La reprise de Douaumont par l'abbé Vatan

[bernard larquetou]

J'ai actuellement en prêt les cahiers écrits par l'abbé Gustave VATAN, caporal brancardier au 107° BCP (puis 116° BCP)

L'abbé Vatan était à Douaumont, en octobre 1916, lors de l'attaque visant à reprendre le fort.

Ci-après quelques extraits de ce qu'il a consigné :

« …la préparation d’artillerie fut en proportion du but à atteindre. Le 21 octobre, un temps clair favorisait les observations par ballons et par avions ; ce fut la revanche des journées de février 1916 où l’artillerie ennemie avait écrasé la région de Verdun.

Jour après jour, on pouvait suivre les destructions. Le 23, un incendie se déclarait dans le fort de Douaumont à la suite d’un obus de 400. Les abris des carrières d’Hardaumont étaient bouleversés. De même la batterie de Damloup. Les ravins étaient fouillés et martelés. L’ennemi, tenu dans l’incertitude du point d’attaque par l’ampleur de notre action, dévoilait peu à peu toutes ses batteries qui furent reconnues au nombre de plus de 130, et dont plus de 60 furent heureusement contrebattues.

La destruction des défenses de l’ennemi était méthodiquement et complètement opérée….

Le soir du 23, un pigeon allemand surpris, révéla le désarroi des troupes de 1° ligne dont les chefs demandaient instamment la relève.
Une centaine d’Allemands venaient de se constituer prisonniers, et parmi eux un officier qui déclarait, avec mélancolie, « nous ne prendrons pas plus Verdun que vous nous reprendrez Douaumont ! ».

Les troupes qui devaient mener l’attaque appartenaient à des divisions qui connaissaient le secteur, où déjà elles avaient opéré précédemment. C’étaient, de gauche à droite, la division de Guyot de Salins, renforcée à gauche du 11° régiment d’infanterie. Cette division est composée de Zouaves, de Tirailleurs et de Coloniaux, parmi lesquels le régiment colonial du Maroc qui a reçu récemment la fourragère pour sa belle conduite à Dixmude et à Fleury.

Au régiment colonial devait revenir l’honneur d’attaquer Douaumont.

Puis venait la division du Général Passaga où se rencontrent des contingents de presque tous les régiments de France, du Nord, de Franche Comté, du plateau Central, de la Savoie et du Midi.

Ensuite la division du Général de Lardemelle composée de troupes de ligne et de chasseurs à pied recrutés dans la Franche Comté et la Savoie. Un bataillon de Sénégalais prenait également part à l’attaque…..

Le Général Passaga terminait son ordre d’attaque, la veille de l’assaut, par ces paroles : « à notre gauche combattra une division déjà illustre, composée de Zouaves, de Marsouins, de Marocains et d’Algériens ; ils s’y disputent l’honneur de reprendre le fort de Douaumont. Que ces fiers camarades sachent bien qu’ils peuvent compter sur nous pour les soutenir, leur ouvrir la porte et partager leur gloire. Officiers, sous-officiers, soldats, vous saurez accrocher la croix de guerre à vos drapeaux et à vos fanions. Au premier coup, vous hausserez votre renommée au rang de celle de nos régiments et de nos bataillons les plus fameux. La patrie vous bénira ».
Le 23 octobre, les troupes étaient en place.

La date et l’heure de l’attaque étaient fixées au 24 octobre à 11h40.

L’action devait se faire en 2 phases.
D’un premier élan, les troupes devaient atteindre les carrières d’Haudremont, la pente nord du ravin de la Dame, un retranchement au nord de la ferme de Thiaumont, la batterie de la Fausse Côte, le ravin de Bazil, puis dans une seconde phase, après un arrêt d’une heure pour consolider la première conquête, le groupement devait pousser jusque sur la croupe au nord du ravin de la Couleuvre, village de Douaumont, fort de Douaumont, pente N & E du ravin de la Fausse Côte, digue et étang de Vaux, et à l’est, batterie de Damloup.

Le 24 octobre au matin, le temps changeait, et un épais brouillard couvrait le vallonnement de la Meuse et la série des crêtes. Estimant la préparation suffisante, le commandement ne modifia point ses ordres.

A 11h40 l’attaque fut déclenchée.

Dans cette brume, tandis que l’artillerie allongeait son tir, l’observation devenait difficile, soit des observatoires, soit des avions.
Cependant, quelques avions sortirent, et maîtres de l’air, descendirent très bas pour suivre les opérations.

Les fils téléphoniques étaient à chaque instant rompus, mais les liaisons par pigeons, coureurs, postes optiques ou acoustiques suivant le cas fonctionnaient à merveille permettant de suivre les différentes phases de la bataille.
On apprenait que le premier objectif avait été atteint au prix de pertes insignifiantes, que les prisonniers allemands affluaient, que l’on s’organisait sur le terrain, que l’on repartait pour atteindre le second objectif.

Vers 14h30, le brouillard se dissipa sous l’action du vent, et entre les nuages déchirés, puis dans l’horizon éclairci, les observateurs purent voir ce spectacle magique :nos soldats se profilant en ombres chinoises sur la crête de Douaumont, approchant du fort de chaque côté, arrivant sur le fort, s’y établissant.
A la jumelle, on pouvait les suivre dans leurs allées et venues, puis, sortant du fort, des colonnes de prisonniers…..

De partout les nouvelles de victoire affluaient.

Le 11° régiment chargé de prendre les carrières d’Haudromont dépassait son objectif qui était la tranchée Balfourier.
De même que la division Guyot avait enlevé Thiaumont et Douaumont, la division Passaga enlevait le bois de la Caillette, s’avançait sur les pentes nord du ravin de la Fausse Côte.
La division Lardemelle rencontrait une résistance très énergique au ravin des Fontaines et au bois Fumin…..
Enfin, les savoyards du 30° régiment d’infanterie enlevaient au pas de charge la batterie de Damloup.
En quelques heures, la victoire était complète. Elle nous valait, outre ce matériel qui n’a pas encore été inventorié, plus de 4000 prisonniers dont 130 officiers…..
C’est le bataillon Nicolay, du régiment colonial du Maroc, qui eut la gloire de s’emparer du fort de Douaumont….

Le Général en Chef, qui assistait à la bataille avec le Général Pétain, commandant le groupe d’armées du centre a exprimé sa satisfaction du résultat obtenu par la préparation méthodique et l’élan des troupes ».

Gustave Vatan est inscrit au "Livre d'Or des Soldats de Verdun" (n° 152 283).

il a reçu 5 citations, et est détenteur de la Croix de Guerre avec 3 étoiles de bronze et d'argent.

Affecté au 20° BCP le 15 février 1915, passé au 107° le 8 mai 1915, puis au 116° le 22 novembre 1917 (sergent), il est démobilisé le 23 mars 1919.

Il a consigné, quasiment au jour le jour, son emploi du temps pendant toute la guerre.

Cordialement

Bernard.

[Ferns]

Bonsoir,

Témoignage très intéressant. Il était rudement bien documenté pour un caporal brancardier. J'aime bien la dernière petite phrase de Passaga :
"La patrie vous bénira" ou comment l'Etat-Major reprend le lexique religieux pour la bonne cause. On est loin de Sarrail qui mangeait de la viande le Vendredi Saint et bottait le cul de ses subordonnés s'ils allaient à la messe...Dommage qu'il n'ait pas laissé ses impressions personnelles.

Merci Bernard,

Cordialement,

Ferns

[bernard larquetou]

Bonjour à tous,

L'abbé Vatan a également relaté la reprise du fort de Vaux dans le même cahier.

Je vais essayer de trouver du temps pour mettre ce témoignage en ligne, ayant reçu des demandes en MP.

Cordialement

Bernard.

[rslc55]

Bonsoir


Les mémoires de l'abbé Vatan ont-elles été publiées ?

Salutations

Pierre

[bernard larquetou]

Bonjour à tous,
Bonjour Pierre,

Non, ces récits n'ont pas été publiés.

Une de ses petites cousines, qui a retrouvé les cahiers de l'abbé Vatan parmi des souvenirs familiaux, me les a confiés il y a quelques mois, et je transcris les passages que je trouve les plus intéressants.

Cordialement,

Bernard.

[rslc55]

Bonsoir

Merci et bon courage. J'ai fait la même chose avec les carnets d'un ancien poilu. C'était du boulot. Mais quand on aime on ne compte pas.

Salutations

Pierre