Yves-Marie Adeline - 1914, une tragédie Européenne

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Mondiion
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Re: Yves-Marie Adeline - 1914, une tragédie Européenne

Message par Mondiion »

Bonjour à tous,

Voici une recension parue le 21 septembre 2011 dans Cantate Magazine, revue culturelle et scientifique, par Jean-Baptiste Noé

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La Grande Guerre, la Première Guerre mondiale, semble encore tonner quand on en parle. Cela fait bientôt un siècle qu’elle a débuté, depuis 1914 le monde a énormément changé, et pourtant cette guerre est toujours actuelle, elle ne cesse de hanter la conscience européenne. Yves-Marie Adeline y voit une raison majeure à cela, qui n’est pas le nombre de mort ou l’intensité des destructions, car la Seconde Guerre mondiale fut beaucoup plus destructrice, mais l’aspect tragique de cette guerre. Personne ne la voulait réellement, en tout cas pas de cette façon là, et pourtant elle s’enclenche de façon inexorable. La guerre de 1914 est une tragédie, au sens grec du terme : tout est fait pour l’éviter mais elle arrive quand même.

Dans son ouvrage l’auteur s’intéresse à l’été 1914 et à l’engrenage qui a permis le déclenchement de cette guerre. Un conflit qui a brisé l’hégémonie européenne, qui a tué un ordre établi et dominant, qui a brisé les reins de l’Europe. Après quatre ans de bataille les pays sont financièrement ruinés, démographiquement vidés, moralement brûlés. Cette tragédie sonne la fin de la domination européenne.

L’auteur consacre la première partie de son ouvrage à une présentation des protagonistes, à savoir les pays d’Europe. Il le fait en s’affranchissant des mythes, des couches de poussières idéologiques posées par l’histoire, en présentant les couleurs vives de la réalité. Non, la Russie n’était pas un pays arriéré et obscurantiste, comme a voulu le faire croire la propagande marxiste, mais la cinquième puissance mondiale, et un pays en plein essor économique et social. Nicolas II est un grand souverain, un homme d’Etat, qui n’a pu aller contre la volonté de la Douma. Il explique très bien aussi le caractère foncièrement belliciste des Français et du régime politique. Cette guerre à venir est leur guerre, préparée depuis 1871, mais mal préparée. La puissance militaire française ne cesse de s’écorner au long des décennies, faute d’investissement nécessaire. Le tableau sur l’Autriche-Hongrie est lui aussi fort intéressant. Et l’auteur analyse pertinemment le bouleversement géopolitique que représente sa disparition, avec l’émergence de petits Etats sans pouvoir et sans souveraineté, qui ne peuvent être qu’englobés dans l’ensemble russe ou dans la voracité allemande.

L’auteur insiste aussi sur le sens de la continuité de l’histoire, comme il le montre à propos de l’étude des pays. Par exemple les liens entre le Risorgimento et le fascisme. Il démontre de façon convaincante que le fascisme est le fruit du nationalisme athée italien, né de l’unité du pays, qui s’est construit en opposition à l’Eglise et aux catholiques. Loin de voir en Mussolini et dans son parti un accident, ou une rupture, il tisse les liens existant entre ce mouvement et la vie politique italienne avant 1914. Après le portrait des pays l’auteur s’intéresse aux tensions et aux failles qui parcourent l’Europe, ainsi qu’aux nombreuses oppositions que l’on trouve dans le continent. Tensions internationales, idéologiques, culturelles, les raisons d’une déflagration armée sont nombreuses. L’Europe, en dépit de son hégémonie, est loin d’être un contient pacifié.

Enfin, dans la troisième partie, la dernière de cette tragédie européenne, il mène une enquête précise et minutieuse sur les jours et les heures qui ont amené au déclenchement de la guerre. Comment l’assassinat de l’héritier du trône de Vienne a pu conduire à la guerre mondiale, comment le jeu des alliances et le feu des tensions ont conduit à l’affrontement. Enquête policière qui met à jour les enchaînements d’une grande tuerie. Les conclusions sont revigorantes : l’Allemagne n’est pas la seule responsable du déclenchement, et elle a pu légitimement se sentir agressée par la France et la Russie.

Le chapitre consacré aux valeurs de l’Europe mérite à lui seul la lecture du livre. C’est en effet une question cruciale : comment l’Europe, sommet de la culture et de la civilisation, a-t-elle pu céder à ce carnage. L’auteur montre bien que des valeurs de mort, qu’il qualifie de superficielles, se sont insinuées dans l’esprit des Européens. En France tout d’abord, où le nationalisme hérité de la révolution française a distillé la haine de l’Allemand et l’idée qu’il était bon de mourir pour sa patrie. Non pas mourir pour une grande cause, ou pour la défense de la liberté ou du pays, mais mourir pour la défense du régime, pour la défense de l’Etat. A l’appui de nombreuses citations littéraires, notamment de Péguy, d’Hugo ou d’écrivains allemands, l’auteur démontre que le continent a connu une inversion des valeurs. Ce n’est plus l’idéologie chrétienne qui domine les esprits, celle qui consiste à se sacrifier pour sauver un idéal, pour atteindre une noble cause, mais un idéal païen et athée, venant de la mythologie germanique, où les dieux dévorent leurs enfants. Mourir n’est plus un moyen de sauver son pays, mourir devient la fin en soi de nombreux jeunes officiers, pris dans un romantisme morbide qui leur fait voir la mort comme un triomphe. A lui seul ce chapitre pourrait faire l’objet d’une longue thèse et il éclaire toute l’histoire du XXe siècle, notamment la venue des systèmes totalitaires.

Cet ouvrage est avant tout un essai. Il n’apporte aucun fait nouveau à la compréhension de la guerre mais il propose une analyse et une réflexion sur un moment de l’histoire européenne, qui est un moment où le continent a basculé. Comme toute analyse elle peut être contestée, mais il est indéniable qu’elle est particulièrement bien menée, et qu’elle ne cesse de stimuler l’esprit des Européens que nous sommes.


Jean-Baptiste Noé, historien
à propos de '1914, une tragédie Européenne' Ellipses 2011
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Cordialement à tous

Bertrand
Mondiion
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Re: Yves-Marie Adeline - 1914, une tragédie Européenne

Message par Mondiion »

Bonjour à tous,

Pour ceux qui ont vu les deux premières vidéos de présentation (voir premier message) et sont intéressés par la troisième, voici le lien:

http://www.dailymotion.com/video/xlfmkm ... artie_news

Bien à vous
Bertrand
Mondiion
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Re: Yves-Marie Adeline - 1914, une tragédie Européenne

Message par Mondiion »

Bonjour à tous,

Voici la préface du livre d'Yves-Marie Adeline, écrite par Philippe Conrad, dont beaucoup d'entre vous connaissent les livres:

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J’ai été très surpris quand Yves-Marie Adeline m’a demandé de relire et de préfacer son 1914 . Collègue et ami de l’auteur, je connaissais son impressionnante culture philosophique et sa passion pour l’histoire des idées politiques mais j’ignorais l’intérêt tout particulier qu’il portait à la première guerre mondiale, à laquelle j’ai moi-même consacré de nombreux articles et plusieurs ouvrages. Mon grand-père paternel est disparu en Champagne, devant la butte de Souain, à l’automne de 1915, mais la famille d’Yves-Marie Adeline a été encore plus éprouvée, dans la mesure où il a perdu dans l’immense hécatombe un arrière-grand-père et trois grands-oncles, alors que l’un de ses grands-pères en revint mutilé, l’autre ayant survécu aux quatre années sanglantes. Bilan tristement banal pour de si nombreuses familles, celles dont les noms s’égrènent, gravés dans la pierre des monuments aux morts édifiés dans tous les villes et villages de France par la « Patrie reconnaissante ». De la Marne à l’Hilsenfirst, c’est toute une lignée qui a donné les meilleurs des siens pour sauver le pays d’une défaite dont la perspective pouvait se révéler fatale et l’on retiendra surtout, parmi eux, la figure légendaire de Jean d’Allard-Meeûs. Après le baptême de promotion, improvisé à Saint Cyr le 31 juillet 1914, au moment où l’Histoire est sur le point de basculer, ce jeune officier de la « Montmirail » - auquel se joint Alain de Fayolle de la « Croix du Drapeau » qui, formée par les bazars, vient de recevoir son nom - appelle une trentaine de ses camarades à prêter le serment de monter au premier assaut en Casoar et gants blancs. Episode devenu légendaire, demeuré dans la mémoire saint-cyrienne et immortalisé en 1964, pour célébrer le cinquantenaire du déclenchement de la Grande Guerre, par le baptême de la promotion « Serment de 14 »…

On comprend que ce précieux héritage ait été pieusement conservé et que l’Histoire se soit évidemment imposée à l’esprit du philosophe et du politiste, mais on pouvait craindre que ce passé héroïque engendrât une lecture classique de la première guerre mondiale et des conditions de son déclenchement, la mémoire des exploits accomplis et des sacrifices consentis se substituant dès lors à une analyse historique nécessairement débarrassée du poids de l’émotion et des passions qui animaient les hommes de l’époque. Ce fut donc pour moi une excellente surprise de découvrir un texte tout à fait inattendu, en ce qu’il prenait en compte la longue durée du siècle écoulé, la remise en perspective des représentations conflictuelles contemporaines du moment concerné et la nécessaire relecture « européenne » de l’événement fondateur du tragique XXème siècle. Le principal mérite de l’ouvrage réside en effet dans le refus de son auteur de sacrifier aux interprétations conventionnelles, qui furent pendant longtemps « canoniques », du déclenchement de ce que les vainqueurs désignaient comme « la guerre du droit ». La liberté de ton, l’originalité des approches, le souci de comprendre et d’expliquer font de ce 1914.Une tragédie européenne un ouvrage qui marquera sans aucun doute l’historiographie de la première guerre mondiale. Fruit d’un travail de plusieurs années, motivé par la volonté de réaliser une approche globale qui fait le plus souvent largement défaut chez les « spécialistes » universitaires cantonnés dans l’étude érudite d’aspects trop limités du sanglant épisode entamé à l’été de 1914, l’ouvrage d’Yves-Marie Adeline exploite aussi bien les grands « classiques » portant sur la question - les vastes synthèses de Pierre Renouvin et de Jean-Baptiste Duroselle – que les travaux les plus récents. Au delà de l’Histoire politique ou militaire, il mobilise l’Histoire culturelle ou les réflexions innovantes qu’ont livrées les essais remarqués d’un Jean de Viguerie et d’un Dominique Venner. Le résultat est une relecture complète de la crise de l’été de 1914, bien éloignée des élucubrations du « Livre Jaune » censé justifier la position française à coup de documents diplomatiques tronqués ou transformés, ce qui fut brillamment montré il y a quelques années par le regretté Léon Schirmann.

Sacrifiant à juste titre à l’analyse des « forces profondes » chère à Pierre Renouvin, l’auteur nous propose initialement un tableau de l’Europe de 1914, dans lequel il nous présente les différents Etats qui se partagent alors le continent, les « grandes puissances » mais aussi les Etats « secondaires » qui conserveront leur neutralité ou seront emportés dans la terrifiante mêlée. C’est l’occasion de mises au point bien nécessaires sur la persistance du revanchisme français, au sein d’une République spartiate bien décidée à venger un jour l’affront et l’injustice subis en 1870-71. Une République qui fait figure d’exception dans l’Europe monarchique d’alors et qui, malgré les illusions qu’ont engendrées ses succès coloniaux ou l’image de modernité donnée par l’Exposition universelle de 1900, souffre de nombreux retards et d’un affaiblissement démographique qui font que ses rivaux britannique, allemand et russe bénéficient à l’évidence d’un dynamisme bien supérieur. Héritière d’une Histoire prestigieuse et forte de l’épargne accumulée depuis un siècle, la France de ce qui sera désigné plus tard comme la « Belle Epoque » n’a plus les moyens d’une véritable autonomie et seules la surprenante alliance franco-russe et les habiletés diplomatiques de Delcassé lui ont permis de sortir de son isolement et de se donner l’illusion d’une liberté d’action retrouvée, conditionnée en fait par l’existence du « rouleau compresseur » que constituent les armées du tsar et par la bienveillance suspicieuse d’Albion et de sa flotte. Loin de l’image « barbare » qu’en donnent les nationalistes français de l’époque, l’Empire allemand est à beaucoup d’égards le pays le plus moderne de l’Europe d’alors et la Russie, confrontée à de difficiles mutations politiques que le tsar Nicolas II ne paraît guère en mesure de conduire, ne correspond pas pour autant à l’Etat totalement arriéré que vendra ensuite aux opinions la propagande communiste. A la suite de Wladimir Berelowitch, on peut même parler, pour les décennies précédant 1914 du « Grand Siècle russe », illustré par le décollage économique réalisé à l’initiative du comte de Witte ou par les réformes sociales voulues par le ministre Alexandre Stolypîne, malheureusement assassiné en 1911. L’auteur ouvre également des perspectives originales à propos de la rivalité economique et navale entre l’Angleterre en déclin relatif, et une Allemagne en pleine ascension où le jeune empereur Guillaume II, oublieux des prudences de Bismarck, entend mettre en oeuvre une « politique mondiale » fondée sur un empire colonial plus important et sur la construction d’une flotte susceptible de mettre en cause l’hégémonie exercée sur les mers par la Royal Navy. D’autant que l’épouse du roi Edouard VII, Alexandra de Danemark, a pu influencer le souverain dans le sens d’une germanophobie remontant à la guerre des duchés de 1864. Cette même Allemagne ne peut que se sentir « encerclée » par la France et la Russie et vit dans l’obsession d’avoir à conduire, le cas échéant, la guerre sur deux fronts, ce qui la condamne à l’offensive, seule en mesure de luiç permettre d’exploiter victorieusement les lenteurs de la mobilisation russe. Commandées par la volonté de mise en oeuvre du plan Schlieffen, les déclarations de guerre à la Russie, puis à la France pèseront évidemment lourd dans le jugement porté par les vainqueurs quant aux responsabilités dans le déclenchement du conflit mais il convient, encore une fois, de prendre en compte la situation toute particulière faite à une armée appelée à se battre, à l’ouest et à l’est, contre deux ennemis potentiellement redoutables. Dans son tableau de la situation des premières années du siècle, l’auteur n’oublie pas les Etats-Unis et montre comment le tournant de la guerre hispano-américaine de 1898 a transformé la grande République du Nouveau Monde en une redoutable puissance impérialiste dont les ambitions dépassent désormais celles, simplement « continentales », formulées au siècle précédent par le président Monroë. Il met également en lumière les différences entre les valeurs et les représentations qui structurente encore le monde de la « vieille Europe » et celles dont se veut porteuse la grande démocratie d’outre-Atlantique, bien décidee à mettre en œuvre la « destinée manifeste » et la mission civilisatrice que lui a attribuées dès 1845 le journaliste John O‘Sullivan. Abordant les données démographiques qu’a su si bien interpréter en son temps Gaston Bouthoul, Yves-Marie Adeline fait valoir avec raison que la nation la plus « belliciste » d’alors - c’est à dire selon lui la France- est aussi celle qui est déjà entrée, depuis plusieurs générations, dans la transition démographique, ce qui relativise l’argument avancé par Bouthoul pour expliquer le déclenchement du conflit, même si cet élément ne peut évidemment être globalement négligé. Les conflits coloniaux sont tous réglés en 1914 – accords franco-italiens sur la Tunisie, Entente cordiale franco-anglaise de 1904, accord anglo-russe de 1907 sur la Perse et l’Afghanistan, conclusion favorable apportée à la question marocaine par Joseph Caillaux et Alfred Kirdelen-Waechter le 4 novembre 1911, accord secret anglo-allemand pour le partage des colonies belge et portugaises – ce qui infirme largement la thèse formulée par Lénine dans son Impérialisme, stade suprême du capitalisme. On voit se dessiner dans le même temps une première « mondialisation » économique, aux résultats parfois inattendus, qui semble en mesure de contribuer au maintien de la paix (ainsi l’accord survenu en janvier 1914 entre Londres et Berlin à propos de la Turkish Petroleum Company ou les perspectives très encourageantes de développement économique en Russie ou en Turquie). Plutôt que de s’attarder sur ces différents aspects, qui sont bien connus, Yves-Marie Adeline insiste davantage sur les mentalités collectives et sur les représentations qui prévalent alors, dominées par un sentiment nationaliste exacerbé. Il pointe ainsi le « patriotisme mortifère » d’un Déroulède ou d’un Péguy (« Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés.. »), tout comme l’espoir du frère aîné du jeune Ernst von Salomon, élève à l’Ecole des Cadets, de « crever dans une tranchée devant Paris.. » On peut ajouter à ce tableau très approfondi -– qui prend bien en compte les différents Etats et leurs ambitions ou intérêts respectifs - divers élements d’analyse proprement « géopolitique ». susceptibles d’éclairer le déclenchement du conflit. Quelques pistes peuvent être ainsi explorées, concernant notamment la politique de l’Angleterre. Longtemps soucieuse de préserver son splendide isolement et la division du continent, transformée pour le besoin de ses intérêts en « équilibre des forces », Albion s’est pourtant rapprochée de la France à la faveur de l’Entente cordiale qui garantit sa mainmise sur l’Egypte mais considère toujours la Russie tsariste - immense puissance continentale désireuse d’accéder aux mers chaudes et engagée avec elle dans le « Grand Jeu » dont l’issue doit décider du contrôle de l’Eurasie - comme l’adversaire principal. La première crise marocaine, entamée avec le discours prononcé en 1905 à Tanger par Guillaùme II, devait avoir pour conséquence la mise en evidence de la vanité de l’Entente Cordiale, l’Angleterre n’étant pas réellement disposée, selon les Allemands, à soutenir la cause française dans le royaume chérifien. Pour compléter l’initiative ainsi engagée, l’empereur allemand rencontre ensuite à Björkoe, sur les eaux de la Baltique, son cousin « Nicky » le tsar Nicolas II, dans l’intention de conclure avec lui une grande alliance continentale dans laquelle la Russie pourrait éventuellement entraîner la France. Un projet demeuré sans lendemain, d’autant que la conférence réunie à Algésiras pour régler la question marocaine voit peu après la Grande-Bretagne soutenir les positions françaises. A partir de ce moment, c’est l’Allemagne - dont la montée en puissance navale affole l’Amirauté britannique et dont le dynamisme commercial inquiète la City - qui devient, aux yeux des dirigeants britanniques, la menace principale. L’accord anglo-russe de 1907, qui suspend le « Grand Jeu » au Tibet, en Afghanistan et en Perse témoigne du nouveau rapport des forces qui est en train de se mettre en place, fondé sur la naissance de la « Triple Entente » qui ne deviendra toutefois effective qu’après l’invasion de la Belgique. Cette évolution des relations anglo-russes n’est évidemment pas perçue à l’époque comme porteuse d’un danger de guerre mais elle peut expliquer l’attitude aventuriste qui sera celle de la Russie en 1914…

Abordant la crise qui s’étend du 28 juin au 4 août 1914, Yves-Marie Adeline en donne une lecture tout à fait originale. A l’inverse des affirmations d’un Fritz Fischer, propres à accabler l’Allemagne et notamment le chancelier Bethmann-Hollweg – ce au cours des années soixante, au moment où la RFA était en pleine « culpabilisation » - il montre, en reprenant dans le détail le déroulement des événements, que l’Alllemagne n’a nullement joué le rôle d’incendiaire qui lui sera ensuite attribué. C’est ainsi que, au lendemain de l’attentat de Sarajevo, Bethmann-Hollweg encourage le Kaiser à partir en croisière au large des côtes norvégiennes pour bien montrer que l’Empire allemand ne voit pas, dans la énième crise balkanique qui vient d’éclater le prélude à une crise européenne de plus grande ampleur. A la fin du mois de juin, c’est à Berlin qu’est formulée tout d’abord la proposition de « halte à Belgrade » reprise seulement ensuite par Edward Grey, le ministre anglais des affaires étrangères. L’auteur revient également sur la proclamation de « l’état de danger de guerre » abusivement assimilé ultérieurement à une mobilisation générale allemande. Toujours à propos de l’Allemagne, l’auteur pointe cependant la contradiction qui apparaît entre les voeux de Moltke - le commandant en chef qui a déclaré au printemps précédent que « si la guerre doit éclater, il vaut mieux que ce soit maintenant car nous n’avons jamais été plus forts. » et qui encourage l’état-major autrichien à poursuivre l’action contre la Serbie - et l’attitude beaucoup plus prudente de Bethmann-Hollweg qui, pour sa part, conseille au gouvernement de Vienne d’accepter les propositions de compromis formulées par celui de Londres. Pour ce qui concerne la Russie, l’importance de la décision de mobilisation générale du 30 août, déjà engagée de fait depuis plusieurs jours, est bien mise en lumière car c’est à partir d’elle, antérieure aux mobilisations autrichienne et allemande - contrairement à ce qu’a prétendu le gouvernement français soucieux de ne pas « lâcher » l’allié russe après les deux épisodes dela crise balkanique de 1908 et de la crise marocaine de 1911 au cours desquels l’entente entre Paris et Saint Petersbourg avait montré ses limites – que commence à fonctionner l’engrenage fatal qu va conduire à la guerre. La mobilisation générale russe ne pouvait en effet qu’engendrer des mesures équivalentes een Allemagne et des décisions identiques en France . A partir de ce moment et du fait d’un plan Schlieffen dont le succès reposait sur le déclenchement rapide d’une guerre-éclair contre la France, l’Allemagne ne pouvait attendre et perdre des délais précieux que la Russie mettrait à profit pour compléter sa mobilisation et engager ses forces. A propos de l’attentat de Sarajevo, l’auteur absout le gouvernement serbe et même le sulfureux colonel Dimitrievitch, le chef de la fameuse Main Noire, pour reporter à un échelon inférieur de ladite organisation les responsabilités dans la préparation de l’opération, confiée à de jeunes nationaliste serbes qui échouent pitoyablement le matin du 28 juin et dont l’un, Gavrilo Prinzip, qui n’a pas été arrêté, parvient l’après-midi, presque par hasard, à perpétrer le meurtre de l’archiduc François-Ferdinand et de son épouse. Peut-être faut-il cependant, comme le suggérait naguère l’historien « révisionniste » anglo-saxon Edmond Taylor dans sa Chute des Empires, orienter les recherches vers le colonel Artamanov, attaché miltaire russe à Belgrade et proche de Dimitrievitch, liquidé dans d’ obscures conditions à Salonique en 1917… Ce même Dimitrievitch qui avait pris la part que l’on sait dans le sanglant coup d’Etat perpétré en 1903 à Belgrade au profit des Karageorgevitch, pour le plus grand bénéfice des intérêts russes et français.

Abordant les premières semaines du conflit, l’auteur pointe les insuffisances d’une partie du commandement français mais constate l’admirable comportement de la troupe, confrontée à une retraite difficile et à des pertes terribles mais capable de donner, du 5 au 10 septembre, le coup d’arrêt de la Marne. L’analyse du déroulement des opérations, bien connu depuis longtemps, ne constitue pas l’essentiel de son propos. Convaincu du caractère catastrophique pour l’Europe de ce gigantesque conflit, il réussit, sans se rallier pour autant aux utopies pacifistes, à proposer à ses lecteurs une]vision renouvelée du terrible drame de 1914[/b]. L’Europe etait alors maîtresse du monde et son dynamisme s’imposait en tous domaines. Seule la jeune puissance américaine semblait en mesure de lui contester, dans certaines régions du globe, l’hégémonie qu’elle avait su établir. Mais cette même Europe, dont les différents Etats étaient le produit d’une civilisation commune, était profondément divisée . Nés de l’héritage jacobin et du reveil des peuples qu’il avait engendré et qu’avait puissamment renforcé le courant romantique, les nationalismes antagonistes qui se partageaient alors le vieux continent, exacerbés au cours des décennies précédentes par les rivalités coloniales, ont pesé très lourdement dans le « grand suicide » qui débute alors. Comme les cités grecques opposées dans la guerre du Péloponnèse, les nations européennes créérent alors les conditions de leur irrémédiable déclin, confimé en 1939 par le déclenchement d’un nouveau conflit majeur. La « Guerre de Trente Ans » qui a ainsi ravagé la vieille Europe de 1914 à 1945 a eu des conséquences dramatiques et a contribué à un effacement dont nous commençons tout juste à mesurer l’ampleur, dissimulée, quelques décennies durant, par la reconstruction rapide des « trente glorieuses » et par le maintien de performances économiques globalement satisfaisantes. Près d’un siècle après le drame de l’été 14, le temps paraît maintenant compté et les Européens, s’il veulent échapper à la longue « dormition » évoquée par Dominique Venner, doivent réaliser un retour sur ce passé douloureux. Pour en évaluer tous les aspects et repenser en conséquence un XXème siècle qui fut pour eux synonyme de catastrophe. L’excellent ouvrage d’Yves-Marie Adeline ne peut que contribuer à cette nécessaire lucidité.


Philippe Conrad
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Cordialement à tous

Bertrand
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- Joel Huret -
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Re: Yves-Marie Adeline - 1914, une tragédie Européenne

Message par - Joel Huret - »

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