23 juin 1916 - lettre aux anciens combattants du 407°

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peyo
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Re: 23 juin 1916 - lettre aux anciens combattants du 407°

Message par peyo »

Retranscription du fascicule imprimé par l'imprimerie L.VERPILAT de Lons le Saunier qui porte le N°4727 concernant la bataille du 23 juin 1916 "la victoire oubliée"

Lons le Saunier 25 octobre 1925
Lettre du Colonel ALLAIN
Aux Anciens Combattants du 407°

La bataille de Verdun est un des grands épisodes de la guerre
Deux dates ont été particulièrement critiques : le 21 février 1916 où la surprise ennemie nous mit en danger et le 23 juin jour de l’assaut final qui fut peut-être le plus furieux de tous.
Dans la seconde quinzaine de juin, les troupes françaises avaient été en partie transportées dans l’Ouest pour la préparation de la bataille de la Somme qui commencera le premier juillet. Le front de Verdun se trouve moins gardé, les renforts sont loin. Aussi le Kronpritz fait-il le 23 juin son effort suprême.
S’il réussit à percer c’est un triomphe sans égal. Non seulement il enlèvera une place qui est déjà devenue légendaire, mais encore il bouleversera le plan des alliés qui devront abandonner la Somme pour tacher de contenir les Allemands envahissant l’Est de la France.
La bataille du 23 juin, appelée souvent bataille de Souville, a été ignorée du public pendant longtemps. Je ne veux pas rechercher pourquoi, car il ne rentre pas dans mon rôle de dénoncer les responsabilités. Je constate que c’est seulement depuis deux ou trois ans que le 23 juin est célébré comme un des grands anniversaires de la guerre. Un monument a été érigé sur les lieux du combat. M. le Président Poincaré a lui-même présidé la première cérémonie commémorative. Le Maréchal Petain en prononçant récemment l’éloge funèbre du Général Mangin, lui a fait gloire d’avoir commandé les troupes qui ont défendu Souville le 23 juin.
Malgré ces discours et ces cérémonies, l’histoire de la bataille n’est pas encore faite, officiellement du moins. Seul, M. le Président Poincaré, dans son discours, a signalé qu’au moment même, où les Allemands ayant percé le front de deux des 3 Régiments de la 130° Division placés devant Souville, montaient joyeusement vers le fort, en poussant des hurrahs de victoire, ils furent arrêtés par une contre attaque organisée par le Colonel du 3° Régiment de la Division qui les prit de flanc et déchaîna la panique dans leurs rangs.
Ce Régiment c’est le 407° d’infanterie, le Régiment des Franc - Comtois, qui, ce jour là, montrèrent qu’ils étaient toujours dignes de leur vielle devise : « Comtois, rends-toi – Nenni, ma foi ». Comme leurs ancêtres, ils firent leur devoir jusqu’au bout.
On ne peut plus nier aujourd’hui que le 407° ait sauvé Verdun. Le fait a été connu sur le moment de tous ceux qui ont pris part à l’affaire. Il a été proclamé dans la citation de la Division donnée au Colonel du 407°, au début de juillet 1916. Il n’est pas contesté dans les citations à l’Armée accordées cinq mois plus tard aux deux Généraux commandant les brigades de la 130° Division. Il est attesté enfin par le discours de M. Poincaré, qui, comme Président de la République, a su toute la vérité.
J’ai raconté dans ses détails l’histoire du 407° à la bataille du 23 juin. Les officiers et les hommes de mon Régiment ont été ce jour plus magnifiques encore que d’habitude, si c’est possible.
Je ne peux pas me rappeler sans émotion ce qu’était le 407°. Hommes et officiers également animés de l’esprit du devoir, pleins de confiance les uns des autres. Les hommes sachant qu’on ne leur demanderait aucun effort qui ne fût nécessaire et que les sacrifices inutiles leur seraient épargnés les officiers certains que la consigne serait exécutée jusqu’au bout et que personne ne jetterait un regard en arrière. Le Régiment en était arrivé à faire une véritable famille dans laquelle chacun se sentait soutenu et encouragé par les camardes, et luttait avec émulation pour mieux servir le pays.
Ces hommes s’étaient déjà distingués à Vimy, en septembre 1915, et avaient mérité, à une époque où cette récompense était rare, une citation à l’ordre de l’armée qui motivait leur légitime fierté :
« Régiment composé en majeure parie de jeunes soldats de la classe 1915 ; s’est rapidement élevé à la hauteur de ses aînés sous l’impulsion de son chef le Colonel Allain. A pris part à l’attaque d’une position très fortement organisée, devant laquelle plusieurs attaques avaient échoué ; a montré dans cette circonstance un entrain admirable qui lui a permis d’enlever trois lignes successives de tranchées en faisant de nombreux prisonniers. Relevé après plusieurs jours de combat, le 407° Régiment d’Infanterie a donné à tous, par son attitude crâne et décidée, l’impression d’une troupe de premier ordre et prête à reprendre la lutte. »
Le 23 juin le 407° a fait encore mieux qu’à Vimy. Il est inutile que je retrace les phases de la bataille pour mes anciens soldats.
Ceux des braves qui ont échappé à l’ouragan de fer et de feu qui a fondu sur le 407° n’oublierons jamais ce qui s’est passé.
Le 1°,le 2° et le 3° bataillon engagés en première ligne dès le début de la bataille, ont essuyé une attaque violente et acharnée. La troupe voisine a succombé, mais les braves du 407° ont tenu par un prodige de courage et de ténacité.
Jamais on ne rendra un hommage suffisant à l’héroïsme de cette phalange de Franc Comtois qui ne s’est pas laissé entamer et qui, en dépit des vides creusés dans ses rangs, a frappé si dur et si fort que l’élan de l’ennemi, dix fois supérieur en nombre s’est brisé sur les lignes du 407°. C’est cette admirable conduite des trois bataillons en ligne qui m’a permis de conserver ma liberté de manœuvre et d’organiser avec les hommes des services et quelques éléments disponibles la contre attaque que j’ai jetée sur le flanc de l’ennemi au moment où, profitant du vide laissé à notre gauche par les régiments qui avaient plié, il amorçait le mouvement tournant qui nous aurait pris par derrière.
M. le Président Poincaré a rendu hommage à la charge de cette poignée de braves qui, lancés de mon poste de commandement, ont arrêté les Allemands alors que ceux-ci croyaient déjà la journée gagnée et les ont forcés à tourner casaque.
Je le répète avec orgueil que le 407° a accompli ce jour là un des beaux faits d’armes de la guerre.
Or, quels honneurs ont été rendus à mes héros Franc Comtois ?
J’ai la tristesse de répondre : aucun.
Les Allemands montaient en triomphe vers Souville par la percée faite à notre gauche. Souville pris, Verdun ne résistait plus.
Qui peut dire quelles auraient été les conséquences de la perte de Verdun et quelle influence cet événement aurait eu sur l’issue de la guerre ?
Le 407° a brisé l’attaque à l’heure même où elle paraissait victorieuse. Chacun des hommes qui composaient le Régiment a droit à sa part d’honneur. Nous comprenons qu’il est impossible d’accorder à tous une récompense individuelle. Mais le Régiment mérite que son exploit soit illustré par la Croix de la Légion d’Honneur décerné au drapeau avec le motif qui convient.
Tous ceux qui ont pris part à la bataille du 23 juin pourront ainsi dire à leurs enfants avec preuve à l’appui « Voilà ce que le 407° a fait et j’étais là »
J’ai la fierté d’avoir commandé cette légion de braves parmi les braves, ces héros Franc Comtois, fils de rudes combattants des batailles des siècles derniers qui quand l’Allemand croyait pouvoir, passer ont su, une fois de plus, répondre : « Nenni ma foi. »
Je ne veux pour moi d’autre récompense que la satisfaction d’avoir été leur chef ; mais je ne peux pas accepter que l’exploit du 407° ne soit pas reconnu et célébré officiellement. Il faut que le gouvernement rende justice au Régiment qui a sauvé Verdun. Je ne me lasserai pas d’adresser mes réclamations à ceux qui ont qualité pour reconnaître le faits d’armes que le 407° a accompli le 23 juin et pour attribuer à son drapeau la récompense qui est due.
Je sais que des hommes d’honneur ont accordé leur concours à l’œuvre que je poursuis, et je remercie au nom de mes camarades du 407° les représentants du département du Jura et du Doubs qui ont bien voulu soutenir la cause de mes poilus. Qu’ils reçoivent l’expression de ma gratitude. Notre député M. Berthod qui a fait la guerre n’a pas oublié le compatriotes dont le sang a été versé devant Verdun pour barrer la route à l’ennemi. Notre sénateur M Charles Dumont a porté la question à la tribune du Sénat. Sa voix chaleureuse a proclamé devant la haute assemblée les droits des survivants du 407°. Le journal officiel nous a appris que le Ministre de la Guerre avait été ému par les paroles de notre Sénateur et, sans les hasards d’une crise ministérielle, nous aurions sans doute aussitôt reçu satisfaction.
Cet effort de nos représentants ne sera pas le dernier.
Que les vaillants qui ont si bien combattu sous mes ordres sachent bien que je n’oublierai pas et que leur ancien Colonel ne connaîtra pas de répit avant que l’histoire véritable de la journée du 23 juin soit écrite sur le drapeau du 407°.
Le Maréchal Pétain a rendu hommage à la conduite du général Mangin devant Souville. La situation était si grave que j’ai reçu un ordre que le haut commandement n’a pas ignoré, ordre m’autorisant au repli.
Je savais ce que voulaient mes troupiers et j’étais sûr que l’Allemand ne passerait pas tant qu’un homme du 407° pourrait tenir un fusil. J’ai mis l’ordre dans ma poche sans le communiquer à qui que ce soit, le 407° a tenu ; il a fait mieux, il a bouché le trou fait à côté de lui.
On refuserait une récompense au Régiment qui a sauvé une situation cependant jugée intenable par le commandement. Je dis que c’est impossible. Les défenseurs légitimes des droits des Franc Comtois survivants du 407° feront en sorte qu’il me soit donné raison.
Colonel ALLAIN

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christophe lagrange
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Re: 23 juin 1916 - lettre aux anciens combattants du 407°

Message par christophe lagrange »

Bonsoir Peyo,

Merci pour cette transcription, qui nous fait partager tes recherches.
Amicalement :hello:
Christophe
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louis cazaubon
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Re: 23 juin 1916 - lettre aux anciens combattants du 407°

Message par louis cazaubon »

Agur Peyo!

Merci pour ce texte-plaidoyer. Je ne connaissais pas l'histoire du 407.

Finalement, Marianne avait-elle fini par donner raison au colonel, et épingler de rouge le drapeau du régiment?

Bien à toi,


Louis
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peyo
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Re: 23 juin 1916 - lettre aux anciens combattants du 407°

Message par peyo »

Bonjour à tous
Louis, malgré d'autres rapports du Colonel ALLAIN le dernier date je crois de 1932 et d'après mes recherches en 1957 cette bande rouge n'était toujours pas attribuée :fou:
Bien amicalement à vous tous :hello:
Peyo
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jbraze
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Re: 23 juin 1916 - lettre aux anciens combattants du 407°

Message par jbraze »

Bonjour à tous,
Bonjour Peyo,

Merci beaucoup pour la transcription de cette intéressante lettre.

J'en profite pour te poser une question : sais-tu combien de soldats du 407e RI ont été tués, blessés ou portés disparus le 23 juin 1916 ?

En effet, il semble y avoir de fortes divergences selon les sources. Joseph Morellet (je crois que c'est lui), agent de liaison au 407e au moment des faits, indique que le régiment, monté en ligne le 21 juin avec 2.800 hommes, était réduit à 1.200 le 23, ce qui représente la perte de 1.600 hommes en seulement 3 jours de combat (ce témoignage est rapporté dans le Verdun de Péricard).

Or, ces chiffres ne collent pas avec ceux de l'historique, qui parle de 1.179 tués, blessés et disparus sur les 15 jours d'occupation du secteur de Vaux-Chapitre par le 407e RI, c'est-à-dire du 13 au 27 juin 1916.

Le JMO, plus précis encore, parle de 150 tués dans la troupe (dont 66 du 13 au 18 juin), 558 blessés (dont 216 du 13 au 18) et 471 disparus (7 du 13 au 18). 38 officiers hors de combat si mes souvenirs sont exacts.

Tu connais sûrement toutes ces données. Qu'en penses-tu ?

Amicalement,

Jean-Baptiste.
"D'autres heures naîtront, plus belles et meilleures / La victoire luira sur le dernier combat / Seigneur, faites que ceux qui connaîtront ces heures / Se souviennent de ceux qui ne reviendront pas"
Sylvain Royé, disparu à Douaumont le 24 mai 1916
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peyo
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Re: 23 juin 1916 - lettre aux anciens combattants du 407°

Message par peyo »

Bonsoir à tous
Bonsoir Jean Baptiste
Le nombre de tués,blessés ou disparus est difficile à évaluer car les données ne sont pas très précises sur le JMO et autres documents par exemple pour les journées du 22 au 28 juin j'ai :
- 8 officiers tués, 13 officiers blessés, 11 disparus ( j'ai retrouvé 7 noms dans des camps de prisonniers)
- 70 hommes de troupe tués 282 blessés et 464 disparus
Le Colonel ALLAIN commandant le 407° cite dans une lettre datant de 1932 écrit " Le régiment payait cher son succès : le nombre de ses morts et blessés s'élévent à 1600 et était supèrieur à celui des autres régiments réunis....." en faisant l'addition on ne doit pas être loin de ces chiffres mais peut-être sur plus de trois jours.
Voilà tous éléments en ma possession
Bonne fin de soirée
Bien Amicalement
Peyo
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