Pour sortir des productions de l’Ecole de Péronne, de l’Ecole du Chemin des Dames, des Barthas/Cazals etc etc, du tout compassionnel, du tout pacifiste ; du révisionnisme outrageusement aujourd’hui-centriste, anachroniste systématique et sans vergogne, et autres pâtés goncourtisés; pour se remettre à écouter la Guerre telles qu’elle fut en son temps, telle qu’elle fut perçue et exprimée par ceux qui l’ont faites…
Pour commencer : Péguy. Encore Péguy, toujours Péguy. Inépuisable Péguy !
Premier livre, donc :
Deuxième ouvrage :La mort du lieutenant Péguy : 5 septembre 1914
Auteur : Jean-Pierre Rioux
• Les présentations des éditeurs : 12/02/2014
«Tirez, tirez, nom de Dieu !» crie le lieutenant Charles Péguy à ses hommes cloués dans les betteraves par le terrible feu allemand : une balle en plein front le fait taire devant Villeroy, le 5 septembre 1914, à la veille du «miracle» de la Marne.
Jean-Pierre Rioux revient sur le mobilisé en uniforme qui fait ses adieux aux siens et à ses amis du 2 au 4 août dans Paris pavoisé. Il détaille les cinq semaines au front, de Lorraine en «pays de France», face à l'invasion et aux premiers massacres. Il suit à la trace le poète en pantalon rouge, le réserviste de quarante ans qui a voulu rester d'activé, le patriote et le chrétien qui pressent la barbarie qui menace l'Europe.
Au fil des pages, on découvre un Péguy inconnu, teigneux, atypique, parti vaillant, apaisé, et qui est tombé, il le disait lui-même, en «soldat de la République, pour le désarmement général, pour la dernière des guerres».
Écrite d'une plume alerte et sûre, cette biographie, puisée aux meilleures sources, restitue un portrait tout en sensibilité d'un Péguy inclassable.
Jean-Pierre Rioux, historien bien connu de la France contemporaine, est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels un Jean Jaurès remarqué (Perrin, 2008). Il vient de préfacer le Journal de guerre, 1914-1918 de Maurice Bedel (Tallandier, 2013) et D'une guerre à l'autre de Roland Dorgelès (Omnibus, 2013).
• La revue de presse Bruno Frappat - La Croix du 15 janvier 2014
C'est à cette mort, à ce que l'on n'ose appeler ses préparatifs, à ses circonstances et à son écho durable (il résonne encore aujourd'hui dans la geste de la Grande Guerre et les consciences poétiques) qu'est consacré le beau livre, précis et inspiré, de notre ami l'historien Jean-Pierre Rioux...
Il va combattre pour «la République, une et indivisible, notre royaume de France». Cette fusion mystique de la France d'avant et de celle d'après, cette assimilation qui lui avait fait crier, dans un même souffle, «Mont¬joie Saint-Denis et vive la République !», cela contribuerait grandement aux récupérations antagonistes de la mémoire et du message de Péguy, après la Grande Guerre et durant la Seconde. Une partie des gauches s'inspirera du rebelle, du dreyfusard, du pourfendeur du «monde moderne», matérialiste et individualiste. Une partie de la droite y lira une leçon de nationalisme. L'hommage ambigu au lieutenant Péguy, les «récupérations», notamment par Vichy et la Révolution nationale, Jean-Pierre Rioux en suit les traces innombrables dans la presse, de 1914 à nos jours, de Barrès à Finkielkraut. Il en montre le poids en quiproquos, en interprétations simplistes et, aujourd'hui, en négligence, car si Péguy demeure dans nos mémoires, qu'en est-il de nos lectures ?
• Les courts extraits de livres : 12/02/2014
L'Y DE VILLEROY
Premier de la ligne, le chef de section, un lieutenant, est tombé à sa place réglementaire, alors qu'il menait ses hommes à l'attaque. C'est un petit homme d'apparence chétive à côté de son voisin au type de colosse. Il est couché sur le ventre, le bras gauche replié sur sa tête. Ses traits, que je vois de profil, sont fins et réguliers, encadrée d'une barbe broussailleuse teintée de blond, mais paraissant grisâtre du fait de la poussière, car il est jeune encore, trente-cinq à quarante ans tout au plus. L'expression de son visage est d'un calme infini. Lui aussi paraît plongé dans un profond sommeil. A son annulaire gauche, une alliance. Je me penche sur la plaque d'identité : Péguy. Il s'appelait Péguy. Ce nom qui m'est pourtant bien connu ne me dit rien à ce moment, absolument rien, car je suis à mille lieues par la pensée des Cahiers de la Quinzaine, du poète de Jeanne d'Arc et de toute littérature. Avant de partir, je repère toutefois sur la carte le point où est tombé ce camarade inconnu, le premier que je rencontre sur un champ de bataille. C'est très sensiblement celui que l'on voit marqué par la queue de l'y du mot Villeroy.
Ainsi se souviendra le capitaine d'état-major Henry Dufreste venu en automobile, au soleil levant du dimanche 6 septembre 1914, au tout début de la bataille de la Marne, reconnaître les effets du combat de la veille, là-bas, à trente kilomètres de Paris, juste au nord-ouest de Meaux, à l'avant du village de Villeroy et au vu des hauteurs de Montyon et de Penchard, tenues par un ennemi invisible et d'une surprenante puissance de feu. Le samedi 5 en fin d'après-midi, les hommes de la 19e compagnie du 276e d'infanterie ont été «foudroyés», dit-il, par «les épaisses rafales de balles» des Allemands embusqués. Ils gisent là, sur la terre encore chaude, pantalon garance et capote bleue, au milieu des «betteraves d'au moins trente centimètres en partie fauchées», dont la pulpe «fait tache blanche sur la verdure», pas loin des avoines piétinées : premiers tombés de l'immense bataille du tout pour le tout, bientôt «victoire» et même «miracle» de la Marne. Ces hommes du 276e RI de Coulommiers, des Briards mêlés aux Parisiens, ont été fauchés avec leurs officiers, dont Charles Péguy, vers 17 h 30. Tous impuissants encore à forcer l'ennemi, abandonnant leurs tués. Mais les survivants ont revu les corps des camarades en remontant à l'assaut vers Montyon et Barcy ce matin-là du 6, bien avant l'arrivée du capitaine.
On pourrait discuter le témoignage de Dufreste, sur l'emplacement du mort à «la queue de l'y de Villeroy», ou sur l'air de jeunesse du lieutenant. Mais qu'importe ! Il nous dit l'essentiel, qui nous paraît à peu près incompréhensible aujourd'hui : ce Péguy est tombé debout, à sa place d'officier ; «tué à l'ennemi» parmi tant d'autres, le visage «d'un calme infini». Dès le 17 septembre dans L'Écho de Paris, Maurice Barrés va l'héroïser en prophétisant : «Le voilà sacré. Ce mort est un guide, ce mort continuera plus que jamais d'agir, ce mort plus qu'aucun est aujourd'hui vivant.» Désormais «ferment», il «convoque les générations». Et d'autant mieux, dira bien plus tard Alain Finkielkraut, que «dans son champ de betteraves, le voilà intouchable», lui qui n'avait jamais été qu'un gêneur et un méconnu. L'un et l'autre ne croyaient pas si bien dire.
Source :
http://www.lechoixdeslibraires.com/livr ... e-1914.htm
Source :Emmanuel Godo : Pourquoi nous battons-nous?
Pourquoi j’ai écrit ce livre
« La guerre de 14-18 se présente à nous comme une sorte d’énigme. Nous avons tendance, dans nos représentations contemporaines, à la simplifier, voire à la caricaturer. Nous déversons sur elle et sur ceux qui l’ont faite des tombereaux de pathos. Et ce n’est sans doute pas la meilleure manière ni de la comprendre ni de rendre hommage aux acteurs de ce drame. J’ai voulu aborder cette guerre sous l’angle du sens : comment les soldats de 14-18 ont-ils construit le sens de ce qui allait se révéler l’expérience cruciale de leur vie ? »
Emmanuel Godo
En résumé
Pour cette guerre, ont été mobilisés non seulement des hommes mais encore des idéaux, des valeurs, des principes philosophiques. Dans son barda, le soldat emporte une grille d’interprétation de l’événement auquel on lui demande de participer. Or, à l’épreuve du feu, cette grille subit une transformation. Pour certains, elle se renforce. Pour d’autres, elle s’effondre. Le présent essai s’intéresse à la manière dont les combattants construisent, en marge des rhétoriques générales et de leurs représentations, une signification plus personnelle de la guerre. Il y a ceux qui élaborent une pensée du refus, de la dénonciation (Gabriel Chevallier, Jean Giono, Léon Werth). Ceux qui voient se lever, au-dessus du carnage, de nouveaux idéaux (Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Louis Barthas). Ceux qui explorent le trou noir laissé par la chute des valeurs (Louis-Ferdinand Céline, Pierre Drieu La Rochelle, Jaroslav Hasek). Ceux qui voient surgir en eux des forces inattendues (Guillaume Apollinaire, Ernst Jünger, Elie Faure). Ceux qui lisent l’épreuve à travers le prisme de la spiritualité la plus haute (Wilfred Owen, Jacques Rivière, Pierre Teilhard de Chardin).
Extrait
« Non, un siècle de pluie ne laverait pas ça » écrit Dorgelès dans Les Croix de bois. À défaut de laver la blessure inguérissable, la littérature s’engage à la sonder et à la dire. Elle se donne comme un acte de foi au milieu des ruines où est remise en cause l’idée même d’espérance. Précaire, fragile, stèle de mots vouée elle-même à l’oubli, elle est une forme de prière, adressée faute de mieux à qui pourra l’entendre.
On pourrait considérer comme paradigmatique la prière formulée par le soldat Dominique Richert, paysan alsacien : « Tout tremblant, j’étais couché à découvert sur la prairie, à côté de la route, près de la rivière. Je n’osais pas bouger. Je pensais que ma dernière heure était venue, mais je ne voulais pas mourir. Je priai Dieu de m’aider, implorant comme on le fait face au pire danger. C’était une supplication tremblante et pleine de peur, venant du plus profond de moi-même, un cri fervent et douloureux vers le Très-Haut. Une prière bien différente de celles de tous les jours, qui ne sont souvent que des phrases machinales, dites par habitude. »
Le geste d’expression et de création trouve ici sa source, dans ce besoin fondamental de trouer le réel, sans pour autant le nier, pour y faire surgir une ligne de sens. Cette prière que Dominique Richert adresse au Très-Haut, Barbusse la tend au peuple imaginaire des tranchées, Jünger à un Fatum libérateur, Giono à une humanité de nouveau racinée à la Terre, Apollinaire à un feu d’une beauté magique… Chacun se façonne un dieu à qui adresser sa supplique pour transfigurer la brutalité du vécu et son effroyable non-sens. Les mots, rien que les mots, pour ne pas être entraîné dans la folie où conduisent inexorablement les visions cauchemardesques, les odeurs insupportables, la désolation des charniers, les corps déchiquetés, les idéaux rabotés, les valeurs compromises des Gott mit uns et des croisades en tous genres. »
Pourquoi nous battons-nous ? 14-18 : les écrivains face à leur guerre, Emmanuel Godo, éditions du Cerf.
http://www.ecrivainscroyants.fr/2014/02 ... nnuel-god/
Bien à vous,
[:achache:1]