il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Parcours individuels & récits de combattants
CD9362
Messages : 3131
Inscription : sam. mars 08, 2014 1:00 am

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par CD9362 »

Extrait du journal de guerre Joseph DUCHENE sergent au 230 è RI . Né en Haute-Savoie, fils de paysan, Joseph a fait des études a obtenu une licence de lettres en 1898 . Il a quitté le France en 1902 pour être professeur de Français en Pologne.
Mobilisé en aout 1914, il part de Varsovie et via Odessa et Marseille il rejoint Annecy ou il a effectué son service militaire -
Sa femme et ses enfants sont restés en Pologne dans une zone que se disputera La Russie et L'Austro-Hongrie.

- Le 14 octobre 1914 Joseph quitte la caserne d'Annecy et rejoint son unité le 230 ème RI sur le front de Meurthe-et-Moselle .
http://1914-joseph-duchene.eklablog.com/
-------------------------------------------------------
Dernière Semaine d'octobre 1914 -
Mercredi 21 Octobre 1914. Matin aux tranchées.
Comme je suis de jour, je reste au cantonnement. Pendant le repas (à la cure, où j’ai réparé la pendule) on nous annonce
que tout le monde va partir à midi et demi. Nous nous préparons. À une heure tout le bataillon part pour Bethelémont.
La 5e (1er peloton) va occuper un promontoire qui s’avance sur Bures. C’est la cote 322.
Le Lieutenant Gebs envoie une patrouille en avant, forte d’une escouade. Les 2e et 3e escouades en tirailleurs derrière.
La 4e en réserve; la 2e section avec le capitaine sur notre droite. Nous occupons la crête sans rencontrer personne.
Nous voyons les tranchées françaises, vieilles de deux mois et les tranchées allemandes, où restent des culots de cartouches des chargeurs.
Trous d'obus allemands.Je parcours les petits postes et la ligne de sentinelles avec le lieutenant Geps.
À la lorgnette, nous voyons, à gauche de Bures, deux sentinelles allemandes et un petit poste qui se replie vers Bures.
À droite du village sous un pommier une sentinelle.
Le sergent Lugrin organise un abri.
On nous apporte de la soupe froide, du macaroni au fromage froid, de la viande rôtie et du café froid.
Repas aux étoiles; on voit une belle comète. Jupiter éclaire; les étoiles brillent d'un bel éclat.
Le canon tonne vers St-Dié et vers Nancy; il tonne aussi à 10 ou 15 Km. Dans la direction de Nancy jusqu'à la nuit.
Dans le lointain on tire toute la nuit.
Chez nous, le calme. Un coup de feu, puis plus rien. Vers 3h, nouveau coup de feu puis plus rien.
Je dors paisiblement; un peu froid aux pieds. Un brouillard nous couvre d'eau. Les fusils rouillés, mouillés.
Le brouillard nous permet de travailler aux tranchées. Je me réchauffe en maniant la pelle. On apporte le café au lait.

Jeudi 22 octobre. Le brouillard se lève vers 9 heures. Nous nous immobilisons dans les tranchées. Le soleil vient nous réchauffer.
On apporte le déjeuner. Bon repas de chasseur, café, cigare.
Je me couche sur la paille dans l'abri et lis un roman-feuilleton. Immobilité jusqu'à trois heures.
Je sors de la tranchée et je vois arriver en arrière une patrouille de cavalerie. Le maréchal des logis me dit qu'il va se poster
vers la ferme qui est à côté de Bures et me demande de faire un feu s'il est attaqué. Ils descendent à droite, s'avancent.
Au loin, une patrouille allemande s'avance, à un coup de revolver du margis, les cavaliers rebroussent et une patrouille
de notre 1er bataillon s'avance, puis tout rentre. Rien jusqu'au soir.
On nous relève vers le soir. Nous rentrons manger la soupe à Bethelémont.
Aussitôt, coucher dans la paille, au-dessus de notre popote. Nous avons des matelas, oreillers pris à la ferme de la Fourasse.

Vendredi 23 octobre. Repos, nettoyage. Le 2e peloton monte aux avant-postes.
Le capitaine Roubertie vérifie l’ordinaire. Travail aux tranchées.

25 octobre Soir. Nous montons (le 1er peloton) aux avant-postes à la «Corne du Bois» en arrière de la cote 322,
avec vue et postes sur Arracourt à gauche, Juvrecourt, Réchicourt et Dieuze.
La grand'garde est installée dans les baraques en branchages, près du poste téléphonique où couche l'officier du peloton (Lieutenant Geps).
Je suis de piquet avec une escouade, la 2e, du caporal Châtelet (Ingénieur au Havre, grand voyageur au Mexique, en Silésie, en Franconie.)
Je fais une ronde; il fait tiède, les nuages courent sur la lune dans les futaies.
Je mets mon passe-montagne, mon jersey et ma ceinture de flanelle et je me couche sur la paille dans un abri.
Tout à coup je vois une lampe électrique à 20 pas devant moi; Je crie « - C'est vous mon Lieutenant? Qu'y a-t-il?,
- Oui c'est moi répond une voix; où est le Lieutenant Geps?»
C'est le capitaine! Derrière lui, toute la compagnie, qui vient prendre les avant-postes.
On les fait coucher sur deux rangs, sous la pluie qui continue de tomber. Tout le bataillon est là!
L'artillerie arrive, on entend le battement des essieux; On m'envoie faire une patrouille avec deux hommes aux avant-postes
de la 2e section. Je ne connais pas les lieux ni l'emplacement des postes. Je mets 20 minutes pour arriver à Lugrin (Sergent)
qui me conduit jusqu'au col; je rentre à la grand'garde et j'essaie d'arriver au poste de Desaix (sergent) vers Arracourt.
Je m'enfonce dans la boue, je me perds dans le bois, mais ne peux arriver. Je rentre. La pluie commence.
Le 2e peloton est toujours couché sur deux rangs dans le bois; ronflements.
Je me couche. La ronde de 2 h du matin sous la pluie est faite par le sergent Pillet.
À 4 h, je vais réveiller les officiers. Il fait si noir que je ne peux trouver la cabane. Je fais prendre un tison et je me trouve adossé à la cabine.
«Dormir jusqu'au jour ! »
Je vois bientôt arriver des régiments en colonne par 4, précédés d'éclaireurs - de la cavalerie et le peloton cycliste.
La division va faire une reconnaissance vers la forêt de Parroy à droite et vers Réchicourt de l'autre.
Nos 75 commencent à arroser le terrain (une batterie) puis les patrouilles, les lignes de tirailleurs avancent;
devant moi, le 36e colonial, les 299 et 223e avancent.
Nos canons se taisent; les 77 Allemands commencent le feu sur nos lignes; vers Arracourt, à 4 ou 500 mètres de nos tranchées.
Aussitôt repérés par nos batteries, ils se taisent et ne prennent plus part à l'action.
Bientôt le feu des fusils commence, augmente, notre mitrailleuse aussi s'en mêle;
les 75 arrosent les tranchées ennemies, l’entrée des villages, les pentes boisées.
Je déjeune de soupe et d'un excellent bifteck, pendant que les maisons sautent et s'enflamment.
Au loin, de la droite, une batterie des nôtres s'est avancée et dévaste la plaine.
Le soir, on annonce qu'il y a 350 prisonniers allemands. Ils produisent l'impression, ces prisonniers, d'être heureux de ce qui leur arrive.
On dit qu'une Cie s'est rendu après avoir fusillé son capitaine.
En rentrant le soir au cantonnement nous voyons, les fusils et équipements des prisonniers.
Mardi 27 octobre.
8 h aux tranchées. Nous allons faire un abri pouvant résister aux obus percutants. Tranchée, madriers de chêne, etc. …
Mercredi 28. Tranchée, abri- Pluie toute la nuit.
Jeudi 29. Matin, tranchées – Soir, pluie.
Mon peloton monte aux avant-postes à la cote 322, devant Bures; qui parait-il est maintenant occupé par nous.
On raconte que le 333e régiment a une équipe de patrouilleurs volontaires, apaches parisiens, qui reçoit 25 fr par prisonnier.
Ils marchent sans équipement, avec cartouches dans la poche.
Hier soir, l'un d'eux, vers le parc d'Arracourt, s'est heurté à une sentinelle allemande; celui-ci effrayé s'est enfui en hurlant.
La pluie a cessé. Je suis envoyé en extrême pointe à la gauche de Bures, à la corne d'un autre bois qui descend vers Arracourt,
avec sentinelles à l'extrême point, plus haut à droite.
Image
Je place mon petit poste dans un abri avec toit en planches recouvert de papier bitumé, mais sans parois,
plancher de terre détrempée, sentinelles de nuit. On apporte du café; je vais mettre un jersey et une ceinture de flanelle à la grand'garde
en passant par les autres cités troglodytes de Vuillet et Muffat.
Je laisse mon sac à la grand'garde chez Jollivet et je vais avec lui à la ferme de la Fourasse en passant par la grande carrière
et les baraques en paille de Desaix. À la ferme, la 4e se chauffe à un grand feu, les veinards, ils ont du feu, un toit,
des planches pour s'asseoir devant la grande cheminée. Les cuisiniers qui m'ont suivi remportent chacun deux marmites d'eau, nous rentrons.
Je passe voir le lieutenant, bien abrité avec une bâche pour porte.
Je passe chez Muffat, j'entre dans son souterrain et nous causons de la guerre, de l’Allemagne, de Guillaume;
du service fait aux avant-postes par les officiers, par les sous-officiers et soldats.
En sortant de sa tranchée, je me perds complètement, une sentinelle m'arrête. Je rentre comme je peux.
Je me couche une heure, sur deux morceaux de planche et quelques touffes de genêts.
J'ai un fort rhume de cerveau aussi je ne peux dormir. Je me relève, visite mes sentinelles et me recouche sans dormir.
Le soir, la canonnade de nos grosses pièces a été violente sur la forêt de Besanges, voisine.
Le tir semble réglé par des fusées. Vers le Nord-Est, on voit des lueurs dans le ciel.
La canonnade vers Nancy (plus loin) toute la nuit sans interruption. Quelques coups de fusil.
La lune se montre parfois dans la brume, puis disparaît. Vers le matin obscurité absolue.
Vendredi 30 octobre.
Lueur blafarde - puis plus à gauche, aube rouge sanglante, entourée de nuages lourds et sombres,
puis tout s’efface dans le ciel tandis que tout devient visible sur terre.
À 5h1/4, je réveille mon caporal et je l'envoie avec cinq hommes à la pointe à occuper. On apporte le café.
Je pars en excursion vers Bures et remonte vers le poste du lieutenant.
Lugrin me montre notre porteur de café au lait qui arrive de Bethelémont.
Nous allons réchauffer le café dans la carrière, puis buvons un quart. Si peu!
Je conduis l'homme, en avant des lignes, par le petit col, vers les sergents Vuillet et Muffat.
Nous voyons un peloton de Dragons arrière en reconnaissance vers Bures.
(J'ai écrit au crayon dans un trou d'artilleur, sur une botte de d'avoine, tantôt écrivant, tantôt observant à la jumelle,
de la crête avancée de la cote 322 sur Bures – Interrompu pour aller en reconnaissance à Bures.)
Comme nous traversons le plateau entre le col et le petit-bois où est mon poste, Pan, un obus.
Je crois que c'est sur la cavalerie en bas. Elle avait déjà dû se replier vers Bures sous la fusillade des tranchées allemandes.
Tranquillement, nous continuons. Le deuxième et troisième obus viennent éclater sur notre droite,
les shrapnells grattent le sol près de nous. Au pas de gymnastique nous gagnons la tranchée du petit-bois et le 4e coup éclate au-dessus de nous,
trop long pour nous atteindre. Cela dure 10 minutes environ.
Je les passe dans le bois; pour me donner une contenance, j'allume une cigarette, appuyé contre un sapin.
C'est fini; je rentre à mon poste.
Mes sentinelles avancées ont eu peur et se sont repliées sur le petit poste. Avec Vuillet, nous les renvoyons en avant.
Vers 10h, soupe, bifteck, riz chaud. Je vais faire un tour à la grand'garde, pour prendre la jumelle du lieutenant Geps.
Je reçois trois lettres (Cibaud, Joris, Chabert) et je vais me poster pour observer à la lorgnette, lire mes lettres et écrire,
à la pointe extrême sur Bures, dans un trou où la sentinelle m'apporte une botte d'avoine.
On voit une tranchée, à gauche avec une section allemande (avec un uniforme sombre et non gris) qui doit travailler.
Vers deux heures, le froid me fait partir. Je me dirige vers le col de droite; la sentinelle m'apprend
que le lieutenant Geps m'a cherché pour aller en reconnaissance à Bures, il est parti.
Je pars au pas de gymnastique et rejoins la patrouille de 10 hommes dans le village;
en allant je vois un obus allemand non éclaté, je fais lever un lièvre roux et je trouve une blague pleine de gros tabac.
À Bures, j'achète une demi livre de beurre pour 20 sous; les femmes nous apprennent que les allemands faits prisonniers
ont bien eu 10 minutes pour se sauver et ne l'ont pas fait; que les Prussiens avaient toujours un observateur dans le clocher.
Nous revenons en arrière; je porte mon beurre dans une cartouchière française que Lugrin a trouvée à Bures; il porte un chou.
Tout à coup un obus éclate, sur la droite. La canonnade commence. Nous continuons à avancer vers St Pancrace et La Fourasse.
Arrêt au petit poste vers les huttes de paille, en bas des carrières.
Plus d'obus; nous remontons vers la grand'garde.
Nous mangeons une tartine de beurre avec Lugrin. Geps et le petit sous-lieutenant Favre en font autant, sous la grande bâche verte.
Je remonte mon sac. Bon! Voilà les obus qui recommencent. Nous rentrons dans la tranchée-abri et comme les obus vont vers la droite,
nous les regardons exploser ou percuter dans le col d'Arracourt.
Le petit poste du col, occupé par la 6e Cie est visé et touché plusieurs fois. Enfin, c'est fini!
Personne ne bouge encore. La nuit vient. La relève arrive.
Je suis chargé d'aller relever les postes sur le plateau.
J'y vais, mais intérieurement, je suis persuadé que les Allemands vont nous bombarder pendant la relève.
Nous nous défilons sur les pentes, nous arrivons, nous relevons... Tout se passe dans le calme.
Je trouve mon petit poste intact, pas de blessés, mais un percutant a failli toucher le toit de l’abri
et a troué la terre à 12 pas en arrière. Beaucoup d’obus ont arrosé le bois.
En somme, il n'y a eu que 4 blessés à la 6e: un caporal très gravement; le sergent Dufour, arrivé avec moi,
a eu la jambe traversée par une balle de shrapnell, l'artère et l'os sont intacts; les deux autres, blessures légères.
Je ramène la 1e section vers la grand'garde et je les laisse partir pour aller rendre compte au lieutenant Pierret de la 8e
et prendre mon bidon oublié. Je dois rentrer seul à Bethelémont;
je retombe sur le chemin après avoir repassé une colline sur laquelle je fais lever trois lièvres dans les avoines et les blés non fauchés.
Je rencontre les brancardiers qui vont chercher le deuxième blessé, le sergent.
Comme il fait bon se retrouver au logis, pourtant si sale et si étroit de la popote!
Comme il fait bon dormir sur la paille où ont dormi les Allemands, pleine de poussière - mais où il fait chaud et où l'on se sent à l'abri.

Samedi 31 octobre.
Le matin repos. Le soir nous allons continuer notre abri contre le tir de l'artillerie. En allant conduire une demi-section à la grand'garde pour y porter des piquets (pour réseaux fil de fer) je trouve un culot d'obus de 72."

------------
Avatar de l’utilisateur
lorrain54
Messages : 1022
Inscription : lun. mai 26, 2008 2:00 am

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par lorrain54 »

Bonsoir, :hello:

Super journal , merci pour le partage , Bathelemont, oui cela est la bonne orthographe de maintenant :) est situé a quelques kilomètres de chez moi

Belle soirée , Jean-Louis
Dites le a tous, " Il ne fait pas bon mourir".
CD9362
Messages : 3131
Inscription : sam. mars 08, 2014 1:00 am

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par CD9362 »

Extrait n° 2 du journal de guerre Joseph DUCHENE . Né en Haute-Savoie, fils de paysan, Joseph a fait des études a obtenu une licence de lettres en 1898 .
Il a quitté le France en 1902 pour être professeur de Français en Pologne.
Mobilisé en aout 1914, il rejoint Annecy ou il a effectué son service militaire -
Sa femme et ses enfants sont restés en Pologne dans une zone que se disputera La Russie et L'Austro-Hongrie.
- Joseph rejoint son unité sur le front de Meurthe-et-Moselle mi-octobre 1914 . Il est sergent au 230 è RI.

----------------------------------------
1 ère semaine de novembre 1914 :
"Dimanche matin, 1er novembre. Toussaint. Temps radieux. Je suis de jour. Je vais prendre les ordres du capitaine à 5h 1/2: repos dans le cantonnement; revue en tenue de campagne à 10h (Le 2e peloton est aux avant-postes). Vers 9h les deux pièces de 90 du sous-lieutenant Félix commencent le feu sur la tranchée que nous avons observée sur la côte 300, ouest de Coincourt.
À midi, il reprend la canonnade. Les grosses pièces de la patte d'oie (au-dessus de Valhey) tirent aussi quelques coups.
Nous faisons une manille au bureau. Dunand, Lathuile, Muffat et moi. Une bouteille de Mercurey.
À 4 h, le capitaine m'annonce que je remplacerai le fourrier Guichonnet à la liaison. Cela me dispense des avant-postes tous les 4 jours. Je dois rester toute la journée au bureau du Chef de Bataillon pour attendre les ordres, les copier et les transmettre à ma Cie. Je m'installe aussitôt avec tout mon bagage au bureau où je dormirai désormais. À côté de nous, le poste téléphonique reliant Bethelémont avec l'État-major à Bauzemont, avec nos avant-postes de Bénamont de 32, de la Fourasse et les avant-postes voisins d'Hénaménil, de Serres etc.

Lundi 2 Novembre
. Nouvelle canonnade – Dans la nuit, les chasseurs d'Hénaménil ont dû faire une reconnaissance sur Coincourt. Ce soir, notre 6e Cie devra aller à Arracourt et Réchicourt. Dans la journée nos canons font sauter la tranchée avant de Bures. Je vois Célestin Déplante.
Notre (mon)1er peloton monte aux avant-postes, sans moi.
Il fait un temps chaud et clair, avec averses comme en Avril.

3 Nov. Rien

Mercredi 4 novembre. Le 27e peloton monte aux avant-postes avec Joris. Le temps est assez beau. La nuit est tranquille. Vers le matin, brouillard.

Jeudi 5 nov. Je suis à la liaison au bureau du Ct.
Vers 8h, les téléphonistes nous disent que la 5e Cie au bois de Bénamont vient de crier aux armes. Le Ct m'envoie chercher ma Cie. Les balles sifflent autour du village; sur la crête, vive fusillade. En allant chercher la 1e section, j’entends les balles siffler au-dessus de moi, dans la combe, à mes oreilles ça fait Zinnc ou floc
Je reviens m'équiper, monter mon sac. Les compagnies partent occuper les positions. Le Commandant m'envoie porter l'ordre à la 5e Cie de se porter à Bénamont, <trouver> le premier peloton pour renforcer son 2e peloton aux avant-postes.
J'y cours sous la même petite musique. La fusillade continue sur les crêtes. À 9h 1/2, la 5e envoie dire qu'elle n'a plus de munitions. Je fais partir les 2 mulets à munitions de la 5e.
Les 2 pièces de 90 du Lt. Félix, s'installent derrière notre maison, qu'ils ébranlent à chaque décharge. Je vais les voir tirer.
Une autre section de 2 pièces de 90 se porte vers la Fourasse (les pièces de Félix avaient d'abord été abandonnées par lui dans le col sous Bénamont). Pendant que je regarde tirer les pièces, un obus allemand arrive à 15 mètres de moi, dans le jardin de notre maison et éclate à côté de Boisier, l'homme de liaison de la 8e Cie, à 5 mètres de lui sans lui faire de mal. Puis les obus s'en vont vers le bas du village, enfonçant un toit, un mur et l'un éclate au milieu des cuisiniers de la 7e sans les toucher. Dans toute la journée, pas un de nos hommes n'a été touché par un obus.
Vers 2h quelques obus sur le village. 2 aéros français passent à plus deux mille mètres au-dessus de nous. Tableau du village animé qui meurt tout à coup. Tout se cache, rien en bouge plus (comme si l'aéro était allemand, on n'est jamais bien sûr).
On annonce que la cavalerie et les cyclistes (2 escadrons et un peloton) vont faire une diversion, en tournant par la gauche, vers la Fourasse.
Pensant que le mouvement va bientôt commencer, je me porte au bout du village. J'y trouve deux officiers d'artillerie. Tout à coup un, deux obus au-dessus de nous, dans la direction de la batterie. Les deux officiers se mettent à courir vers le village au pas de gymnastique (moi je me colle contre un petit mur, dans les orties et les épines) deux obus au-dessus d'eux font sonner les tuiles des premières maisons. J'en laisse éclater une douzaine au-dessus de moi, et en arrière - puis je me porte aux tranchées à 50 m en avant et j'y trouve une Cie du 223 . C'est fini. Les obus allemands, 77 et 105 s'en vont vers la Fourasse, chercher, par des salves de nos pièces de 90.
Je rentre au village où peu à peu tout meurt; le 223 se porte en avant, en soutien, avec 2 compagnies les deux autres rentrent à Valhey. //Le sergent Thomas, avec la 9e escouade qui avait dû se replier sans avoir le temps d'occuper sa tranchée monte avec elle, vers 10h, rejoindre la Cie.
Les cuisiniers dont descendus vers 6h et, toute la nuit montent la soupe, le pain, l'eau-de-vie aux hommes qui n'ont rien mangé depuis hier soir. Toute la nuit les pauvres cuisiniers voyagent entre le village et les avant-postes. Les renseignements nous arrivent.
Le sergent Barbier (adjudant depuis hier) de la 6e est ramené avec 1 balle dans la nuque, 1 dans la poitrine et une dans la jambe. Il a toute sa connaissance. 7 blessés légèrement - 2 sergents tués à la 6e, Pollier et Raffort (celui-ci était le chef de popote quand je mangeais à la 6e à Valhey) et 5 hommes. La 5e n'a perdu qu'un homme; tué d'une balle au cœur au moment où il sautait dans la tranchée . Les Allemands ont perdu beaucoup de monde; on évalue les morts à 150. Leur artillerie n'a pas fait une seule blessure dans toute la journée. Ils tirent avec des 77 et des obusiers de 105.
Le soir, le (général) Colonel Terris vient nous dicter un ordre.
Il est content et plaisante avec nous. Il a de beaux ongles noirs.

Vendredi 6 novembre
Le brouillard se lève, les artilleurs reprennent de nouvelles positions de combat autour du village.
Je vais voir derrière l'église, le sergent Pollier, instituteur à Thônes, originaire de (Mures) au-dessus d'Alby.
Tué d'une balle à la tête. C'est le 1er mort que je vois.
Pauvre pioupiou dans ta capote sale et ton pantalon rouge, tout chiné et taché de la boue des tranchées!
Pauvres mains pleines de terre! Où est-elle la beauté et la gloire qui devraient entourer ta dépouille de brave soldat?
Te voilà couché dans sur la terre du petit cimetière, sans linceul, sans verdure, sans couronne de feuillage.
Sa femme, si elle le voyait...
On descend les autres morts dans le parc du vieux château.

Vers midi, la 6e Cie puis la 5e descendent. Je vais féliciter mes camarades de leur belle tenue sous le feu. Ils ont enterré Dubouloz la haut, mais on ira chercher son corps pour l'enterrer avec les 7 morts de la 6e compagnie qui a aussi 8 blessés.
Le lieutenant Joris a deux fanions de signaleurs allemands. Vulliet a un casque et deux fusils. On a recueilli des papiers, des pattes d'épaules sur les morts allemands pour les envoyer à la division.
Le soir le colonel vient tenir conseil avec le Commandant Girardin pour les récompenses à accorder.
Toute la journée se passe dans le calme. À deux heures nous recevons la Dépêche annonçant la grande victoire de la Vistule. Kielce est dégagé puisque deux points situés à l'ouest de Kielce ont été occupés sans grande résistance par les Russes.
Les nouvelles du Nord sont bonnes aussi.
Le soir nous jouons aux cartes, sur le couvre-pieds du mort de la 5e et je gagne 18 fr. au banco.

Samedi 7 novembre. Il y a reconnaissance du 333e et des chasseurs, quelques coups de feu.
À 9h le cap. Roubertie rassemble la 5me. Appel, Absent: Dubouloz- mort au champ d'honneur! La Cie présente les armes à son cercueil et défile. Messe des morts, sépulture. Discours. Honneurs.

Nous attendons les journaux avec impatience. On dit que la Turquie est déjà attaquée par la Russie en Asie et par les flottes anglo-françaises aux Dardanelles. La Grèce mobilise (nouvelles données par C. Déplante). J'écris à Kielce. Le soir, je joue aux cartes (gagné 7fr) Je rentre au bureau.
Le capitaine Roubertie vient causer avec nous (Vittet, Tapponier et moi) et nous raconte la marche en avant vers Dieuze de ses chasseurs (23e bataillon). Ses impressions en revenant en arrière, après le choc formidable reçu devant les lignes de résistance allemande - «Hé bien, avez-vous vu comme ils sont forts; que nous sommes petits garçons à côté d'eux; nous ne connaissons rien de la guerre moderne; vous avez vu comme tout était combiné, machiné; quelle cohésion; quelle science du combat.» - Impression d'impuissance désespoir - Armée pas prête, etc. Le capitaine dit qu'on fait circuler le bruit que la Prusse demanderait la paix.
Il ajoute que c'est la Russie ou l'Angleterre qui ont voulu la guerre et que l'Angleterre a pour ainsi dire trompé la diplomatie allemande.
Le capitaine s'exprime avec une facilité et une correction remarquables, en un langage très vivant et fait des tableaux très impressionnants, par exemple, de l'enfer de la canonnade allemande devant Dieuze, les obus crachant leur fumée jaune, verte, noire ou blanche. Les <poupées> de 6 obus avançant de 10 m. en 10 m. sur la Cie couchée, etc. Nous causons jusqu'à minuit.

Dimanche 8 nov. À 11h le cap. Roubertie vient au téléphone demander des nouvelles au lieutenant Geps à la cote 327. La compagnie monte avec outils à 4 h pour faire des réseaux de fils de fer. À 5h on appelle le Commandant au téléphone. Il nous réveille disant que nous pourrions bien avoir une nouvelle journée de canonnade. Nous nous levons, habillons et équipons rapidement. Nous allons faire charger le mulets.
«En cantonnement d'alerte!» Puis tout se calme. Ma Cie avait cru voir à la corne du bois (mon petit poste), cru apercevoir des patrouilleurs dans le brouillard. Puis rien.
Le soir, les journaux nous donnent quelques détails de la bataille de la Vistule. À Kielce on a pris 600 prisonniers.
Les officiers viennent voir notre carte de Russie et se font expliquer les positions des Russes et des Allemands
------------------------------------
CD9362
Messages : 3131
Inscription : sam. mars 08, 2014 1:00 am

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par CD9362 »

Extrait n° 3 du journal de guerre Joseph DUCHENE. Né en Haute-Savoie, fils de paysan, il a quitté le France en 1902 pour être professeur de Français en Pologne russe. Sa femme et ses enfants sont restés là-bas. Joseph Duchêne est sergent au 230 è RI sur le front de Meurthe-et-Moselle mi-octobre 1914 .

Lundi 9nov 1914. Journée calme - pas de lettres. Brouillard.
Le soir, le Commandant prie de le réveiller à 4h. Nous supposons qu'il y aura une reconnaissance.
Une escouade de la 5e égarée dans le brouillard ne peut rentrer.

Mardi 10 nov. 4 h matin brouillard. Alerte. Je vais réveiller la Cie. Le 223 arrive de Valhey avec l'artillerie. L'action se déclenche très tard (retard de la division de cavalerie)
Le Colonel Terris, commandant la brigade, passe la matinée et la soirée au téléphone. La canonnade commence vers deux heures - Légères fusillades.
Nos canons tirent peu.

Pendant la canonnade le colonel Terris me demande si j'ai des nouvelles si j'ai des nouvelles de Russie, de ma famille.
Nous causons de mon voyage, de Constantinople, où il a voyagé, des juifs, des Français (tradition), des Slaves, peuple jeune et sans attaches.
- Arrive C. Déplante. Le soir vient. On annonce 1 dragon blessé en tombant de cheval; 3 blessés au 223e; 1 commandant tué et 14 blessés au 222 –
Arrivant de Bethelémont des réfugiés de Coincourt, qui donnent des renseignements. Les Compagnies descendent. Tout est fini.


Mercredi 11 novembre (29 oct.) Fête d'André et anniversaire de la naissance de Georges (ses fils). J'achète deux poulets et une poule, je commande des beignets aux cuisiniers pour le soir.
Point d’événements - une patrouille vers la Hte Rionville reçoit des coups de feu.
Le Commandant Girardin me communique un journal disant que les fonctionnaires russes sujets français gardent leurs places en Russie. Je lui apporte une balle vieux modèle tirée par les Allemands (trouvée par le lieutenant Joris). Il m'invite à prendre un grog avec les officiers. Nous causons une demi-heure. J’emprunte les petits verres des officiers pour boire le Cointreau. Dîner - sardines, anchois - soupe au gruau et pommes de terre - poulets rôtis nouilles au fromage - fromages – beignets - figues. Je paie 5 litres de vin (en plus du quart de la Cie) Thé au rhum, cigares, Cointreau, Chaussons -
Coucher à 11h après avoir écrit à Georges et à André une lettre, envoyé une carte signée de tous les camarades.
Grand vent il neige un peu. Quel temps pour les tranchée !

Jeudi 12 novembre. À 1h ordre de départ pour Einville.
Les fourriers partent dans le 1/4 d'heure préparer les cantonnements. Je ramasse mes affaires et en route.

Temps menaçant et noir, vent violent, tempête, quelques gouttes de pluie. En passant à Valhey, bonjour à Mmes Braconnard, café et en route pour Einville.
Mes souliers neufs me font mal aux pieds.
En arrivant, je prépare les cantonnements de ma compagnie, chambres d'officiers, écurie, infirmerie, mitrailleurs, popote des sous officiers.
Le maire Mr Dieudonné récemment rentré de captivité m'aide à trouver. Les cuisiniers arrivent, je les installe.

Vers 3h 1/2 les Cies arrivent ; je conduis chacun à son nouveau domicile. On ne fait pas de dîner pour les s/off ; un peu de café et on se couche.
J'ai un lit passable dans le bureau du Commandement; l'adjudant couche en haut; les camarades dans une chambre à côté,
sur des matelas et des sommiers avec couvertures et édredons pris au Château. Je peux lire au lit. J'ai installé deux cartons verts (du juif marchand de grains Hayem <«Xauim »> chez lequel nous logeons) sur une chaise, un bougeoir dessus et une peau de sanglier comme descente de lit.

13 novembre Vendredi
Notre popote, installée dans un café, doit déménager par ordre du Commandant; nous nous scindons en deux popotes; La mienne s'installe dans la même maison que le Bureau du Commandant où je couche. Je trouve une table et des chaises au café d'en face, fermé.
Le soir, 200 laissez-passer à la signature (paysans, ouvriers et ouvrières des salines d’Einville et des salines de Maixe).
Notre 1er Bataillon avec le colonel sont à Maixe, la brigade à Serres, la division à Dombasle. J'ai bien mal aux talons.
Le soir grand vent dans les arbres qui bordent le canal.
Pauvre 223e aux tranchées! Mauvais début.

14 novembre, samedi:
Arrivée de 100 fusiliers marins à Einville et 60 hommes de la territoriale pour nous renforcer (du 107e; 15 par Cie).
Les canons 155 du bois de Saussy tirent; les arrivants sont impressionnés.
Nous installons un bureau pour les laissez-passer à la mairie avec Decoux, secrétaire, le caporal Thomé comme planton et 2 gendarmes.
On doit installer à la mairie un bureau de la place.

Nous dînons pour la première fois à notre nouvelle popote, le 2e peloton, seul.
C'est l'automne; averses, giboulées, soleil; aujourd'hui il a fait plus chaud.

On vit sans penser, absorbé par le service et la vie animale: manger, boire, fumer, dormir.
Du bois pour le poële! Victoire! Quart de vin, ce soir! J'ai pu avoir une bouteille de rhum! Lugrin a une boîte de cigares!
Voilà quels sont les évènements de cette vie.


15 nov. Dimanche - Beau temps. Je me lève tard.
Le Gros Ballly d’Annemasse vient me faire une visite au bureau. Tout le monde est parti d'Annecy, toute la 32e excepté Fargeon.
Les bleus de <Valence> sont presque tous partis déjà. Peillex, Bogain, Belleville ont été nommés s/lieutenants - Vigroux, blessé - Max Pompée est adjudant, après citation à l'ordre du jour.
Arrivée de 100 fusiliers marins de Brest. Arrivée de 400 artilleurs avec 200 chevaux, venant des environs de Nancy avec du matériel pour monter des plates-formes pour canons de marine.
Journée de bousculade. Lettres, colis, etc. Pluie et vent le soir.
Le colonel vient; conciliabule; sera-ce une alerte? - Rien.

--------------------------------------------------------------------
CD9362
Messages : 3131
Inscription : sam. mars 08, 2014 1:00 am

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par CD9362 »

Extrait n° 4 du journal de guerre Joseph DUCHENE. Né en Haute-Savoie, fils de paysan, il a quitté le France en 1902 pour être professeur de Français en Pologne russe. Sa femme et ses enfants sont restés là-bas. Joseph Duchêne est sergent au 230 è RI sur le front de Meurthe-et-Moselle mi-octobre 1914 .Blog en cours de construction -http://1914-joseph-duchene.eklablog.com/
---------------------------
17 mardi novembre 1914. Le soir, le cycliste Girod, cycliste du bataillon, se casse la tête contre un arbre le long du canal. Il est relevé de ses fonctions.

18 Mercredi. Il a gelé dans la nuit. Temps sec froid et lumineux. Promenade au cimetière. «3 braves bavarois»; Uhlans; tombes allemandes décorées, le 1er nov. par nos soldats - tombes de 3 fusillés d'Einville.
Il gèle fort, même dans la journée; temps superbe. Je reçois un paquet de Mr Girard[4] dont je distribue le contenu à la 3e escouade avec laquelle j'ai été sous la mitraille.
Vulliet et 2 capitaines, Berruet et Rendler sont envoyés former un peloton à Dombasle.

20 novembre. La bise, forte gelée; le soir arrive une brigade de dragons de Lunéville. 12e et 8e régiments avec deux batteries volantes, des autos mitrailleuse et des auto-canons. Je conduis le sous lieutenant Hailllaux du Taillis aux Salines (après avoir fait le cantonnement pour 90 chevaux du 1er escadron du 12e) - Causerie; chasse; attaché militaire (il a échoué à l'examen diplomatique) son oncle, père, agent de change.
Rencontre au barrage, d'un homme faisant l'ivrogne; j'ordonne aux sentinelles de le conduire au poste. Pas d’alerte cette nuit-là.
21 nov. Samedi froid intense. Vent violent. Départ à 1h (réveil à minuit) - J'ai la diarrhée.

22 novembre - Je réveille les sections et les officiers - Gebs dort. les autres sont sur pied.
Le train de combat,munitions et service de santé marchent seuls; les bagages restent.
Nous montons sur Valhey; bise glaciale; je perds mes molletières l'une après l'autre.
En arrivant à Bathelémont, plusieurs personnes voient des fusées sur Valhey.

Je revois notre bureau de Bathelémont, la place où je couchais dans la paille.
Le Ct Dunand renseigne le Ct Girardin : en route vers la Fourasse.
Nuit claire, les étoiles brillent; le vent souffle. J'ai perdu mon passe-montagne et je m'en fais un avec un plastron en flanelle.
La diarrhée continue; j'ai les doigts si froids que je ne peux me déboutonner, ni me ... torcher. Heureusement j'ai une provision de papier spécial.

Nous avançons vers Bures; puis à gauche vers le col du signal de Bures. Deux compagnies les 7e et 8e vont à Réchicourt; les 5e et 6e fournissent chacune une section pour soutenir les mitrailleuses; la 6e en fournit une deuxième comme soutien d'artillerie.
Le jour arrive. L'ordre arrive d'envoyer un peloton de la 5e aux tranchées en avant de Réchicourt, pour tenir le village, où se rendent des autos-mitrailleuses et des auto-canons.

Je transmets l'ordre au Cap. Roubertie qui vient lui-même demander au Ct s'il doit aller au-delà du village.
Le Commandant répond que oui, mais qu'il suffit d'y envoyer une section ; le Capitaine dit alors à Joris d'envoyer une section,
la 4e ; Je reviens vers le Ct; j'ai juste le temps de ... poser culotte une troisième fois...
le Ct m'appelle et m'envoie porter l'ordre à la 5e d'envoyer un peloton entier, j'y vais ; le Cap dit «Eh bien, Joris, Allez-y».Joris part avec ses deux sections.

Depuis 1/2 heure, nos batteries tirent sur les cotes 271 et 300. Une 1/2 heure après, ordre à la 5e de partir à Réchicourt et de se porter ensuite avec la 7e à la cote 281, coûte que coûte. Le Capitaine part avec la 2e section (Dumont, Perret, Lathuile), alors nous nous portons en avant avec le Commdt et la réserve de la 6e Cie, dans un champ d'avoine, à découvert. Les dragons se déploient en fourrageurs et partent prendre la place de nos 7, 8 et 5 à Réchicourt.
Alors, les Allemands déclenchent le feu de leurs batteries.
Nous voyons à 1600 m de nous, leurs observateurs d'artillerie, un capitaine et deux hommes.
Nos obus arrosent la crête d'un feu terrible; le tir de l'ennemi ne ralentit pas. Nous restons en plein champs allongés sur la terre gelée, dans les avoines; la bise souffle; les pieds gèlent; crampes dans les jambes; obus plus loin, on ne peut pas bouger pour se réchauffer. Fusillade violente vers Réchicourt; aboiements secs de nos 75 courts; renflements de nos 75 (à cause du vent, on entend les obus ronfler dans l'air). Au loin, au bois de Saussy, les batteries de 90 tonnent. Les Allemands envoient des rafales de 77 et de gros obus de 105.

Le temps passe lentement quand viennent les rafales nous mettons nos sacs sur nos têtes;
je dois encore une fois user de papier hygiénique en face de l'ennemi.
Il n'est que 10h; rafales; midi; rafales qui nous couvrent de terre, de pierres; deux heures; on tire en plein sur nous; le Ct se lève, nous fuyons; je vais à 10 pas, ramasser mon fusil, un obus emporte le morceau de terre que mon corps avait dégelé.

Fuite vers la crête; les obus nous accompagnent. Mes jambes engourdies refusent de me porter, je trébuche, je tombe, je ne peux plus marcher ; les obus pleuvent. Je gagne la crête, où je trouve les mitrailleurs du 2e bataillon; le cycliste de la 6e batterie lourde me rapporte ma musette. Un aéro allemand passe au-dessus de nous; il faut rester immobile. L'aéro disparaît; deux autos-mitrailleuses en retraite se trompent de route et venant de Réchicourt, filent derrière nous sur Bures; grêle d'obus; l'un éclate à 4 m en avant de moi, passant sur ma tête en me soufflant au visage.
La fusillade augmente; les chasseurs, les dragons battent en retraite; je dois bien vite rejoindre le Ct;
malheureusement, je me trouve à la hauteur de la 5e qui bat en retraite avec le Capne; les obus nous accompagnent. Je rejoins le Ct, toujours sous les obus; notre artillerie est toujours en place; je vois le Ct et la liaison avec le reste de la 6e, dans le creux où se trouvait ce matin la 5e.


Ordre de se replier; la fusillade allemande est terrible: les lignes de tirailleurs se replient. Quelques obus nous accompagnent. Vers la Fourasse la fusillade continue. Les 75 de la Fourasse arrosent l'ennemi avec ardeur, tirant par-dessus nos tête.
Le Ct m'envoie reconnaître les détachements, demander les numéros de Cies auxquels ils appartiennent et porter l'ordre de s'arrêter en tirailleurs sur les crêtes. À la 8e je trouve le s/lieut. Westphal avec une balle dans l'épaule. «On apporte un dragon mort au pied du seul arbre.»
Un autre détachement m'apprend que Joris a une balle en pleine poitrine et qu'on a beaucoup de peine à le dégager.

Nos brancardiers ne se sont pas montrés de la journée. Nous approchons de la Fourasse. Les Allemands envoient encore quelques obus par salves derrière nous, sur nos talons. Un blessé passe, avec une balle dans le genou; j'appelle un dragon qui lui cède son cheval; je lui fais boire une gorgée de rhum; il a été blessé avant le jour. Plus loin un autre a reçu une balle dans la bouche, ressortie par le bas du cou ; il boit aussi une dose de rhum.
Derrière la Fourasse, les canons de 90 et de 75, les artilleurs de 90 harassés sont couchés par terre sous les pièces. Les autos-mitrailleuses, les voitures d'ambulance sont là, attendant la nuit pour se porter plus avant .

Je rassemble les éléments de la 5e égarés avec les autres Cie; 7 hommes d'abord: «- Où est Joris? - Mort, dit l'un» une dizaine arrivent encore. Puis l'adjudant Favier, 3 s/off et une 60aine d'hommes. On se rassemble. Le capitaine doit s'être replié sur Bénamont et Bathelémont. Quelqu'un dit qu'on est allé chercher Joris en auto.

On se met en route vers Bauzemont; je marche péniblement à cause de mes pieds blessés; Pinget me prend mon fusil et me conseille de manger, car je vois des cercles rouges et bleus et la tête me tourne. J'avale mon 3e bâton de chocolat de la journée. Le cycliste de la section de mitrailleurs m'offre de prendre mon sac et me passe sa machine. Je suis sauvé. Descente à roue libre sur Bauzemont; artillerie; dragons. Après Bauzemont, je prends la route de halage pour éviter les autos, les canons, etc. À 6h moins le quart, au clair de lune, le long du canal gelé, je rentre à Einville. Le bureau où est mon lit est bien chauffé. J'envoie chercher deux litres de vin que je fais chauffer, avec du sucre pour les camarades de liaison et du 2e peloton de la 5e avec qui je fais la popote dans la maison même. Je veux aller chercher de l'eau dans la cour pour me laver; je trouve un cheval mort et la pompe gelée. Le vent recommence à souffler.
Pauvres blessés qui peut-être resteront autour de Réchicourt !
Les camarades arrivent. Déplante et Maugras viennent en « rigolant » nous demander des nouvelles; je me fâche.
J'apprends à Déplante que Joris et probablement mort. Ça le calme un peu de sa bonne humeur déplacée.

(Joseph Duchêne , Joris et Deplante étaient amis avant guerre et leurs familles sont liées )

Je vais au cantonnement de la Compagnie dire qu'on prépare du thé chaud ; il n'y en a pas; pas de feu. Les hommes préfèrent un quart de vin, un verre d'eau de vie, un morceau de pain et la paille.
Je vais rendre compte au Capitaine qui arrive seulement de Bathelémont de ce qui a pu être distribué aux hommes ;
je lui dis qu'il y a environ dix blessés, un disparu, tous les sous officiers ont été vus après le combat.
Joris, d’après deux s/off de la 7e Cie, blessés en le portant, a été laissé pour mort en arrière de Réchicourt.
Les officiers répondent qu'on l'aurait emporté en auto ; en somme on ne sait rien
.

On mange un morceau et on se couche. Je suis si fatigué que je ne regarde même pas mes pieds blessés. Durant deux heures, je me réveille à chaque instant; les chevaux font du bruit dans l'écurie voisine et il me semble entendre les obus éclater.

Lundi 23. Je ne peux mettre mes souliers; je prends mes souliers blancs, que je garde toute la journée.
Le Ct nous annonce que nous partons demain pour St Nicolas du Port, au repos. Cela me fait de la peine de quitter Einville.
Nous aidons le 299 à préparer son cantonnement à notre place.
Le soir, Drumont, le sergent Gérard et 3 hommes, dont Patuel partent pour Bathelémont;
demain matin, ils iront chercher Joris, qu'on n'a pas retrouvé dans les hôpitaux de Lunéville.

En me couchant, je me trouve un orteil du pied gauche avec une ampoule pleine de sang; deux orteils du pied droit ont l'extrémité gelée; les ongles de deux gros doigts ont coupé la chair, les deux chevilles sont enflées.
Dans la journée on m'a fait remarquer que ma capote est trouée dans le bas par un éclat d'obus; ça doit être dans le col d'Arracourt, dans l'abri du 223, quand j'ai reçu des pierres dans les jambes et l'homme couché devant moi un éclat dans son sac.

24 mardi. Lever à 5 h. Départ du campt à 6h pour Maixe où nous attendons le campt du 1er bataillon une 1/2h. Mes doigts de pieds gelés me font beaucoup souffrir; c'est une brûlure à chaque pas.
Maixe en ruines - Crévic en ruines - Nous suivons le canal, laissant Sornéville et Dombasle (en partie) à gauche. Le canal flanqué de tranchées abris alldes, trous d'obus, tombes alldes et françaises.
Halte à Dombasle - Usine Solvay (soude) Salines de Rosière - Warangéville, St Nicolas - Préparation des cantonnements.
J'attends la Cie aux faisceaux; elle passe plus loin - rejoins; le Capne se fâche; moi aussi.
Bureau de la liaison à la brasserie de St Nicolas (Mr Moreau propriétaire absent) Notre popote est à côté. Tout le bataillon est logé rue de Laval, route de Nancy (à 11 kilomètres) à Lunéville (17 kilomètres) La cathédrale (basilique) est un bel édifice gothique. La Meurthe sépare St Nicolas de Warangéville.
La liaison du 2e bataillon couche dans le bureau de la Brasserie, chauffage central, éclairage électrique - par terre sur des matelas avec oreillers, couvertures - Pas trop mal.
J'ai trouvé beaucoup de chambres; j'en donne aux officiers des autres Cies (au petit Favre; le St Cyprien) chez l'aumônier des Hospices St François.
Oh! Mes pieds.
Journée de bousculade. Le colonel s'irrite de ne pas savoir où est le poste de police du 230e, crie contre Fontanel. Le Commandant vient expliquer à mon Capitaine qu'il y a un malentendu ; le Capitaine s'excuse envers moi.

25 nov. Notes, rapports, vie de caserne avec le désordre en plus.

Jeudi 26
. Exercices - pour la liaison, calme. Bonnes nouvelles de Russie. Toujours pas de lettres de Russie.

27 et 28
. Vie de garnison - Exercice; les hommes jouent «aux barres ». Bonnes nouvelles de Russie - Accalmie sur tout notre front occidental.

Les cafés sont pleins de 5 à7. Le soir, nous jouons à la manille à la <popope>, ou à la bourre. Vittet nous raconte Gerbéviller.

Dimanche 29 Repos. Le Président de la République, qui devait passer hier entre 13 et 14h, passe ce matin, allant de Nancy à Lunéville.

Pas de combats sur le front occidental. Les Russes avancent sans doute, mais ne communiquent rien ; ils battent aussi les Turcs.

Le temps est beau, parfois brumeux, chaud. Demain le 2e bataillon, le nôtre doit aller à Nancy, se baigner. Pourvu qu'il ne pleuve pas.
J'ai reçu une lettre François Milan, Sénateur, sergent au 13e Chasseurs, son frère est juge à St Jean de Maurienne. Lettre de <Huguemiot>.

Lundi 30 novembre 1914 baignade à Nancy pour le 6 Bataillon. Je reste comme adjoint de bataillon. Rapport à 10h. Pas de lettres. Beau temps
CD9362
Messages : 3131
Inscription : sam. mars 08, 2014 1:00 am

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par CD9362 »

Extrait n° 5 du journal de guerre Joseph DUCHENE, 38 ans, sous lieutenant au 230 è RI. Haut-Savoyard installé comme professeur de Français en Pologne russe, arrivé sur le front en octobre 1914- -http://1914-joseph-duchene.eklablog.com/ -
Quelques Thèmes Décembre 1914 :
Importance du courrier, des colis et des nouvelles de la famille / Comment des doigts de pieds gelés peuvent handicaper mais aussi vous faire passer pour un tire au flanc ! / Les Populations doivent quitter les villages bombardés / Premier Noël en guerre: les illuminations ne proviennent pas des guirlandes de Noël !!! .

-----------------
1er décembre 1914. Beau temps clair, pas froid.
5e mois de guerre. Malgré les victoires russes, on n'entrevoit pas la fin.
Le soir, manœuvres de cadres entre Dombasle et Vitrimont.
Énormes trous d'obus, éclats de fonte, de cuivre, d'aluminium ; tranchées, abris, plaques de tôle, portes volets, plaques de zinc ... ferme brûlée, puits de salines.
Mes doigts de pieds gelés me font bien mal, dans la marche, quand le pied se réchauffe.
Deux cartes de Massingy m'annoncent que Joseph de Cessens (Joseph Marie Duchêne 297èRI, un parent) est mort à l'hôpital dans les Vosges, le 4 novembre (en revenant de la manœuvre causée par le Lieutenant Rendu)

2 déc 1914. Rien de particulier. Favier arrose ses galons d'adjudant.
3 déc . Vittet adj-chef; Ducret, Perrey adjudants.
4 déc. Je vois M.Bergeret, Dr qui me renvoie au Dr Payot.
5 déc. Veille de St Nicolas; nous offrons un tour de cou avec améthystes à la fille de notre patronne de popote, Mme Nicolas - Tir aux champs de Padoue - Certificat du Dr Payot pour mes pieds. Il pleut.
6 décembre dimanche - Attends le Dr Bergeret. Je finis vers 9h10 par frapper à sa chambre; il se fâche de me revoir à l'infirmerie. Là il décide que ce sera pour le soir, le soir, il me traite de fricoteur... J'encaisse le mot sans broncher.
7 lundi. Ex de bataillon le soir. Je demande la permission.

8 Mardi Manœuvre de brigade. Je n'y vais pas. Le capitaine est mécontent. Tout se gâte pour moi.
Je vais bientôt être considéré comme un mauvais soldat et un mauvais citoyen.
Laissons passer; Ma conscience est tranquille et cette épreuve me remonte le moral.
Toujours pas de lettre de Kielce ( Ville de Pologne où sont sa femme et ses enfants) . J'ai envoyé une lettre au Général Jilinsky, lundi matin, demandant nouvelles télégraphiques des familles Jilinsky, Astafieff, Duchêne. Temps gris, chaud, quelques gouttes de pluie. Par lettre partie ce matin, j'ai demandé 100 fr à Massingy. Ernest, de Grenoble, m'a écrit (Massingy:son village natal - Certainement Ernest Duchêne un neveu 14è Section Infirmiers militaires)

9 décembre. Manœuvres de nuit; projecteurs sur Nancy.
Pas de dépêches, pas de lettres de Russie. Bonne lettre de Chabert. Imperméable en toile cirée de M. Girard - dont j'ai déjà reçu deux paquets dimanche. Savons, crayons, floréine, biophorine, cigarettes, tabac, chocolat, papier spécial - distribué à la 3e escouade.

10. Jeudi. Manoeuvre de régiment vers Manoncourt. Célestin et le Dr Bergeret forment l'E.M du colonel. Vu le cap. Anthonin.
Le canon gronde sans interruption vers Pont-À-Mousson.
4 aéros passent sur nous; l'un nous fait un magnifique vol plané en se dirigeant sur Nancy.

11. Vendredi Temps superbe et chaud.
Manœuvre de Brigade vers Haraucourt. Le canon tonne, les aéros se suivent sans interruption; ils reçoivent des obus allds. Nous marchons près des Salines, au milieu d'énormes trous d'obus remplis d'eau, 15 m. de circonférence, tranchées, abris, 1 arbre culbuté par un obus. À droite, ruines d'Haraucourt.
En rentrant, mes doigts de pieds gelés me font beaucoup souffrir; de plus j'ai une douleur au-dessus de la cheville du même pied.Je rentre avec peine.
J'envoie en passant par Warangéville, le cycliste du bataillon Quetand, voir à la poste si je n'ai pas une réponse télégraphique de Jilinsky. Il m'annonce, comme je rentre à mon bureau, qu'il n'y a rien; je me retiens de pleurer et je manque de jeter mon fusil à terre de dépit.
J'ai à peine le temps de m'asseoir que Dumont, le sergent-major, m'apporte une grande enveloppe de Russie. Je suis anxieux de voir la date, je l'ouvre: c'est du 4 novembre! Lendemain de la prise de Kielce par les Russes - Ils sont tous vivants ! Une photo ! Quel bonheur. Je lis ma lettre en pleurant...
Puis malgré mes pieds malades, je vais en ville acheter des châtaignes, du rhum, 10 bouteilles de vin blanc, une boîte de demi londrès. Bonne soirée. Les camarades de popote partagent cordialement ma joie. On chante ; on dit des monologues. Dumont arrive - Je l'embrasse.

12 samedi. Rien, Hier je n'ai pu écrire à cause de mon émotion.
Je fais des lettres toutes la journée. Il pleut. Hier le Capitaine Roubertie a quitté le commandement de la 5e (23 e) Cie pour passer au petit dépôt de Warangéville. Gebs commande la Cie.

12 décembre Dimanche. Temps beau et chaud. Repos. Promenade au cimetière. Séance récréative, rue Jolain, donnée par le 223 aux officiers et s/off de la brigade. Raymond, de l'opéra comique - Lakmé et Plaisir d'amour - Faust par Guignol lyonnais - L'Amour, par un lieutenant du 223.

13 lundi. Manœuvre de régiment vers Manoncourt. Un peu de pluie. Lettre d'Empereur (Sénateur de Savoie)
14 mardi. Rien - un peu de pluie - lettre de Cibaud ; il a écrit à ma femme …
15 mercredi. Manœuvre de régiment vers le champs de tir de Padoue et Ville-en-Vermois ; il pleut ; je sors ma «dalmatique» en toile cirée, don de M.Girard.
16. Baignade à Nancy. Je n'y vais pas. Je reçois une lettre de Félix Ramaz (Mari de sa sœur Antoinette Eugénie) avec 10 francs pour boire un canon. Lettre de Cibaud.

17 Vendredi. Beau temps ; je reçois une deuxième lettre de Marie, avec la photo des enfants prise par moi dans le jardin. Je paie les châtaignes et le vin blanc le lendemain soir.

Samedi 18. Rien - beau temps - Beignets, châtaignes, vin blanc. «L'industriel savoisien» a publié mes quelques lignes sur le dons des instituteurs et m'a envoyé le numéro du journal.

19 Lundi soir. Nous recevons l'ordre de nous préparer à partir le lendemain soir, pour Erbéviller et Homécourt.Surprise! On décommande les oies et les dindes du réveillon. Tristesse de nos hôtes.

22 décembre Mardi. À 1h, les fourriers seuls partent. Deux aéros boches suivis d'un français. Beau temps.
Une voiture qui conduit du vin nous a pris nos sacs. Haraucourt en ruines; l'église; maison crevées, incendiées, criblées de balles. J'achète du pain et du fromage.
Route qui traverse champs de bataille. Des tombes avec des képis de chasseurs à pied; des trous d'obus français; bois hachés par la mitraille - Réméréville, en ruines
Halte sur le pont - Arrivée de nuit à Erbéviller occupé par le 257e de Bordeaux que nous relevons. Le village n'a que 3 ou 4 maisons avec toit; le 34e territorial (mitrailleurs) et la 58e d'artillerie en occupent une partie.
À la liaison, on nous donne du gâteau et du thé café; le lieutenant Fagot nous a donné son repas froid; j'y ajoute mon pain et du chocolat. Coucher dans le cantonnement des mitrailleurs du 257e; grange sans paille; froid. Je ne dors pas de toute la nuit.

23 décembre. Arrivée des 2 compagnies (7 et 8) à 4h 1/2. Les autres autour de 6h 1/2. Nous organisons une popote à la liaison. Quetand de Thônes, le cycliste, cuisinier. Boisier, horloger à Marmoz, aide. Nos artilleurs tirent dans la journée; à Sornéville, un obus allemand de 105 a tué un homme et ses deux chevaux au milieu de la rue (la veille). Tous les jours les obus allemands démolissent une ou deux maisons. Les Allemands ont, paraît-il, une pièce de 105 circulant sur rails, qu'on ne peut découvrir.

24 jeudi, veille de Noël - Arrivée des colis d'Annecy ; il y a du chocolat d'Annecy ; du tabac, cigares, cigarettes suisses; briquets, biscuits, figues, oranges, pipes, bonbons, caramels. Paquets venant des écoles de Warangéville et St Nicolas. Nous faisons la distribution et expédions cela. Ma compagnie (la 5e ou 23e) est au bois de Faux pour deux jours. Nous mangeons copieusement vers 6h. Tapponier m'a rapporté de St Nicolas du Cointreau et une boîte de demi londrès (cigares).

Le Commandant m'apporte un pli pour le Lieut Gebs, commandant ma compagnie. Je vais, la nuit, le lui porter dans la forêt. Départ à 6h1/2avec le cycliste Quetand jusqu'au poste de liaison sur la route de Sornéville et Moncel. Puis tout seul, je vais à droite, où à 200 m dans le petit bois, je trouve la sentinelle et le poste, couvert de bâches, de l'adjt Cattin et du Sergt-major Dumont.
Arrêt de quelques minutes; Je prends un homme pour me conduire. En route, à travers la forêt boueuse. 500 mètres de forêt, 500 m de champ, en montée, 2e forêt gardée par des sentinelles ; 500 m dans la forêt. Je suis au poste du chef de grand'garde: une vraie casemate souterraine à l'abri des gros obus. Sur le chemin du retour tous les postes m'attendent avec anxiété; comme je suis porteur de mauvaises nouvelles et que ma venue a été signalée, tout le monde veut savoir, on croit à une attaque générale pour cette nuit de Noël.
Je reviens à travers le bois boueux jusqu'au 1er poste près de la route; on me retient à manger des friandises puis nous faisons un bridge : Adj.Cyprien, Sergent-major Dumont, Sergent Roupioz. Vers 10h. Nous prenons du thé.

À ce moment, le tir de nos batteries commence et continue pendant que je reviens tout seul vers Erbérviller. Les collines vers Mazerulles, Champenoux etc, s'illuminent de grandes lueurs, puis 15 ou 20 secondes après, j'entends l'explosion grave, puis l'obus qui passe haut dans l'air, à gauche au-dessus de moi, avec un ronflement puissant; puis là-bas, vers Moncel et la frontière, l'éclatement de l'obus.
Quand les pièces de marine d'Erbéviller tirent, l'obus passe plus près. Aucune riposte des Allemands qui ont, parait-il l'ordre de ne pas tirer la nuit pour ne pas gaspiller des obus.Le tir continue jusqu'à 1 heure du matin.

25 décembre. Noël, beau temps clair avec faible gelée.
L'après-midi, je monte communiquer le rapport aux A.P avant- postes, juste au moment où des obus allemands tombent à 300 mètres d’Erbéviller, le tir de notre artillerie commence; les Allemands répondent en envoyant, comme ils le font presque chaque jour, 10 obus sur Sornéville ; depuis le bois d' Erbéviller qui domine, je vois une maison sauter avec un gros nuage de poussière qui reste 10 minutes en l'air.
Le lieutenant Duchesne, téléphoniste, et en train de placer une ligne de la route (poste de liaison) au poste central du bois Thiébault (ou bois de Faux) où est ma compagnie. Je le conduis; nous pénétrons trop avant dans la forêt; biche, lièvre.
Enfin nous arrivons devant un arbre bien décoré ; le Lieutenant Gebs et les s/off se photographie en groupe; avec leurs peaux de mouton, autour de l'arbre. Je leur passe des cigares et reconduis le Lieutenant téléphoniste par les lisières des bois.Rencontré Cyprien et Dumont qui vont rejoindre le groupe. Dans leur abri vide, je mange du fromage et des figues. Le canon tire encore ,le nôtre. Je rentre au village.
Le soir, je reçois une invitation au bridge, aux A.P avec le Dr Cattin, celui-ci ne peut y aller, j'y vais avec le sergent Gallay ; nous leur apportons deux bidons de vin, les lettres; j'ai une demi-bouteille de Cointreau et des cigares français pour les camarades <…sses> pour les hommes du petit poste. Eux ils ont un poulet de Sornéville, du beurre, des œufs. Je remange un peu, je bois du vin, du café, puis le Cointreau et nous faisons une partie de bridge .Lugrin est là; Jollivet dort dans un coin sombre, il fait chaud.
Nous redescendons, comme la veille, à la lueur des coups de canons français; au loin une maison brûle, derrière Champenoux.

26 décembre: Le lendemain beau temps, gelée; nous apprenons qu'un dirigeable a lancé des bombes sur Nancy; il a passé par-dessus nos Avant-Postes vers 4h 1/2. La même nuit une maison a brûlé à Sornéville. Le cap de la 8e Cie prétend que ce n'est pas un signal, mais un habitant qui aurait pillé une maison voisine et l'aurait incendiée ensuite.
La population de Sornéville évacue; tableaux dans Erbéviller. Vaches, cochons, chèvres; voitures chargées de matelas, meubles; femmes et enfants; pas d'hommes, des vieux. Les chevaux leur manquent; les premiers partis n'ont pas ramené les chevaux et les voitures. Les pauvres gens! Ils s'en vont dans l'inconnu, laissant toute leur maison, leur intérieur, leur mobilier en partie.
Hier, un avion français a, paraît-il démoli la batterie de 105 ou de 220 sur des rails qui tirait sur Sornéville.
Aujourd'hui pas d'obus d'allemand sur le village. Je reçois une lettre d'Alik (son beau-frère à Varsovie) et une des Péthellaz - annonce d'un colis pour Noël.

28 décembre. Pluie. Temps chaud, vent. Le capitaine Roubertie vient à cheval de Courbesseaux à Erbéviller. Il m'annonce qu'il revient à la Compagnie dès notre retour à St Nicolas, après demain. Nous causons de l'issue possible de la guerre. Il ne croit qu'à la décision par les armes. Blocus impossible.
Dans l'après-midi, je monte à Sornéville. Thomé, sergent-clairon et l'adjoint de bataillon Vittet m'accompagnent jusqu'au poste de liaison (au niveau du bois d’Erbéviller). Je continue seul; les 90 profitent de l'éclaircie pour tirer quelques obus. Pas de réponse allemande.
Je trouve une marmite de campement et j'arrive à Sornéville, après avoir rencontré beaucoup de voitures de gens qui évacuent; deux femmes avec des voitures d'enfants qu'elles poussent. Grand Village a une seule longue rue jusqu'à la place de l'église ; là elle bifurque ; l'église a reçu un obus sur le choeur, d'autres passant par-dessus, ont enfilé la rue et tué un homme et 2 chevaux et démoli quelques maisons.
Les gens emballent en pleurant pour déménager. C'est un ordre. L'intendance leur achète le bétail, le blé, la farine, les pommes de terre – On leur promet des fourgons. J'achète une poule pour 3 francs et 4 litres de lait à 4 sous. Je vais prendre le thé avec le lieutenant et les adjt Favier et Ducret. Puis je tombe sur Tapponier qui achète un 2e rouet. Il m'emmène à l'église, pour jouer de l'harmonium pendant que la pluie accumulée sur la voûte sans toit, tombe en grosses larmes sur le pavé. Un trou au-dessus de l'autel.
L'entrée est gardée par une sentinelle; le clocher est intact. La nuit tombe et partout on charge des voitures.
La pluie menace, le vent d'ouest souffle avec violence.
Nous rencontrons le Lieutnt Gebs et l'adjant Favier qui partent en ronde aux A.P. Et nous rentrons vers Erbéviller ; je porte ma marmite de lait; Tapponier mène sa bicyclette en portant son rouet et Thomé, venu nous rejoindre, sa bouteille de «mirabelle», un support double d'obus de 105 et ma poule.
Devant nous le projecteur de Nancy fouille les nuages; le vent siffle dans les fils téléphoniques ; une auto venant de Nancy raye la nuit de son phare. Un peu de pluie dans le vent.
Nous arrivons. Rien de nouveau. Dîner puis partie de bourre avec le service sanitaire. J'ai 4 lettres de Varsovie (Alik) de Philomène (Une de ses sœurs), du Dr Bouvier et d'Haguemiot.

29 décembre. Journée calme. Reçu 8 lettres et 1 paquet.
// Le matin, Le Ct m'envoie porter à Sornéville l'ordre de départ pour demain matin. J'y vais à bicyclette ; le vent me pousse pour monter, pour redescendre impossible. C’est Jourdil qui ira faire le cantonnement, il descend aussitôt. Je rapporte une poule pour l’aide-major Cattin //
L'après midi, je vais avec l'adjudant Vittet, voir les batteries de 90 dans le bois Morel. Ils jouent aux cartes dans leur abri. Ils n'ont pas un seul blessé; ils ont tiré à la mitraille à 250 mètres.
Le soir en revenant des batteries de 90, explosion du clocher de Champenoux, détruit par nous, puis dîner et visite aux artilleurs. Partie de cartes avec le service sanitaire à qui je porte des bonbons reçus, avec des cigares, de Mme Bouvier, docteur. Coucher je ne dors pas.

Le 30 décembre. à 4 h -le 323 qui nous relève arrive; je conduis une section au bois de Faux , relever la 6e et je fais passer à la compagnie allant à Sornéville la ligne des sentinelles; retour à Erbéviller; dormi deux heures - Départ, derrière le bataillon, vers 7h 1/2.
Nous traversons Réméréville dévasté,le champ de bataille labouré d’obus.
À Haraucourt, nous nous arrêtons (la liaison) pour manger dans une épicerie; confiture, fromage, vin blanc. Arrivée à St Nicolas vers midi. On se réinstalle rue de Laval; le bureau à la brasserie; j'ai un lit derrière la brasserie. Il gèle la nuit.
31 décembre 1914. Rien - Lettres; le soir souper aux escargots, coucher à 3h du matin. Il ne gèle plus. Ayant gagné 8 où 9 francs à la banque, je donne 4fr aux cuisiniers . Touché prêt. 18fr92
Avatar de l’utilisateur
Skellbraz .
Messages : 2872
Inscription : mer. sept. 17, 2014 2:00 am
Localisation : grenoble

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par Skellbraz . »

Extrait du journal de guerre Joseph DUCHENE sergent au 230 è RI . Né en Haute-Savoie, fils de paysan, Joseph a fait des études a obtenu une licence de lettres en 1898 . Il a quitté le France en 1902 pour être professeur de Français en Pologne.


Bonjour à toutes et tous
Bonjour ADline.
Un parcours exceptionnel pour un enfant de paysan... licencié es lettres à cette époque, pas courant. Je me réjouis de lire ses écrits et vous remercie de les offrir en partage.
Bien à vous
Brigitte
en attendant la suite, grand merci.
Pour accéder directement au sommaire "les femmes pendant la GG", cliquer sur : accès direct
CD9362
Messages : 3131
Inscription : sam. mars 08, 2014 1:00 am

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par CD9362 »

Bonjour
Je continue à mettre au fur et à mesure sur un blog le carnet de guerre de Joseph DUCHENE, qui retrace un peu de cette guerre, vécu par un sergent du 230 ème R.I. J'essaie d'y rajouter des éléments sur les lieux, les événements et les individus. Je trouve ailleurs sur le net des documents, cartes, plans et des informations, je remercie les uns et les autres ...
Donc après juin , voici juillet 1915 :
http://1914-joseph-duchene.eklablog.com ... a117796082
http://1914-joseph-duchene.eklablog.com ... a118059382

ADline
CD9362
Messages : 3131
Inscription : sam. mars 08, 2014 1:00 am

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par CD9362 »

Bonjour
Août et septembre 1915 : Joseph et le 230 ème RI sont toujours en Meuthe et Moselle, vers Lunéville , Vého ... La lassitude se fait sentir, au détour d'une phrase on prend conscience que les mois s'écoulant la vie continue mais que des camarades sont tombés:
" Je mange à la popote de la 24è. Adjt Degaye – la même à laquelle je mangeais à Valhey – avec Colllonge en plus et quelques tués... Pollier, Raffort..."
Puis la première permission arrive. L'occasion pour Joseph de revoir sa femme Marie et ses fils arrivés tout trois de Pologne fin juillet et qu'il n'a pas vu depuis un an .
http://1914-joseph-duchene.eklablog.com ... a118322122
Avatar de l’utilisateur
Skellbraz .
Messages : 2872
Inscription : mer. sept. 17, 2014 2:00 am
Localisation : grenoble

Re: il y a Cent ans- Avec le 230 è Ri - Sur le Front de Meurthe et Moselle

Message par Skellbraz . »

bonjour à toutes et tous,
merci ADline de partager les écrits de votre ancêtre.
Bien à vous,
Brigitte
Pour accéder directement au sommaire "les femmes pendant la GG", cliquer sur : accès direct
Répondre

Revenir à « Parcours »