Bonjour,
Quelqu'un connaîtrait-il l'ouvrage Sous le pressoir d'Henri Nadel, mentionné à la page S177 (=annexes) de la récente et remarquable réédition de Témoins de J. Norton Cru. Il y raconte, nous dit-on, une exécution capitale dont il a été le témoin direct.
Bonne journée, cordialement,
Annie
Recherche livre d'Henri NADEL
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Re: Recherche livre d'Henri NADEL
Annie
"Je crois que je sais, je ne sais pas que je crois", me dit alors le Lieutenant Mibelius.
"Je crois que je sais, je ne sais pas que je crois", me dit alors le Lieutenant Mibelius.
Re: Recherche livre d'Henri NADEL
Bonjour Annie,
Le "site internet des bibliothèques" nous le décrit comme ceci (exemplaire détenu par la bibliothèque municipale de Châteauroux) :
Type document : Livre
Auteur principal : Nadel , Henri (pseud. de Henri Vendel)
Auteur secondaire : Société mutuelle d'édition , Editeur commercial
Titre : H. Nadel. Sous le pressoir. Préface de Romain Rolland
Langues : Français
Publication : Paris : Société mutuelle d'édition , 1921
Pays : France
Description : In-16, 190 p.
http://ccfr.bnf.fr/
Il ne semble pas avoir été réédité.
Cordialement.
Le "site internet des bibliothèques" nous le décrit comme ceci (exemplaire détenu par la bibliothèque municipale de Châteauroux) :
Type document : Livre
Auteur principal : Nadel , Henri (pseud. de Henri Vendel)
Auteur secondaire : Société mutuelle d'édition , Editeur commercial
Titre : H. Nadel. Sous le pressoir. Préface de Romain Rolland
Langues : Français
Publication : Paris : Société mutuelle d'édition , 1921
Pays : France
Description : In-16, 190 p.
http://ccfr.bnf.fr/
Il ne semble pas avoir été réédité.
Cordialement.
Re: Recherche livre d'Henri NADEL
Merci ...
Hélas, il est introuvable.
Cordialement,
Annie
Hélas, il est introuvable.
Cordialement,
Annie
Annie
"Je crois que je sais, je ne sais pas que je crois", me dit alors le Lieutenant Mibelius.
"Je crois que je sais, je ne sais pas que je crois", me dit alors le Lieutenant Mibelius.
Re: Recherche livre d'Henri NADEL
Bonsoir à toutes et à tous.
Le temps de retrouver une vieille photocopie de ce livre, de le lire en méthode rapide et voici ce que cela donne…
Vu le style et la teneur du texte très critique et très engagé, j' èspère que monsieur H. Nadel (où plutôt ses descendants)
ne m'en voudra pas trop que je retranscrive le passage décrivant l'éxécution de ce "pauvre diable".
Rien dans le livre ne permet d'identifier le régiment (aucunes dates, aucuns lieux, aucuns noms. Il est juste fait allusion à deux autres exécutions...
Page 71 : "Deux soldats de ma compagnie se percèrent la jambe d'un coup de baïonnette, ils furent condamnés à mort par le conseil de guerre et fusillé."
Si quelqu'un arrive à identifier le nom de ce pauvre bougre, qu'il est la gentillesse de le garder pour lui. il est parfois donné sur le Forum les noms de quelques-uns d'entre eux et vu la description du motif de l'exécution dans ce texte il serait, à mon humble avis pas très honorable de le faire.
Voici le texte...
« C’est une chose terrible que la mort d’un homme que plusieurs tuent, au nom de la justice. Je connaissais celui – là : il avait appartenu, quelques mois à la même section que moi. C’est un jeune paysan au front bas, au regard de souris craintive, avec dans la physionomie dans l’attitude, je ne sais quoi du renard toujours prêt à fuir. Il parlait peu, faisait peu de bruit ; il était doux, timide, imbécile. La peur ne le lâchait jamais, même au repos ; il la portait en lui, comme une tuberculose ; elle le rongeait, le minait, courbait son dos, et gênait sa respiration, parfois donnait à ses yeux un éclat fiévreux ; il ne mangeait que pour elle, pour nourrir son bacille.
Durant l’attaque, il avait dû se terrer quelques part, se blottir dans un trou, plus mort que vif, comme un chien affolé par le bruit du tonnerre, et dès que l’on était descendu au repos, il n’avait plus eu qu’une idée : fuir, fuir n’importe où, vers l’arrière, par là-bas où l’on entendait plus le fracas du canon. Il partit un soir, après la soupe, sans rien dire à personne.
Six jours plus tard, on apprit que des gendarmes l’avaient arrêté du côté de Troyes. Durant près d’une semaine, il avait fui, évitant les villages, se cachant le jour dans les bois, marchant la nuit, ne visant que de pommes de terre crues et de betteraves. Puis, se croyant sauvé, poussé par la faim, il voulut se louer dans une ferme dont le patron le dénonça. Il fut prit et conduit à la prison de la prévôté, en prévention de conseil de guerre.
Il y resta huit jours, puis de nouveau, comme on menaçait de la faire monter à l’attaque dans un régiment voisin, il s’évada. Il s’enfuit avec un camelot parisien qui promettait de lui procurer à Paris de faux papiers. Deux semaines après, il se faisait prendre dans une rafle.
Au conseil de guerre, il ne sut rien dire pour sa défense. Il répondait par monosyllabes, tête basse, aux questions du colonel président. Son avocat lut un certificat médical concluant à une responsabilité atténuée. On entendit les dépositions du caporal et du chef de section : soldat discipliné, mais peureux. Ils insistaient sur sa peur, comme sur une excuse à sa désertion, sans s’apercevoir qu’ainsi ils le condamnaient...
Le commissaire du gouvernement rappela que, depuis l’offensive, le nombre de désertions s’était accru dans des proportions inquiétantes. Le conseil devait faire un exemple.
Après délibération de cinq minutes, le prévenu fut reconnu à l’unanimité, coupable d’abandon de poste devant l’ennemi. Peine de mort.
L’exécution eut lieu le lendemain matin, dans un champ, et nous fûmes choisis, nous ses anciens camarades, pour le conduire au poteau.
On nous éveilla dès l’aube, mais le jour se leva sans joie. Le ciel avait la tristesse blafarde d’un mur de prison. Nous partîmes entre chien et loup. Nos officiers portaient le sabre au côté, car l’on rend les honneurs à celui qu’on fusille comme à celui qu’on décore. En tête de la colonne, marchaient les tambours et clairons ; leurs cuivres brillaient comme aux jours de fête, et nous allions tête basse, pensifs, sous le ciel lourd.
Le condamné suivait dans un fourgon. On avait dû l’éveiller à la même heure que nous et quelque gendarme lui avait appris, par une froide formule, que le moment était venu d’expier. Les voisins l’avaient entendu hurler. Et maintenant, dans le camion obscur comme la grande nuit où il allait tomber, quelle angoisse devait l’étreindre ! J’écoutais les roues cahoter sur les cailloux et je songeais que de tout ce qu’il avait aimé, il ne restait plus que cette humble voix des choses familières pour le soutenir dans sa détresse. Nous tous, ses anciens camarades, n’étions nous pas devenus ses ennemis ? Nous allions le tuer.
Oh le lugubre ban des tambours et clairons ! Quatre compagnies, en ligne déployée, présentaient les armes, et devant elles, à cheval, se tenait le colonel.
Quel chose dut-il ressentir, lui, le condamné quand il entendit commander « garde à vous ! » Mais entendait-il ? Avait-il encore conscience de quelque chose ? Vit-il cette parade, reconnut-il les visages ?
Il descendit du fourgon, soutenu, traîné par l’aumônier qui l’embrassa. Baiser de Judas. « Eh quoi ! Tu m’embrasses et tu me livre à mes bourreaux, tu approuves leur meurtre et tu prétends m’aimer ! »
Je me révoltais, mais lui ne se révoltait pas, sans doute n’en avait il plus la force. Il pleurait et dit seulement dans un soupir : » Pour ce que j’ai fait … »
Le capitaine de gendarmerie l’interrompit : « Tâchez de montrer du courage ». Il ne suffisait pas à la société qu’il mourût. Il fallait qu’il mourût dignement, qu’il approuvât en quelque sorte le verdict par sa tenue, qu’il obéît jusqu’à la mort. « Ave Cæsar, morituri te salulant ! »
Il échut à ma compagnie de l’encadrer pour le conduire au poteau. Deux hommes avaient été désignés pour l’y porter, si ses jambes fléchissaient ou s’il refusait d’avancer. Le lieutenant qui nous commandait répétait : « Un, deux ; un, deux » ; avec une insistance de métronome, préoccupé seulement que sa troupe marchât au pas devant le colonel.
Au loin, on entendait le canon, un grondement sourd pareil au roulement d’un tambour voilé. La bataille devait faire rage, peut-être le soir monterions-nous en renfort…
Quand le condamné fut arrivé près du poteau, un soldat, aussi pâle que lui, banda ses yeux d’un mouchoir. L’homme entrait dans les ténèbres ; il vivait encore, mais le monde était mort pour lui.
Un sergent lut la sentence d’une voix rapide, pressée d’en finir. Lui, sous son bandeau, comprit-il les paroles ? Sa nuit devint-elle plus obscure ? Songeait-il qu’il ne lui restait plus que quelques secondes à vivre ? N’allait-il pas bondir, essayer de s’échapper, prolonger sa vie de cinq minutes, Ou bien se révoltait-il, nous cracherait-il en face sa malédiction ?
Non. Docilement, avec une docilité qui m’épouvanta, il obéit aux mains de ses bourreaux. Je vis qu’on lui passait des cordes sous les bras pour l’attacher au poteau ; il s’agenouilla, pour être plus près de la terre qui allait le recevoir.
Puis, ce fut bref ; Le peloton d’exécution était en place. Les fusils se levèrent. « Feu ! ».
L’homme roula sur lui-même comme une boule, comme un lièvre atteint en pleine course.
Ceux qui avaient tué firent demi-tour. Le major se pencha sur ce qui n’était plus qu’un cadavre. Il n’y eut pas besoin qu’un sous-officier tirât le coup de grâce dans l’oreille. Justice était faite.
Alors, il nous fallut défiler, section par section, devant notre victime. Elle avait dans le dos, à hauteur du cœur, un grand trou rouge.
Je m’en allai, tête basse, tête vide, sans mot dire, sans penser. Etait-ce la honte ou la tristesse qui m’étreignait ? Il me semblait que je portais le deuil de moi-même.
J’arrivai au cantonnement, fiévreux, respirant mal. Je ne pouvais plus chasser l’horrible vision. Elle m’hallucinait. Parfois je sursautais, comme si le mort m’eût touché ; Ma tête vide, brûlait.
N’étais-je pas coupable de meurtre ? Qu’avais je fait pour empêcher qu’on tuât ? Par mon silence, j’avais souscrit au jugement. Comment dès lors, pourrais-je supplier dieu de me sauver du carnage ? Avais-je plus de droits à la vie que notre victime ? Mais que pouvais-je faire ? En tous mes camarades sourdait la même révolte. « Sans doute, disait l’un, que les boches ne suffisent pas à tuer les Français puisqu’ on les aide. Ah bon dieu ! n’y aura donc pas une femme qui se sacrifie dans tous les pays pour démolir les rois et les présidents. Tu verrais que si on en descendait seulement une demi-douzaine, la guerre serait bientôt finie ; les autres auraient trop peur.
Ils se répandaient en propos violents, révolutionnaires, anarchistes, mais dès qu’un officier s’approchait, leur ton baissait. Ils n’ aboyaient que de loin, car ils sentaient, comme moi leur impuissance…"
Bien cordialement.
Denis
Le temps de retrouver une vieille photocopie de ce livre, de le lire en méthode rapide et voici ce que cela donne…
Vu le style et la teneur du texte très critique et très engagé, j' èspère que monsieur H. Nadel (où plutôt ses descendants)

Rien dans le livre ne permet d'identifier le régiment (aucunes dates, aucuns lieux, aucuns noms. Il est juste fait allusion à deux autres exécutions...
Page 71 : "Deux soldats de ma compagnie se percèrent la jambe d'un coup de baïonnette, ils furent condamnés à mort par le conseil de guerre et fusillé."
Si quelqu'un arrive à identifier le nom de ce pauvre bougre, qu'il est la gentillesse de le garder pour lui. il est parfois donné sur le Forum les noms de quelques-uns d'entre eux et vu la description du motif de l'exécution dans ce texte il serait, à mon humble avis pas très honorable de le faire.
Voici le texte...
« C’est une chose terrible que la mort d’un homme que plusieurs tuent, au nom de la justice. Je connaissais celui – là : il avait appartenu, quelques mois à la même section que moi. C’est un jeune paysan au front bas, au regard de souris craintive, avec dans la physionomie dans l’attitude, je ne sais quoi du renard toujours prêt à fuir. Il parlait peu, faisait peu de bruit ; il était doux, timide, imbécile. La peur ne le lâchait jamais, même au repos ; il la portait en lui, comme une tuberculose ; elle le rongeait, le minait, courbait son dos, et gênait sa respiration, parfois donnait à ses yeux un éclat fiévreux ; il ne mangeait que pour elle, pour nourrir son bacille.
Durant l’attaque, il avait dû se terrer quelques part, se blottir dans un trou, plus mort que vif, comme un chien affolé par le bruit du tonnerre, et dès que l’on était descendu au repos, il n’avait plus eu qu’une idée : fuir, fuir n’importe où, vers l’arrière, par là-bas où l’on entendait plus le fracas du canon. Il partit un soir, après la soupe, sans rien dire à personne.
Six jours plus tard, on apprit que des gendarmes l’avaient arrêté du côté de Troyes. Durant près d’une semaine, il avait fui, évitant les villages, se cachant le jour dans les bois, marchant la nuit, ne visant que de pommes de terre crues et de betteraves. Puis, se croyant sauvé, poussé par la faim, il voulut se louer dans une ferme dont le patron le dénonça. Il fut prit et conduit à la prison de la prévôté, en prévention de conseil de guerre.
Il y resta huit jours, puis de nouveau, comme on menaçait de la faire monter à l’attaque dans un régiment voisin, il s’évada. Il s’enfuit avec un camelot parisien qui promettait de lui procurer à Paris de faux papiers. Deux semaines après, il se faisait prendre dans une rafle.
Au conseil de guerre, il ne sut rien dire pour sa défense. Il répondait par monosyllabes, tête basse, aux questions du colonel président. Son avocat lut un certificat médical concluant à une responsabilité atténuée. On entendit les dépositions du caporal et du chef de section : soldat discipliné, mais peureux. Ils insistaient sur sa peur, comme sur une excuse à sa désertion, sans s’apercevoir qu’ainsi ils le condamnaient...
Le commissaire du gouvernement rappela que, depuis l’offensive, le nombre de désertions s’était accru dans des proportions inquiétantes. Le conseil devait faire un exemple.
Après délibération de cinq minutes, le prévenu fut reconnu à l’unanimité, coupable d’abandon de poste devant l’ennemi. Peine de mort.
L’exécution eut lieu le lendemain matin, dans un champ, et nous fûmes choisis, nous ses anciens camarades, pour le conduire au poteau.
On nous éveilla dès l’aube, mais le jour se leva sans joie. Le ciel avait la tristesse blafarde d’un mur de prison. Nous partîmes entre chien et loup. Nos officiers portaient le sabre au côté, car l’on rend les honneurs à celui qu’on fusille comme à celui qu’on décore. En tête de la colonne, marchaient les tambours et clairons ; leurs cuivres brillaient comme aux jours de fête, et nous allions tête basse, pensifs, sous le ciel lourd.
Le condamné suivait dans un fourgon. On avait dû l’éveiller à la même heure que nous et quelque gendarme lui avait appris, par une froide formule, que le moment était venu d’expier. Les voisins l’avaient entendu hurler. Et maintenant, dans le camion obscur comme la grande nuit où il allait tomber, quelle angoisse devait l’étreindre ! J’écoutais les roues cahoter sur les cailloux et je songeais que de tout ce qu’il avait aimé, il ne restait plus que cette humble voix des choses familières pour le soutenir dans sa détresse. Nous tous, ses anciens camarades, n’étions nous pas devenus ses ennemis ? Nous allions le tuer.
Oh le lugubre ban des tambours et clairons ! Quatre compagnies, en ligne déployée, présentaient les armes, et devant elles, à cheval, se tenait le colonel.
Quel chose dut-il ressentir, lui, le condamné quand il entendit commander « garde à vous ! » Mais entendait-il ? Avait-il encore conscience de quelque chose ? Vit-il cette parade, reconnut-il les visages ?
Il descendit du fourgon, soutenu, traîné par l’aumônier qui l’embrassa. Baiser de Judas. « Eh quoi ! Tu m’embrasses et tu me livre à mes bourreaux, tu approuves leur meurtre et tu prétends m’aimer ! »
Je me révoltais, mais lui ne se révoltait pas, sans doute n’en avait il plus la force. Il pleurait et dit seulement dans un soupir : » Pour ce que j’ai fait … »
Le capitaine de gendarmerie l’interrompit : « Tâchez de montrer du courage ». Il ne suffisait pas à la société qu’il mourût. Il fallait qu’il mourût dignement, qu’il approuvât en quelque sorte le verdict par sa tenue, qu’il obéît jusqu’à la mort. « Ave Cæsar, morituri te salulant ! »
Il échut à ma compagnie de l’encadrer pour le conduire au poteau. Deux hommes avaient été désignés pour l’y porter, si ses jambes fléchissaient ou s’il refusait d’avancer. Le lieutenant qui nous commandait répétait : « Un, deux ; un, deux » ; avec une insistance de métronome, préoccupé seulement que sa troupe marchât au pas devant le colonel.
Au loin, on entendait le canon, un grondement sourd pareil au roulement d’un tambour voilé. La bataille devait faire rage, peut-être le soir monterions-nous en renfort…
Quand le condamné fut arrivé près du poteau, un soldat, aussi pâle que lui, banda ses yeux d’un mouchoir. L’homme entrait dans les ténèbres ; il vivait encore, mais le monde était mort pour lui.
Un sergent lut la sentence d’une voix rapide, pressée d’en finir. Lui, sous son bandeau, comprit-il les paroles ? Sa nuit devint-elle plus obscure ? Songeait-il qu’il ne lui restait plus que quelques secondes à vivre ? N’allait-il pas bondir, essayer de s’échapper, prolonger sa vie de cinq minutes, Ou bien se révoltait-il, nous cracherait-il en face sa malédiction ?
Non. Docilement, avec une docilité qui m’épouvanta, il obéit aux mains de ses bourreaux. Je vis qu’on lui passait des cordes sous les bras pour l’attacher au poteau ; il s’agenouilla, pour être plus près de la terre qui allait le recevoir.
Puis, ce fut bref ; Le peloton d’exécution était en place. Les fusils se levèrent. « Feu ! ».
L’homme roula sur lui-même comme une boule, comme un lièvre atteint en pleine course.
Ceux qui avaient tué firent demi-tour. Le major se pencha sur ce qui n’était plus qu’un cadavre. Il n’y eut pas besoin qu’un sous-officier tirât le coup de grâce dans l’oreille. Justice était faite.
Alors, il nous fallut défiler, section par section, devant notre victime. Elle avait dans le dos, à hauteur du cœur, un grand trou rouge.
Je m’en allai, tête basse, tête vide, sans mot dire, sans penser. Etait-ce la honte ou la tristesse qui m’étreignait ? Il me semblait que je portais le deuil de moi-même.
J’arrivai au cantonnement, fiévreux, respirant mal. Je ne pouvais plus chasser l’horrible vision. Elle m’hallucinait. Parfois je sursautais, comme si le mort m’eût touché ; Ma tête vide, brûlait.
N’étais-je pas coupable de meurtre ? Qu’avais je fait pour empêcher qu’on tuât ? Par mon silence, j’avais souscrit au jugement. Comment dès lors, pourrais-je supplier dieu de me sauver du carnage ? Avais-je plus de droits à la vie que notre victime ? Mais que pouvais-je faire ? En tous mes camarades sourdait la même révolte. « Sans doute, disait l’un, que les boches ne suffisent pas à tuer les Français puisqu’ on les aide. Ah bon dieu ! n’y aura donc pas une femme qui se sacrifie dans tous les pays pour démolir les rois et les présidents. Tu verrais que si on en descendait seulement une demi-douzaine, la guerre serait bientôt finie ; les autres auraient trop peur.
Ils se répandaient en propos violents, révolutionnaires, anarchistes, mais dès qu’un officier s’approchait, leur ton baissait. Ils n’ aboyaient que de loin, car ils sentaient, comme moi leur impuissance…"
Bien cordialement.
Denis