Lettre d'un artilleur français Août 1914

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eric siegel
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Re: Lettre d'un artilleur français Août 1914

Message par eric siegel »

Bonjour,

je vous présente ici la lettre d'un artilleur français à son cousin au tout début de la grande guerre. Cette lettre faisait partie d'une correspondance complète de 1914 à 1916 (pourquoi plus de courrier à partir de 1916??????). Cette correspondance a été éparpillée par le vendeur et je n'ai à l'époque pu acheter qu'une dizaine de lettres, toutes les autres ayant été vendues par ailleurs.

Je vous publie ici, la plus intéressante des 10, les autres n'ayant que très peu d'intérêt. J'ai retranscrit ici la lettre avec toutes les fautes d'époque et sans aucune modification.

Eric Siegel



Sains-en-Gohelle (Pas de Calais) le 15/11/14

Mon vieux Justin.

Je t’ai envoyé ces jours derniers une carte avec promesse de t’écrire une grande lettre au premier moment de loisir que j’aurais, aujourd’hui nous sommes au repos et j’en profite. Je vais essayer de te raconter quelques une de mes aventures depuis le commencement de cette facheuse guerre, tu voudras bien ne pas faire attention mon style, d’ailleurs je te raconterai cela le plus brièvement possible.
Du 1er aout au 18 rien de bien intéressant, quelques petits combats sans grande importance pour nous. Le 18 au matin nous nous mettons en route à 1h du matin pour faire l’ascencion du mont Donon, cela se passe avec quelques petites escarmouches entre infanterie, bref nous réussissons après une de plus de 35 kilomètres de côte à passer de l’autre côté, nous passons par Schirmek petite ville alsacienne très jolie et nous arrivons à St Quirin à 11h du soir. Nous trouvons là une très forte concentration de troupes, en particulier le 13e et le 21e corps. Le 19 de bon matin toujours, toutes ces troupes se mettent en route on apprend que nous allons avoir à combattre 3 corps allemands et la bataille se livrera dans un camp d’instruction. Notre rôle à nous 10e 11e et 12e batterie du 59ème était de nous placer en batterie pour soutenir la retraite, en principe, si cela avait bien marché, nous devions rien faire. Nous couchons sur les positions, et le 20 la bataille commence, pour commencer tout marchait à souhait, le 21e corps avancait très vite et le 13e se maintenait assez bien, à 3 heures après midi nous changeons de position pour venir nous mettre en batterie sur une crête à l’entrée du camp d’Abreshvillers, camp d’une étendue immense et presque plaine, la bataille se déroulait au loin et d’où nous étions placés nous ne voyons encore pas grand’chose, toute la nuit la fusillade et la cannonade faisait rage et à la pointe du jour une autre spectacle s’offrait à nos yeux. Il faut que je te dise avant de continuer mon histoire quel place j’occupe à la batterie, je suis téléphoniste signaleur avec un autre camarade, nous sommes toujours avec le capitaine à son poste d’observation, poste qui se trouve toujours en avant de la batterie, quelques fois 1 kilomètre, placé sur une hauteur quelconque de manière à être placé pour voir sur un champ le plus étendu que possible. Je te disais donc que le matin du 21 août, nous commençons à voir un tout autre spectacle devant les yeux, à 8 kilomètres à peu près devant nous, on aperçoit des masses d’hommes qui venaient contre nous, c’était de notre infanterie, cela rendait perplexe notre capitaine qui n’y comprenait rien. Mais il était bientôt renseigné, une note vient du général nous annonçant la retraite du 13e corps et la probabilité de la retraite du 27e corps, notre capitaine réunit la batterie pour lire l’ordre du général et nous exhorte à faire tous notre devoir, aussitôt fini chacun retourne à son poste, à 8h nous commençons à avoir des boches à 7 kilomètres, j’avais l’œil collé à la lunette de batterie, instrument qui permet de voir à 8 kilomètres et même de distinguer un boche d’un Français, nous commençons le feu à 8h1/2 à 6900, un véritable feu d’enfer, les 3 batteries ensembles jusqu’à 11h. A 11h nous ne tirons plus qu’à 3800. Nous ne pouvions pas réussir à les ralentir l’élan de ces misérables boches, on tirait sans discontinuer par6 par 8 fauchés d’un seul coup sans arrêt. C’était une belle musique. Mais à côté de cela quel travail, j’ai vu je peux le dire des compagnies entières anéanties, ils venaient en masse compactes, 6 obus explosifs là dedans et l’on voyait les bras, les jambes sauter en l’air, c’était un joli tableau. A midi nous commençons à voir des chevaux et des hommes passer en désordre à côté de nous, c’était des hommes du 16e et du 36e d’artillerie qui se sauvaient après avoir abandonné leur matériel comme des honteux qu’ils sont. Ensuite l’infanterie commence, dans le nombre était le 98e ou est Ch. Bataillard, ils se sauvaient en jetant leurs sacs, leurs fusils, tout leur équipement pour pouvoir courir plus, tout cela c’était du 13e corps, pendant ce temps le 21e était en train de se faire hacher à cause d’eux. Pour comble de bonheur, les boches réussissent à mettre de l’artillerie en jeu, ils trouvent le moyen de nous repérer et à leur tour ils nous sonnent quelque chose à tel point que nous sommes obligés de cesser le feu pour nous abriter le mieux possible, jusqu’à 3h. Impossible de nous montrer, notre capitaine pleurait.. A 3h une accalmie, on en profite pour reprendre le feu démolir encore quelques fantassins qui étaient à ce moment à 2500. L’accalmie dure jusqu’à 3h1/2 alors à ce moment cela a été le bouquet, pour commencer c’était du 77 qu’ils nous canardaient mais voici 1 puis 2 puis une véritable grêle de 220 qui s’abat sur nous et les avant train qui étaient derrière nous, un servant est tué, 3 conducteurs tués et18 blessés, comme chevaux, 20 tués et 15 blessés, en particulier un conducteur de ma voiture avec ses 2 chevaux d’un seul coup. Mon capitaine m’envoie porter une note au capitaine de la 11e b. qui est environ 300m à notre droite, je mets au moins ¼ d’heure pour faire le trajet, au moment où je lui remets la note, il est blessé d’un éclat d’obus qui lui broie l’épaule droite, je retourne à la batterie où l’on tirai de plus en plus et cela à duré jusqu’à 6h, où l’on a été obligé de s’arrêter faute de munition. Nous avions tirés plus de 3000 coups. Cela est dur de tirer malgré la pluie de marmites comme disent les fantassins, on s’abrite jusqu’à la nuit et aussitôt la première brume, on amène les avant trains et on accroche les pièces et les caissons comme on peut, 3 caissons après le même avant train, le capitaine donne l’ordre de départ, il était temps, on était pas encore à 100 mètre des la position que les fantassins allemands nous tombes dessus avec une fusillade acharnée, on part au galop dans les champs et on réussit à se mettre hors d’atteinte. Là on compte les morts et les blessés 2 morts et 4 blessés, c’était peu pour une fusillade pareille mais toujours trop pour nous. Nous prenons alors la route de la retraite en nous dirigeant à grand pas sur la France où l’on arrive à 5h du matin après avoir voyagé toute la nuit et fait 60 kilomètres. Nous nous arrêtons à Val et Châtillon, là nous sommes félicités par le général de Castelnau.
C’est là que nous avons appris que nous devions la défaite à une personnalité qui nous avait trahi, je t’expliquerai cela un peu plus clairement de vive voix.
Et puis voilà pour une de mes nombreuses aventures. Si cela peut t’intéresser, dis-moi le, j’essaierai de t’en retracer le plus fidèlement que je pourrai, une autre aussi intéressante.
Je te quitte mon vieux Justin, et fais ton possible pour me répondre le plus longuement possible.
Embrasse bien toute la famille pour moi et garde pour toi les meilleurs baisers de ton cousin.

Bernard
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violette
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Re: Lettre d'un artilleur français Août 1914

Message par violette »

Bonjour à tous,
Bonjour Eric,
Merci beaucoup pour ce témoignage. Il m'intéresse particulièrement, le 59è RAC constituant l'artillerie de corps du 21è CA qui est un de mes thèmes de recherche.
Bien que les autres lettres soient à votre sens, moins intéressantes, je serais ravie d'en prendre connaissance si vous étiez d'accord pour me les communiquer.
Cordialement,
Violette
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Eric Mansuy
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Re: Lettre d'un artilleur français Août 1914

Message par Eric Mansuy »

Bonsoir à tous,
Bonsoir Eric,

Merci pour ce très intéressant témoignage - malgré quelques incongruités - sur un champ de bataille trop peu exploré. Les 20 et 21 août 1914, la 12e batterie du 59e RAC y a perdu Beaubé, Boyer, Cerneau, Gratien, Michaut, Pouchon, et la 10e batterie, le sous-lieutenant Salle.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
Shark260486
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Re: Lettre d'un artilleur français Août 1914

Message par Shark260486 »

Bonjour à tous,

"C’est là que nous avons appris que nous devions la défaite à une personnalité qui nous avait trahi"

Savez vous à qui il fait référence?

Cordialement,
Shark
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