Bonjour,
Un livre vient de paraître : LETTRES À SES PARENTS D'UN POILU DE THIZY (DÉCEMBRE 1914-SEPTEMBRE 1919) par Marcel Béroujon.
Comme presque à chaque fois, c'est le parcours du "combattant" (si je puis dire) pour connaître le régiment d'appartenance de l'auteur. Avant un achat éventuel, c'est la moindre des choses à savoir, non?
Si l'une ou l'un d'entre vous avait l'info, cela m'arrangerait beaucoup.
Merci
Dominique Augustin
Un livre, un homme, régiment inconnu
Règles du forum
Publicité pour un ouvrage : Les membres qui contribuent aux échanges sur le forum peuvent faire la promotion des livres dont ils sont l’auteur et de ceux auxquels ils ont participé. La présentation d’un ouvrage coup de cœur est autorisée à condition de ne pas inclure dans le message de liens vers un bon de souscription ou un site marchand. Les messages postés par un membre qui s’est inscrit uniquement pour déposer une publicité sur le forum ne seront pas validés.
Publicité pour un ouvrage : Les membres qui contribuent aux échanges sur le forum peuvent faire la promotion des livres dont ils sont l’auteur et de ceux auxquels ils ont participé. La présentation d’un ouvrage coup de cœur est autorisée à condition de ne pas inclure dans le message de liens vers un bon de souscription ou un site marchand. Les messages postés par un membre qui s’est inscrit uniquement pour déposer une publicité sur le forum ne seront pas validés.
- Dominique Augustin
- Messages : 143
- Inscription : mar. déc. 28, 2004 1:00 am
Re: Un livre, un homme, régiment inconnu
AVE,
Je vous envoie l'introduction que j'ai rédigée pour cet ouvrage.
Bonne lecture.
Ce sont les 1050 lettres envoyées par Marcel Béroujon à ses parents qui nous permettent de le suivre, nous pourrions dire, pas à pas. Au risque de nous répéter, nous voudrions insister sur le fait que, à AUCUN moment, les détails que nous donne ce jeune « poilu » ne sont contredits par le texte des JMO. Il n’invente rien, mais dit ce qu’il vit, et c’est la raison pour laquelle nous avons repris toutes ces lettres pour déterminer les « moments » de « repos », durant lesquels il n’était plus en première ligne. Avec les permissions, on comprend peut-être un peu mieux comment ces hommes ont pu tenir.
Marcel Béroujon est affecté au 40e Régiment d’Infanterie (40°RI) à Nîmes, le 9 décembre 1914, 6 jours avant d’avoir 19 ans.
Cette affectation lui convient, ne serait-ce que pour des raisons climatiques, mais très rapidement la vie militaire perd de son auréole, et bien que la défense de la Patrie soit un devoir, une paix rapide serait la bienvenue. Car, au régiment, « Ça barde ! », les exercices se succèdent sans interruption, et très vite, un des « leitmotivs » de cette correspondance apparaît : la famille lui manque et seules les lettres lui apportent cette bouffée d’air nécessaire à sa vie, pour ne pas dire, plus tard, à sa survie… Il découvre le « bourrage de crâne », omniprésent tant dans les propos des officiers que sur les murs des chambrées, mais très vite aussi il comprend que, dans ce « métier militaire », une règle d’or s’impose : « il ne faut pas chercher à comprendre ». De Nîmes il passe à Alès (orthographiée à l’époque Alais), et il constate, en avril 1915, que dans cette jolie petite ville, très animée, « on ne s’aperçoit pas de la guerre ».
Le 25 avril 1915, un bataillon de 1000 hommes est créé à Toulon. C’est le 9e Bataillon du 112e RI. Marcel Béroujon est affecté à la 34e Cie.
Le 7 mai, ce bataillon est embarqué à destination d’Is-sur-Tille, au nord de Dijon, puis « cantonne » à 13 km des Allemands, dans le petit village de Pierrefitte. La Cie de Marcel est affectée à des travaux sur la 3e ligne de défense.
À partir de ce moment, on peut considérer que Marcel est vraiment dans la « guerre », et qu’il ne cessera, comme des millions de poilus, de « monter » en 1re ligne avant de redescendre en 2e ligne, puis en 3e, avant de « remonter », pratiquement aux mêmes endroits, et ce durant des mois, sans le moindre changement notable. C’est la guerre des « tranchées », front immobile, malgré les patrouilles « rampées à travers des morts que l’on n’a pas pu enterrer, et qui sont là depuis plusieurs mois », malgré les attaques très dures, sous un déluge de feu et qu’il résume en quelques mots : « ils sont au même endroit, et nous aussi ».
Le 14 juin 1915 il passe en renfort au 312e Régiment Infanterie/1e bataillon/3e Cie/SP11 112.
C’est l’enfer des tranchées avec des bombardements d’une telle intensité, qu’il revient des 1res lignes, le 7 septembre 1915 : « complètement abrutis, nous étions comme fous », content de cette relève : « ce n’est pas trop tôt, car nous ne nous sommes pas changés depuis 40 jours ». Dans un tel contexte, il ne voit aucune issue au conflit, ce qu’il confie à son père : « Mais que veux-tu que nous fassions sur notre front, absolument rien, faire massacrer inutilement des hommes pour prendre une tranchée… ! Je suis mieux placé que toi pour voir ça, maintenant dans beaucoup de secteurs on fait prendre les tranchées par des poilus de 44 à 45 ans, alors nous nous contenterons de maintenir nos positions et c’est tout ». « Maintenir nos positions ». Ces trois mots semblent résumer cette guerre, dans « l’eau jusqu’aux genoux », avec une « capote gelée », et des copains de misère qui « pleuraient parce qu’ils avaient trop froid… ». Cette année 1915 se termine par cette phrase un peu désabusée, le 14 décembre : « Et dire que j’ai 20 ans aujourd’hui… ».
Durant cette année 1915, Marcel fut au « repos » durant une centaine de jours.
Au début de 1916, on peut dire qu’il n’est plus un bleu, mais le pire reste à venir. De relève en relève, c'est le même quotidien, dans la boue des tranchées, avec désormais comme seule perspective - la paix semblant de plus en plus lointaine - le moment où il partira en « perme », et où, alors, il pourra se coucher dans son lit, lui qui ne s’est : « pas déshabillé pour se coucher depuis 13 mois… ». Mais les retours de « perme » sont cafardeux, ce d’autant que le « pastis » est aussi amer à avaler, surtout lorsque l’on est commandé par des « croûtes », toujours « bouffés par les poux et assaillis par les rats », quand ce n’est pas « notre artillerie » qui est la cause de morts et de blessés.
Le 9 mai, son capitaine lui annonce qu’ils iraient sans doute à Verdun, car il fallait que : « tous les régiments passent un peu dans la fournaise ». Le 27, un Bataillon est ajouté au régiment, et le 29, ils doivent être prêts à embarquer, non sans avoir été avertis qu’il ne fallait pas craindre de « garnir les musettes ». Il revient du Mort Homme le 19 juin, et dit son cauchemar à ses parents. Il récupère en dormant, et ajoute une heure à sa montre… L’heure d’été ne datant pas de Valéry Giscard d’Estaing. Dès 1916 les économies d’énergie étaient à l’ordre du jour…
Le 2 juillet, Marcel Béroujon est décoré de la Croix de Guerre. Le 4 août il remonte au Mort Homme dans une « chaleur épouvantable » et une « odeur… ». Les mois qui vont suivre seront très durs à vivre dans les tranchées car le froid et les intempéries s’installent. Les pieds sont gelés, de même que la boule de pain, et les bombardements sont incessants… Il en résulte un découragement de nombreux poilus devant une situation éprouvante dont ils ne voient pas l’issue. Tranchées nivelées, boue qui colle, ciel en feu, ce que résume Marcel : « il y a de quoi devenir fada ». Fort heureusement, une « perme » doit lui permettre de retrouver le réconfort de sa famille, et il s’y prépare lorsque, quelques heures avant son départ, l'ordre de monter au « pastis » tombe sur le régiment. C’est la douche froide. Les conditions sont si dures qu’il avoue « pleurer comme un gosse, tellement il souffre », et il « marche sur les genoux ». Fort heureusement, il a pu « récupérer » durant 136 jours, avec, en prime, trois semaines sans monter en première ligne, du 29 septembre au 19 octobre.
Enfin, il part en « perme ». Il en revient le 19 janvier 1917, mais son régiment est dissous.
Les 2/3 passent à la 154e Division d’Infanterie, et l’autre tiers, dont il fait partie, passe au Petit Dépôt Divisionnaire du 341e RI de la 65e DI. À la date du 20 janvier 1917, il passe au 341e RI, Régiment de la 65e Division d’Infanterie.
À la fin des JMO, une lettre du colonel commandant le Régiment dissous demande que le retour du drapeau s’effectue avec honneur pour faire taire les bruits selon lesquels cette dissolution serait due à des motifs disciplinaires.
Nous sommes en 1917, année des mutineries. Mais en janvier, aucun mouvement séditieux ne fut signalé, et rien ne transparaît dans les rapports des JMO. La demande du Colonel reste une énigme. Marcel Béroujon restera dans ce dépôt divisionnaire durant quatre mois durant lesquels il ne donne aucun détail sur ses activités, si ce n’est qu’il est dans un bureau. Il s’en échappe et va « s’amuser » à Sainte-Menehould avec ses copains. Rien, aucune précision sur ces « amusements », qui ne regardent que lui… mais les propriétaires d’une pâtisserie de Sainte Menehould ont dû se souvenir de lui.
Il part en « perme » en mai, et à son retour le 25 il apprend qu’il doit « remonter au pastis ». De mai à septembre, là encore, aucun détail sur la guerre. L’essentiel de sa correspondance porte sur sa famille, ses copains, et ses démêlés sentimentaux avec une personne nommée « Mimi ». Elle habite Toulon, et c’est la sœur d’un jeune soldat ami de Marcel, qui mourra des suites de ses blessures. Il part de nouveau en « perme », et à son retour il se trouve loin du front, dans un bureau, du 26 septembre au 29 octobre, au camp de Mailly.
Le 29 octobre, c’est le départ pour l’Italie. Après un accueil triomphal, le front sur la Piave n’est pas de tout repos, et les bombardements sont intenses, mais cela ne dure pas. Durant cette année 1917, Marcel Béroujon est resté 202 jours sans monter au « pastis ».
1918 commence par une « perme » de 20 jours, puis il cantonne dans des endroits assez calmes qui lui donnent tout le loisir de se promener, et de danser… On comprend qu’il regrette l’Italie lorsqu’il retourne en France le 30 mars, pour se retrouver dans l’Oise le 4 avril. Il est à noter qu’en deux mois de « guerre » du 1er février au 30 mars, le JMO de la 65e division signale : « Etat des pertes : Néant… »
Il retrouve la guerre le 4 avril, avec l’exode de vieillards, de femmes et d’enfants qui fuient. Très vite c’est la fatigue due à la boue, les « marmites » qui pleuvent, et les gaz asphyxiants. Le 21avril il fait état d’un régiment de sa division qui a été « presque anéanti », et d’une utilisation intensive des gaz. Il souhaite vivement d'être « relevé de cet enfer ». Il ne le sera que le 3 mai au soir, mais il y remontera le 12, et il écrit à ses parents une phrase déjà employée à deux ou trois reprises : « Jamais je n’avais autant souffert ». À nouveau en « perme » pour 20 jours, et au retour, le « maudit cafard travaille ». Il remonte en ligne le 7 juin, mais « c’est calme ». Le 20 juin il a entre les mains un journal envoyé par ballons « La Gazette des Ardennes »12. Il ne fait aucun commentaire, si ce n’est qu’il y a trouvé le nom de prisonniers français.
Juillet et Août sont calmes, et Marcel constate que les « boches » s’ils continuent à bombarder, n’attaquent plus. Il va même jusqu’à écrire : « devant nous nous avons un régiment d’aveugles. » Serait-ce l’indice d’une lassitude de l’ennemi et donc d’un arrêt des combats ? Le 13 août, il est enfin nommé sergent, et le même jour son régiment est dissous. Sa Cie passe à la 19e Division d’Infanterie, Division bretonne, au 1er Bat du 71e RI.
Secteur toujours calme, et le 7 septembre il part à Belfort pour un cours de fusil-mitrailleur. Le voici : « pour quinze jours à l’abri », avec un « bon plumard », et quelques « gueuletons » en perspective, mais il constate l’existence de cette fameuse « grippe espagnole » qui tue une dizaine de personnes par jour. Son stage terminé il retrouve son régiment et sa Cie.
Le 8 octobre il écrit « Alors les boches demandent l’armistice… ! » ce qui laisse supposer que c’est son père qui lui a transmis cette nouvelle, mais il ne fait aucune autre allusion dans les lettres qui suivent. Le 17 octobre son Bataillon se prépare en vue d’un embarquement prochain en chemin de fer. Le 30 octobre, le Général Fayolle passe en revue les trois régiments de la 19e DI, près de Rethondes. Début novembre Marcel participe à une série d’exercices avec des chars d’assaut. Il part en « perme » le 9 novembre. L’armistice a été signé le 11 novembre.
Les canons se sont tus, mais ce n’est pas encore la paix, et Marcel rejoint sa division qui doit se rendre en Alsace. Il part le 1er décembre. La marche est très lente, avec de nombreux arrêts, surtout après être arrivés en Alsace. Les défilés et les bals se succèdent. Il compte atteindre Strasbourg le 28. Permission en février 1919.
Il cantonne à Haguenau du 24 mai, au 29 août, puis va à Saint-Brieuc le 1er septembre, qu’il quittera le 12 pour aller se faire démobiliser à Lyon.
À son retour à Thizy, Marcel Béroujon renoue avec son travail dans le textile, mais il retrouve aussi une jeune femme, qu’il connaissait bien, Jeanne Marie Escoffier. Il va l’épouser le 12 février 1920, soit 4 mois après son retour…
Précisons que cette personne avait une sœur jumelle, Clémence, qui épousa Félix Béroujon, cousin de Marcel. Une lettre de Marcel à ses parents précise : « Félix m’a écrit au sujet de son mariage qui est fixé au 26 avril 1919 ». Il ne m’a pas été possible d’obtenir des détails sur le mariage de Marcel et de Rinette, ce d’autant que, une lettre de Marcel à sa cousine Antoinette, le 16 septembre 1919, fait état de ses réticences : « Ma chère Antoinette,
Me voici arrivé à destination. Lundi matin à 8h j’étais à la maison. Hier je me suis empressé d’aller me faire démobiliser. À ma rentrée le soir à la gare, mes parents ainsi que Mme Buffin, Mélina et Lysot m’ont précipité Rinette dans les bras. La veille que Lysot reparte, grande bombe chez Mme Buffin (ma Charmante Cousine !). Ce soir je vais à Pont-Trambouze, où je trouverai Rinette. En perspective une agréable soirée à passer. Me voici dans de beaux draps, enfin je vais essayer d’en sortir. Immédiatement je vais poser mes conditions à Rinette, je te tiendrai au courant. Tu parles si Lysot est bien vu à la maison Buffin… Je vais lui en dire deux mots. Que la vie est bête tout de même… Je me plaignais de la vie militaire, mais alors, de la vie civile que dois-je en dire ? La discrétion la plus complète à ce sujet-là… » Il n’en demeure pas moins que leur mariage eut lieu.
Marcel et Marie s’étaient écrit, mais rien, absolument rien, dans leurs lettres ou cartes postales ne laissent supposer le moindre sentiment amoureux.
Il est vrai qu’une certaine pudeur était de règle dans ce milieu de la petite bourgeoisie chrétienne. Sur une carte, datée du 2 août 1919, Marie Escoffier qui signe « Rinette » le remercie de « votre longue et bien charmante lettre… car elle m’a fait, très, très plaisir… », et le 3 septembre, c’est lui qui lui écrit de Saint Brieuc : « ce soir je vous écrirai bien longuement, car j’ai reçu en même temps, vos trois charmantes lettres qui m’ont causé beaucoup de joie… Je vous embrasse bien bien fort… ».
Et nous n’avons rien d’autre…
Ultime texte de cette correspondance retrouvée. Une carte postale datée de Verdun, le 5 mars 1920, et qu’il envoie à ses parents pour leur dire qu’ils rentrent à Thizy. Il semble donc que Marcel ait voulu montrer à sa jeune femme les endroits où il avait tant souffert. Pour un voyage de noces, Santa Lucia ou Vérone eussent été plus « romantiques »
Au terme de la lecture de ce millier de lettres, ce qui reste gravé dans notre mémoire, c’est le parcours d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, jeté dans une tragédie dont il n’était qu’un pion et qu’il était loin de comprendre, mais qui, grâce à cette faculté d’adaptation propre à la jeunesse, sut faire « face », comme il l’écrivait à ses parents. À l’instar de ces millions de jeunes « poilus » qui, comme lui, passèrent dans la « fournaise », il incarne ce Français de la « base » qui accepta la guerre et son horreur car c'était son « devoir », sans illusion, sans panache particulier, sans prétention, mais avec une abnégation qui force le respect et l’admiration, sans exclure pour autant une certaine « rouspétance ».
Il fallait y « aller ». Et ils y allèrent.
En ce sens, il fut un « poilu » exemplaire.
Exemplaire, aussi, dans la justesse et la véracité des événements relatés, à l’instar de tous ceux qui, comme lui, écrivirent à leur famille ce qu’ils vivaient au jour le jour, loin de toute prétention littéraire. On peut regretter qu’il n’ait pas donné plus de détails sur la « guerre », de ses drames, et des angoisses vécues. Il ne nous appartient pas de refaire l’histoire, mais il est évident que, dans sa simplicité et son authenticité, Marcel BÉROUJON pourrait être perçu comme l’image humaine, terriblement humaine, de ce que l’on appela : LE poilu.
Peut-être, aussi, faut-il ne pas oublier qu’une grande Dame s’était penchée sur son berceau, Dame Chance, qui lui permit de revenir parmi les siens, sans blessure apparente, et qu’il reprit une vie que l’on pourrait qualifier, tout simplement, de normale. Ce qui ne fut pas le cas de tous, hélas, car 196 noms sont gravés dans le marbre du monument aux morts de Thizy.
Je vous envoie l'introduction que j'ai rédigée pour cet ouvrage.
Bonne lecture.
Ce sont les 1050 lettres envoyées par Marcel Béroujon à ses parents qui nous permettent de le suivre, nous pourrions dire, pas à pas. Au risque de nous répéter, nous voudrions insister sur le fait que, à AUCUN moment, les détails que nous donne ce jeune « poilu » ne sont contredits par le texte des JMO. Il n’invente rien, mais dit ce qu’il vit, et c’est la raison pour laquelle nous avons repris toutes ces lettres pour déterminer les « moments » de « repos », durant lesquels il n’était plus en première ligne. Avec les permissions, on comprend peut-être un peu mieux comment ces hommes ont pu tenir.
Marcel Béroujon est affecté au 40e Régiment d’Infanterie (40°RI) à Nîmes, le 9 décembre 1914, 6 jours avant d’avoir 19 ans.
Cette affectation lui convient, ne serait-ce que pour des raisons climatiques, mais très rapidement la vie militaire perd de son auréole, et bien que la défense de la Patrie soit un devoir, une paix rapide serait la bienvenue. Car, au régiment, « Ça barde ! », les exercices se succèdent sans interruption, et très vite, un des « leitmotivs » de cette correspondance apparaît : la famille lui manque et seules les lettres lui apportent cette bouffée d’air nécessaire à sa vie, pour ne pas dire, plus tard, à sa survie… Il découvre le « bourrage de crâne », omniprésent tant dans les propos des officiers que sur les murs des chambrées, mais très vite aussi il comprend que, dans ce « métier militaire », une règle d’or s’impose : « il ne faut pas chercher à comprendre ». De Nîmes il passe à Alès (orthographiée à l’époque Alais), et il constate, en avril 1915, que dans cette jolie petite ville, très animée, « on ne s’aperçoit pas de la guerre ».
Le 25 avril 1915, un bataillon de 1000 hommes est créé à Toulon. C’est le 9e Bataillon du 112e RI. Marcel Béroujon est affecté à la 34e Cie.
Le 7 mai, ce bataillon est embarqué à destination d’Is-sur-Tille, au nord de Dijon, puis « cantonne » à 13 km des Allemands, dans le petit village de Pierrefitte. La Cie de Marcel est affectée à des travaux sur la 3e ligne de défense.
À partir de ce moment, on peut considérer que Marcel est vraiment dans la « guerre », et qu’il ne cessera, comme des millions de poilus, de « monter » en 1re ligne avant de redescendre en 2e ligne, puis en 3e, avant de « remonter », pratiquement aux mêmes endroits, et ce durant des mois, sans le moindre changement notable. C’est la guerre des « tranchées », front immobile, malgré les patrouilles « rampées à travers des morts que l’on n’a pas pu enterrer, et qui sont là depuis plusieurs mois », malgré les attaques très dures, sous un déluge de feu et qu’il résume en quelques mots : « ils sont au même endroit, et nous aussi ».
Le 14 juin 1915 il passe en renfort au 312e Régiment Infanterie/1e bataillon/3e Cie/SP11 112.
C’est l’enfer des tranchées avec des bombardements d’une telle intensité, qu’il revient des 1res lignes, le 7 septembre 1915 : « complètement abrutis, nous étions comme fous », content de cette relève : « ce n’est pas trop tôt, car nous ne nous sommes pas changés depuis 40 jours ». Dans un tel contexte, il ne voit aucune issue au conflit, ce qu’il confie à son père : « Mais que veux-tu que nous fassions sur notre front, absolument rien, faire massacrer inutilement des hommes pour prendre une tranchée… ! Je suis mieux placé que toi pour voir ça, maintenant dans beaucoup de secteurs on fait prendre les tranchées par des poilus de 44 à 45 ans, alors nous nous contenterons de maintenir nos positions et c’est tout ». « Maintenir nos positions ». Ces trois mots semblent résumer cette guerre, dans « l’eau jusqu’aux genoux », avec une « capote gelée », et des copains de misère qui « pleuraient parce qu’ils avaient trop froid… ». Cette année 1915 se termine par cette phrase un peu désabusée, le 14 décembre : « Et dire que j’ai 20 ans aujourd’hui… ».
Durant cette année 1915, Marcel fut au « repos » durant une centaine de jours.
Au début de 1916, on peut dire qu’il n’est plus un bleu, mais le pire reste à venir. De relève en relève, c'est le même quotidien, dans la boue des tranchées, avec désormais comme seule perspective - la paix semblant de plus en plus lointaine - le moment où il partira en « perme », et où, alors, il pourra se coucher dans son lit, lui qui ne s’est : « pas déshabillé pour se coucher depuis 13 mois… ». Mais les retours de « perme » sont cafardeux, ce d’autant que le « pastis » est aussi amer à avaler, surtout lorsque l’on est commandé par des « croûtes », toujours « bouffés par les poux et assaillis par les rats », quand ce n’est pas « notre artillerie » qui est la cause de morts et de blessés.
Le 9 mai, son capitaine lui annonce qu’ils iraient sans doute à Verdun, car il fallait que : « tous les régiments passent un peu dans la fournaise ». Le 27, un Bataillon est ajouté au régiment, et le 29, ils doivent être prêts à embarquer, non sans avoir été avertis qu’il ne fallait pas craindre de « garnir les musettes ». Il revient du Mort Homme le 19 juin, et dit son cauchemar à ses parents. Il récupère en dormant, et ajoute une heure à sa montre… L’heure d’été ne datant pas de Valéry Giscard d’Estaing. Dès 1916 les économies d’énergie étaient à l’ordre du jour…
Le 2 juillet, Marcel Béroujon est décoré de la Croix de Guerre. Le 4 août il remonte au Mort Homme dans une « chaleur épouvantable » et une « odeur… ». Les mois qui vont suivre seront très durs à vivre dans les tranchées car le froid et les intempéries s’installent. Les pieds sont gelés, de même que la boule de pain, et les bombardements sont incessants… Il en résulte un découragement de nombreux poilus devant une situation éprouvante dont ils ne voient pas l’issue. Tranchées nivelées, boue qui colle, ciel en feu, ce que résume Marcel : « il y a de quoi devenir fada ». Fort heureusement, une « perme » doit lui permettre de retrouver le réconfort de sa famille, et il s’y prépare lorsque, quelques heures avant son départ, l'ordre de monter au « pastis » tombe sur le régiment. C’est la douche froide. Les conditions sont si dures qu’il avoue « pleurer comme un gosse, tellement il souffre », et il « marche sur les genoux ». Fort heureusement, il a pu « récupérer » durant 136 jours, avec, en prime, trois semaines sans monter en première ligne, du 29 septembre au 19 octobre.
Enfin, il part en « perme ». Il en revient le 19 janvier 1917, mais son régiment est dissous.
Les 2/3 passent à la 154e Division d’Infanterie, et l’autre tiers, dont il fait partie, passe au Petit Dépôt Divisionnaire du 341e RI de la 65e DI. À la date du 20 janvier 1917, il passe au 341e RI, Régiment de la 65e Division d’Infanterie.
À la fin des JMO, une lettre du colonel commandant le Régiment dissous demande que le retour du drapeau s’effectue avec honneur pour faire taire les bruits selon lesquels cette dissolution serait due à des motifs disciplinaires.
Nous sommes en 1917, année des mutineries. Mais en janvier, aucun mouvement séditieux ne fut signalé, et rien ne transparaît dans les rapports des JMO. La demande du Colonel reste une énigme. Marcel Béroujon restera dans ce dépôt divisionnaire durant quatre mois durant lesquels il ne donne aucun détail sur ses activités, si ce n’est qu’il est dans un bureau. Il s’en échappe et va « s’amuser » à Sainte-Menehould avec ses copains. Rien, aucune précision sur ces « amusements », qui ne regardent que lui… mais les propriétaires d’une pâtisserie de Sainte Menehould ont dû se souvenir de lui.
Il part en « perme » en mai, et à son retour le 25 il apprend qu’il doit « remonter au pastis ». De mai à septembre, là encore, aucun détail sur la guerre. L’essentiel de sa correspondance porte sur sa famille, ses copains, et ses démêlés sentimentaux avec une personne nommée « Mimi ». Elle habite Toulon, et c’est la sœur d’un jeune soldat ami de Marcel, qui mourra des suites de ses blessures. Il part de nouveau en « perme », et à son retour il se trouve loin du front, dans un bureau, du 26 septembre au 29 octobre, au camp de Mailly.
Le 29 octobre, c’est le départ pour l’Italie. Après un accueil triomphal, le front sur la Piave n’est pas de tout repos, et les bombardements sont intenses, mais cela ne dure pas. Durant cette année 1917, Marcel Béroujon est resté 202 jours sans monter au « pastis ».
1918 commence par une « perme » de 20 jours, puis il cantonne dans des endroits assez calmes qui lui donnent tout le loisir de se promener, et de danser… On comprend qu’il regrette l’Italie lorsqu’il retourne en France le 30 mars, pour se retrouver dans l’Oise le 4 avril. Il est à noter qu’en deux mois de « guerre » du 1er février au 30 mars, le JMO de la 65e division signale : « Etat des pertes : Néant… »
Il retrouve la guerre le 4 avril, avec l’exode de vieillards, de femmes et d’enfants qui fuient. Très vite c’est la fatigue due à la boue, les « marmites » qui pleuvent, et les gaz asphyxiants. Le 21avril il fait état d’un régiment de sa division qui a été « presque anéanti », et d’une utilisation intensive des gaz. Il souhaite vivement d'être « relevé de cet enfer ». Il ne le sera que le 3 mai au soir, mais il y remontera le 12, et il écrit à ses parents une phrase déjà employée à deux ou trois reprises : « Jamais je n’avais autant souffert ». À nouveau en « perme » pour 20 jours, et au retour, le « maudit cafard travaille ». Il remonte en ligne le 7 juin, mais « c’est calme ». Le 20 juin il a entre les mains un journal envoyé par ballons « La Gazette des Ardennes »12. Il ne fait aucun commentaire, si ce n’est qu’il y a trouvé le nom de prisonniers français.
Juillet et Août sont calmes, et Marcel constate que les « boches » s’ils continuent à bombarder, n’attaquent plus. Il va même jusqu’à écrire : « devant nous nous avons un régiment d’aveugles. » Serait-ce l’indice d’une lassitude de l’ennemi et donc d’un arrêt des combats ? Le 13 août, il est enfin nommé sergent, et le même jour son régiment est dissous. Sa Cie passe à la 19e Division d’Infanterie, Division bretonne, au 1er Bat du 71e RI.
Secteur toujours calme, et le 7 septembre il part à Belfort pour un cours de fusil-mitrailleur. Le voici : « pour quinze jours à l’abri », avec un « bon plumard », et quelques « gueuletons » en perspective, mais il constate l’existence de cette fameuse « grippe espagnole » qui tue une dizaine de personnes par jour. Son stage terminé il retrouve son régiment et sa Cie.
Le 8 octobre il écrit « Alors les boches demandent l’armistice… ! » ce qui laisse supposer que c’est son père qui lui a transmis cette nouvelle, mais il ne fait aucune autre allusion dans les lettres qui suivent. Le 17 octobre son Bataillon se prépare en vue d’un embarquement prochain en chemin de fer. Le 30 octobre, le Général Fayolle passe en revue les trois régiments de la 19e DI, près de Rethondes. Début novembre Marcel participe à une série d’exercices avec des chars d’assaut. Il part en « perme » le 9 novembre. L’armistice a été signé le 11 novembre.
Les canons se sont tus, mais ce n’est pas encore la paix, et Marcel rejoint sa division qui doit se rendre en Alsace. Il part le 1er décembre. La marche est très lente, avec de nombreux arrêts, surtout après être arrivés en Alsace. Les défilés et les bals se succèdent. Il compte atteindre Strasbourg le 28. Permission en février 1919.
Il cantonne à Haguenau du 24 mai, au 29 août, puis va à Saint-Brieuc le 1er septembre, qu’il quittera le 12 pour aller se faire démobiliser à Lyon.
À son retour à Thizy, Marcel Béroujon renoue avec son travail dans le textile, mais il retrouve aussi une jeune femme, qu’il connaissait bien, Jeanne Marie Escoffier. Il va l’épouser le 12 février 1920, soit 4 mois après son retour…
Précisons que cette personne avait une sœur jumelle, Clémence, qui épousa Félix Béroujon, cousin de Marcel. Une lettre de Marcel à ses parents précise : « Félix m’a écrit au sujet de son mariage qui est fixé au 26 avril 1919 ». Il ne m’a pas été possible d’obtenir des détails sur le mariage de Marcel et de Rinette, ce d’autant que, une lettre de Marcel à sa cousine Antoinette, le 16 septembre 1919, fait état de ses réticences : « Ma chère Antoinette,
Me voici arrivé à destination. Lundi matin à 8h j’étais à la maison. Hier je me suis empressé d’aller me faire démobiliser. À ma rentrée le soir à la gare, mes parents ainsi que Mme Buffin, Mélina et Lysot m’ont précipité Rinette dans les bras. La veille que Lysot reparte, grande bombe chez Mme Buffin (ma Charmante Cousine !). Ce soir je vais à Pont-Trambouze, où je trouverai Rinette. En perspective une agréable soirée à passer. Me voici dans de beaux draps, enfin je vais essayer d’en sortir. Immédiatement je vais poser mes conditions à Rinette, je te tiendrai au courant. Tu parles si Lysot est bien vu à la maison Buffin… Je vais lui en dire deux mots. Que la vie est bête tout de même… Je me plaignais de la vie militaire, mais alors, de la vie civile que dois-je en dire ? La discrétion la plus complète à ce sujet-là… » Il n’en demeure pas moins que leur mariage eut lieu.
Marcel et Marie s’étaient écrit, mais rien, absolument rien, dans leurs lettres ou cartes postales ne laissent supposer le moindre sentiment amoureux.
Il est vrai qu’une certaine pudeur était de règle dans ce milieu de la petite bourgeoisie chrétienne. Sur une carte, datée du 2 août 1919, Marie Escoffier qui signe « Rinette » le remercie de « votre longue et bien charmante lettre… car elle m’a fait, très, très plaisir… », et le 3 septembre, c’est lui qui lui écrit de Saint Brieuc : « ce soir je vous écrirai bien longuement, car j’ai reçu en même temps, vos trois charmantes lettres qui m’ont causé beaucoup de joie… Je vous embrasse bien bien fort… ».
Et nous n’avons rien d’autre…
Ultime texte de cette correspondance retrouvée. Une carte postale datée de Verdun, le 5 mars 1920, et qu’il envoie à ses parents pour leur dire qu’ils rentrent à Thizy. Il semble donc que Marcel ait voulu montrer à sa jeune femme les endroits où il avait tant souffert. Pour un voyage de noces, Santa Lucia ou Vérone eussent été plus « romantiques »
Au terme de la lecture de ce millier de lettres, ce qui reste gravé dans notre mémoire, c’est le parcours d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, jeté dans une tragédie dont il n’était qu’un pion et qu’il était loin de comprendre, mais qui, grâce à cette faculté d’adaptation propre à la jeunesse, sut faire « face », comme il l’écrivait à ses parents. À l’instar de ces millions de jeunes « poilus » qui, comme lui, passèrent dans la « fournaise », il incarne ce Français de la « base » qui accepta la guerre et son horreur car c'était son « devoir », sans illusion, sans panache particulier, sans prétention, mais avec une abnégation qui force le respect et l’admiration, sans exclure pour autant une certaine « rouspétance ».
Il fallait y « aller ». Et ils y allèrent.
En ce sens, il fut un « poilu » exemplaire.
Exemplaire, aussi, dans la justesse et la véracité des événements relatés, à l’instar de tous ceux qui, comme lui, écrivirent à leur famille ce qu’ils vivaient au jour le jour, loin de toute prétention littéraire. On peut regretter qu’il n’ait pas donné plus de détails sur la « guerre », de ses drames, et des angoisses vécues. Il ne nous appartient pas de refaire l’histoire, mais il est évident que, dans sa simplicité et son authenticité, Marcel BÉROUJON pourrait être perçu comme l’image humaine, terriblement humaine, de ce que l’on appela : LE poilu.
Peut-être, aussi, faut-il ne pas oublier qu’une grande Dame s’était penchée sur son berceau, Dame Chance, qui lui permit de revenir parmi les siens, sans blessure apparente, et qu’il reprit une vie que l’on pourrait qualifier, tout simplement, de normale. Ce qui ne fut pas le cas de tous, hélas, car 196 noms sont gravés dans le marbre du monument aux morts de Thizy.
- Dominique Augustin
- Messages : 143
- Inscription : mar. déc. 28, 2004 1:00 am
Re: Un livre, un homme, régiment inconnu
Bonjour benjamin,
Merci pour cette longue réponse qui me donne envie d'en savoir plus.
Cordialement
D. Augustin
Merci pour cette longue réponse qui me donne envie d'en savoir plus.
Cordialement
D. Augustin