croquis du front novembre 1915 Houdain

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myosotis
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Re: croquis du front novembre 1915 Houdain

Message par myosotis »

bonjour à tous
voici un croquis réalisé par Nicolas , un ami d'André, qui ne cite pas le nom de famille de son ami et qui dit avoir eu son portrait de fait plusieurs fois par cet ami
il est daté du 1 novembre 1915
Image
etvoici les lettres écrites le même jour par André
1er novembre 1915
Ma bien chère Marraine
Mais oui, je reçois tous les jours une lettre de vous, seulement depuis quelques temps je n’ai pas répondu à chacune de vos lettres, car je n’étais
pas bien, et puis à se trimballer continuellement de cantonnement à cantonnement, cela ne donne pas beaucoup les loisirs d’écrire. Je crois vous l’avoir dit, que nous sommes pour une dizaine de jours au repos dans une gentille petite ville, loin du front. Notre régiment a tellement souffert que c’est bien mérité je crois. Aussi nous en profitons tous pour nous nettoyer le mieux possible, et malgré le froid nous n’hésitons pas à tremper dans l’eau pour les laver, nos capotes, nos vestes, enfin tout ce qui est lavable. Figurez-vous que Taminiau s’est trouvé enlisé dans un boyau. Sans les
secours de ses camarades, il y serait resté. Pauvre Taminiau ! Il en faisait une poire ! Cela n’empêche que ce n’est pas drôle. Il pleut à torrents
continuellement ici. Il paraît que tout l’hiver est comme cela. Aussi qu’est-ce que les pauvres poilus prennent pour leur rhume ! Quand il faut recevoir cela pendant quatre nuits et quatre jours c’est plutôt lassant. Je ne sais pas ce qu’est devenu Antoine. Je sais qu’il a été blessé et c’est tout. Quand à mes soeurs elles vont bien, je vous remercie. L’aînée m’écrit quelquefois, en s’appliquant bien, une carte ou un petit mot.Pour le moment, j’ai un gros rhume, quelques battements de coeur et de plus la main gauche, hors service par suite d’une légère blessure qui s’est mise à suppurer. Mais tout cela ne fait rien, et l’on est bon quand même pour faire de la viande à canon. J’ai reçu un mot du patron.
En reprenant vos lettres je vois que Ti-Yan est coquet et que Nane continue à apprendre l’histoire qui est une chose idiote et inutile. Car je crois
qu’un enfant n’a nullement besoin de graver dans sa tête des noms de massacres et de tueries. Ah ! si vous pouviez entrevoir la vérité quand vous
prononcez le nom d’une bataille !
Aujourd’hui c’est la Toussaint. Hier c’était dimanche. On s’arrange toujours de nous faire passer des revues quelconques, juste aux heures des
offices, pour nous empêcher d’y aller. Ainsi hier, malgré ma bonne volonté, je n’ai pu y aller parce que : revue d’armes, d’équipement, de chaussures. Et cela de 9 heures à 1 heure de l’après-midi. Voilà ! Si Barrès savait cela ? Ne pourrait-on lui signaler ?
Non je n’ai pas écrit à Levallois. Je suis même ennuyé parce je ne sais pas quoi dire à Gustave.
Ici rien de nouveau. Nous tenons toujours les positions conquises. C’est à dire le fameux Bois-en-hache dont parlent les communiqués.
Plus rien à vous dire pour le moment chère Marraine. Il y a un an, vous souvenez-vous, nous sommes allés déposer des fleurs sur la tombe de
madame Thibault.
Je termine en vous embrassant bien affectueusement tous.
Votre André

plus tard, Ecrit au crayon sur feuille fine légèrement bleutée André raconte la mort de ce jeune artiste :

6 avril 1916
Ma bien chère Marraine
Ce matin j’ai reçu toutes vos lettres, avec quelques autres de mon oncle. Vous comprendrez maintenant pourquoi je suis resté quelques jours sans
vous écrire. Nous étions en ligne ; et pour la deuxième fois dans ces parages, mon régiment s’est fait écharper… Et il n’en reste plus que des lambeaux. Et je suis là, ma chère Marraine, grâce à Dieu, et je pourrai encore vous écrire et mon coeur battra encore pour vous tous.
Pourtant, il est des moments où j’ai bien cru…
Quelle horreur là-haut ! Quelle boucherie ! Ceux qui ont vu la Marne et l’Yser disent que c’était des amusettes à coté de cela. Et les hommes fondent à vu d’oeil ; certes les Boches prennent quelque chose ; oui ils ont des pertes, mais nous ? Croyez-vous que l’on tue 200.000 ennemis sans avoir soi-même, au moins le quart de pertes ?Oui nous les avons ! Mais je voudrais que ceux qui tiennent si bien dans les journaux, viennent faire un petit tour en première ligne !
Et l’on a le culot d’annoncer dans les journaux que Sarah Bernhardt est venue dans les tranchées de Verdun ! Enfin, sérieusement, se moque-t-on du
monde ? Mais c’est insulter l’armée que de faire croire que l’on fait du théâtre ici ! Alors que, dans un rayon de plusieurs kilomètres, Verdun est
inabordable, alors que, jour et nuit, sans répit, on se bat dans un enfer d’artillerie et que, division par division, on se fait massacrer, voilà ce que
l’on raconte à l’arrière ! C’est du propre ! ! ! Gardez précieusement cet article, plus tard il servira.
Le dossier des martyrs s’augmente ! ! S’augmente ! Attention qu’il ne déborde pas !
Oui c’est affreux. Mes camarades s’en vont un par un. Hélas, je suis seul maintenant.
C’est le peintre Nicolas, celui qui a fait tant de croquis de moi, qui reçoit une balle en pleine tête. Il ne meurt pas. Mais ses yeux sortent des orbites et par le trou du crâne la cervelle sort… Et avec sa main il ferme sa blessure, pour garder son cerveau, pour ne pas le perdre. Et après avoir râlé toute la journée, il meurt le soir.
C’est Taminiau qui reçoit un éclat au cou. Il s’en tirera lui. Et un sergent qui perd ses tripes, et un mitrailleur dont les pieds sont arrachés, et encore, encore, tant d’autres. Ah ! Oui pourvu que les civils tiennent et que le charbon n’augmente pas ! Enfin ce qui me console c’est que Sarah Bernhart est venue ici pour nous encourager !
Je vous remercie, ma chère Marraine, de m’avoir envoyé le « Ruisseau » de Nanie ! Je lui réponds particulièrement parce que je ne veux pas gâter ma
réponse par les horreurs de celle-ci. Les biscuits étaient très bons. D’autre part, ma tante m’a expédié 3 colis de confitures, conserves, chocolat etc.
Oui tout va bien pour le moment.
Mon oncle rentrera le 10 à Paris. Il va mieux, mais c’est long ! !
Alors M. Gustave est rentré aussi ? Et cela ne vous soulage pas ? Ma pauvre Marraine, quand pourrez-vous les envoyer promener ? Convenez
qu’ils abusent un peu de la situation pour donner les salaires qui leur font plaisir ! Courage ! Quand nous reviendrons, nous, vous verrez comme nous les mettrons au pas tous ces sauvages de l’intérieur. En attendant, ce qui est malheureux c’est que nous défendons leur galette !
Voyez-vous mon moral est bon, chère Marraine, mais plus je vais et plus je m’aperçois que ce sont les pauvres bougres qui se font tuer pour les autres, alors c’est décourageant. Je vois d’ici vos yeux méchants ! Voyons, un exemple : si Eugène et Ramala avaient ce que l’on appelle du poil aux
pattes, est-ce qu’au lieu d’être embusqués dans le ravitaillement, ils ne devraient pas aller en première ligne défendre la fortune de leur digne père ?
Hein !
Le temps, beau depuis quelques jours, se remet à la pluie…. Si cela pouvait noyer les canons et tout le fourbi !
Je me demande combien de temps va encore durer la guerre ! Je ne crois pas à une campagne d’hiver car… personne ne marcherait d’un coté comme
de l’autre.
Vous me disiez dans une lettre que vous êtes malade. Ce n’est rien, dites Marraine ! Et grand-mère et ma tante et Nanie vont bien j’espère !
Le bonjour de ma part au patron et à Charny. Au bureau également.
Pardonnez-moi le décousu de ma lettre, je suis un peu abruti.
Je vous donnerai la critique du « Ruisseau » un autre jour avec la suite des martyrs.
Je me demande quelquefois si j’entendrai encore le vieil employé d’Asnières crier que : « Bois-Colombes, Colombes, Argenteuil changent de
train ! » Et je rêve au temps où le train de 6 h10 me menait vers la calme douceur de la cheminée, au coin de laquelle je fumais une pipe pendant que
vous colliez vos pochettes !
Allons, je vous embrasse de tout mon coeur sans oublier Titi.
Votre André

amicalement
myosotis
"Je ne suis qu'un fou et vous ne me croirez pas. Et c'est justement ce qui nous fait souffrir tous, c'est de penser que l'on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire."
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pouldhu
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Re: croquis du front novembre 1915 Houdain

Message par pouldhu »

Bonsoir Myosotis, merci pour ce dessin et cette lettre.
Amicalement,
Gilles.
myosotis
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Re: croquis du front novembre 1915 Houdain

Message par myosotis »

bonsoir gilles
d'autres dessins et lettres sont dans la page récits et témoignages :
"on prend nos cris de détresse pour des éclats de rire"et il y en a encore un ou deux que je vous communique dans cette page prochainement
à bientôt
amicalement
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caracal62
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Re: croquis du front novembre 1915 Houdain

Message par caracal62 »

Bonjour Myosotis

Je suis houdinois et je suis à la recherche de documents concernant ma ville durant la grande guerre. En tapant houdain 1914 1918 je tombe sur votre post.
Pourriez vous me dire si ce croquis à un lien avec Houdain ?
Cordialement
Thierry Dericbourg
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