deux jours avant la réunion du Conseil de guerre, il rencontre sur une route un groupe d'officiers. Parmi eux se trouvait le colonel Pinoteau, commandant le 98e.
Celui-ci s'avance vers le prêtre :
« Monsieur l'aumônier, lui dit-il, prenez vos mesures. Nous allons avoir vingt-quatre exécutions.
- vingt-quatre !
- peut-être douze. »
Un peu plus tard, le même jour, le colonel Pinoteau aborde le lieutenant Paupier :
« Lieutenant, on va fusiller une escouade.
- Une escouade ! Mais non colonel, c'est douze hommes !
- On en fusillera au moins six », réplique le colonel.
Ces variations dans le chiffre des condamnés d'avance, s'expliquent par le fait que, depuis deux jours, une discussion se poursuivait entre le général de Villaret, qui voulait, en exemple, sacrifier les deux escouades, et quelques officiers soucieux de limiter le nombre des victimes. Ces derniers, finalement, l'emportèrent.
On s'arrêta au chiffre de six, et des ordres en conséquence furent donnés à la Cour martiale.
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La Cour se réunit dans une salle d'école. Président : le colonel Pinoteau ; deux juges : le lieutenant Diot et un adjudant tué depuis; commissaire du gouvernement : le lieutenant Achalme ; défenseur : le sous-lieutenant Bodé, que l'on avertit seulement deux heures avant l'audience de la mission qu'il doit remplir.
Il n'a le temps ni d'interroger les accusés, ni d'examiner les pièces du dossier.
Qu'importe !
Les auteurs de ce crime militaire s'efforcent aujourd'hui avec un déconcertant cynisme, de tirer argument de la plaidoirie prononcée le 2 décembre 1914 par le sous-lieutenant Bodé.
« À aucun moment, disent-ils, le défenseur n'a parlé d'ordre de repli. Il s'est borné à montrer que la peur était quelque chose d'indépendant avec la volonté, à quoi tout le monde peut succomber, et qu'il ne fallait pas tenir grief aux accusés de la panique qui s'était produite le 28 novembre ».
Il ne dit rien de plus parce que l'on s'était arrangé pour qu'il ne sut rien de plus.
Et, de même qu'il n'y avait pas eu d'instruction, il n'y eut pas de débat.
Le lieutenant Achalme demanda pour tous les accusés la peine de mort.
Mais la Cour martiale avait reçu l'ordre d'appliquer le châtiment suprême à six seulement d'entre eux. Elle désigne Floch, Gay, Pettelet, Quinault, Blanchard et Durandet.
Pourquoi ? Nul ne sait. Ce fut l'oeuvre du hasard. Les juges eux-mêmes n'y attachèrent évidemment aucune importance.
L'exemple était aussi bon avec ceux-là qu'avec d'autres, n'est-ce pas ?
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L'arrêt rendu, on demande, dans la compagnie des condamnés, à un homme de bonne volonté pour les prévenir. Le sergent Moncoudiol s'en charge.
Quand il pénètre dans la cave où les malheureux sont enfermés, une telle émotion l'étreint qu'il ne peut parler. D'un geste, il leur tend une feuille de papier, un crayon, une enveloppe.
« C'est pour apprendre à nos familles qu'on va nous fusiller demain, dit Gay. Pourtant on nous avait assuré que le jugement serait une simple formalité. »
Quinault prend la parole à son tour :
« Enfin, Moncoudiol, toi qui nous connais, toi qui nous as vu à l'œuvre, avec qui nous avons combattu, crois-tu que nous méritions la mort ?
- mais non, mon vieux Quinault. Et tous les copains jugent comme moi. D'ailleurs, on ne peut pas vous fusiller comme cela, bien que ce soit la guerre. Il y a une justice et d'un moment à l'autre votre grâce arrivera.
- C'est vrai, répond Quinault ; pour les assassins il en est ainsi. Mais, pour nous, l'aube viendra avant. Vois-tu Moncoudiol, ce n'est pas la mort qui nous effraie. Elle nous attend tous les jours. Nous l'avons frôlée souvent. Pettelet a été blessé. Moi aussi. Mais ce qui est cruel, c'est de songer que nous allons mourir fusillés par nos camarades, tués par ceux dont nous partagions les dangers, la vie. Cela, vois-tu, c'est horrible ! »
Moncoudiol, immobile, pleure. Il cherche des mots qui consolent et ne trouve pas.
« Nous, demain, nous n'existerons plus, poursuit Quinault. Mais nos familles, nos femmes, nos enfants, comment vont-ils apprendre cela ? Quelle honte pour nous de songer que nos gosses devront rougir de leur père ! »
Le sergent n'en peut plus. Les sanglots l'étouffent. Il quitte en chancelant la cave qui a déjà l'apparence d'un tombeau.
Les condamnés, restés seuls, écrivent leur dernière lettre.
Le caporal Floch qui, avant d'être mobilisé, exerçait les fonctions de greffier de paix à Breteuil, est le seul à posséder quelque instruction. Ses adieux à sa femme sont aussi son éclatante justification :
Vingré, le 4 décembre 1914.
Ma bien chère Lucie,
Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.
Voici pourquoi :
Le 27 novembre, vers cinq heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m'ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J'ai profité d'un moment de bousculade pour m' échapper des mains des Allemands. J'ai suivi mes camarades, et ensuite j'ai été accusé d'abandon de poste en présence de l'ennemi.
Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de guerre. Six ont été condamnés à mort, dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu'il y a dedans.
Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l'âme en peine. Je te demande, à deux genoux, humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l'embarras dans lequel je vais te mettre...
Ma petite Lucie, encore une fois, pardon.
Je vais me confesser à l'instant, et j'espère te revoir dans un monde meilleur.
Je meurs innocent du crime d'abandon de poste qui m'est reproché. Si, au lieu de m'échapper des Allemands, j'étais resté prisonnier, j'aurais encore la vie sauve. C'est la fatalité.
Ma dernière pensée à toi jusqu'au bout.
Henri Floch
Et voici les adieux de Gay :
Ma chère femme,
Le 27 novembre, à trois heures du soir, l'artillerie allemande s'est mise à bombarder les tranchées pendant deux heures. La première section, qui était à notre droite, a évacué sa tranchée sans qu'on le sache.
Vers 5h 30 du soir, nous mangeons la soupe en veillant devant nos créneaux, quand tout à coup, les Allemands viennent par la tranchée de la première section. On nous croise la baïonnette en disant : "Rendez-vous ! Haut les mains ! On vous fusille !"
Je me suis vu prisonnier avec un autre de mon escouade. Je saisis un moment d’inattention pour m'échapper. Il y avait un pare-éclats en face de moi. Je me suis jeté en face, au risque de me faire tuer par les balles, et comme je n'ai plus vu de camarades, je suis descendu par la tranchée rejoindre ma section et nous sommes remontés pour réoccuper la tranchée.
Le lendemain, tous les officiers et chefs étaient bien à leurs postes et nous, pour ne pas être restés prisonniers des Allemands, nous avons passé en Conseil de guerre, toute la demi-section.
Tous les autres ont été acquittés et nous avons été six condamnés qui ne sont pas plus coupables que les autres, mais si nous mourons pour les autres, nous serons vengés par Dieu.
Pardonne-moi bien de la peine que je vais te faire, ainsi qu'à mes pauvres parents. Je n'ai pas peur de la mort, puisque je suis innocent du fait qu'on me rapproche.
La lettre de Quinault est peut-être plus émouvante encore dans son naïf langage :
Ma chère femme,
Je t'écris mes dernières nouvelles. C'est fini pour moi. C'est bien triste. Je n'ai pas le courage. Je me (ici sont quelques mots illisibles). Pour toi tu ne me verras plus.
Il nous est arrivé une histoire dans la compagnie. Nous sommes passés vingt-quatre en Conseil de guerre. Nous sommes six condamnés à mort. Moi je suis dans les six et je ne suis pas plus coupable que les camarades, mais notre vie est sacrifiée pour les autres.
Ah ! Autre chose : si vous pouviez m'emmener à Vallon. Je suis enterré à Vingré.
Dernier adieu, chère petite femme. C'est fini pour moi. Adieu à tous, pour la vie. Dernière lettre de moi, décédé au 298e régiment d'infanterie, 19e compagnie, pour un motif dont je ne sais pas la raison. Les officiers ont tous les torts et c'est nous qui sommes condamnés pour eux. Ceux qui s'en tireront pourront te raconter. Jamais j'aurais cru finir mes jours à Vingré et surtout d'être fusillé pour si peu de chose et n'être pas coupable.
Ça ne s'est jamais vu, une affaire comme cela. Je suis enterré à Vingré !... Ah ! Autre chose, si vous pouvez m'emmener à Vallon ! »
À cette heure suprême, sa pensée se tournait vers le petit cimetière de son village de l'Allier, où il lui semblait que l'éternel sommeil serait plus paisible.
S'il avait su !
S'il avait su que lorsque "l'affaire" serait connue à Vallon, le curé refuserait de célébrer un service funèbre à sa mémoire, que les boutiques des marchands se fermeraient devant sa femme, que son fils serait mis en quarantaine à l'école, qu'on lui jetterait la pierre, et enfin que ses êtres si chers devraient fuir devant cette haine sauvage...
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La nuit vient, passe.
Voici le matin du 4 décembre.
Les condamnés ont gardé une lueur d'espoir. Le sergent Moncoudiol leur a dit : « on ne peut pas fusiller comme cela, bien que ce soit la guerre ».
Le lieutenant Paulaud leur a assuré que : « tout ça s'arrangera ».
Un cliquetis d'armes les arrache de leur torpeur. La porte s'ouvre. Un adjudant s'avance. Mais ce n'est pas leur grâce qu'il apporte. Il vient leur dire que l'heure est venue, qu'ils vont mourir.
Résignation ou stupeur, aucune plainte…
Ils se lèvent, sortent, tête nue, en manche de chemise, sous le vent glacial et marchent, le front haut vers le terrain où doit avoir lieu l'exécution, au bas du village de Vingré, à 400 m des lignes ennemies.
Le haut commandement a décidé de donner à cette tragédie le caractère d'une grande solennité militaire. Ne s'agit-il pas d’un exemple ? Toutes les compagnies disponibles forment le carré ; on a placé la compagnie à laquelle appartenaient ceux qui vont mourir au premier rang.
Pendant la nuit six poteaux ont été dressés. D'un pas ferme les six condamnés vont s'y adosser.
On les attache.
Un commandement. Le crépitement des balles. Les six hommes sont morts.
Alors se produit ceci : tous les hommes de la 19e compagnie éclatent en sanglots. L'émotion gagne de proche en proche, si vite que les officiers sont impuissants à la réprimer. Devant cette manifestation unanime, le colonel Pinoteau ne sait quelle attitude prendre.
Seul le commandant Guignot va et vient, satisfait.
Apercevant le lieutenant Paupier, qui baisse la tête pour ne pas voir l'affreux spectacle, il lui donne un coup section le menton : « Paupier, relevez la tête ! »
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Au cours de mon enquête sur l'affaire de Vingré, j'ai tenu à entendre celui qui, dans l'ordre des responsabilités, partage la première place avec le général de Villaret : M. le substitut Achalme.
Je l'ai trouvé dans son cabinet de Saint-Étienne, examinant un dossier :
« Monsieur le Substitut, en novembre 1914, au Conseil de guerre de Vingré, qui condamna à mort six soldats dont l'innocence a été par la suite reconnue, vous avez occupé les redoutables fonctions de commissaire du gouvernement. C'est à ce sujet que je voudrais vous interroger ».
M.Achalme parut me demander un instant s'il parlerait ou s'il se tairait.
« Substitut à Bourg, dit-il enfin, mobilisé comme lieutenant dans un régiment de la 63e division d'infanterie, le général me fit appeler un jour pour me demander de bien vouloir suivre les affaires du Conseil de guerre. J'acceptai étant entendu que ce ne serait qu'à titre provisoire. Je ne me sentais aucun goût pour cette besogne.
- Comme je vous comprends !
- Le 30 novembre dans l'après-midi, j'ai reçu du général de division...
- Le général Julien.
- Ne mettons pas de nom si vous le voulez bien... l'ordre de réunir, pour le lendemain, le Conseil de guerre ; il s'agissait de juger les hommes qui avaient abandonné une tranchée. Je me rendis à Vingré où j'arrivai à six heures du soir. Vingt-quatre hommes étaient inculpés. Bien que ce ne fût pas pour moi une obligation, je passai la nuit à les interroger tous. Aucun d'eux ne me parla de l'ordre de repli donné par le lieutenant Paulaud.
- Avez-vous entendu des témoins ?
- Non, mais j'ai dit aux inculpés et aux défenseurs que je me mettais à leur disposition pour faire entendre à l'audience tous les officiers, sous-officiers et soldats dont il considéreraient le témoignage utile.
- On ne vous en indiqua pas ?
- Aucun.
- Sur quoi vous êtes-vous appuyé pour requérir devant la Cour martiale ?
- Je me suis appuyé sur les pièces du dossier, sur les rapports du commandant de compagnie et du chef de bataillon. Je n'avais rien d'autre à ma disposition. Ces documents établissaient clairement le crime d'abandon de poste.
- Vous aviez devant vous vingt-quatre inculpés. Six seulement ont été condamnés à mort. Quelles ont été vos réquisitions ?
- J'ai laissé le Conseil libre de prononcer les peines.
- Sur quoi les juges se sont-ils basés pour condamner le caporal Floch, les soldats Quinault, Blanchard, Pettelet, Durandet et Pierre Gay ?
- Le Conseil s'est trouvé dans une situation fort embarrassante. Les juges ont estimé qu'il était inadmissible que les vingt-quatre hommes fussent au même titre responsables de la panique. Ils ont cherché à s'éclairer. Après la plaidoirie même, on a fait revenir à la barre le sergent Diot et le sous lieutenant Paulaud. Le président leur a demandé une dernière fois de renseigner les juges. Ces témoins ont conservé une attitude impassible. Aucun d'eux n'a dit mot pour sauver les accusés. Le Conseil, dans ces conditions, a condamné les hommes qui se trouvaient le plus près des Allemands.
- Pourquoi ce chiffre de six ? »
M. le Substitut Achalme ne peut dissimuler l'embarras que lui cause ma question. Je me décide à lui venir en aide.
« Est-ce que le nombre de six n'avait pas été fixé par le général de division ? »
Je regarde dans les yeux M. le Substitut. Il n'ose nier. Il cherche une formule.
« Je ne sais si le haut commandement avait donné des ordres secrets au président de la Cour martiale. Moi, je n'en ai reçu aucun.
- Vous ne pouvez ignorer ce fait : il a été établi par l'enquête de révision. Vous ne pouvez ignorer non plus la déclaration du général Linder : "Paulaud a manqué de caractère au cours de l'instruction. Pour décharger sa responsabilité, il a cru devoir charger les hommes qui étaient sous ses ordres et abonder dans le sens de ses chefs qui voulaient une condamnation."
À cette question, M. Achalme se garde de répondre.
« Si j'avais connu, me dit-il, la phrase prononcée par Paulaud après l'arrêt : "on vient de condamner des innocents" je vous jure que j'aurais immédiatement adressé un rapport à mes chefs et que l'exécution n'aurait pas eu lieu... On nous accable aujourd'hui, mais on nous juge sans tenir compte des circonstances dans lesquelles les faits se sont passés il y a sept ans.
En novembre 1914, les chefs prenaient encore à la lettre l'ordre de Joffre du 5 septembre : "il faut se faire tuer sur place plutôt que de perdre un pouce de terrain". Nous étions à ce moment la seule division ayant réussi à traverser l'Aisne. Nos chefs ne comprenaient pas la guerre. Ils imaginaient que la perte d'une tranchée constituait un désastre.
- Tout cela n'était pas une raison suffisante pour fusiller des innocents.
- Je suis le premier à reconnaître que l'arrêt de réhabilitation a été une mesure de justice, surtout après l'abandon des poursuites contre le caporal de Voguë. Voyez-vous, l'institution des Cours martiales a été une lourde faute. La responsabilité en incombe une bonne part au pouvoir civil qui a eu le tort d'abandonner ses droits aux mains de l'autorité militaire. »
Telle est fidèlement reproduite la conversation que j'eus avec le commissaire du gouvernement à Vingré.
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Examinons maintenant ses déclarations.
Non sans quelque timidité, M. Achalme dit avoir ignoré que le commandement, avant l'audience, avait fixé le nombre des hommes à condamner.
Ce n'est pas exact. Un parlementaire, plaidant sa cause, ma affirmé : « S'il n'y a eu que six condamnations, c'est surtout grâce à M. Achalme qui, avant l'audience, est intervenu auprès des généraux Julien et de Villaret pour que l'on ne maintint pas le chiffre de 12 hommes qui semblait définitivement arrêté ».
Au surplus, comment M. Achalme eût-il pu ignorer ce que tant d'autres moins bien placés que lui pour être renseignés, savaient ?
Devant le général Linder, le docteur Raymond, de Vichy, aide-major au 298e, a déposé devant l'enquête de révision :
« Apprenant un soir que plusieurs hommes de la 19e compagnie du 298e allaient être jugés par le Conseil de guerre, je me rendis au centre du village de Vingré. J'étais fort étonné de cette nouvelle, car je n'avais pas entendu dire que des hommes s'étaient rendus coupables d'un délit passible du Conseil de guerre. Mais mon étonnement devint de la stupéfaction quand, voyant s'avancer sur la route de Vic sur Aisne un aumônier militaire, et lui demandant ce qui l’amenait, il me répondit que le lendemain six au moins de ces hommes allaient être fusillés, peut-être douze.
J'affirme que ce propos a été tenu avant l'ouverture du Conseil de guerre, et je me souviens de l'émotion douloureuse que j'ai ressentie en voyant passer, quelques minutes après, les malheureux inculpés qui se rendaient vers la maison du colonel, sans se douter du sort qui les attendait ».
M. Achalme prétend avoir laissé le Conseil libre de juger. Est-ce vrai ?
« Non » répond le témoin C.H. Viellay, ex sergent-major à la compagnie à laquelle appartenaient les six victimes et qui assista à l'audience. « Pour ne pas se tromper, a-t-il écrit, le commissaire du gouvernement a requis la peine de mort contre tous les accusés, plus de vingt ».
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La vérité est que le lieutenant Achalme n'a rempli ni son devoir de soldat, ni son devoir de magistrat.
Après avoir reçu le rapport du commandant Guignot, le général Julien avait délivré contre les hommes des 5e et 6e escouades un ordre d'informer qui les rendait justiciables du Conseil de guerre prévu par le décret Millerand, où ils eussent bénéficié de quelques garanties : instruction préalable, délai de vingt-quatre heures entre la citation et l'audience, nombre de juges : 5 au lieu de 3. Cet ordre d'informer, le général de Villaret, dans sa hâte de faire un exemple, le déchira pour y substituer, bien qu' il n'y eut pas flagrant délit, un ordre de mise en jugement direct devant une Cour martiale.
Mais c'était précisément le rôle des magistrats mobilisés dans les Conseils de guerre de redresser les erreurs commises par les généraux ignorants, insouciants ou inhumains.
Ce rôle, M. Achalme ne l'a pas rempli. Il s'est servilement prêté à une fantaisie sanguinaire. Il est complice.
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Au surplus, pour apprécier les responsabilités, on possède un document si net, si terrible dans sa modération, qu'il ne permettra pas à la justice de se dérober indéfiniment à son devoir, lequel n'est pas seulement de réhabiliter les innocents, mais aussi de frapper les coupables.
Ce document, on le trouve au Journal Officiel du 18 février 1921, et c'est l'arrêt de la Cour de Cassation dans l'affaire des martyres de Vingré :
Attendu que par jugement du Conseil de guerre spécial de la 63e division d'infanterie, en date du 3 décembre 1914, le caporal Floch (Paul), et les soldats Gay (Pierre), Pettelet (Claude), Quinault (Jean), Durandet (Jean) et Blanchard (Jean-Marie), tous du 298e R.I., ont été condamné à la peine de mort pour abandon de poste devant l'ennemi ; que ce jugement a reçu son exécution le lendemain à l'égard de tous les condamnés qui ont été passés par les armes.
Attendu qu'il résultait du rapport dressé en vertu de l'article 108 du code de justice militaire que le 27 novembre 1914, une tranchée de première ligne, située en avant du village de Vingré (secteur de la Maison détruite), et à laquelle on accédait par un boyau central, était occupée dans sa partie gauche par une demi section du 298e R.I. (5e et 6e escouades), et dans sa partie droite par une autre demi section du même régiment (3e et 4e escouades) ; que cette partie droite, ayant été violemment bombardée par l'artillerie allemande, avait dû être évacuée dans l'après-midi, et qu'on n'y avait laissé qu'un caporal et quatre sentinelles doubles ; que vers 5 heures du soir, les Allemands s'étaient brusquement emparés de ce petit poste sans qu'un coup de fusil ait été tiré ; que, grâce à cette surprise, ils avaient pu s'infiltrer dans la partie gauche de la tranchée et tomber à l'improviste sur les hommes des 5e et 6e escouades qui, pris de panique, s'étaient enfuis par le boyau central jusqu'à la tranchée de deuxième ligne, d'où les officiers avaient éprouvé de grandes difficultés pour les faire remonter en première ligne. Que vainement, le sous-lieutenant Paulaud, chef de section, leur avait crié d'avancer ; qu'ils n'avaient pas exécuté cet ordre, et que cet officier, quand il s'était précipité pour aller réoccuper la tranchée, n'avait été suivi que par un seul soldat.
Attendu que cette dernière partie du rapport précité était empruntée à la déposition faite par le sous-lieutenant Paulaud, le 1er décembre 1914, devant le commissaire rapporteur, que cette déposition avait été sévère pour les inculpés et lui-même l'a reconnu dans l'enquête de révision. Que cet officier peut donc être considéré comme ayant été un des principaux témoins de l'accusation.
Attendu que l'autorité de son témoignage – qui N'A PAS ÉTÉ CONTRÔLÉ DANS L'INFORMATION DE 1914 et qui n'a pas été confirmé par aucun témoin ou inculpé alors entendus par le lieutenant rapporteur – a été contestée par les dépositions de plusieurs témoins au cours des deux enquêtes de révision ; que, notamment, les caporaux Lafloque, Bardet, le sergent Rimaud et le soldat Darlet, ayant appartenus en cette qualité au 298e R.I., les trois premiers non entendus dans les instructions préalables et définitives, ont déclaré : « que les hommes des 5e et 6e escouades, surpris par les Allemands, avaient reflué de la tranchée de première ligne vers le boyau de communication où ils s'étaient heurtés aux hommes des 7e et 8e escouades qui, aux cris de : "Voilà les Boches !", étaient sortis de leurs abris situés à 60 mètres de ladite tranchée ; qu'il s’en était résulté une confusion et QU'À CE MOMENT LE CHEF DE SECTION, le sous-lieutenant Paulaud, sortit de son abri voisin, LEUR AVAIT DONNÉ L'ORDRE DE SE REPLIER SUR LA TRANCHÉE DE RÉSISTANCE ; QUE CET OFFICIER ÉTAIT PARTI LUI-MÊME PRÉCIPITAMMENT ET L'UN DES PREMIERS DANS CETTE DIRECTION.
Attendu que le lieutenant Paupier qui commandait la compagnie et se trouvait dans la tranchée de résistance, a déclaré QU' EN EFFET LE SOUS-LIEUTENANT PAULAUD ÉTAIT ARRIVÉ L'UN DES PREMIERS DANS CETTE TRANCHÉE, QU'Il LUI AVAIT DRESSÉ UNE OBSERVATION À CE SUJET ET QUE, quelques instants après, TOUS LES HOMMES, sur l'ordre que lui-même leur avait donné, ÉTAIENT REMONTÉS EN PREMIÈRE LIGNE, à la suite de leur chef de section.
Attendu que le sous-lieutenant Paulaud a, dans les deux enquêtes de révision, protesté contre ces dépositions et nié spécialement avoir donné un ordre de repli ; mais en admettant même que l'ordre de repli n'ait pas été donné par lui, il n'en demeure pas moins constant que cet ordre a été proféré et entendu par les hommes comme s'il émanait d'un supérieur, et qu'on ne serait dans ces conditions leur faire un grief de l'avoir exécuté.
Attendu que le dit ordre, inconnu du Conseil de guerre, constitue un fait nouveau de nature à établir l'innocence des condamnés dans les termes de l'article 443, 4e, du Code d'instruction criminelle ; que le sous-lieutenant Paulaud lui-même a exprimé sa conviction de l'innocence des condamnés quelques instants après leur exécution, dans des conditions de sincérité qui ont été rapportées par un témoin de l'enquête et qu'il a affirmé de nouveau cette conviction à diverses reprises dans ces dernières dépositions.
Attendu qu'en l'état des constatations qui précèdent, et sans qu'il soit besoin d'examiner les deux autres faits invoqués comme nouveaux, il y a lieu d'accueillir la demande en révision dont la Cour est saisie.
Et vu l'article 445, paragraphe 8, du Code d'instruction criminelle ;
Attendu qu'en raison du décès des condamnés, il y a impossibilité de procéder à de nouveaux débats ; qu'il appartient en conséquence à la Cour de Cassation de statuer au fond sans renvoi, en présence des parties civiles et du curateur nommé par elles à la mémoire des morts.
Par ces motifs :
Casse et annule le jugement du Conseil de guerre spécial de la 63e division d'infanterie en date du 3 décembre 1914, qui a condamné le caporal Floch et les soldats Gay, Pettelet, Quinault, Blanchard et Durandet à la peine de mort.
Décharge leur mémoire de cette condamnation.
Ordonne l'affichage du présent arrêt dans les lieux déterminés par l'article 446 du Code d'instruction criminelle et son insertion au Journal Officiel ; ordonne également que le présent arrêt sera imprimé ; qu'il sera transmis sur les registres du Conseil de guerre de la 63e division d'infanterie, et que mention en sera faite en marge du jugement annulé.
L'arrêt, statuant sur les conclusions des parties civiles, alloue ensuite, à titre de réparation :
1 - à chacune des dames Rose Meuchard (veuve Floch) ; Marie Pettelet (veuve Pettelet) ; Marie Minard (veuve Gay) ; Nathalie Greuzat (veuve Quinault), Michelle Destage (veuve Blanchard) ; Claudine Drizard (veuve Durandet), une pension annuelle et viagère de 1000 francs.
2 - à chacun des trois mineurs Pettelet et Durandet une pension annuelle de 1000 francs, le payement de cette pension devant cesser à leur majorité.
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C'est là un commencement de justice. Ce n'est pas toute la justice. On veut bien enfin reconnaître l'innocence des condamnés.
Mais les autres ?
Mais ceux qui ont donné l'ordre de les condamner ?
Mais ceux qui ont obéi ?
Mais le commandant Guignot qui, ayant mission de procéder à une enquête, n'a entendu aucun témoin, a refusé d'entendre ceux qui s'offraient, qui a accepté sans examen une version suspecte parce qu'il savait que le haut commandement voulait un exemple, qui n'a pas daigné écouter les explications des accusés, et par sa déshonorante servilité, les a envoyés à la mort ?
Mais le lieutenant rapporteur Achalme, qui n'a pas même contrôlé ainsi que le reconnaît l'arrêt de la Cour de Cassation le témoignage intéressé du sous-lieutenant Paulaud et, dans une affaire capitale, s'est borné à un simulacre d'instruction ?
Mais les généraux Julien et de Villaret qui, d'avance, ont ordonné l'exécution de tous les soldats des 5e et 6e escouades et ne se sont résignés au chiffre de six victimes qu'à titre de transaction ?
Mais le colonel Pinoteau, président de la Cour Martiale qui a accepté de condamner par ordre et poussé son infâme obéissance jusqu'à priver les accusés de moyens de défense ?
Est-ce la main de la justice ne s'abattra pas sur ces hommes ?
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B.Mouze
Re: Vingré
Les crimes des Conseils de guerre
Les quatre caporaux de Suippes
En février 1915, le 336e régiment d'infanterie avait pris part aux violents combats de Perthes. En mars, on le retrouve néanmoins en première ligne au moulin de Souin.
Le 7, après une préparation d'artillerie insuffisante – suivant le témoignage du commandant Jadé, ancien officier du 336e et actuellement député du Finistère – on lance en avant la 24e compagnie, dont les effectifs sont très réduits.
Elle est aussitôt rejetée dans ses tranchées avec des pertes sérieuses.
Cet échec ne décourage pas à l'état-major. Deux heures plus tard, après une brève canonnade, on fait sortir la 21e compagnie, commandée par le commandant Dubois.
Celle-ci est à son tour également repoussée
Dans la nuit,. le capitaine Jadé, de la 18e compagnie, reçoit l'ordre d'attaquer par surprise à 4 h 30 du matin les tranchées ennemies, qui, la veille, n'ont pu être prises.
Mais la compagnie de première ligne qui doit relever la 18e n'a pas été prévenue à temps. Un certain flottement se produit au moment de son arrivée, et le capitaine Jadé, qui avait donné l'ordre d'attaque pour 5 heures est obligé de le reporter à 5 h 30.
À 5 heures cependant, l'artillerie française commence à tirer contre les tranchées ennemies.
À 5 h 30, à l'instant où la 18e compagnie essaye de sortir de sa tranchée, les compagnies voisines, ignorant le coup de main qui allait être tenté, lancent des fusées.
Dès lors, l'opinion du capitaine Jadé est faite. Il recommande à ses hommes de ne pas bouger, va trouver à quelque distance en arrière le commandant de bataillon.
« Vous m'avez donné l'ordre d'attaquer par surprise, lui dit-il, j'estime que la surprise était en effet la condition de l'attaque. Attaquer maintenant n'est plus possible. Ce serait faire tuer peut-être 50 hommes de ma compagnie. J'ai pris sur moi de ne pas sortir. Mais comme je ne veux pas que vous puissiez considérer cela comme une lâcheté, je suis prêt, si vous me l'ordonnez, à monter sur le tremplin. »
Le commandant se rend aux raisons du capitaine Jadé. Il n'insiste pas.
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Le surlendemain, 9 mars, l'ordre est donné à une autre compagnie, la 21e, de se préparer à sortir.
Quant à la 18e compagnie, elle devra suivre la première vague d'assaut, se placer entre la tranchée de départ et les tranchées allemandes éventuellement prises, puis, là, AU MILIEU DE LA PLAINE, AU GRAND JOUR, commencer des travaux, amorcer des boyaux vers l'avant et l'arrière.
La 21e compagnie quitte les tranchées de réserve à 4 h du soir pour gagner les tranchées de départ.
Pendant de longues heures, les hommes ont sous les yeux les cadavres de leurs camarades tombés dans les attaques précédentes, les uns deux jours plus tôt, les autres il y a six mois. Nul spectacle n'est plus démoralisant.
Lorsque vient l'heure d'une sortie que les combattants savent d'avance condamnée à l'insuccès, des protestations s'élèvent.
« Nous préférons être fusillés, disent-ils, mais enterrés que de rester là-bas à pourrir sur le bled. Au moins nous aurons sauvé du massacre les camarades de la 22e, qui doivent marcher derrière nous. »
Le capitaine pour les entraîner crie : en avant !
Il est suivi seulement de l'aspirant Germain et de quelques sous-officiers qui, d'ailleurs, ne tardent pas, sous la violence du feu ennemi, à revenir dans la tranchée.
À l'arrière, où l'on s'est rendu compte de ce qui se passe, mais où l'on ne veut pas se rendre compte de l'impossibilité où se trouvent les malheureux soldats de faire mieux, le général commandant la 60e division donne l'ordre à l'artillerie de tirer sur la tranchée, de tuer tous ceux qui ont obéi et ceux qui n'ont pas obéi.
Cet ordre sauvage, le colonel Bérubé, commandant l'artillerie divisionnaire, refuse de l'exécuter.
« Que le général de division le signe » répond-t-il à l'officier qui est venu le lui transmettre de vive voix.
Le général n'a pas le courage de prendre cette responsabilité, mais il fait prévenir que l'attaque devra être reprise par la 21e compagnie.
Après quoi, prenant le nom d'un caporal et de quatre soldats par section, on leur demande de se porter en avant – il fait encore jour – pour couper les fils de fer barbelés.
Les caporaux Maupas, Girard, Lefoulon et Lechat, se trouvent au nombre des victimes ainsi sacrifiées, car c'est à une mort inutile et certaine qu'on les envoie. Toute la compagnie, qui s'en rend compte, est en proie à une indicible émotion. Lechat avait été volontaire la veille pour une mission périlleuse. Plusieurs de ses camarades, révoltés de l'injustice qui lui est faite, s'offrent pour le remplacer.
Vain héroïsme.
Les quatre caporaux et leurs hommes se révoltent-ils ? Point ; ils essayent d'obéir ; ils se portent en avant. Mais les fils de fer sont à 150 mètres. L'impossibilité d'y arriver est manifeste.
Ils se terrent dans des trous d'obus.
L'aspirant Germain court jusqu'à l'endroit où se trouvent blottis les quatre hommes et le caporal de sa section. Il les exhorte à un effort dernier. Mais ce ne sont plus, suivant son expression même, que de "véritables loques". Ils ont atteint la limite de l'endurance humaine. Ils ne peuvent bouger.
À la nuit, caporaux et soldats regagnent la tranchée.
Dans l'après-midi du 10 mars, la 21e compagnie est relevée et dirigée sur Suippes, où, aussitôt, on incarcère les caporaux Maupas, Girard, Lefoulon, Lechat et une trentaine de soldats, en les informant qu'ils sont inculpés de refus d'obéissance devant l'ennemi.
Le régiment est consterné.
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Le 16, la Cour martiale se réunit. Seul, le colonel président est un combattant. Ses assesseurs, bien qu' officiers de carrière, appartiennent à des services de l'arrière.
Quelques officiers ont été appelés à témoigner. Mais systématiquement, on a refusé d'entendre ceux qui ont demandé à déposer.
Le commandant du bataillon auquel appartient la 21e compagnie plaide chaleureusement la cause des accusés.
Il est à chaque instant interrompu. Il est injurié. Peu s'en faut qu'on ne le rende responsable.
Un témoin, avocat d'un barreau de province, qui, officier de complément au 336e, assistait à cette hideuse comédie judiciaire, a écrit avant de mourir glorieusement sur le champ de bataille :
"Ces hommes, pris presque au hasard, furent simplement traduits en Conseil de Guerre. Trente-deux furent acquittés sur la déclaration d'un adjudant, d'après laquelle il ne croyait pas qu'ils aient entendu l'ordre de : en avant ! et quatre furent condamnés à mort (les caporaux). L'adjudant a été pris en grippe par le général de division qui a interdit formellement une proposition faite précisément pour lui, paraît-il, pour le grade de sous lieutenant. Les témoins furent pris parmi les chefs qui avaient passé les trois jours dans les caves. Mais on s'est bien gardé de faire appeler les quatre seuls officiers dont j'étais, qui avaient passé les trois jours auprès des hommes, et qui seuls auraient pu dire la vérité. L'affaire a été truquée d'un bout à l'autre.
Je le dis en toute conscience : LES QUATRE CAPORAUX SONT MORTS ASSASSINÉS
Ce témoignage n'est pas unique.
Le capitaine R., qui assistait à l'audience présidée – il faut retenir ce nom pour l'éxécration des honnêtes gens – par le colonel MARTHENET, en fait le récit suivant :
« Je me rendis à la séance et j'entendis déposer le capitaine Equilbey qui commandait un bataillon aux 336e. Le capitaine Equilbey exposait au Conseil combien l'attaque se présentait mal et faisait valoir les difficultés d'exécution. Il faisait sa déposition en homme loyal et droit, et avec d'autant plus d'indépendance que le bataillon incriminé n'était pas le sien.
Je remarquai que, presque à chaque mot, il était interrompu par le président du Conseil de guerre et qu'il avait grand peine à faire sa déposition. Je ne voulus pas rester plus longtemps dans cette salle, où les témoins avaient tant de difficultés à déposer, et sortis. »
M.L. dit à son tour :
« C'est en conversant avec le capitaine Equilbey, de l'état-major du régiment, que j'appris la mise en accusation. Je ne pus, à mon grand regret, assister à l'audience du Conseil de guerre où s'était rendu le capitaine Equilbey pour défendre la cause du caporal Maupas, qu'il connaissait particulièrement et estimait beaucoup.
C'est en termes indignés et douloureusement sympathiques qu'il m'apprit la fatale nouvelle. Rien n'avait pu sauver Maupas et ses trois malheureux compagnons, ni la défense du capitaine Equilbey, ni la déclaration du colonel Bérubé, commandant l'artillerie divisionnaire, dont la conscience se révoltait à l'idée de s'associer à une infamie et qui s'écria : ce ne sont pas là les vrais coupables. Il faut chercher plus haut. »
(Par contre, il y eut un réquisitoire impitoyable, très favorablement écouté. Au sujet du lieutenant Morvan, l'accusateur initial, M.L. s'exprime ainsi : « le lieutenant Morvan, l'accusateur de Maupas, poursuivi par la vindicte de ses camarades, s'enferma dans sa chambre pour y cacher sa honte »)
M.M. dépose :
« il m'a été affirmé que le colonel Bérubé, commandant le 7e R.A.C., aurait dit au général Reveilhac, à l'issue du Conseil de guerre : C'EST UN ASSASSINAT. Cette parole fut la cause de son limogeage immédiat. Le témoignage de ce colonel, s'il vit encore, serait précieux. »
M.Q. dit enfin :
« J'assistai à une partie des débats : j'en sortis avec l'impression que tous les juges, presque tous ignorants de ce que pouvait être une tranchée de première ligne, OBÉISSAIENT À UN ORDRE EN CONDAMNANT QUATRE CAPORAUX À LA PEINE DE MORT. »
À la vérité, quelques instants après son impitoyable arrêt, le Conseil de guerre, pour couvrir sa responsabilité, signa un recours en grâce. Mais il ne fut pas suivi d'effet.
(À Suippes où eut lieu l'exécution, on dit que celle-ci fut pressée par le général Reveilhac qui craignait de voir arriver la grâce. "En effet, l'ordre de surseoir à l’exécution arriva quelques instants après que les quatre malheureux caporaux fussent tombés" -- lettre de M.Ch.F. à la Ligue des Droits de l'homme.)
L'exécution était fixée au lendemain.
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Le 10 mars, avant sa comparution devant la Cour martiale, le caporal Maupas avait adressé à sa femme la lettre suivante, dont nous voulons que l'on dise si elle mérite mépris ou respect :
« Me voilà réveillé encore une fois, ayant plutôt l'air d'un mort que d'un vivant. Mon coeur déborde, tu sais; je ne me sens pas la force de réagir. C'est inutile, c'est impossible.
J'ai pourtant reçu hier les deux boîtes que tu m'as envoyées, contenant sardines, beurre, réglisse, figues, pommes et mon beau petit sac, et les belles cartes, j'étais heureux ; mais je me suis tourné vers la muraille et de grosses gouttes, grosses comme mon amour pour les miens, ont roulé, abondantes et bien amères.
Dans ces moments où je songe à tout ce qui se passe d'horrible et d'injuste autour de moi, sans avoir une ombre d'espoir, eh bien, tu sais, je suis entièrement déprimé.
Je n'ai plus la force ni de vouloir, ni d'espérer quoi que ce soit.
Je ne vais pas continuer, ma pauvre Blanche, je ne vais pas continuer, je te ferais de la peine et je pleurerais encore.
Aujourd'hui je vais savoir le résultat de l'affaire.
Comme c'est triste. Comme c'est pénible. Mais je n'ai rien à me reprocher, je n'ai ni volé, ni tué ; je n'ai sali ni l'honneur, ni la réputation de personne. Je puis marcher la tête haute.
Ne t'en tracasse pas, ma petite Blanchette. Il y a bien assez de moi à penser à ces tristes choses. C'est pénible, attendu qu'à mon âge, ni dans la vie civile, ni dans la vie militaire, je n'ai dérogé à mon devoir.
Pour quiconque n'a pas d'amour propre, ce n'est rien, absolument rien, moins que rien.
Moi qui ai du caractère, qui m'abats, qui me fait du mauvais sang pour rien, eh bien, tu sais ma bonne petite, j'en ai gros sur la coeur.
Il me semblait pourtant que depuis mon enfance, j'avais eu assez de malheur pour espérer quelques bons jours. C'est ça la vie ? Eh bien ce n'est pas grand-chose ! Que de gens comme moi ont un foyer et ne sont plus ! Des petits-enfants appelleront souvent leur papa, une femme adorée qui se rappellera un mari dévoué ! C'est bien quand je songe à ces tristes choses !
Allons courage ! Courage, mon petit bonhomme ! Soutenons-nous ! Aimons-nous !
J'embrasse ton beau petit sac, ta bonne lettre, ta carte, tes cheveux. Tout cela est là dans un petit coin de mon sac. Je l'ouvre souvent ce vieux sac pour y voir mes objets chers qui sont une partie de toi et de mon petit Jean. Pauvre petite !
Allons, courage mon petit soldat !
Je me serre bien dur contre toi !
Ne me quitte pas et veille bien sur moi !
Embrasse bien fort ma Jeannette !
Que je t'aime mon Dieu ! Et que je pleure ! »
Cette lettre, d'une si émouvante simplicité, est-ce la lettre d'un lâche ?
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Le capitaine Jean Jadé, auquel il a été fait allusion au cours de ce tragique récit, a précisé devant la Chambre des Députés les conditions dans lesquelles l'ordre d'attaque avait été donné et les condamnations prononcées :
« Le 7 mars, dit-il, on donne l'ordre à la 21e compagnie de prendre la première ligne et de se préparer à sortir.
Ici commence le drame ; la 21e compagnie prend les tranchées de départ à huit heures du matin. Les hommes sont exténués par les combats de Perthes, par les séjours en première ligne au moulin de Souin. Ils ont devant eux la plaine immense, un glacis remontant vers les lignes allemandes, semé de cadavres en tenue bleue, des camarades tués dans les attaques de septembre.
Dans cet état de fatigue et de tension nerveuse, ils attendent jusqu'à quatre heures du soir l'ordre d'attaquer.
À quatre heures du soir, l'ordre d'attaquer est donné. Les hommes à ce moment-là, – nous ne pouvons pas les empêcher de se rendre compte de ce qu'ils ont devant les yeux – jugent l'inutilité de l'attaque.
Les officiers de la compagnie franchissent le parapet criant : en avant ! Les hommes refusent de sortir. Ils disent : "nous préférons être fusillés, mais être enterrés, que de rester à pourrir là-bas, sur le bled. Ainsi, nous aurons au moins sauvé du massacre les camarades de la 22e, qui doivent attaquer après nous."
On en rend compte à l'arrière.
À ce moment, le général qui commandait la 60e division donne l'ordre, vous entendez bien, de tirer dans la tranchée française, de tuer par conséquent les hommes qui étaient sortis, les gradés qui étaient sortis, en même temps que ceux qui avaient refusé.
Le colonel Bérubé, qui commandait l'artillerie divisionnaire, a refusé d'exécuter cet endroit (Applaudissements). Il a exigé un ordre écrit que le général de division n'a pas eu le courage de signer. »
M. Ferdinand Buisson : « le colonel Bérubé a déclaré plus tard que ce qui s'était passé là était un assassinat. »
M. Jean Jadé : « c'est l'unanimité des hommes, des sous-officiers et des officiers du régiment qui vous diront que CETTE AFFAIRE A ÉTÉ UN VÉRITABLE ASSASSINAT. Mon camarade, le sous-lieutenant Bordy, qui avait pris à ma place le commandement de la compagnie, car, dans la matinée, j'avais été blessé grièvement, a été blessé grièvement en effectuant une reconnaissance, puisqu'il a subi une amputation en allant porté aux premières lignes la menace de cet ordre de faire tirer l'artillerie française.
Par suite, le commandement prévient la 21e compagnie que les pertes n'étant pas suffisantes, il y aura lieu de recommencer l'attaque. À ce moment, on fait prendre à la compagnie le nom d'un caporal et de quatre hommes par section auxquels on donne l'ordre formel de se porter en avant, d'aller couper les fils de fer. »
M. Balanant : « en plein jour ? » (Exclamations)
M. Jean Jadé : « en plein jour ! »
M. Pierre Deyris : « c'est formidable ! »
M. Jean Jadé : « ces hommes étaient des braves ! Le Caporal Lechat, qui est parmi les fusillés, avait été, la veille, volontaire pour une mission périlleuse. Et quand il reçut cet ordre, ses camarades, les autres caporaux, sont intervenus auprès du commandant de compagnie en disant : "Lechat a effectué une mission périlleuse la nuit dernière, nous demandons de le remplacer."
Vous le voyez, nous avons affaire non seulement à des braves, mais à des hommes de coeur.
Ces hommes reçoivent l'ordre de se porter en avant, d'aller couper les fils de fer en plein jour.
Nous devinons immédiatement les mobiles qui ont inspiré cet ordre. On n'osait pas faire comparaître toute une compagnie devant le Conseil de guerre, alors on a donné un ordre formel à quelques hommes, de façon à pouvoir justifier l'inculpation de refus d'obéissance.
Ces hommes auraient pu rester dans la tranchée ; ils ont essayé d'obéir. Ils se sont portés en avant, ils ont vu les fils de fer à 150 mètres, ils ont compris l'impossibilité d'aller les couper. Ils savaient que c'était la mort certaine. Il y a tout de même quelquefois un instinct de conservation qui empêche les hommes d'aller au-delà de la limite de leurs forces (Applaudissements).
Ils se sont terrés dans un trou d'obus.
On les fait comparaître devant un Conseil de guerre.
Au Conseil de guerre, constitué par des officiers de l'arrière, dans lequel le colonel président était seul combattant, un certain nombre d'officiers ont été appelés. Quelques officiers du régiment ont demandé à être entendus.
Refus formel du président du Conseil de guerre d'entendre ces officiers.
Le commandant du bataillon, officiers de l'active, a été entendu. Il a apporté un témoignage loyal. Il a essayé d'innocenter les inculpés en exposant les conditions dans lesquelles avaient été commandées les attaques.
Sa déposition a été hachée d'injures et d'interruptions.
Le sous-lieutenant Germain, de la 21e, dont la conduite cependant dans cette affaire avait été magnifique, a vu aussi sa déposition hachée d'interruptions, et l'on a essayé de le mettre en contradiction avec ses propres déclarations.
Le Conseil de guerre a impitoyablement condamné à mort les caporaux Maupas, Lefoulon, Gérard et Lechat.
Puis il a signé un recours en grâce.
Malgré cela, l'exécution a été fixée au lendemain. Elle a eu lieu dans les vingt-quatre heures et je crois savoir, sans pouvoir l'affirmer, que l'ordre de surseoir à l'exécution est arrivé un jour ou deux après.
L'exécution a eu lieu dans des conditions abominables.
Le régiment tout entier y a assisté. L'officier qui commandait les officiers de la compagnie et tous les hommes pleuraient.
Le régiment était entouré de dragons dans la crainte d'une révolte. »
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Ce serait mentir de dire que ces faits n'ont pas causé à la Chambre une émotion d'autant plus vive qu'ils lui étaient exposés par un ancien combattant dont il n'était possible de mettre en doute ni la sincérité, ni le courage.
Mais ce serait mentir aussi de ne pas dire que cette émotion s'est vite apaisée, de sorte que ce débat tragique s'est grotesquement terminé sur quelques propos du gluant M. Ignace, une lourde pirouette de Bonnevay, et une impudente déclaration de Barthou, à cette date Ministre de la Guerre : « je ne peux pas promettre de sanctions ».
Donc, contre les officiers incapables qui, de l'arrière, envoyaient les soldats à une mort inutile, le représentant de l'armée au gouvernement ne peut pas promettre de sanctions. Pourquoi ? Sont-ils trop ?
Dans tous les cas, il y a un fait précis qui exigerait un châtiment sévère si l'autorité supérieure avait en quelque mesure le sentiment de son devoir : c'est l'ordre donné par le général de division de tirer sur la tranchée.
Que cet ordre fut criminel en soi, ce n'est pas ce que je veux discuter ici. Je dis seulement : ou il était justifié où il ne l'était pas.
S'IL N'ÉTAIT PAS JUSTIFIÉ, LE GÉNÉRAL, EN LE DONNANT, A COMMIS UNE TENTATIVE D'ASSASSINAT.
S'IL ÉTAIT JUSTIFIÉ, LE GÉNÉRAL, EN REFUSANT DE PRENDRE LA RESPONSABILITÉ DE L'ÉCRIRE, A FORFAIT À SON DEVOIR.
Se réservait-il donc, si des comptes lui étaient demandés plus tard, de nier son ordre qu'il refusait de le signer ?
Le colonel Bérubé a très noblement désobéi. Par quelle lâcheté suprême ne l'a-t-on pas poursuivi ?
N'est-il pas manifeste qu'on ne l'a pas osé parce qu'il était plus difficile de faire fusiller un colonel que d'humbles soldats, et parce que les débats auraient montré la misère intellectuelle et morale du chef ?
La Chambre, cependant, n'a pas même demandé le nom du général qui, en mars 1915, commandait la 60e division.
Et la Chambre non plus n'a pas fait la remarque que dans l'odieux Conseil de guerre qui a envoyé quatre braves à la mort, tout s'est passé comme si le Conseil, cette fois aussi, avait CONDAMNÉ PAR ORDRE.
Mais, plus révoltante encore que l'assassinat, est la ruse par laquelle on s'est efforcé de le justifier : cette épouvantable et basse rouerie qui consiste à exiger l'inexécutable pour avoir prétexte à frapper.
« Nous devinons immédiatement », a dit, on s'en souvient, le capitaine Jadé.
Ils devinent quoi, ces combattants ?
Eh bien, que l'on donne à d'autres combattants une mission au-dessus des forces humaines, en escomptant qu'elle ne sera pas remplie et que l'on trouvera prétexte, dans leur impuissance, à les assassiner également.
OR, C'EST UN PROCÉDÉ D'AGENT PROVOCATEUR.
Le chef qui a eu cette pensée et l'a exécutée a atteint le dernier degré d'ignominie.
« Je ne peux pas promettre de sanctions » a déclaré cependant Barthou...
Et la Chambre, unanime, ne s'est pas levée pour les exiger !
Cette même Chambre, qui, l'avant-veille, malgré les supplications ardentes d'officiers mutilés, avait refusé d'amnistier l'abandon de poste dans un moment où tout le front était un poste, a permis à un ministre de découvrir des crimes irrémissibles.
Quel spectacle !
Au 336e d'infanterie, il y avait des braves gens et des misérables. Ce sont les braves gens que l'on a fusillés.
La Cour Suprême allait-elle au moins réhabiliter la mémoire des victimes ? On l'aurait pu croire à la lecture de l'arrêt de renvoi, rendu par la Chambre des Mises en Accusation de la Cour d'appel de Rennes le 1er octobre 1921.
Après avoir reconnu que la 21e compagnie du 336e n'était pas sortie de la tranchée et n'avait pas exécuté l'ordre d'attaque qui lui avait été donné, la Cour s'est posée cette question : "l'ordre donné à cette malheureuse unité était-il matériellement exécutable " ? Dans la négative, le crime de refus d'obéissance apparaît comme impossible et ne saurait être retenu contre des hommes de la compagnie. C'est dans ce sens que, courageusement, la Chambre des Mises en Accusation n'a pas hésité à se prononcer.
Il est également certain, dit la Cour, que le 10 mars 1915 les hommes de la 21e compagnie, qui devaient se porter en avant, étaient très fatigués par quatre journées de tranchées, en première ligne ; ils étaient découragés par les attaques récentes dont ils avaient constaté et regretté l'insuccès ; ils avaient sous les yeux les cadavres de leurs camarades tombés dans les sorties récentes ou remontant à novembre et décembre ; ils voyaient intacts les fils de fer allemands. Ils savaient que l'ennemi était en éveil ; ils recevaient dans leur tranchée quelques obus français par suite d'un tir mal réglé ou de défectuosité de munitions. Bref, il est incontestable qu'ils devaient se trouver dans un état de dépression physique et morale très accentué et le fait est attesté par le plus qualifié pour en témoigner, par le lieutenant Morvan qui commandait leur compagnie.
Ce lieutenant a dit à l'instruction :
« A ce moment-là, aucun de mes hommes n'avait plus la force morale voulue pour une attaque ».
Puis il a maintenu qu'il avait déclaré devant le Conseil de guerre :
« Mes hommes étaient fatigués ; ils étaient comme des sacs ou des cadavres. Ils étaient démoralisés par les attaques précédentes qui avaient échoué ; mes hommes n'avaient plus de volonté ». Et il ajoute :
« mes hommes étaient tellement inertes et hébétés que, quand j'ai donné l'ordre en avant, j'en ai hissé quelques-uns sur le parapet, ils retombaient tous comme des masses dans la tranchée ».
Cette appréciation a été confirmée à l'instruction par le témoignage du sous-lieutenant Gracy :
« Les hommes n'avaient plus le ressort moral suffisant pour faire le sacrifice de leur vie, et du premier coup d'oeil, nous vîmes qu'aucune puissance au monde ne ferait sortir la 21e compagnie »
Appréciant le courage des quatre condamnés, la Cour reconnaît que :
"Les renseignements fournis sur les quatre condamnés sont excellents à tous égards, et ils avaient antérieurement donné des preuves de bravoure. Ils n'étaient animés d'aucun esprit calculé d'indiscipline. Ils ont failli dans un moment d'abattement qu'ils n'ont pu surmonter, et que les circonstances ambiantes expliquent trop."
Et le magistrat de Roanne de conclure :
"La mémoire des quatre fusillés de Suippes émerge de la tombe sous un jour favorable. Un de leurs juges du Conseil de Guerre souhaite leur réhabilitation. Dans ces conditions précipitées, il importe, en invoquant le motif suivant, de ne pas arrêter le cours de la justice, ni la marche vers la vérité.
Considérant que la volonté, intelligente et libre, est un élément essentiel de toute infraction à la loi pénale, qu'il ne semble pas que, dans leur état de dépression physique et morale, les quatre caporaux Girard, Lefoulon, Lechat et Maupas, aient eu la volonté nécessaire, pour obéir le 10 mars 1915 à l'ordre reçu de leur commandant de compagnie de marcher contre l'ennemi ; qu'à cet égard, il existe tout au moins un doute dont ils auraient à bénéficier, qu'impressionnés vraisemblablement par le souci de faire des exemples dans une période critique de la guerre, et peu familiarisés avec le droit pénal, les juges du Conseil de guerre apparaissent avoir été dominés par le fait de non obéissance alors qu'ils devaient s'attacher en outre à l'élément intentionnel du crime ; que, dans ces conditions, la sentence rendue est sujette à faire l'objet d'un nouvel examen au point de vue de réformation :
Par ces motifs :
La Chambre des mises en accusation reconnaît qu'il y a lieu de décision nouvelle au sujet de l'affaire sus-visée.
Ordonne en conséquence, le renvoi du recours et de la procédure à la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation pour qu'il soit statué définitivement sur le fond par cette juridiction de jugement."
Qu'allait faire dans ces conditions la plus haute juridiction du pays ? Reprendre purement et simplement ces attendus présentant sous son véritable jour l'affaire des quatre caporaux de Suippes ? Du tout.
M. le conseiller Lecherbonnier, chargé du rapport, s'était cependant déclaré favorable à la révision.
Les conclusions de Monsieur l'avocat général Wattine paraissaient devoir entraîner la cassation des scandaleuses condamnations. Il disait, ce haut magistrat :
" La disposition exceptionnelle de l'article 20 de la loi du 29 avril 1921, permet d'envisager le point de fait sous toutes ses faces. C'est ainsi qu'à la faveur de cette disposition, on est amené à rechercher quelle était la situation morale des condamnés au moment où ils ont refusé le service qui leur a été imputé. Avaient-ils alors une conscience suffisante de leurs actes pour qu'on doive les considérer comme pleinement responsables ?
Non, répond sans hésitation aucune l'avocat général Wattine, s'appuyant sur les dépositions des chefs des pauvres victimes, les représentant au lendemain de l'attaque, exténués, découragés, démoralisés. "
"En présence de ces témoignages, écrit-il, on est autorisé semble-t-il, à demander à la Chambre Criminelle de décider que les quatre fusillés de Souin n'avaient plus conscience de leurs actes au moment où ils ont opposé une résistance passive aux ordres de leurs chefs et de réformer pour ce motif la décision qui les a condamnés.
C'est dans cet ordre d'idées que nous demandons à la Cour de tenir compte, autrement que ne l'on fait les juges du Conseil de guerre, de l'état de dépression allant jusqu'à l'inconscience dans laquelle se trouvaient les condamnés dans la fatale journée du 10 mars 1915. Il est, du reste, constaté que jusque-là ils avaient été de bons soldats. Lorsqu'ils ont failli, c'est dans un moment d'abattement qu'ils n'ont pu surmonter. Il n'est pas excessif de considérer qu'à ce moment ils étaient irresponsables."
En conséquence, le Procureur général requiert qu' il plaise à la cour de :
" Réformer la décision du conseil de guerre de la 60e division d'infanterie en date du 16 mars 1915 "
La Cour de Cassation n'en a pas tenu compte. Tant pis pour la justice ! Mais ce qui reste, c'est l'arrêt de Rennes : "La mémoire des quatre fusillés de Suippes émerge de la tombe sous un jour favorable". Il faut s'en souvenir !
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Dix ans ont passé. Aucune des quatre victimes n'a été réhabilitée.
Cependant
- La veuve de Sicard a reçu le titre de médaille militaire conférée à son mari à titre posthume. La citation est la suivante, datée du 24 décembre 1922 :
" Sicard Louis -- Victor -- François, caporal, brave, dévoué, tombé le 17 mars 1915 en accomplissant brillamment sans devoir devant Suippes "
- La famille Lechat a reçu le diplôme attribué aux familles des soldats morts au champ d'honneur.
- M. Lefoulon a obtenu le transport gratuit des restes de son fils.
- Mme Maupas et les trois autres familles des fusillés ont bénéficié pendant plusieurs années des avantages qui, en fait, supposent l'innocence des fusillés et exigent, en droit, leur réhabilitation officielle.
Enfin, le Conseil Général de la Manche, dans sa séance du 5 septembre 1923, a émis le voeu que le nom de Maupas figurât sur le monument élevé à l'École Normale de Saint-Lô à la mémoire des instituteurs morts pour la France.
Pour différentes raisons, ce dernier hommage a été différé. Pourtant, tout permet de penser que la réparation prochaine n'en sera que plus éclatante.
La loi du 3 janvier 1925 autorise, en effet, la Cour de Cassation à reprendre, toutes Chambres réunies, les affaires précédemment rejetées par la Chambre criminelle.
Le Garde des Sceaux a transmis à la Cour le dossier des quatre fusillés, établi de nouveau par la Ligue des Droits de l'Homme.
Souhaitons que cette fois justice sera faite !
Les quatre caporaux de Suippes
En février 1915, le 336e régiment d'infanterie avait pris part aux violents combats de Perthes. En mars, on le retrouve néanmoins en première ligne au moulin de Souin.
Le 7, après une préparation d'artillerie insuffisante – suivant le témoignage du commandant Jadé, ancien officier du 336e et actuellement député du Finistère – on lance en avant la 24e compagnie, dont les effectifs sont très réduits.
Elle est aussitôt rejetée dans ses tranchées avec des pertes sérieuses.
Cet échec ne décourage pas à l'état-major. Deux heures plus tard, après une brève canonnade, on fait sortir la 21e compagnie, commandée par le commandant Dubois.
Celle-ci est à son tour également repoussée
Dans la nuit,. le capitaine Jadé, de la 18e compagnie, reçoit l'ordre d'attaquer par surprise à 4 h 30 du matin les tranchées ennemies, qui, la veille, n'ont pu être prises.
Mais la compagnie de première ligne qui doit relever la 18e n'a pas été prévenue à temps. Un certain flottement se produit au moment de son arrivée, et le capitaine Jadé, qui avait donné l'ordre d'attaque pour 5 heures est obligé de le reporter à 5 h 30.
À 5 heures cependant, l'artillerie française commence à tirer contre les tranchées ennemies.
À 5 h 30, à l'instant où la 18e compagnie essaye de sortir de sa tranchée, les compagnies voisines, ignorant le coup de main qui allait être tenté, lancent des fusées.
Dès lors, l'opinion du capitaine Jadé est faite. Il recommande à ses hommes de ne pas bouger, va trouver à quelque distance en arrière le commandant de bataillon.
« Vous m'avez donné l'ordre d'attaquer par surprise, lui dit-il, j'estime que la surprise était en effet la condition de l'attaque. Attaquer maintenant n'est plus possible. Ce serait faire tuer peut-être 50 hommes de ma compagnie. J'ai pris sur moi de ne pas sortir. Mais comme je ne veux pas que vous puissiez considérer cela comme une lâcheté, je suis prêt, si vous me l'ordonnez, à monter sur le tremplin. »
Le commandant se rend aux raisons du capitaine Jadé. Il n'insiste pas.
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Le surlendemain, 9 mars, l'ordre est donné à une autre compagnie, la 21e, de se préparer à sortir.
Quant à la 18e compagnie, elle devra suivre la première vague d'assaut, se placer entre la tranchée de départ et les tranchées allemandes éventuellement prises, puis, là, AU MILIEU DE LA PLAINE, AU GRAND JOUR, commencer des travaux, amorcer des boyaux vers l'avant et l'arrière.
La 21e compagnie quitte les tranchées de réserve à 4 h du soir pour gagner les tranchées de départ.
Pendant de longues heures, les hommes ont sous les yeux les cadavres de leurs camarades tombés dans les attaques précédentes, les uns deux jours plus tôt, les autres il y a six mois. Nul spectacle n'est plus démoralisant.
Lorsque vient l'heure d'une sortie que les combattants savent d'avance condamnée à l'insuccès, des protestations s'élèvent.
« Nous préférons être fusillés, disent-ils, mais enterrés que de rester là-bas à pourrir sur le bled. Au moins nous aurons sauvé du massacre les camarades de la 22e, qui doivent marcher derrière nous. »
Le capitaine pour les entraîner crie : en avant !
Il est suivi seulement de l'aspirant Germain et de quelques sous-officiers qui, d'ailleurs, ne tardent pas, sous la violence du feu ennemi, à revenir dans la tranchée.
À l'arrière, où l'on s'est rendu compte de ce qui se passe, mais où l'on ne veut pas se rendre compte de l'impossibilité où se trouvent les malheureux soldats de faire mieux, le général commandant la 60e division donne l'ordre à l'artillerie de tirer sur la tranchée, de tuer tous ceux qui ont obéi et ceux qui n'ont pas obéi.
Cet ordre sauvage, le colonel Bérubé, commandant l'artillerie divisionnaire, refuse de l'exécuter.
« Que le général de division le signe » répond-t-il à l'officier qui est venu le lui transmettre de vive voix.
Le général n'a pas le courage de prendre cette responsabilité, mais il fait prévenir que l'attaque devra être reprise par la 21e compagnie.
Après quoi, prenant le nom d'un caporal et de quatre soldats par section, on leur demande de se porter en avant – il fait encore jour – pour couper les fils de fer barbelés.
Les caporaux Maupas, Girard, Lefoulon et Lechat, se trouvent au nombre des victimes ainsi sacrifiées, car c'est à une mort inutile et certaine qu'on les envoie. Toute la compagnie, qui s'en rend compte, est en proie à une indicible émotion. Lechat avait été volontaire la veille pour une mission périlleuse. Plusieurs de ses camarades, révoltés de l'injustice qui lui est faite, s'offrent pour le remplacer.
Vain héroïsme.
Les quatre caporaux et leurs hommes se révoltent-ils ? Point ; ils essayent d'obéir ; ils se portent en avant. Mais les fils de fer sont à 150 mètres. L'impossibilité d'y arriver est manifeste.
Ils se terrent dans des trous d'obus.
L'aspirant Germain court jusqu'à l'endroit où se trouvent blottis les quatre hommes et le caporal de sa section. Il les exhorte à un effort dernier. Mais ce ne sont plus, suivant son expression même, que de "véritables loques". Ils ont atteint la limite de l'endurance humaine. Ils ne peuvent bouger.
À la nuit, caporaux et soldats regagnent la tranchée.
Dans l'après-midi du 10 mars, la 21e compagnie est relevée et dirigée sur Suippes, où, aussitôt, on incarcère les caporaux Maupas, Girard, Lefoulon, Lechat et une trentaine de soldats, en les informant qu'ils sont inculpés de refus d'obéissance devant l'ennemi.
Le régiment est consterné.
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Le 16, la Cour martiale se réunit. Seul, le colonel président est un combattant. Ses assesseurs, bien qu' officiers de carrière, appartiennent à des services de l'arrière.
Quelques officiers ont été appelés à témoigner. Mais systématiquement, on a refusé d'entendre ceux qui ont demandé à déposer.
Le commandant du bataillon auquel appartient la 21e compagnie plaide chaleureusement la cause des accusés.
Il est à chaque instant interrompu. Il est injurié. Peu s'en faut qu'on ne le rende responsable.
Un témoin, avocat d'un barreau de province, qui, officier de complément au 336e, assistait à cette hideuse comédie judiciaire, a écrit avant de mourir glorieusement sur le champ de bataille :
"Ces hommes, pris presque au hasard, furent simplement traduits en Conseil de Guerre. Trente-deux furent acquittés sur la déclaration d'un adjudant, d'après laquelle il ne croyait pas qu'ils aient entendu l'ordre de : en avant ! et quatre furent condamnés à mort (les caporaux). L'adjudant a été pris en grippe par le général de division qui a interdit formellement une proposition faite précisément pour lui, paraît-il, pour le grade de sous lieutenant. Les témoins furent pris parmi les chefs qui avaient passé les trois jours dans les caves. Mais on s'est bien gardé de faire appeler les quatre seuls officiers dont j'étais, qui avaient passé les trois jours auprès des hommes, et qui seuls auraient pu dire la vérité. L'affaire a été truquée d'un bout à l'autre.
Je le dis en toute conscience : LES QUATRE CAPORAUX SONT MORTS ASSASSINÉS
Ce témoignage n'est pas unique.
Le capitaine R., qui assistait à l'audience présidée – il faut retenir ce nom pour l'éxécration des honnêtes gens – par le colonel MARTHENET, en fait le récit suivant :
« Je me rendis à la séance et j'entendis déposer le capitaine Equilbey qui commandait un bataillon aux 336e. Le capitaine Equilbey exposait au Conseil combien l'attaque se présentait mal et faisait valoir les difficultés d'exécution. Il faisait sa déposition en homme loyal et droit, et avec d'autant plus d'indépendance que le bataillon incriminé n'était pas le sien.
Je remarquai que, presque à chaque mot, il était interrompu par le président du Conseil de guerre et qu'il avait grand peine à faire sa déposition. Je ne voulus pas rester plus longtemps dans cette salle, où les témoins avaient tant de difficultés à déposer, et sortis. »
M.L. dit à son tour :
« C'est en conversant avec le capitaine Equilbey, de l'état-major du régiment, que j'appris la mise en accusation. Je ne pus, à mon grand regret, assister à l'audience du Conseil de guerre où s'était rendu le capitaine Equilbey pour défendre la cause du caporal Maupas, qu'il connaissait particulièrement et estimait beaucoup.
C'est en termes indignés et douloureusement sympathiques qu'il m'apprit la fatale nouvelle. Rien n'avait pu sauver Maupas et ses trois malheureux compagnons, ni la défense du capitaine Equilbey, ni la déclaration du colonel Bérubé, commandant l'artillerie divisionnaire, dont la conscience se révoltait à l'idée de s'associer à une infamie et qui s'écria : ce ne sont pas là les vrais coupables. Il faut chercher plus haut. »
(Par contre, il y eut un réquisitoire impitoyable, très favorablement écouté. Au sujet du lieutenant Morvan, l'accusateur initial, M.L. s'exprime ainsi : « le lieutenant Morvan, l'accusateur de Maupas, poursuivi par la vindicte de ses camarades, s'enferma dans sa chambre pour y cacher sa honte »)
M.M. dépose :
« il m'a été affirmé que le colonel Bérubé, commandant le 7e R.A.C., aurait dit au général Reveilhac, à l'issue du Conseil de guerre : C'EST UN ASSASSINAT. Cette parole fut la cause de son limogeage immédiat. Le témoignage de ce colonel, s'il vit encore, serait précieux. »
M.Q. dit enfin :
« J'assistai à une partie des débats : j'en sortis avec l'impression que tous les juges, presque tous ignorants de ce que pouvait être une tranchée de première ligne, OBÉISSAIENT À UN ORDRE EN CONDAMNANT QUATRE CAPORAUX À LA PEINE DE MORT. »
À la vérité, quelques instants après son impitoyable arrêt, le Conseil de guerre, pour couvrir sa responsabilité, signa un recours en grâce. Mais il ne fut pas suivi d'effet.
(À Suippes où eut lieu l'exécution, on dit que celle-ci fut pressée par le général Reveilhac qui craignait de voir arriver la grâce. "En effet, l'ordre de surseoir à l’exécution arriva quelques instants après que les quatre malheureux caporaux fussent tombés" -- lettre de M.Ch.F. à la Ligue des Droits de l'homme.)
L'exécution était fixée au lendemain.
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Le 10 mars, avant sa comparution devant la Cour martiale, le caporal Maupas avait adressé à sa femme la lettre suivante, dont nous voulons que l'on dise si elle mérite mépris ou respect :
« Me voilà réveillé encore une fois, ayant plutôt l'air d'un mort que d'un vivant. Mon coeur déborde, tu sais; je ne me sens pas la force de réagir. C'est inutile, c'est impossible.
J'ai pourtant reçu hier les deux boîtes que tu m'as envoyées, contenant sardines, beurre, réglisse, figues, pommes et mon beau petit sac, et les belles cartes, j'étais heureux ; mais je me suis tourné vers la muraille et de grosses gouttes, grosses comme mon amour pour les miens, ont roulé, abondantes et bien amères.
Dans ces moments où je songe à tout ce qui se passe d'horrible et d'injuste autour de moi, sans avoir une ombre d'espoir, eh bien, tu sais, je suis entièrement déprimé.
Je n'ai plus la force ni de vouloir, ni d'espérer quoi que ce soit.
Je ne vais pas continuer, ma pauvre Blanche, je ne vais pas continuer, je te ferais de la peine et je pleurerais encore.
Aujourd'hui je vais savoir le résultat de l'affaire.
Comme c'est triste. Comme c'est pénible. Mais je n'ai rien à me reprocher, je n'ai ni volé, ni tué ; je n'ai sali ni l'honneur, ni la réputation de personne. Je puis marcher la tête haute.
Ne t'en tracasse pas, ma petite Blanchette. Il y a bien assez de moi à penser à ces tristes choses. C'est pénible, attendu qu'à mon âge, ni dans la vie civile, ni dans la vie militaire, je n'ai dérogé à mon devoir.
Pour quiconque n'a pas d'amour propre, ce n'est rien, absolument rien, moins que rien.
Moi qui ai du caractère, qui m'abats, qui me fait du mauvais sang pour rien, eh bien, tu sais ma bonne petite, j'en ai gros sur la coeur.
Il me semblait pourtant que depuis mon enfance, j'avais eu assez de malheur pour espérer quelques bons jours. C'est ça la vie ? Eh bien ce n'est pas grand-chose ! Que de gens comme moi ont un foyer et ne sont plus ! Des petits-enfants appelleront souvent leur papa, une femme adorée qui se rappellera un mari dévoué ! C'est bien quand je songe à ces tristes choses !
Allons courage ! Courage, mon petit bonhomme ! Soutenons-nous ! Aimons-nous !
J'embrasse ton beau petit sac, ta bonne lettre, ta carte, tes cheveux. Tout cela est là dans un petit coin de mon sac. Je l'ouvre souvent ce vieux sac pour y voir mes objets chers qui sont une partie de toi et de mon petit Jean. Pauvre petite !
Allons, courage mon petit soldat !
Je me serre bien dur contre toi !
Ne me quitte pas et veille bien sur moi !
Embrasse bien fort ma Jeannette !
Que je t'aime mon Dieu ! Et que je pleure ! »
Cette lettre, d'une si émouvante simplicité, est-ce la lettre d'un lâche ?
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Le capitaine Jean Jadé, auquel il a été fait allusion au cours de ce tragique récit, a précisé devant la Chambre des Députés les conditions dans lesquelles l'ordre d'attaque avait été donné et les condamnations prononcées :
« Le 7 mars, dit-il, on donne l'ordre à la 21e compagnie de prendre la première ligne et de se préparer à sortir.
Ici commence le drame ; la 21e compagnie prend les tranchées de départ à huit heures du matin. Les hommes sont exténués par les combats de Perthes, par les séjours en première ligne au moulin de Souin. Ils ont devant eux la plaine immense, un glacis remontant vers les lignes allemandes, semé de cadavres en tenue bleue, des camarades tués dans les attaques de septembre.
Dans cet état de fatigue et de tension nerveuse, ils attendent jusqu'à quatre heures du soir l'ordre d'attaquer.
À quatre heures du soir, l'ordre d'attaquer est donné. Les hommes à ce moment-là, – nous ne pouvons pas les empêcher de se rendre compte de ce qu'ils ont devant les yeux – jugent l'inutilité de l'attaque.
Les officiers de la compagnie franchissent le parapet criant : en avant ! Les hommes refusent de sortir. Ils disent : "nous préférons être fusillés, mais être enterrés, que de rester à pourrir là-bas, sur le bled. Ainsi, nous aurons au moins sauvé du massacre les camarades de la 22e, qui doivent attaquer après nous."
On en rend compte à l'arrière.
À ce moment, le général qui commandait la 60e division donne l'ordre, vous entendez bien, de tirer dans la tranchée française, de tuer par conséquent les hommes qui étaient sortis, les gradés qui étaient sortis, en même temps que ceux qui avaient refusé.
Le colonel Bérubé, qui commandait l'artillerie divisionnaire, a refusé d'exécuter cet endroit (Applaudissements). Il a exigé un ordre écrit que le général de division n'a pas eu le courage de signer. »
M. Ferdinand Buisson : « le colonel Bérubé a déclaré plus tard que ce qui s'était passé là était un assassinat. »
M. Jean Jadé : « c'est l'unanimité des hommes, des sous-officiers et des officiers du régiment qui vous diront que CETTE AFFAIRE A ÉTÉ UN VÉRITABLE ASSASSINAT. Mon camarade, le sous-lieutenant Bordy, qui avait pris à ma place le commandement de la compagnie, car, dans la matinée, j'avais été blessé grièvement, a été blessé grièvement en effectuant une reconnaissance, puisqu'il a subi une amputation en allant porté aux premières lignes la menace de cet ordre de faire tirer l'artillerie française.
Par suite, le commandement prévient la 21e compagnie que les pertes n'étant pas suffisantes, il y aura lieu de recommencer l'attaque. À ce moment, on fait prendre à la compagnie le nom d'un caporal et de quatre hommes par section auxquels on donne l'ordre formel de se porter en avant, d'aller couper les fils de fer. »
M. Balanant : « en plein jour ? » (Exclamations)
M. Jean Jadé : « en plein jour ! »
M. Pierre Deyris : « c'est formidable ! »
M. Jean Jadé : « ces hommes étaient des braves ! Le Caporal Lechat, qui est parmi les fusillés, avait été, la veille, volontaire pour une mission périlleuse. Et quand il reçut cet ordre, ses camarades, les autres caporaux, sont intervenus auprès du commandant de compagnie en disant : "Lechat a effectué une mission périlleuse la nuit dernière, nous demandons de le remplacer."
Vous le voyez, nous avons affaire non seulement à des braves, mais à des hommes de coeur.
Ces hommes reçoivent l'ordre de se porter en avant, d'aller couper les fils de fer en plein jour.
Nous devinons immédiatement les mobiles qui ont inspiré cet ordre. On n'osait pas faire comparaître toute une compagnie devant le Conseil de guerre, alors on a donné un ordre formel à quelques hommes, de façon à pouvoir justifier l'inculpation de refus d'obéissance.
Ces hommes auraient pu rester dans la tranchée ; ils ont essayé d'obéir. Ils se sont portés en avant, ils ont vu les fils de fer à 150 mètres, ils ont compris l'impossibilité d'aller les couper. Ils savaient que c'était la mort certaine. Il y a tout de même quelquefois un instinct de conservation qui empêche les hommes d'aller au-delà de la limite de leurs forces (Applaudissements).
Ils se sont terrés dans un trou d'obus.
On les fait comparaître devant un Conseil de guerre.
Au Conseil de guerre, constitué par des officiers de l'arrière, dans lequel le colonel président était seul combattant, un certain nombre d'officiers ont été appelés. Quelques officiers du régiment ont demandé à être entendus.
Refus formel du président du Conseil de guerre d'entendre ces officiers.
Le commandant du bataillon, officiers de l'active, a été entendu. Il a apporté un témoignage loyal. Il a essayé d'innocenter les inculpés en exposant les conditions dans lesquelles avaient été commandées les attaques.
Sa déposition a été hachée d'injures et d'interruptions.
Le sous-lieutenant Germain, de la 21e, dont la conduite cependant dans cette affaire avait été magnifique, a vu aussi sa déposition hachée d'interruptions, et l'on a essayé de le mettre en contradiction avec ses propres déclarations.
Le Conseil de guerre a impitoyablement condamné à mort les caporaux Maupas, Lefoulon, Gérard et Lechat.
Puis il a signé un recours en grâce.
Malgré cela, l'exécution a été fixée au lendemain. Elle a eu lieu dans les vingt-quatre heures et je crois savoir, sans pouvoir l'affirmer, que l'ordre de surseoir à l'exécution est arrivé un jour ou deux après.
L'exécution a eu lieu dans des conditions abominables.
Le régiment tout entier y a assisté. L'officier qui commandait les officiers de la compagnie et tous les hommes pleuraient.
Le régiment était entouré de dragons dans la crainte d'une révolte. »
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Ce serait mentir de dire que ces faits n'ont pas causé à la Chambre une émotion d'autant plus vive qu'ils lui étaient exposés par un ancien combattant dont il n'était possible de mettre en doute ni la sincérité, ni le courage.
Mais ce serait mentir aussi de ne pas dire que cette émotion s'est vite apaisée, de sorte que ce débat tragique s'est grotesquement terminé sur quelques propos du gluant M. Ignace, une lourde pirouette de Bonnevay, et une impudente déclaration de Barthou, à cette date Ministre de la Guerre : « je ne peux pas promettre de sanctions ».
Donc, contre les officiers incapables qui, de l'arrière, envoyaient les soldats à une mort inutile, le représentant de l'armée au gouvernement ne peut pas promettre de sanctions. Pourquoi ? Sont-ils trop ?
Dans tous les cas, il y a un fait précis qui exigerait un châtiment sévère si l'autorité supérieure avait en quelque mesure le sentiment de son devoir : c'est l'ordre donné par le général de division de tirer sur la tranchée.
Que cet ordre fut criminel en soi, ce n'est pas ce que je veux discuter ici. Je dis seulement : ou il était justifié où il ne l'était pas.
S'IL N'ÉTAIT PAS JUSTIFIÉ, LE GÉNÉRAL, EN LE DONNANT, A COMMIS UNE TENTATIVE D'ASSASSINAT.
S'IL ÉTAIT JUSTIFIÉ, LE GÉNÉRAL, EN REFUSANT DE PRENDRE LA RESPONSABILITÉ DE L'ÉCRIRE, A FORFAIT À SON DEVOIR.
Se réservait-il donc, si des comptes lui étaient demandés plus tard, de nier son ordre qu'il refusait de le signer ?
Le colonel Bérubé a très noblement désobéi. Par quelle lâcheté suprême ne l'a-t-on pas poursuivi ?
N'est-il pas manifeste qu'on ne l'a pas osé parce qu'il était plus difficile de faire fusiller un colonel que d'humbles soldats, et parce que les débats auraient montré la misère intellectuelle et morale du chef ?
La Chambre, cependant, n'a pas même demandé le nom du général qui, en mars 1915, commandait la 60e division.
Et la Chambre non plus n'a pas fait la remarque que dans l'odieux Conseil de guerre qui a envoyé quatre braves à la mort, tout s'est passé comme si le Conseil, cette fois aussi, avait CONDAMNÉ PAR ORDRE.
Mais, plus révoltante encore que l'assassinat, est la ruse par laquelle on s'est efforcé de le justifier : cette épouvantable et basse rouerie qui consiste à exiger l'inexécutable pour avoir prétexte à frapper.
« Nous devinons immédiatement », a dit, on s'en souvient, le capitaine Jadé.
Ils devinent quoi, ces combattants ?
Eh bien, que l'on donne à d'autres combattants une mission au-dessus des forces humaines, en escomptant qu'elle ne sera pas remplie et que l'on trouvera prétexte, dans leur impuissance, à les assassiner également.
OR, C'EST UN PROCÉDÉ D'AGENT PROVOCATEUR.
Le chef qui a eu cette pensée et l'a exécutée a atteint le dernier degré d'ignominie.
« Je ne peux pas promettre de sanctions » a déclaré cependant Barthou...
Et la Chambre, unanime, ne s'est pas levée pour les exiger !
Cette même Chambre, qui, l'avant-veille, malgré les supplications ardentes d'officiers mutilés, avait refusé d'amnistier l'abandon de poste dans un moment où tout le front était un poste, a permis à un ministre de découvrir des crimes irrémissibles.
Quel spectacle !
Au 336e d'infanterie, il y avait des braves gens et des misérables. Ce sont les braves gens que l'on a fusillés.
La Cour Suprême allait-elle au moins réhabiliter la mémoire des victimes ? On l'aurait pu croire à la lecture de l'arrêt de renvoi, rendu par la Chambre des Mises en Accusation de la Cour d'appel de Rennes le 1er octobre 1921.
Après avoir reconnu que la 21e compagnie du 336e n'était pas sortie de la tranchée et n'avait pas exécuté l'ordre d'attaque qui lui avait été donné, la Cour s'est posée cette question : "l'ordre donné à cette malheureuse unité était-il matériellement exécutable " ? Dans la négative, le crime de refus d'obéissance apparaît comme impossible et ne saurait être retenu contre des hommes de la compagnie. C'est dans ce sens que, courageusement, la Chambre des Mises en Accusation n'a pas hésité à se prononcer.
Il est également certain, dit la Cour, que le 10 mars 1915 les hommes de la 21e compagnie, qui devaient se porter en avant, étaient très fatigués par quatre journées de tranchées, en première ligne ; ils étaient découragés par les attaques récentes dont ils avaient constaté et regretté l'insuccès ; ils avaient sous les yeux les cadavres de leurs camarades tombés dans les sorties récentes ou remontant à novembre et décembre ; ils voyaient intacts les fils de fer allemands. Ils savaient que l'ennemi était en éveil ; ils recevaient dans leur tranchée quelques obus français par suite d'un tir mal réglé ou de défectuosité de munitions. Bref, il est incontestable qu'ils devaient se trouver dans un état de dépression physique et morale très accentué et le fait est attesté par le plus qualifié pour en témoigner, par le lieutenant Morvan qui commandait leur compagnie.
Ce lieutenant a dit à l'instruction :
« A ce moment-là, aucun de mes hommes n'avait plus la force morale voulue pour une attaque ».
Puis il a maintenu qu'il avait déclaré devant le Conseil de guerre :
« Mes hommes étaient fatigués ; ils étaient comme des sacs ou des cadavres. Ils étaient démoralisés par les attaques précédentes qui avaient échoué ; mes hommes n'avaient plus de volonté ». Et il ajoute :
« mes hommes étaient tellement inertes et hébétés que, quand j'ai donné l'ordre en avant, j'en ai hissé quelques-uns sur le parapet, ils retombaient tous comme des masses dans la tranchée ».
Cette appréciation a été confirmée à l'instruction par le témoignage du sous-lieutenant Gracy :
« Les hommes n'avaient plus le ressort moral suffisant pour faire le sacrifice de leur vie, et du premier coup d'oeil, nous vîmes qu'aucune puissance au monde ne ferait sortir la 21e compagnie »
Appréciant le courage des quatre condamnés, la Cour reconnaît que :
"Les renseignements fournis sur les quatre condamnés sont excellents à tous égards, et ils avaient antérieurement donné des preuves de bravoure. Ils n'étaient animés d'aucun esprit calculé d'indiscipline. Ils ont failli dans un moment d'abattement qu'ils n'ont pu surmonter, et que les circonstances ambiantes expliquent trop."
Et le magistrat de Roanne de conclure :
"La mémoire des quatre fusillés de Suippes émerge de la tombe sous un jour favorable. Un de leurs juges du Conseil de Guerre souhaite leur réhabilitation. Dans ces conditions précipitées, il importe, en invoquant le motif suivant, de ne pas arrêter le cours de la justice, ni la marche vers la vérité.
Considérant que la volonté, intelligente et libre, est un élément essentiel de toute infraction à la loi pénale, qu'il ne semble pas que, dans leur état de dépression physique et morale, les quatre caporaux Girard, Lefoulon, Lechat et Maupas, aient eu la volonté nécessaire, pour obéir le 10 mars 1915 à l'ordre reçu de leur commandant de compagnie de marcher contre l'ennemi ; qu'à cet égard, il existe tout au moins un doute dont ils auraient à bénéficier, qu'impressionnés vraisemblablement par le souci de faire des exemples dans une période critique de la guerre, et peu familiarisés avec le droit pénal, les juges du Conseil de guerre apparaissent avoir été dominés par le fait de non obéissance alors qu'ils devaient s'attacher en outre à l'élément intentionnel du crime ; que, dans ces conditions, la sentence rendue est sujette à faire l'objet d'un nouvel examen au point de vue de réformation :
Par ces motifs :
La Chambre des mises en accusation reconnaît qu'il y a lieu de décision nouvelle au sujet de l'affaire sus-visée.
Ordonne en conséquence, le renvoi du recours et de la procédure à la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation pour qu'il soit statué définitivement sur le fond par cette juridiction de jugement."
Qu'allait faire dans ces conditions la plus haute juridiction du pays ? Reprendre purement et simplement ces attendus présentant sous son véritable jour l'affaire des quatre caporaux de Suippes ? Du tout.
M. le conseiller Lecherbonnier, chargé du rapport, s'était cependant déclaré favorable à la révision.
Les conclusions de Monsieur l'avocat général Wattine paraissaient devoir entraîner la cassation des scandaleuses condamnations. Il disait, ce haut magistrat :
" La disposition exceptionnelle de l'article 20 de la loi du 29 avril 1921, permet d'envisager le point de fait sous toutes ses faces. C'est ainsi qu'à la faveur de cette disposition, on est amené à rechercher quelle était la situation morale des condamnés au moment où ils ont refusé le service qui leur a été imputé. Avaient-ils alors une conscience suffisante de leurs actes pour qu'on doive les considérer comme pleinement responsables ?
Non, répond sans hésitation aucune l'avocat général Wattine, s'appuyant sur les dépositions des chefs des pauvres victimes, les représentant au lendemain de l'attaque, exténués, découragés, démoralisés. "
"En présence de ces témoignages, écrit-il, on est autorisé semble-t-il, à demander à la Chambre Criminelle de décider que les quatre fusillés de Souin n'avaient plus conscience de leurs actes au moment où ils ont opposé une résistance passive aux ordres de leurs chefs et de réformer pour ce motif la décision qui les a condamnés.
C'est dans cet ordre d'idées que nous demandons à la Cour de tenir compte, autrement que ne l'on fait les juges du Conseil de guerre, de l'état de dépression allant jusqu'à l'inconscience dans laquelle se trouvaient les condamnés dans la fatale journée du 10 mars 1915. Il est, du reste, constaté que jusque-là ils avaient été de bons soldats. Lorsqu'ils ont failli, c'est dans un moment d'abattement qu'ils n'ont pu surmonter. Il n'est pas excessif de considérer qu'à ce moment ils étaient irresponsables."
En conséquence, le Procureur général requiert qu' il plaise à la cour de :
" Réformer la décision du conseil de guerre de la 60e division d'infanterie en date du 16 mars 1915 "
La Cour de Cassation n'en a pas tenu compte. Tant pis pour la justice ! Mais ce qui reste, c'est l'arrêt de Rennes : "La mémoire des quatre fusillés de Suippes émerge de la tombe sous un jour favorable". Il faut s'en souvenir !
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Dix ans ont passé. Aucune des quatre victimes n'a été réhabilitée.
Cependant
- La veuve de Sicard a reçu le titre de médaille militaire conférée à son mari à titre posthume. La citation est la suivante, datée du 24 décembre 1922 :
" Sicard Louis -- Victor -- François, caporal, brave, dévoué, tombé le 17 mars 1915 en accomplissant brillamment sans devoir devant Suippes "
- La famille Lechat a reçu le diplôme attribué aux familles des soldats morts au champ d'honneur.
- M. Lefoulon a obtenu le transport gratuit des restes de son fils.
- Mme Maupas et les trois autres familles des fusillés ont bénéficié pendant plusieurs années des avantages qui, en fait, supposent l'innocence des fusillés et exigent, en droit, leur réhabilitation officielle.
Enfin, le Conseil Général de la Manche, dans sa séance du 5 septembre 1923, a émis le voeu que le nom de Maupas figurât sur le monument élevé à l'École Normale de Saint-Lô à la mémoire des instituteurs morts pour la France.
Pour différentes raisons, ce dernier hommage a été différé. Pourtant, tout permet de penser que la réparation prochaine n'en sera que plus éclatante.
La loi du 3 janvier 1925 autorise, en effet, la Cour de Cassation à reprendre, toutes Chambres réunies, les affaires précédemment rejetées par la Chambre criminelle.
Le Garde des Sceaux a transmis à la Cour le dossier des quatre fusillés, établi de nouveau par la Ligue des Droits de l'Homme.
Souhaitons que cette fois justice sera faite !
B.Mouze
Re: Vingré
Bonjour Bernard
Bienvenue au club ! Gloire aux soldats 132 et 332 et à leurs descendants !!
As tu prevu une petite présentation dans la rubrique "Qui est qui" ?
Tu aurais peut etre du donné plus de contexte sur ta "source"
et séparé les 3 textes dans 3 "fils" ou post
Amicalement
Armand
Bienvenue au club ! Gloire aux soldats 132 et 332 et à leurs descendants !!
As tu prevu une petite présentation dans la rubrique "Qui est qui" ?
Tu aurais peut etre du donné plus de contexte sur ta "source"
et séparé les 3 textes dans 3 "fils" ou post
Amicalement
Armand
Sur les traces du 132ème RI " Un contre Huit " et du 294ème RI (le "29-4")