recherche carnet de route...

Publications anciennes & récentes
Règles du forum
Publicité pour un ouvrage : Les membres qui contribuent aux échanges sur le forum peuvent faire la promotion des livres dont ils sont l’auteur et de ceux auxquels ils ont participé. La présentation d’un ouvrage coup de cœur est autorisée à condition de ne pas inclure dans le message de liens vers un bon de souscription ou un site marchand. Les messages postés par un membre qui s’est inscrit uniquement pour déposer une publicité sur le forum ne seront pas validés.
Avatar de l’utilisateur
bm thiry
Messages : 352
Inscription : ven. déc. 24, 2004 1:00 am

Re: recherche carnet de route...

Message par bm thiry »

Bonsoir à tous,


Je recherche activement :ange:

"carnet de route" de Jacques ROUJON
référencé N°260 dans témoins.


Offre bienvenue en privée.

Merci
Cordialement
Bertrand
"Quelle héroïque simplicité dans ce salut de la Patrie à ses fils blessés pour Elle, que de souffrances fait oublier cette glorieuse minute ! Quiconque ne l’a pas vécue ne comprendra jamais l’émotion de pareils moments !" A TIRE D'AILES, page303
Avatar de l’utilisateur
Stephan @gosto
Messages : 5598
Inscription : dim. oct. 17, 2004 2:00 am
Localisation : Paris | Chartres | Rouen
Contact :

Re: recherche carnet de route...

Message par Stephan @gosto »

Bonsoir Bertrand,

Je peux te le prêter si cela te dépanne en attendant que tu mettes la main dessus...

Amicalement,

Stéphan
ICI > LE 74e R.I.
Actuellement : Le Gardien de la Flamme

Image
Avatar de l’utilisateur
bm thiry
Messages : 352
Inscription : ven. déc. 24, 2004 1:00 am

Re: recherche carnet de route...

Message par bm thiry »

Bonsoir Stephan,


Cela fait trois ans que je recherche le carnet de ROUJON...

Je souhaite le lire d'un part:
parce que c'est un excellent journal, fidèle et sincère comme le dit JN-Cru,
et d'autre part, comme moi, Roujon, débarqua à Nanteuil-le-Haudouin et alla à Fontenoy.

Sauf que pour moi, à Fontenoy j'y ai trouvé ma conjointe.


Dernièrement, sur EBAY, j'ai loupé l'opportunité de l'acquérir,
c'est donc avec grand plaisir que j'accepte volontiers ton prêt. :ange:

Ma reconnaissance la plus amicale. ;)
Bertrand.


Je prends contact avec toi en privé pour se mettre d'accord sur les modalités
"Quelle héroïque simplicité dans ce salut de la Patrie à ses fils blessés pour Elle, que de souffrances fait oublier cette glorieuse minute ! Quiconque ne l’a pas vécue ne comprendra jamais l’émotion de pareils moments !" A TIRE D'AILES, page303
Roger
Messages : 464
Inscription : lun. oct. 18, 2004 2:00 am
Localisation : Couternon cote d'Or amagasaki

Re: recherche carnet de route...

Message par Roger »

Bonjour

je possede aussi ce magnifique livre que j'ai relus avec plaisir ,
voici une petite transcription .



l'Affaire de Crouy

Vendredi 8 janvier 1915

Ce matin, à 6 h. 1/2, sur un secteur de plusieurs kilomètres, notre artillerie ouvre le feu. Cinquante pièces tirent chacune cent vingt-cinq coups, ce qui est formidable. Les Marocains enlèvent deux lignes de tranchées au-dessus de Crouy et prennent pied, avec les chasseurs, sur le plateau. Succès important, paraît-il. Les Allemands contre-attaquent sans résultat. Leur artillerie riposte copieusement. Elle arrose nos tranchées; elle arrose le terrain en arrière.

Attaquerons-nous tout à l'heure? On interroge les lieutenants. Ils ne savent rien.

A partir de midi le feu redouble, et jusqu'à 5 heures c'est un déchaînement. Des raclées d'obus allemands s'abattent sur Bucy, cependant que les 75 éclatent, avec un fracas de vaisselle cassée, sur les tranchées d'en face. Au milieu du vacarme, on perçoit distinctement les ronflements des gros calibres qui passent au-dessus de nos tètes avec un bruit grave, comme pesant. On dirait un train qui roule sans hâte sur un pont de fer.

Comme si la pluie ne suffisait pas, un orage à la grêle se met à nous cingler. Les coups de tonnerre alternent avec les coups de canon. Le ciel est rayé d'éclairs. Quand l'heure de la relève arrive, nous sommes hébétés.

Nous apprenons alors, en regagnant notre caverne d'Ali-Baba, qu'un 210 est tombé cel après-midi devant la grotte, sur un point où, depuis des mois, nous nous croyions absolument à l'abri. Le sergent Marlin a été lancé en l'air. Les cuisiniers ont roulé sur le sol pêle-mêle avec leurs plats. Jusque dans les galeries les hommes ont été renversés par un souffle irrésistible. Le premier émoi passé, on s'est compté; seul le sergent Martin était atteint: la jambe gauche coupée au ras du bassin. Des débris de pantalon rouge et de chair sont encore éparpillés autour de l'énorme cuvette creusée par le percutant.

Samedi 9 janvier

Après une nuit délicieuse, au sec, dans la grotte, on nous envoie nettoyer des boyaux. Jacquard reste à la grotte, très occupé à ranger dans une boîte notre provision de tablettes de chocolat.

Dehors, la danse continue: 70, 77, 90, 105, 155, 210 sillonnent l'air. Les mains croisées sur le manche de la pelle, un pied posé sur le fer, nous regardons, dans l'attitude du soldat laboureur les 210 tomber autour de la ferme de la Montagne, sur le Moncel et Sainte-Marguerite: d'abord un nuage noir, puis un éclair rouge en étoile, enfin l'explosion en coup de foudre.

L'ennemi cherche nos batteries. De temps en temps, quatre coups de 75 claquent, brefs et rageurs, comme pour dire: « II n'y a pas de mal. » Le spectacle nous passionne, nous n'avons aucune envie de travailler.

Fusillade violente du côté de Crouy

Vers le soir, la pluie se repose un peu et la guerre aussi. La compagnie vient de nouveau s'installer en première ligne.

Verrier, Reymond, Maxence et moi nous sommes désignés pour occuper à tour de rôle deux créneaux et un cagibi.. Le cagibi ne paye pas de mine; un renfoncement de trois mètres cubes pratiqué dans la paroi de la tranchée; on ne pourra ni s'y tenir debout ni s'y allonger; quelques réparations locatives sont indispensables.

Dès q’on arrive, le caporal qui nous place déclare:

— Vous êtes quatre pour assurer ce poste-là. Arrangez-vous à votre idée pour les heures, mais je veux toujours voir deux « bonhommes » aux créneaux. Voilà.

— Ne pleure pas. Ce sera fait.

Deux d'entre nous prennent donc la garde, ce qui n'est pas compliqué, en plein jour. Ça consiste à se promener dans la tranchée en fumant sa pipe. De temps en temps, un regard pour I constater que rien ne bouge en face.

Varlet, qui vient nous rendre visite, me prend par le bras, et, montrant du doigt la mince ligne des tranchées ennemies:

— Regarde, vieux, dit-il. Pendant des années, à la C. G. T., on m'a promis le rapprochement des peuples. Il est fait avec l'Allemagne. On ne m'a pas mis dedans.

Mais ceux qui sont restés dans le cagibi s'occupent. D'abord le nettoyage. Les prédécesseurs ont laissé traîner des chiffons de papier et un os; on pousse des soupirs écœurés:

— Ah là là! Est-ce qu'ils n'auraient pas pu enlever leurs ordures!

Et puis on déplie devant l'ouverture du cagibi trois toiles de tente l'une sur l'autre. Opération délicate: il s'agit de ne laisser aucun interstice entre cette portière improvisée et les murs de terre; d'abord pour arrêter les courants d'air — c'est étonnant à quel point on craint les courants d'air dans les tranchées; ensuite pour ne laisser filtrer aucune lueur qui puisse nous signaler à la malveillance teutonne.

Une couverture sur le sol en guise de tapis. Deux petites niches dans la paroi pour placer les bougies. Un bout de planche, soutenu par deux piquets de tente fichés dans le mur, forme une étagère: c'est le refuge des pipes, des gamelles, des provisions. Deux sacs par terre pour s'accouder.

Ce travail fini, on peut souffler. C'est l'heure des lettres, de l'éternel refrain: « Je t'écris de là première ligne, tout près des Boches. Mais ne t'inquiète pas, je ne risque pas grand'chose... » On lit son journal. On y voit que tous les fantassins sont des héros. C'est imprimé. Ces choses-là vous flattent. Hé! après tout, on est fantassin!

Ordinairement, à cette heure-là, tout est calme: les Allemands font comme nous; ils préparent le logis et le dîner.

L'heure de la soupe arrive. Un seul reste à veiller. Les trois autres dînent longuement et gaiement. Quand la conversation devient trop bruyante, la sentinelle lance un coup de soulier dans la toile de tente. Toutes les dix minutes, le pauvre diable écarte la portière et demande:

— Vous n'allez pas bientôt me relever? J'ai la dent.

On lui répond:

— Ça va bien. La table n'est pas louée. Et puis, retire ta tête. Tu fais entrer le froid.

Il se résigne. Il sait que les gens au sec peuvent parler dur aux chiens mouillés.

Nous entendons le flic-flac de ses godillots qui s'éloignent. De temps en temps il lâche un coup de fusil, dans le noir, pour tromper sa faim. Il se met « en liaison » avec la sentinelle de droite et celle de gauche.

Enfin, on l'appelle:

— Viens dîner, c'est ton tour. Machin va te remplacer. Essuie tes bottines. Ne salis pas le tapis.

Il se glisse dans le trou, où règne une odeur de pipe, de rata, de guerrier. Sa figure s'épanouit. Il dit: « Ça sent bon. » Et il le croit. Il aperçoit son fricot qui mijote sur un réchaud de soldat. Mais très vite, nouvelles inquiétudes:

— Et mon jus? Je parie que vous ne l'avez seulement pas mis au chaud!

Exclamations indignées.

— Tiens, regarde-le, ton jus, il est là. On t'a même gardé un cigare. Veux-tu commencer par deux sardines?

Et les hôtes ajoutent, avec des mines frileuses:

— Seulement, fais attention, tu es trempé. Ne bouge pas ou tu vas tout gâter dans la chambre.

A 8 heures, le dîner est fini. Chacun nettoie son assiette et son couvert avec de la mie de pain.

Préparatifs pour la nuit: deux vont guetter, deux vont dormir en se relayant de quatre en quatre heures. Les deux privilégiés qui peuvent digérer à leur aise allument leur pipe, se passent la gourde de « gnôle », puis bientôt se tassent l'un près de l'autre, en chien de fusil.

Les deux sentinelles tendent le dos à la pluie. Elles cachent leur pipe dans le creux de la main:

— Quel temps!

— Oui, ça flotte.

L'un tousse. L'autre lui dit:

— Ne restons pas devant le cagibi. Tu vas réveiller les enfants.

Nous occupons, Maxence et moi, le cagibi, de 8 heures à minuit. Quelques pipes. Le courrier a apporté des journaux. Nos équipements pendent à des clous plantés dans les bois qui étayent l'abri. Maxence, qui s'agite depuis un moment, me dit:

— Tant pis! Je vais mettre mes chaussons. Ça me délassera.

— Et si le lieutenant passe?... Et si les autres attaquent? v

— Hein?

Il hésite, la main déjà prête à dérouler sa molletière.

— Bah! les Boches d'en face ne bougeront pas; ce sont des types de tout repos.

Enfin, j'arrive à le dissuader de se déchausser. On cause avant de s'endormir, bien enroulés dans les couvertures.

Un cri dans la tranchée me coupe la parole:

— Alerte! Les Boches sont dans le boyau! Nous sautons sur les équipements et sur les fusils et nous voilà dehors. A cent mètres à droite, une vive fusillade.

— Qui donc a crié: « Alerte? »

— C'est un homme de la quatrième section, celle qui est de garde au poste d'écoute, répond placidement Verrier, qui a déjà mis baïonnette au canon, mais sans lâcher sa cigarette.

— Eh bien! où sont les Boches? On n'entend rien! Nous commençons à flairer un de ces incidents tragi-comiques dont la guerre est farcie. Le lieutenant passe, une lampe électrique à la main, se dirigeant à grands pas vers la droite. Il jette:

— Tout le monde aux créneaux!

— On y est.

Une demi-heure après, il revient:

— Eh bien! qu'est-ce qu'il y avait?

Alors, moitié riant, moitié fâché, il raconte:

— C'est une patrouille allemande qui s'est trompée de direction. Notre sentinelle veillait, abritée par une toile goudronnée tendue sur deux bouts de bois. Elle entend des pas lourds et des bruits de voix, et vlan! quelque chose crève la toile et lui tombe en beuglant sur les épaules. C'était un Boche. La sentinelle, ahurie, appelle: « Aux armes! » Les camarades sortent des abris. Brouhaha. Pendant ce temps-là, le Boche escalade le parapet et détale. Quant à la patrouille, elle était loin. Alors, un homme est venu me trouver en criant: « Alerte! »

Le lieutenant parti, nous allons rendre visite, après trois ou quatre cents mètres de détours à travers les boyaux déserts, aux héros de l'aventure. Ils sont penauds.

Le caporal est inquiet:

— Croyez-vous que le lieutenant va me boucler?

Et il s'indigne:

— Mais aussi, en voilà des brutes de Boches qui s'amènent jusqu'ici en faisant sonner leurs bottes I Est-ce comme ça que travaille une patrouille ennemie, hein?

Evidemment, si maintenant l'ennemi aborde nos lignes sans les précautions d'usage, ce n'est plus de jeu!

La sentinelle surtout est écœurée.

— Tu ne pouvais donc pas lui fourrer la baïonnette dans les tripes, à ce dégoûtant? lui demande un bonhomme.

— Ma baïonnette, elle était au fourreau. Est-ce que tu la mets au canon, ta baïonnette, quand tu es de faction dans la tranchée? Il n'y a que sur les dessins des journaux qu'on voit ces blagues-là!

Le Boche évadé, que nous baptisons Fritz, a abandonné son mauser. Quelles histoires Fritz va-t-il raconter en rentrant dans ses lignes sans fusil? Recevra-t-il une pluie de coups de bottes? ou bien, homme avisé, forgera-t-il une histoire héroïque qui lui vaudra la croix de fer?

Nuit agitée. Fusées. Coups de fusil. Des patrouilles se canardent.

La voix d'un blessé allemand appelle à l'aide, une voix dolente; il se rend, ses camarades l'ont abandonné, il supplie qu'on vienne le chercher.

— Arrive, on ne te fera pas de mal.

Pas de réponse. C'est une feinte probablement, pour attirer quelques-uns d'entre nous dans une embuscade.

Dimanche 10 janvier.

Le matin, on s'aperçoit que les Allemands ont profité de l'obscurité pour creuser un boyau d'attaque qui prend nos tranchées en enfilade. Cette partie du secteur devient difficile à tenir. Nous avons l'impression que l'ennemi prépare un sale coup.

A midi, relève. Un soleil radieux nous met de bonne humeur. Repos complet devant ou dans la grotte, pendant qu'une canonnade intense prépare une attaque sur la cote 132.

L'attaque a lieu à la tombée du jour. Les Marocains et les chasseurs enlèvent une troisième ligne de tranchées et se fortifient sur le plateau, touchant presque la ferme « La Perrière ».

Lundi 11 janvier

Tout l'après-midi, nous regardons, de l'entrée de la grotte, les gros projectiles tomber sur Bucy. Vr... ran, vr... ran! Au soir, le calme revenu, la 21e et la 24e descendent à Vénizel, sur l'Aisne, à quatre kilomètres de Bucy.

Nous allons, pour la première fois depuis le 15 novembre, nous trouver hors de portée des coups de fusil. Insatiables, nous voudrions encore ne plus entendre le canon pendant huit jours!

Pluie torrentielle. Les cantonnements ont été mal préparés. Personne ne sait où il doit se rendre. Les lieutenants crient; les sous-officiciers lèvent les bras au ciel. Les hommes attendent sous l'averse.

Enfin, un ordre arrive: notre escouade est de garde; elle doit occuper une péniche amarrée à la rive droite de l'Aisne, en amont du pont. Nous suivons les bords de la rivière en pleine crue. Traversée d'un bois dont les premiers arbres ont le pied sous l'eau. Une faible lumière dans la nuit: c'est la péniche. Nous y pénétrons un à un en passant sur une planche branlante qui menace de céder. Nous voilà yachtsmen. C'est un des avatars les plus curieux de notre vie de guerriers.

L'escouade, baptisée pour la circonstance « l'équipage », prend place à bord du bâtiment, dont elle occupe l'entrepont. Une grosse lampe à pétrole. Un bon poêle. Le patron, mobilisé sur place, et sa femme, ont l'air de braves gens. Quel doux abri!

Varlet apporte des lettres et des colis. Nous devenons tout à fait joyeux. Reymond, affublé d'un bonnet bleu ciel, monte à plusieurs reprises sur le pont:

— Tu fais le quart? interroge le caporal.

— Oui... Jolie brise Nord-Nord-Ouest. Dans vingt jours, nous serons au cap de Bonne-Espérance.

Avec son brûlot dans le bec, sa barbe hérissée et sa façon de marcher en écartant les jambes comme s'il y avait du roulis, il a tout à fait l'air d'un vieux bourlingueur.

Nous sommes quatorze dans ce bateau, tous couverts de vermine. Le caporal, le torse nu, épluche sa chemise; il brûle ses poux dans le poêle et, à chaque immolation, pousse un cri de satisfaction sauvage.

Les capotes sont cuirassées de boue; les baïonnettes, qui d'habitude font surtout l'office de chandeliers, sont couvertes de taches de bougie. Quant aux fusils rouilles, enrayés, ils ne fonctionneront qu'après un solide nettoyage. J'ai la fièvre. Je m'assieds à l'écart. Une formidable claque s'abat sur mon dos: une caresse de Charensac; navré de me voir malade, il me hurle confidentiellement dans l'oreille:

— A quoi ça sert de se faire de la bile, mon vieux poteau?

— Laisse-le donc, conseille le caporal. Tu vois bien qu'il a « la crève ».

Charensac mange et s'égaye. Il est heureux dans une péniche comme il serait heureux partout ailleurs.

Le bonhomme savoure la vie. Chacun la savoure où il peut; lui, cet enfant du Cantal, c'est dans le Soissonnais.

Voyant que ses camarades écrivent des lettres, il tourne autour d'eux en braillant:

-— Ah! Ah! mes petits copains travaillent. Bon ça! Ne les dérangeons surtout pas.

Malgré les senteurs d'huile rance et de goudron, nous sommes contents, parce qu'au sec, et nous prolongeons la veillée jusqu'à 2 heures du matin. Enfin chacun cherche un coin, se roule sur le plancher dans sa couverture et s'endort.

Mardi 12 janvier

Toute la matinée, une canonnade infernale gronde sur le plateau. On doit s'amuser là-haut! Vers 11 heures, comme je commençais à brosser ma capote, Charensac et Meuret, qui étaient partis pour chercher du « pinard » au pays, déboulent, essoufflés, et bredouillent :

— Alerte! En tenue! les Boches avancent.

Exclamations. On s'équipe à la hâte.

La section rassemblée, le lieutenant nous fait d'abord traverser le pont de Vénizel et passer sur la rive gauche de l'Aisne, c'est-à-dire du côté opposé au lieu de la bataille. Là, nous nous mettons à descendre le long de la rivière. Les eaux, très hautes, d'un jaune limoneux, charrient des débris de toute sorte. Au bout d'un kilomètre, un pont de bois. La crue est si forte que le courant menace de recouvrir le tablier. Ce pont a été construit par les Anglais, il porte encore des inscriptions dans leur langue. Nous traversons, et, de nouveau, nous voici sur la rive droite. Pour gagner les tranchées, il va falloir, en plein midi, traverser la plaine de Vénizel, large de trois kilomètres, et que l'ennemi, des hauteurs voisines, tient sous son feu.

— En colonne par deux, en avant.

A peine sommes-nous engagés dans la direction de Bucy, qu'un obus nous salue, puis deux, puis trois. Nous sommes repérés. Sur un commandement, les quatre escouades se suivent à cinquante mètres d'intervalle.

Aux premières maisons de Bucy, grande agitation. Des artilleurs, sabre et revolver au poing, nous crient:

— Valiez pas par là! Les Allemands sont à la sucrerie de Crouy.

Un margis galope auprès de nous, venant de la ligne. Au vol, nous l'interrogeons:

— Eh bien? bonnes nouvelles?

Il fait une grimace, un froncement de nez. Evidemment, la bataille est dure.

La section grimpe vers les tranchées. A mi-coteau, nous croisons quelques hommes et un lieutenant d'un autre régiment. Ils ont l'air hagard et marchent comme à l'aventure.

— Où allez-vous? demande notre lieutenant.

— Je n'en sais rien, dit l’ autre. Voilà tout ce qui reste de ma compagnie. Nous venons de sauter à la mine.

Un homme, encore tout chancelant, explique;

— On entendait gratter sous terre depuis plusieurs jours. Et puis, tout à l'heure v'lan! Tous en l'air! Ah! les pauvres copains!

Sur tout le plateau, entre Missy, Bucy, Crouy et la route nationale de Paris-Soissons- Maubeuge, la lutte se déroule. Les Allemands contre -attaquent sur plusieurs points. Le duel d'artillerie est terrible.

Je suis à bout de souffle. Je gravis tant bien que mal, soutenu par Charensac, la pente raide et boueuse qui mène aux tranchées de première ligne. Il faut jeter du lest.

Je plonge la main dans ma musette; J'en tire deux boîtes de conserves: un cassoulet et un homard.

Machinalement, je les tends à Charensac. Charensae, accablé, me fait signe qu'il n'en veut pas... C'est une des plus tristes impressions de fatigue que j'aie éprouvées. « Si Charensac n'en peut plus, nous sommes frais. » Je dis:

— Eh bien! tant pis, je les balance.

Je jette les deux boîtes sur le chemin et Charensac repart avec moi en soupirant.

Au sommet de la pente, nous nous engageons sur le chemin creux qui longe le bord du plateau. On enfonce dans la boue jusqu'aux genoux. Epuise, je m'assieds par terre, mais l'explosion d'un shrapnell à quelques mètres me convainc que ce n'est ni le moment ni le lieu de se reposer.

Je rejoins la section au moment où elle passe auprès d'une batterie installée au- dessus du chemin et dissimulée tant bien que mal par des feuillages. Le capitaine va et vient sous les balles. Il interpelle notre lieutenant:

— Où allez-vous?

Un geste vague répond.

— Vous n'en savez rien; alors, à moi. Vous défendrez mes pièces.

Il faut passer devant une des petites gueules qui crache sans arrêter. Notre lieutenant fait observer poliment qu'il serait peut-être prudent d'interrompre le tir pour éviter les accidents. Le capitaine sourit avec une condescendance à peine dédaigneuse:

— Cessez le feu, pour permettre aux « fantassins » de traverser.

Notre section se jette dans un boyau devant les quatre canons. Quelques hommes veillent et aménagent des créneaux et des banquettes de tir. Les autres se couchent. L'artillerie ennemie nous arrose. De temps en temps un morceau de ferraille tombe du ciel. Un 77 qui n'éclate pas vient s'arrêter sur le bord du parapet, à côté d'un gabion. Il allonge son nez pointu sur la tranchée comme pour voir ce qui s'y passe.

Charensac se glisse près de moi. Il a mon homard et mon cassoulet! A la réflexion, la perle de ces richesses lui a paru inadmissible. Au risque de prendre, comme on dit, un bon shrapnell « dans la lampe », il est allé chercher mes conserves et me les rapporte. C'est pour le principe: non plus seulement pour ne rien perdre lui-même, mais pour ne rien voir perdre autour de lui. Et du coup, il ne veut pas accepter les boîtes que je lui cède! Je finis par triompher de ses scrupules en raisonnant: « Mais puisque je les avais balancées! Garde les donc, vieux fou. Et tâche que les autres te laissent assez vivre pour les manger. »

II me remercie bien, pour sa peine.

La journée s'achève sans incidents graves pour nous. Le soir venu, la section va se tasser dans un gourbi. Un morceau de pain et une boîte de foie gras pour l'équipe. C'est tout ce que nous avons à nous mettre sous la dent, et depuis vingt-quatre heures. A 11 heures, l'ordre arrive d'aller rejoindre le reste de la 24e. La compagnie est mise en réserve. Elle va coucher dans une grotte du voisinage.

Mercredi 13 janvier

5 heures du matin. Les officiers commandent: « Tout le monde debout et en tenue. » Je me lève, je tiens à peine sur mes jambes. Je suis malade pour tout de bon; j'essaye de mettre mon équipement, la tête me tourne.

Plus moyen de lutter. Je vais trouver le lieutenant:

— Mon lieutenant, je suis à bout. Ce n'est pas pour tirer au flanc; je suis malade.

— Oui, ça se voit.

— Pensez-vous qu'il y aura quelque chose de sérieux aujourd'hui?

— Pour la compagnie, je ne le crois pas, elle est mise en réserve. Restez ici. Vous descendrez à l'infirmerie tout à l'heure.

Je vais me recoucher dans un coin, sur un tas de pierres qui me semble moelleux, tellement je suis las. A la lueur des bougies, les copains s'équipent et s'arment rapidement, bouclent leur sac. Les ombres de Reymond, de Verlier, de Maxence, de Jacquard, s'éloignent. Je n'ai même pas la force de leur crier au revoir. Henriot et Varlet me serrent la main:

— Eh bien, vieux, tu es claqué?

— A peu près.

— Alors, pionce. A tout à l'heure.

Ils s'en vont. Me voilà seul dans cette grotte inconnue, plus vaste, plus froide et plus rébarbative que notre grotte habituelle Je me rendors, comme une brute.

10 heures. Des coups sourds résonnent sans interruption sur la voûte: c'est le canon. J'entends des chuchotements, des plaintes. Un poste de secours vient d'être installé dans la grotte. Je reconnais la voix du major, des infirmiers. Des brancardiers apportent -des blessés et encore des blessés. Qu'est-ce qu'il se passe donc?

Je me lève: on se bat, me dit-on, sur tout le plateau depuis plus de quatre heures.

— El la 24e?

— La 24e est en réserve.

Bon. Je me recouche et me rendors instantanément.

Midi. Toujours les coups sourds, plus fréquents encore que tout à l'heure, Je me lève, de nouveau tout chancelant. Plus personne autour de moi, à l'exception de quelques blessés marocains, qui se sont traînés là... Un peu inquiet, je m'avance jusqu'à l'entrée de la grotte. Ahurissement! Des rafales d'obus tombent sur le chemin des Anglais; des balles sifflent. A vingt pas, quelques soldats éparpillés s'agitent, tirant et hurlant. Un chasseur à pied, les yeux hors de la tête, vocifère:

— Un fusil. Donne-moi un fusil; le mien ne marche plus. Un fusil! Ils sont là!

Et des blessés se traînent qui cherchent à se mettre à l'abri. J'en interroge un: ça va mal. Les Allemands avancent. Ils arriveront ici d'un instant à l'autre.

Un lieutenant passe en criant:

— Les blessés qui peuvent marcher, allez-vous-en, si vous ne voulez pas être prisonniers.

S'en aller, c'est facile à dire. Je connais les chemins pour gagner l'infirmerie. Toutes les balles perdues s'y retrouvent et l'artillerie allemande doit balayer les pentes.

D'ailleurs, je ne tiens pas debout. Alors, ça y est, je vais être pris. Une angoisse inexprimable me serre le cœur; la tète me tourne. J'essaye de réfléchir, je ne peux que me répéter: « Je vais être prisonnier. » Ma terreur!

Je mets encore le nez dehors. Rien à faire. Pas moyen de passer. La route est hachée de projectiles. Je rentre et je déchire quelques lettres. Autour de moi, rien que des Marocains. La première émotion vaincue, le sang-froid me revient et je vois clairement ce qui va se passer: la ruée des Allemands dans la grotte, le massacre des Marocains blessés, et moi massacré dans le loi par-dessus le marché. Non, j'aime mieux crever dehors que dans ce trou. Tant pis, je vais descendre à l'infirmerie.

Me voilà de nouveau à l'entrée de la grolte. Je mesure l'espace à parcourir: le plus dangereux, c'est la traversée de la route. Ensuite la pente boisée descend à pic sur Bucy; les balles fileront au-dessus de ma tête.

Il y aura bien encore les obus qui tombent dru, mais je n'ai pas le choix; si je reste là, je suis cuit.

Je ramasse mes forces, je prends mon élan. Ouf! La route est franchie. Je me jette à plat ventre pour reprendre haleine. Je découvre Bucy et une partie du ravin. Les shrapnells et les percutante éclatent de tous les côtés. J'ai tout mon calme, je ne perds pas une miette des charmes de la situation. Mes chances sont maigres. En avant. Je descends tout doucement, en me tenant aux arbres. Mes musettes m'étouffent. Avec mon couteau, je coupe les deux courroies. Je respire mieux. Encore un effort; les premières maisons sont en vue.

— On ne passe pas! Où vas-tu?

— Le lieutenant m'a autorisé à descendre à Bucy.

— Tu n'es pas blessé?

— Non.

— Alors, on ne passe pas. J'ai ma consigne. C'est un caporal de chasseurs à pied, un beau soldat, une figure énergique, têtue. Il dit encore:

— Je vois bien que tu es mal fichu, mais c'est le commandant lui-même qui m'a donné lesordres: Ne passeront que les blessés.

— C'est bon. Tu as raison. J'ai tort d'être malade.

Je m'assieds à côté du caporal, protégé, ou à peu près, par un pan de mur à demi écroulé. Il m'apprend que la bataille est enragée depuis le matin, qu'après un bombardement terrible nos premières lignes ont été bouleversées, et que nous ne tenons plus que sur le chemin des Anglais, à la hauteur des grottes. D'un moment à l'autre, cette dernière ligne va être crevée et les Allemands débouleront sur Bucy.

Flux de blessés. Le caporal les laisse aller plus loin après un examen rapide. Les coups de canon n'arrêtent pas. On en est abasourdi. Les balles sifflent, au-dessus de nous; quelques-unes s'enfoncent en terre: ffuutt...

— Ce qui m'embête le plus, me confie le caporal, c'est que j'ai laissé mon sac là- haut, et qu'il y a ma montre dedans. Une montre en argent! J'ai bien peur qu'elle ne soit perdue!

Je n'ose lui dire que j'en ai peur aussi.

Regards anxieux vers la crête sur laquelle on se bat. Ma fatigue et ma faiblesse sont telles que je suis à peu près indifférent à tout; je n'ai qu'une idée fixe: ne pas être pris

Une heure passe. La fusillade a l'air de faiblir. Toujours des blessés qui descendent à l'infirmerie; ils donnent de mauvaises nouvelles.

-— Ah! bon sang! s'écrie tout à coup le caporal. Voilà les nôtres qui reculent!

Effectivement des petites silhouettes dégringolent la pente. C'est la fin; la ligne doit être enfoncée.

— Va-t'en, si tu peux marcher. Il n'y a plus de raison pour que tu restes là. Nom d'un chien, pourvu seulement que je retrouve mon sac!

Une rapide poignée de main et je m'éloigne. Je m'engage dans une rue de Bucy, en rasant les murs. Des marmites crèvent les maisons autour de moi. Encore deux cents mètres et c'est l'infirmerie. Attention! tournant dangereux: les balles prennent le chemin en enfilade. Une compagnie de Marocains est en réserve, tous les hommes adossés côte à côte contre les murs. Ils attendent l'ordre d'attaquer. Ils rient en me regardant. Ils ont l'air d'épier le moment où je vais culbuter comme un lapin.

Inutile de flâner: je passerai ou je ne passerai pas. Au petit bonheur. Je m'élance et me voilà dans la cour de l'infirmerie. Deux obus éclatent sur l'écurie. Le major me reconnaît:

— Ah! c'est vous! Eh bien, vous en avez une veine! Entrez vite.

Je vais m'étendre au pied de l'escalier, épuisé par mon dernier effort. Je tombe de sommeil.

Le major signe sans arrêter des bulletins d'évacuation.

— Allez, ouste, ceux qui peuvent marcher, partez vite. Bucy peut être pris d'une minute à l'autre.

Les blessés s'en vont, clopin-clopant, sur la route criblée de mitraille et que les balles rasent en faisant leur odieux bruit de guêpes. On attelle deux carrioles sur lesquelles une vingtaine de grands blessés s'entassent.

Je reconnais, comme dans un rêve, des camarades du 352e. On dit: La 31e est anéantie. Àh! Et Belin? Personne ne peut me répondre.

— Et la 24e ?

— Elle était en réserve tout à l'heure encore.

Mes copains, mes pauvres copains, où sont-ils? Voici le lieutenant R..., mon lieutenant de section. Il saute à cloche-pied: il a une balle dans la cuisse. Dès que je l'aperçois:

— Et mes copains?

— Ah! oui, l'équipe? Eh bien, il y a une heure, ils étaient intacts tous les cinq. Voilà tout ce que je peux vous dire. Ça barde!

Je l'aide à monter en voiture.

— Vous ne montez pas?

— Non, mon lieutenant, je ne suis pas blessé.

— Alors, bonsoir. Bonne chance.

Encore une heure d'attente. On tient toujours sur la crête puisque les Allemands ne sont pas ici. Je ne sais pas où me mettre pour ne pas gêner. Je suis plus démoli que si j'avais une balle dans la peau; mais un malade, au milieu des blessés qui saignent, doit avoir conscience de n'être qu'un raseur.

Un sergent de chasseurs qu'on vient de descendre sur un brancard a le ventre ouvert par un éclat d'obus. Sa figure est calme et triste; il paraît à peine souffrir; il tourne simplement les yeux à droite, à gauche, pour suivre les gestes de l'infirmier qui le panse.

Tout le temps, des cris, des appels, au milieu du fracas des explosions:

— Les brancardiers, allez chercher un cuisinier qui vient d'avoir les jambes coupées auprès du lavoir.

— Ne restez pas dans la cour, vous autres, vous allez vous faire tuer.

— Les blessés qui entrent, laissez vos fusils à la porte de la rue!

Le major m'aperçoit, couché par terre:

— Tenez, voilà un bulletin d'évacuation. Filez à Septmonls.

Il est 4 h. 1/2. Le soir commence à tomber. Le bombardement se ralentit. Je serre quelques mains:

— Au revoir, vieux, bon voyage.

Je traverse Bucy. Des habitants restent, hébétés, sur le pas de leurs portes. Partout des ruines. Quelques femmes en larmes. La route de Vénizel: quatre kilomètres à faire tout droit à travers la plaine. La fièvre me soutient et cette idée: si je gagne le pont, je ne serai pas pris.

La nuit est bien longue à venir, il me semble. De loin, j'aperçois une colonne en marche: les renforts. Enfin! Un bataillon de zouaves. Chéchias kaki, capotes d'infanterie, pantalons de velours, ils n'ont plus rien du zouave classique. En les croisant, je salue le commandant, à qui je dis:

— Faites vite. Ils tiennent encore là-haut.

— C'est bon, on y va.

Poum! Quatre shrapnells, en plein sur la section de tête, à hauteur de laquelle je me trouve. Ce coup-ci, je vais y rester. Tiens, non.

Il fait noir. J'avance toujours, un peu en titubant, mais ça ne fait rien.

Le pont! Je montre ma carte d'évacuation à un capitaine. Il me dit si doucement: « Allez, mon petit », qu'un scrupule me prend:

— Vous savez, je ne suis pas blessé, je ne suis que malade.

Vénizel. Je rencontre le chef des brancardiers du 352e, Perron. Il va à Billy, pour les blessés. Il m'offre de faire route avec moi et me prend le bras. Encore deux kilomètres dans l'obscurité. Heureusement, le pays nous est familier. Le canon s'est tu. Ce calme brusque est déconcertant. Mes oreilles bourdonnent.

Perron ne connaît personne à Billy. Je l'emmène chez les gens qui nous ont logés en octobre. Ils n'ont pas oublié le lieutenant Roberty.

— Il n'est pas mort, au moins?

— Non, il a été évacué.

— Et vos autres amis?

Ah! voilà, mes amis? Où sont-ils? Ce matin, ils étaient vivants, mais à cette heure...

Un homme de la 21e a vu Belin, vers midi, se battant à la baïonnette dans les tranchées. En interrogeant à droite et à gauche, j'apprends que la 24e compagnie serait la moins éprouvée du régiment.

Mes hôtes préparent un lit pour Perron et un pour moi. Je ne vois plus clair, je me couche et je m'endors.

Jeudi 14 janvier

Deux fois dans la nuit, réveillé en sursaut, j'ai couru dehors, pieds nus et en chemise, pour écouter. Des troupes passent; ce sont les nôtres, qui affluent vers Vénizel. Les Allemands ne franchiront pas l'Aisne.

A 8 heures du matin, je reprends ma route, avec un blessé de la 21e. Une vraie cohue dans Billy.

J'aperçois le sergent Chevalier, de la 24e! Tout de suite, il me rassure. Verrier, Reymond, Varlet, Maxence, Jacquard sont intacts. La compagnie a peu trinqué: cinq ou six morts, une vingtaine de blessés.

Quel poids de moins! Je me dirige sur Septmonts presque allègrement, moitié soutenant l'homme de la 21e blessé au bras, moitié soutenu par lui; et nous faisons sonner nos bâtons sur la route. Mon compagnon me raconte qu'il s'est battu au corps à corps dans les boyaux. Il a tiré à bout portant sur les Boches. Mais plus on en tuait, plus il en revenait.

Le bruit du canon s'éloigne. Nos pancartes rosés, que nous portons accrochées sur la poitrine, dansent au bout d'une petite ficelle.

Malheureusement personne ne peut rien me dire de Belin!

Septmonts. L'ambulance divisionnaire. Un médecin m'ausculte.

— C'est bon. Je vais vous donner un lit. Allez à la maison Desprès.

La maison Desprès, c'est un petit pavillon proche du château, où sont installés une vingtaine de blessés et des malades. Desprès, c'est l'infirmier, qui s'affaire, courant de l'un à l'autre. Il me donne à manger, me fait mon lit, me couche. Des draps blancs, le calme! Je sens ma fatigue et ma faiblesse plus que jamais.

Dimanche 17 janvier

Depuis trois jours, je me repose ici, soigné par Desprès qui prodigue à ses clients des soins maternels. Je ne sais pas comment cet être excellent peut suffire à sa tâche. Tout en balayant la chambre, il me raconte que sa femme habite aux environs de Montdidier, en plein pays bombardé. Sa maison doit être en ruines; sa famille dispersée. Lui, il se donne tout entier à sa tâche d'infirmier et ne se plaint pas.

Enfin, j'ai des nouvelles des amis. Une longue lettre de Reymond que m'apporte un blessé. La voici:

Vieux lâcheur, c'est comme ça que tu nous quittes! Tant mieux tout de même, et soigne-toi. Nous avons su par Perron que tu étais à Septmonts. On nous a mis au repos, ce qui n'était pas du luxe. Moi, je boite terriblement et j'ai les pieds en sang. Verrier ne respire plus et tousse à fendre l'âme. Maxence avec sa dysenterie a repris cette belle teinte verte que tu lui as connue jadis à Fontenoy; Varlet a le genou gros comme une tête d'enfant; Jacquard...

Le régiment a tenu assez longtemps pour permettre aux renforts d'arriver. A l'escouade, tout le monde est là.

Belin est vivant, pas blessé. Il s'est battu comme un enragé. A bientôt, vieux...

Je lis et je relis cette lettre dans mon lit. Ce soir, j'ai pu me lever et aller m'asseoir sur le pas de la porte. Il ne pleut pas. Je savoure le calme qui m'entoure en écoutant gronder le canon et crépiter au loin la fusillade.

A+Roger
Avatar de l’utilisateur
bm thiry
Messages : 352
Inscription : ven. déc. 24, 2004 1:00 am

Re: recherche carnet de route...

Message par bm thiry »

Bonsoir Roger,

Merci à toi
d'en faire profité à tous.
C'est un ouvrage que je devrais maintenant lire rapidement tellement qu'il est captivant.


Cordialement
Bertrand
"Quelle héroïque simplicité dans ce salut de la Patrie à ses fils blessés pour Elle, que de souffrances fait oublier cette glorieuse minute ! Quiconque ne l’a pas vécue ne comprendra jamais l’émotion de pareils moments !" A TIRE D'AILES, page303
Avatar de l’utilisateur
serge
Messages : 1171
Inscription : mar. mars 15, 2005 1:00 am
Localisation : Aisne

Re: recherche carnet de route...

Message par serge »

Bonsoir à Tous,

Merci Roger pour cet extrait d'un récit très évocateur et des lieux que je connais bien.

Voici le pont de bateaux sur l'Aisne à Vénizel:
Image


la ferme de La Perrière à Crouy:
Image


l'Eperon 132:
Image


et le monument sur ce site:
Image


Avatar de l’utilisateur
HT62
Messages : 5097
Inscription : lun. oct. 18, 2004 2:00 am
Localisation : Hauts de France

Re: recherche carnet de route...

Message par HT62 »

Bonjour à tous,

Merci à Roger pour ces pages très captivantes et bien écrites qui font froid dans le dos. J'étais dans ces parages le week-end dernier...
Quel est le régiment de ces soldats ?
Amicalement, Hervé.
Les régiments de Béthune et Saint-Omer : les Poilus du Pas de Calais et d'ailleurs :

http://bethune73ri.canalblog.com/

http://saintomer8ri.canalblog.com/

NOUVEAU : http://dunkerque110eri.canalblog.com/

Recensement des Poilus des 16e et 56e BCP
Avatar de l’utilisateur
Stephan @gosto
Messages : 5598
Inscription : dim. oct. 17, 2004 2:00 am
Localisation : Paris | Chartres | Rouen
Contact :

Re: recherche carnet de route...

Message par Stephan @gosto »

Bonjour Hervé,

352e R.I.

Amicalement,

Stéphan.

ICI > LE 74e R.I.
Actuellement : Le Gardien de la Flamme

Image
Avatar de l’utilisateur
HT62
Messages : 5097
Inscription : lun. oct. 18, 2004 2:00 am
Localisation : Hauts de France

Re: recherche carnet de route...

Message par HT62 »

Bonjour Stéphan,

Merci de l'info, je vais le chercher également en tant que témoignage de valeur. :jap:
Amicalement, Hervé.
Les régiments de Béthune et Saint-Omer : les Poilus du Pas de Calais et d'ailleurs :

http://bethune73ri.canalblog.com/

http://saintomer8ri.canalblog.com/

NOUVEAU : http://dunkerque110eri.canalblog.com/

Recensement des Poilus des 16e et 56e BCP
Avatar de l’utilisateur
mibelius
Messages : 148
Inscription : jeu. juin 14, 2007 2:00 am

Re: recherche carnet de route...

Message par mibelius »

Bonsoir à tous,


Je recherche activement :ange:

"carnet de route" de Jacques ROUJON
référencé N°260 dans témoins.


Offre bienvenue en privée.

Merci
Cordialement
Bertrand
Bonsoir à tous,
Le dernier chapitre est disponible sur le très remarquable site

www.greatwardifferent.com/Great_War/Fra ... net_01.htm - 48k - qui donne accès à quantité d'introuvables dans la rubrique: Livres et Récits de Guerre (Ma pièce de Paul Lintier, entre autres).

Il est indiqué comme repris de la revue ‘Le Noël’ No. 1106 et 1107 de 31 aout et 7 septembre 1916 et porte le titre de'Carnet de Route' de Jacques Roujon
Je suppose que je ne suis pas la seule à m'être ruée sur ces documents.
Et une fois de plus, je vais rejoindre le choeur de tous ceux qui déplorent l'incurie effarante des autorités françaises :pfff: , tandis que les Alliés eux, prennent soin de cultiver nos communs jardins de mémoire -en dehors des valeureux forumeurs qui recopient les textes et arpentent les nécropoles.

Courage, courage, et continuons. (On les aura, les totos, les zozos, etc.)
Cordialement
Mireille B
Mireille
Répondre

Revenir à « LIVRES & REVUES 14-18 »