Le cafard...

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dominique rhety
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Re: Le cafard...

Message par dominique rhety »

Peut-etre y a-t'il d'autres temoignages dans vos bibliotheques, qui pourraient confirmer cette baisse insensible mais irresistible du moral juste au debut de l'hiver 14?
Celui-ci, par exemple :
Posté le 28-06-2007 à 21:23:58
Bonsoir,

beau texte en effet, Stéphan, que je ne peux m'empêcher de rapprocher de celui-ci, souvent cité en référence catégorie cafard, extrait du Tube 1233*, pages 133-134, chapitre SIX SEMAINES AU WOLSKOPF :

20 décembre.

Pourquoi donc suis-je aujourd-hui si triste, si las, si découragé ? Je n'ai pourtant pas eu froid cette nuit dans la cabane entre Fran­çois et Arsène. Mais il y a de ces jours d'irrémédiable malaise. Cela vous saisit brusquement, vous étreint, vous angoisse, assombrit toutes choses comme une lourde nuée noire. On ne sait pourquoi. Et c'est ce qui rend cette impression douloureuse, plus inquiétante, pénible comme le sont les pressentiments, ces transes de l'imagination auxquelles, certes, je ne crois pas, mais qui sont étrangement émouvantes.
Aucun malheur précis ne se présente à ma pensée, aucune crainte de mort plus immé­diate pour moi, rien de pire que ce grand risque auquel nous sommes pourtant accoutumés.
Certes, cette pensée-là pour nous est bien un gouffre. Pourtant, ce n'est pas le vertige, dont on ne se défend jamais lorsqu'on se hasarde à le sonder, qui ce matin fait le fond de ma détresse. Ce n'est pas cela qui me trouble si intimement, qui me cause ce désespoir irrémédiable. Est-ce la nos­talgie du passé? Un peu. Est-ce le doute sur mon avenir immédiat, la confiance en ma chance qui s'éclipse un moment ? Un peu aussi. Mais c'est autre chose, un ma­laise intime, indéfinissable, indicible; une étreinte à la gorge, l'attente d'un malheur. C'est on ne sait quoi. C'est une misère de plus parmi tant de misères. On appelle cela le cafard .

* Le Tube 1233, Paul LINTIER, Plon & Nourrit, 1917

Dommage que le milieu du passage soit censuré .

Amicalement .


Message édité par Dominique Rhety le 28-06-2007 à 21:25:19

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Dominique Rhéty
Dominique Rhéty
belge
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Re: Le cafard...

Message par belge »

Bonsoir à tous,
Je ne pense pas que le cafard pouvait frapper toute une unité en même temps, ou alors seulement un groupe pendant une soirée, mais que chaque soldat devait, c'est humain, passer par des périodes de cafard, lorsqu'il se sentait loin de chez lui, que les récoltes dans sa ferme s'annonçaient difficiles sans lui( plusieurs soldats courageux se sont fait fusiller comme déserteurs pour avoir cédé à la tentation de rentrer alors chez eux ) , lorsque les pommiers en fleurs lui rappelaient des souvenirs...ou que sa fiancée ou épouse l'avait quitté...Nous avons, pendant la Drôle de Guerre, renvoyé en permission nombre d'agriculteurs chez eux pour les moissons et avons mis nombre d'autres au service des fermiers locaux en cette même occasion...( en 14, nous avons été de suite plongés dans la guerre, bien plus vite...) Car, pour combattre le cafard, les Autorités ont toujours voulu occuper les soldats :théâtre aux Armées, concerts, ...mais aussi des corvées, des exercices, des défilés, des marches, des entraînements...pendant les repos , de sorte qu'ils n'aient pas le temps de penser et donc de "broyer du noir "...Aux tranchées, il y avait même des journaux
( leurs écrivains et poètes de même que caricaturistes en herbe devinrent parfois célèbres...)...de tranchées, des recueils de chants, des Marraines de Guerre ( jeunes filles volontaires qui écrivaient à un ou des soldats, sans souvent même les connaître personnellement au début...).
Nous avions une chanson : Quand la guerre, nous fait faire des centaines de km, km à pied, que la soif, la marche, assèchent tous les gosiers, tous les gosiers...les Français ont le Vin de France, les Anglais du whiskey plein leur quart, plein leur quart ...nous avons pour nous
l'endurance, nos beaux chants pour chasser le cafard.......
Quant aux fraternisations, elles me semblent procéder d'une autre raison, celle de la prise de conscience de certains de ce que les "gens d'en face " souffraient des mêmes angoisses, misère morale et "ras le bol " qu'eux. Je pense qu'elles n'étaient donc point le fait de soldats
de qui des êtres chers, des amis, le village ou la ville avaient disparu de par l'acte de l'ennemi. Je n'ai point connaissance de ce qu'il y en aurait eues en Belgique en 14 notamment...Mais il est vrai que toute publicité de pareille " trahison" aurait été aussi mauvaise, pour le moral et l'effort de guerre, que celle d'une mutinerie que je pense plutôt être
l'expression d'une révolte que d'un cafard...
Cordialement
Clansman
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Jean-Claude Poncet
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Re: Le cafard...

Message par Jean-Claude Poncet »

Bonsoir,
Le cafard ressenti transparaît dans les poèmes de soldats. La poésie rend bien les sentiments, exprime mieux ce qui ne peut être dit clairement et directement.
Mais nos paysans n'ont pas peur de dire qu'ils ont le cafard, cafard essentiellement dû à la séparation d'avec la fiancée, la jeune épousée, les enfants, les parents, la terre...
Voici un petit brin d'expression de paysan dauphinois, jeune marié très amoureux, inconsolable de ne pas se coucher le soir dans le lit conjugal.
Le 13 septembre 1918
Ma chère petite Fifine,
Je rends réponse à ta gentille lettre, pas de toi, mais c’est toujours comme si c’était toi. C’est ta gentille sœur qui se donne beaucoup de peine pour nous deux et surtout pour toi te soigner. Enfin. Ça me fait grand plaisir qui te soigne bien. Et j’ai pas puis confiance à la pauvre Gabrielle qui supporte tant les peines. Enfin. On la récompensera. Maintenant je vois, pauvre Fifine que tu vas toujours pas bien, ta sœur me dit bien que tu commences à manger mais guère du lait émietté ah ça donne pas beaucoup de force. Enfin. Ne travaille pas sans que tu sois bien guérie. J’ai pas besoin de l’argent pour le moment. Et puis tu sais je peux m’en passer avec le truc que je fais. Alors ne te prive pas pour moi, ça me ferait de la peine. J’aime mieux que ça soit moi, mais n’aie crainte, je crains rien. Tout ce que j’ai c’est toujours ce cafard qui s’en va pas en te sachant ainsi. Enfin. Ne te désole pas. Tu sais que je devais passer chez Blanchard mais le pauvre il est mort de la fièvre espagnole avant-hier à l’ambulance de La Veuve. On l’a regretté tous. On a tous misé pour acheter une couronne et une belle, mais c’est pas ce qui va le revenir. Enfin. Il a fini de souffrir. Il y a Rebut qui y est aussi, mais il va bien mieux. Il s’en sortira lui. Il y a Caillat qui va pas très bien pour le moment mais on a espoir de le sauver quand même. Mais moi je crains rien de ça, je suis plus dur que ça. Je suis en très bonne santé et j’espère que ma présente te trouve toujours de mieux en mieux. Julien te donne bien le bonjour. Il part demain, il est content, plus que moi. Il reviendra aussi avec le cafard. Et moi je l’aurai plus. Les permes ne marchent très bien, il y a déjà la moitié des Poilus de parti. Ça va. Amitiés

émiétté je n'en ai pas la signification exacte mais je pense que c'est du lait sans crème.
Maréchal-des logis Blanchardd Paul Joseph mort de la grippe espagnole à La Veuve (Marne).

Soyez attentifs, certaines négations sont en fait des affirmations.
Cordialement
Jean-Claude
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