Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
- vincent le calvez
- Messages : 1335
- Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
Bonjour à tous,
Jacky Tessier que je remercie infiniment m'a transmis un texte très intéressant sur le périple de Raymond Pître, jeune soldat au 28e RI.
Je livre ici ce récit en épisode. N'hésitez-pas à me faire part de vos remarques.
[g]Huit mois dans les lignes allemandes
Le récit d'un jeune soldat du 28e RI, Raymond Pître,
originaire d'Aveny, canton d'Ecos (Eure) [/g]
Disparu le 27 août 1914, il donne de ses nouvelles le 15 mai 1915
Lorsque l'héroïque armée française vers la fin d'août 1914 dut céder à la pression de l'énorme torrent des Barbares qui avaient envahi la Belgique et le nord de la France, elle battit en retraite à marches forcées de 30 à 40 kilomètres par jour, jusqu'au moment où sur la Marne, elle s'immobilisa comme un mur à la voix du général Joffre.
L'ennemi voulut percer le mur d'airain. Il s'y brisa et dut reculer jusqu'aux endroits où il avait préparé des tranchées dans lesquelles il s'est terré comme le sanglier dans sa bauge.
Les boches se cramponnent, s'accrochent jusqu'au jour où nos poilus les délogeront et dès lors l'Allemagne verra poindre la débâcle fatale.
Alors que nos régiments reculaient à marches forcées, beaucoup de soldats harassés de fatigue, les pieds en sang, durent s'arrêter au revers des routes et furent faits prisonniers.
Il en fut parmi ces braves traînards qui parvinrent à se cacher, puis à se procurer des vêtements civils et ils attendirent le moment propice pour revenir en France. Les journaux nous ont donné les récits de rescapés qui pendant tout le temps où ils demeurèrent dans les lignes allemandes ne purent donner de leurs nouvelles à leurs familles.
Ces derniers jours, nous avons eu la bonne fortune de rencontrer à Evreux un de ces rescapés qui est originaire d'une commune de l'arrondissement des Andelys. Depuis le 15 août, il n'avait pas donné de ses nouvelles à sa famille et c'est seulement le 15 mai dernier, c'est-à-dire après 9 mois que ses parents ont reçu de lui une lettre datée de la Hollande.
Ce rescapé est M. Raymond Pître, âgé de 22 ans, soldat de la classe 1913, dont le père est chef-cantonnier à Aveny, petite commune du canton d'Ecos.
M. Raymond Pître qui appartient au 28e d'infanterie et était caserné lors de la déclaration de la guerre au fort de Daumont (Seine-et-Oise) est un blond normand, aux moustaches à peine naissantes et à la physionomie sympathique. Il porte 18 à 19 ans et de paraître aussi jeune a grandement contribué à sa sécurité dans les lignes allemandes.
Ce jeune soldat actuellement ne se ressent presque plus des privations qu'il a endurées. Il nous a fait le récit de son extraordinaire odyssée. A maintes reprises, il a vu la mort de près, car il a failli être pris par les Allemands et il savait ce qui l'attendait.
"Comme je ne m'étais pas rendu, nous disait-il, je savais que je serais fusillé. Pris pour pris, j'aimais mieux courir la chance de m'échapper un jour à l'autre. J'y ai mis huit mois, mais je suis revenu après avoir vu bien des pays et je compte bien maintenant aller à Berlin !"
Telle est la mentalité du brave petit soldat. A son retour à son dépôt à Evreux, il a été félicité par tous les officiers qui ont eu connaissance de son aventure. Félicitations bien dues à son courage et à sa tenacité.
Dans le récit que nous a fait Raymond Pître, nous supprimons tous les noms, car il ne faut pas que les boches fassent payer aux braves gens qui se sont dévoués à le cacher et à le nourrir, lui et des centaines d'autres soldats dans le même cas, le dévouement dont ils ont fait preuve à tous les instants.
Il y eut hélas ! des lâches cependant. Pître nous a cité une femme qui en mauvais termes avec sa voisine à dénoncé celle-ci aux boches comme donnant asile à 11 anglais.
Les allemands sont arrivés en nombre alors que les anglais mangeaient la soupe. Les 11 anglais ont été fusillés. Le maître de la maison et son fils ont également été fusillés, la femme condamnée à 5 ans de prison et la maison a été brûlée. La dénonciatrice immédiate a reçu - tel Judas - une somme d'argent des Allemands. Se pendra-t-elle comme Judas ? C'est ce qu'elle a de mieux à faire.
La suite dans quelques jours....
Vincent
Jacky Tessier que je remercie infiniment m'a transmis un texte très intéressant sur le périple de Raymond Pître, jeune soldat au 28e RI.
Je livre ici ce récit en épisode. N'hésitez-pas à me faire part de vos remarques.
[g]Huit mois dans les lignes allemandes
Le récit d'un jeune soldat du 28e RI, Raymond Pître,
originaire d'Aveny, canton d'Ecos (Eure) [/g]
Disparu le 27 août 1914, il donne de ses nouvelles le 15 mai 1915
Lorsque l'héroïque armée française vers la fin d'août 1914 dut céder à la pression de l'énorme torrent des Barbares qui avaient envahi la Belgique et le nord de la France, elle battit en retraite à marches forcées de 30 à 40 kilomètres par jour, jusqu'au moment où sur la Marne, elle s'immobilisa comme un mur à la voix du général Joffre.
L'ennemi voulut percer le mur d'airain. Il s'y brisa et dut reculer jusqu'aux endroits où il avait préparé des tranchées dans lesquelles il s'est terré comme le sanglier dans sa bauge.
Les boches se cramponnent, s'accrochent jusqu'au jour où nos poilus les délogeront et dès lors l'Allemagne verra poindre la débâcle fatale.
Alors que nos régiments reculaient à marches forcées, beaucoup de soldats harassés de fatigue, les pieds en sang, durent s'arrêter au revers des routes et furent faits prisonniers.
Il en fut parmi ces braves traînards qui parvinrent à se cacher, puis à se procurer des vêtements civils et ils attendirent le moment propice pour revenir en France. Les journaux nous ont donné les récits de rescapés qui pendant tout le temps où ils demeurèrent dans les lignes allemandes ne purent donner de leurs nouvelles à leurs familles.
Ces derniers jours, nous avons eu la bonne fortune de rencontrer à Evreux un de ces rescapés qui est originaire d'une commune de l'arrondissement des Andelys. Depuis le 15 août, il n'avait pas donné de ses nouvelles à sa famille et c'est seulement le 15 mai dernier, c'est-à-dire après 9 mois que ses parents ont reçu de lui une lettre datée de la Hollande.
Ce rescapé est M. Raymond Pître, âgé de 22 ans, soldat de la classe 1913, dont le père est chef-cantonnier à Aveny, petite commune du canton d'Ecos.
M. Raymond Pître qui appartient au 28e d'infanterie et était caserné lors de la déclaration de la guerre au fort de Daumont (Seine-et-Oise) est un blond normand, aux moustaches à peine naissantes et à la physionomie sympathique. Il porte 18 à 19 ans et de paraître aussi jeune a grandement contribué à sa sécurité dans les lignes allemandes.
Ce jeune soldat actuellement ne se ressent presque plus des privations qu'il a endurées. Il nous a fait le récit de son extraordinaire odyssée. A maintes reprises, il a vu la mort de près, car il a failli être pris par les Allemands et il savait ce qui l'attendait.
"Comme je ne m'étais pas rendu, nous disait-il, je savais que je serais fusillé. Pris pour pris, j'aimais mieux courir la chance de m'échapper un jour à l'autre. J'y ai mis huit mois, mais je suis revenu après avoir vu bien des pays et je compte bien maintenant aller à Berlin !"
Telle est la mentalité du brave petit soldat. A son retour à son dépôt à Evreux, il a été félicité par tous les officiers qui ont eu connaissance de son aventure. Félicitations bien dues à son courage et à sa tenacité.
Dans le récit que nous a fait Raymond Pître, nous supprimons tous les noms, car il ne faut pas que les boches fassent payer aux braves gens qui se sont dévoués à le cacher et à le nourrir, lui et des centaines d'autres soldats dans le même cas, le dévouement dont ils ont fait preuve à tous les instants.
Il y eut hélas ! des lâches cependant. Pître nous a cité une femme qui en mauvais termes avec sa voisine à dénoncé celle-ci aux boches comme donnant asile à 11 anglais.
Les allemands sont arrivés en nombre alors que les anglais mangeaient la soupe. Les 11 anglais ont été fusillés. Le maître de la maison et son fils ont également été fusillés, la femme condamnée à 5 ans de prison et la maison a été brûlée. La dénonciatrice immédiate a reçu - tel Judas - une somme d'argent des Allemands. Se pendra-t-elle comme Judas ? C'est ce qu'elle a de mieux à faire.
La suite dans quelques jours....
Vincent
Site Internet : Adolphe Orange du 28e RI http://vlecalvez.free.fr
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
- mireille salvini
- Messages : 1099
- Inscription : jeu. déc. 15, 2005 1:00 am
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
bonjour à tous
bonjour Vincent,
merci de nous proposer ainsi un récit en plusieurs épisodes,c'est une formule qui me plait beaucoup
on dirait un récit de journaliste,bien dans sa mentalité d'époque avec des phrases très significatives;
ce qui m'étonne un peu ici,c'est le sort réservé à ce jeune soldat à son retour par les militaires,
vu le climat de suspicion et de haute tension,j'aurais plutôt pensé qu'il aurait été considéré comme déserteur ou espion,direction prison voire plus si manque d'affinités...
quand je lis "braves trainards",et "félicité par tous les officiers", je suis un peu perplexe
alors,que s'est-il passé?...vérité ou propagande?
j'attends la suite avec beaucoup de curiosité
amicalement,
Mireille
bonjour Vincent,
merci de nous proposer ainsi un récit en plusieurs épisodes,c'est une formule qui me plait beaucoup

on dirait un récit de journaliste,bien dans sa mentalité d'époque avec des phrases très significatives;
ce qui m'étonne un peu ici,c'est le sort réservé à ce jeune soldat à son retour par les militaires,
vu le climat de suspicion et de haute tension,j'aurais plutôt pensé qu'il aurait été considéré comme déserteur ou espion,direction prison voire plus si manque d'affinités...
quand je lis "braves trainards",et "félicité par tous les officiers", je suis un peu perplexe

alors,que s'est-il passé?...vérité ou propagande?
j'attends la suite avec beaucoup de curiosité

amicalement,
Mireille
- vincent le calvez
- Messages : 1335
- Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
Bonsoir Mireille,
Oui, oui, il s'agit d'un article de presse... Je vois que tu as remarqué les quelques points un peu étonnants de ce récit. Mais attendons la suite...
Bien à toi
Vincent
Oui, oui, il s'agit d'un article de presse... Je vois que tu as remarqué les quelques points un peu étonnants de ce récit. Mais attendons la suite...
Bien à toi
Vincent
Site Internet : Adolphe Orange du 28e RI http://vlecalvez.free.fr
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
- vincent le calvez
- Messages : 1335
- Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
Bonjour à tous,
Voici la suite :
[g]Au milieu des Allemands[/g]
Pour en revenir à notre brave petit soldat, il était parti le 2 août avec son régiment et fit la campagne de Belgique. A Charleroi, il reçut un éclat d'obus dans son sac mais il ne fut pas blessé. Quand le régiment battit en retraite, à raison de 40 kilomètres par jour, Raymond Pître qui avait les pieds en sang fut contraint de s'arrêter en même temps que deux autres soldats du 28e, Robert Thiennot, de Gravigny, près Evreux et Pierre Schwetzer de Paris. Les trois jeunes gens ne devaient plus se quitter pendant plusieurs mois.
"On était au 27 août au matin, on s'était arrêtés tous les trois dans un petit pays du département de l'Aisne, car nous ne pouvions plus marcher. Le pays était à peu près vide d'habitants. Avec nous, il y avait des soldats d'autres régiments et aussi des Anglais. On était bien une cinquantaine. Voilà qu'on voit venir 6 allemands à cheval. On tire dessus, on les descend, mais le "gros" arrive. Des milliers d'hommes. On s'éparpille de tous les côtés. Moi et mes deux copains du 28e, on entre dans une grange à moitié pleine de foin en vrac, formant un tas de 6 mètres de haut. Il y avait une échelle. On grimpe au plus vite et on se cache sous le foin, tout en haut, sous le ravalement du toit. Nous avions tout juste trois biscuits et une boîte de singe.
"Par la tabatière du toit, on voit les troupes allemandes qui arrivent. On s'enfouit sous le foin, après avoir caché nos sacs et nos fusils et pendant trois jours et trois nuits, nous restâmes là, entendant passer sur la route sans un instant d'arrêt, les troupes allemandes qui dévalaient sur Paris. L'artillerie, l'infanterie, les camions automobiles passaient, passaient toujours.
" Le premier jour, on eut une alerte. Des artilleurs entrèrent dans la cour avec leurs chevaux et deux ou trois vinrent dans la grange et montèrent sur le tas de foin dont ils jetaient avec des fourches d'énormes brassées par terre pour leurs chevaux.
"En piquant dans le foin, leurs fourches nous touchèrent presque et je vous assure qu'on retenait son souffle.
"On ne nous découvrit pas et le soir du 3e jour, comme il ne passait plus que des détachements espacés et quelques autos, ou des cyclistes, on décida de partir. Nous avions faim, grand faim, depuis 3 jours qu'on n'avait eu chacun qu'un biscuit à manger et le tiers d'une boîte de singe.
"Avec notre sac et notre fusil, nous partîmes tous les trois, au travers des pâtures où l'on pouvait facilement se dissimuler en cas d'alerte, car tous les prés étaient entourés de grandes haies. Près des chemins, on se terrait au passage des détachements allemands et on arriva sans encombre dans une forêt où il était facile de se cacher, on y passa le reste de la nuit et la matinée du lendemain dans une hutte de bûcheron. Vers midi, comme il fallait trouver de quoi manger, je partis seul à la découverte, vers un petit pays non loin de la lisière du bois. Je visite 2 ou 3 maisons. Rien ni personne. Dans une petite ferme, je trouve des poules, des lapins, des porcs et dans la grange, je découvre 14 à 15 œufs que les poules avaient pondus. Je les prends et je retourne avec mes deux camarades, on gobe les œufs qui nous paraissent délicieux et on revient tous les trois dans la ferme qui paraissait abandonnée.
"L'un de nous était sur la porte de la grange quand viennent à passer un homme et une femme. Ils paraissaient surpris de voir des soldats français. Ils viennent à nous. C'étaient de braves gens. Ils nous préviennent que s'il n'y a pas de troupes dans le pays, par contre, il y passe souvent beaucoup d'officiers qui vont chasser les cerfs, les biches ou les chevreuils qui pullulent dans la forêt. Ils nous indiquent un endroit du bois, presqu'impénétrable ; ils viendront le soir nous apporter à manger, en même temps que des effets civils.
"A 4h. du soir, la femme vient nous apporter à manger, des tartines de pain et du pâté qu'on dévore à belles dents. Elle n'a pas apporté d'effets. Elle nous dit que le maire s'occupe de nous et que dans la nuit, on ira chez elle, pour changer nos effets militaires contre des vêtements civils.
"Ainsi fut fait. Le maire attendait et nous fit enterrer nos effets militaires et nos armes après qu'on se fut mis en civils. On avait des culottes de velours, des gilets de travail et une casquette, mais le maire n'avait pas pu nous trouver de chaussures, ni de chemises, on avait donc gardé nos chemises militaires matriculées et nos godillots et on retourna dans la forêt. La nuit on sortait pour aller au ravitaillement et pour savoir si on pourrait franchir les lignes ennemies pour revenir en France.
"On resta là encore 8 ou 10 jours, toujours sur le qui-vive, mais on n'avançait à rien. On nous apprit alors qu'il y avait dans une autre forêt, des anglais et des soldats français en "pagaille" comme nous. On décida d'aller les rejoindre, car il ne fallait pas songer à aller dans les villes. Les Allemands ramassaient tous les hommes jusqu'à 48 ans et les envoyaient en Allemagne. Sur notre route, on trouva encore de braves gens qui nous donnèrent à manger et on retrouva les autres fugitifs. Il y avait 28 anglais et 12 français.
L'un des soldats français était de Louviers. Je crois qu'il se nommait Taron ou Caron. Les Anglais ne pouvaient pas sortir de la forêt, puisqu'ils ne savaient pas le Français.
Voici la suite :
[g]Au milieu des Allemands[/g]
Pour en revenir à notre brave petit soldat, il était parti le 2 août avec son régiment et fit la campagne de Belgique. A Charleroi, il reçut un éclat d'obus dans son sac mais il ne fut pas blessé. Quand le régiment battit en retraite, à raison de 40 kilomètres par jour, Raymond Pître qui avait les pieds en sang fut contraint de s'arrêter en même temps que deux autres soldats du 28e, Robert Thiennot, de Gravigny, près Evreux et Pierre Schwetzer de Paris. Les trois jeunes gens ne devaient plus se quitter pendant plusieurs mois.
"On était au 27 août au matin, on s'était arrêtés tous les trois dans un petit pays du département de l'Aisne, car nous ne pouvions plus marcher. Le pays était à peu près vide d'habitants. Avec nous, il y avait des soldats d'autres régiments et aussi des Anglais. On était bien une cinquantaine. Voilà qu'on voit venir 6 allemands à cheval. On tire dessus, on les descend, mais le "gros" arrive. Des milliers d'hommes. On s'éparpille de tous les côtés. Moi et mes deux copains du 28e, on entre dans une grange à moitié pleine de foin en vrac, formant un tas de 6 mètres de haut. Il y avait une échelle. On grimpe au plus vite et on se cache sous le foin, tout en haut, sous le ravalement du toit. Nous avions tout juste trois biscuits et une boîte de singe.
"Par la tabatière du toit, on voit les troupes allemandes qui arrivent. On s'enfouit sous le foin, après avoir caché nos sacs et nos fusils et pendant trois jours et trois nuits, nous restâmes là, entendant passer sur la route sans un instant d'arrêt, les troupes allemandes qui dévalaient sur Paris. L'artillerie, l'infanterie, les camions automobiles passaient, passaient toujours.
" Le premier jour, on eut une alerte. Des artilleurs entrèrent dans la cour avec leurs chevaux et deux ou trois vinrent dans la grange et montèrent sur le tas de foin dont ils jetaient avec des fourches d'énormes brassées par terre pour leurs chevaux.
"En piquant dans le foin, leurs fourches nous touchèrent presque et je vous assure qu'on retenait son souffle.
"On ne nous découvrit pas et le soir du 3e jour, comme il ne passait plus que des détachements espacés et quelques autos, ou des cyclistes, on décida de partir. Nous avions faim, grand faim, depuis 3 jours qu'on n'avait eu chacun qu'un biscuit à manger et le tiers d'une boîte de singe.
"Avec notre sac et notre fusil, nous partîmes tous les trois, au travers des pâtures où l'on pouvait facilement se dissimuler en cas d'alerte, car tous les prés étaient entourés de grandes haies. Près des chemins, on se terrait au passage des détachements allemands et on arriva sans encombre dans une forêt où il était facile de se cacher, on y passa le reste de la nuit et la matinée du lendemain dans une hutte de bûcheron. Vers midi, comme il fallait trouver de quoi manger, je partis seul à la découverte, vers un petit pays non loin de la lisière du bois. Je visite 2 ou 3 maisons. Rien ni personne. Dans une petite ferme, je trouve des poules, des lapins, des porcs et dans la grange, je découvre 14 à 15 œufs que les poules avaient pondus. Je les prends et je retourne avec mes deux camarades, on gobe les œufs qui nous paraissent délicieux et on revient tous les trois dans la ferme qui paraissait abandonnée.
"L'un de nous était sur la porte de la grange quand viennent à passer un homme et une femme. Ils paraissaient surpris de voir des soldats français. Ils viennent à nous. C'étaient de braves gens. Ils nous préviennent que s'il n'y a pas de troupes dans le pays, par contre, il y passe souvent beaucoup d'officiers qui vont chasser les cerfs, les biches ou les chevreuils qui pullulent dans la forêt. Ils nous indiquent un endroit du bois, presqu'impénétrable ; ils viendront le soir nous apporter à manger, en même temps que des effets civils.
"A 4h. du soir, la femme vient nous apporter à manger, des tartines de pain et du pâté qu'on dévore à belles dents. Elle n'a pas apporté d'effets. Elle nous dit que le maire s'occupe de nous et que dans la nuit, on ira chez elle, pour changer nos effets militaires contre des vêtements civils.
"Ainsi fut fait. Le maire attendait et nous fit enterrer nos effets militaires et nos armes après qu'on se fut mis en civils. On avait des culottes de velours, des gilets de travail et une casquette, mais le maire n'avait pas pu nous trouver de chaussures, ni de chemises, on avait donc gardé nos chemises militaires matriculées et nos godillots et on retourna dans la forêt. La nuit on sortait pour aller au ravitaillement et pour savoir si on pourrait franchir les lignes ennemies pour revenir en France.
"On resta là encore 8 ou 10 jours, toujours sur le qui-vive, mais on n'avançait à rien. On nous apprit alors qu'il y avait dans une autre forêt, des anglais et des soldats français en "pagaille" comme nous. On décida d'aller les rejoindre, car il ne fallait pas songer à aller dans les villes. Les Allemands ramassaient tous les hommes jusqu'à 48 ans et les envoyaient en Allemagne. Sur notre route, on trouva encore de braves gens qui nous donnèrent à manger et on retrouva les autres fugitifs. Il y avait 28 anglais et 12 français.
L'un des soldats français était de Louviers. Je crois qu'il se nommait Taron ou Caron. Les Anglais ne pouvaient pas sortir de la forêt, puisqu'ils ne savaient pas le Français.
Site Internet : Adolphe Orange du 28e RI http://vlecalvez.free.fr
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
- mireille salvini
- Messages : 1099
- Inscription : jeu. déc. 15, 2005 1:00 am
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
bonjour à tous
bonjour Vincent,
merci pour cette suite assez étonnante
mais... j'ai quand même l'impression que c'est enjolivé ces aventures
c'est l'histoire de la grange à foin qui me fait surtout dire ça,on dirait une aventure de cinéma
parce que rester 3 jours à respirer la poussière et l'odeur d'émanation de toute cette masse,en ne se plaignant pas de la soif (mais que de la faim ),et encore moins de toux,d'irritation,c'est assez fort
sans compter l'histoire des fourches....
à part ça, j'ai noté autre chose d'intéressant :"les chemises militaires matriculées"
les militaires d'aujourd'hui ont tous leur nom écrit sur leur tenue (moi aussi d'ailleurs
)
-à l'époque,ce n'était pas l'usage,mais apparamment les chemises étaient marquées du numéro matricule du soldat?........est-ce certain?...je n'avais jamais entendu ça auparavant...n'est-ce pas plutôt un sigle standard de l'armée ?
-pour ma culture générale,à partir de quand est apparu le "badge" nominatif sur les uniformes militaires?
merci à ceux (celles) qui pourront me répondre
en attendant,je guetterai la suite avec beaucoup de curiosité,car je crois que Raymond nous réserve d'autres surprises
amicalement,
Mireille
bonjour Vincent,
merci pour cette suite assez étonnante

mais... j'ai quand même l'impression que c'est enjolivé ces aventures
c'est l'histoire de la grange à foin qui me fait surtout dire ça,on dirait une aventure de cinéma
parce que rester 3 jours à respirer la poussière et l'odeur d'émanation de toute cette masse,en ne se plaignant pas de la soif (mais que de la faim ),et encore moins de toux,d'irritation,c'est assez fort
sans compter l'histoire des fourches....
à part ça, j'ai noté autre chose d'intéressant :"les chemises militaires matriculées"
les militaires d'aujourd'hui ont tous leur nom écrit sur leur tenue (moi aussi d'ailleurs

-à l'époque,ce n'était pas l'usage,mais apparamment les chemises étaient marquées du numéro matricule du soldat?........est-ce certain?...je n'avais jamais entendu ça auparavant...n'est-ce pas plutôt un sigle standard de l'armée ?
-pour ma culture générale,à partir de quand est apparu le "badge" nominatif sur les uniformes militaires?
merci à ceux (celles) qui pourront me répondre
en attendant,je guetterai la suite avec beaucoup de curiosité,car je crois que Raymond nous réserve d'autres surprises
amicalement,
Mireille
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
Bonjour,
Eh bien moi j'attends la suite avec impatience, et je pense que cette histoire est aussi vraisemblable que d'autres aventures décrites ici ou là.
Bonne journée,
Florence
Eh bien moi j'attends la suite avec impatience, et je pense que cette histoire est aussi vraisemblable que d'autres aventures décrites ici ou là.
Bonne journée,
Florence
- bernard larquetou
- Messages : 1337
- Inscription : mer. oct. 05, 2005 2:00 am
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
Bonjour à toutes et à tous,
Mouais.... c'est bien écrit, mais je suis comme Mireille, certains points, certaines situations me laissent rêveur !
Bien sûr, l'histoire de la grange et des coups de fourche dans le foin nous rappellent à tous des images vues et revues. Encore que notre héros n'avait pas dû en voir beaucoup à l'époque....
Mais l'histoire est belle et mérite d'être contée jusqu'au bout.
Merci Vincent.
Cordialement
BL
Mouais.... c'est bien écrit, mais je suis comme Mireille, certains points, certaines situations me laissent rêveur !
Bien sûr, l'histoire de la grange et des coups de fourche dans le foin nous rappellent à tous des images vues et revues. Encore que notre héros n'avait pas dû en voir beaucoup à l'époque....
Mais l'histoire est belle et mérite d'être contée jusqu'au bout.
Merci Vincent.
Cordialement
BL
- vincent le calvez
- Messages : 1335
- Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
Bonsoir à tous,
Allez, quelques pages des aventures de notre jeune Normand :
[g]De forêt en forêt[/g]
"Nous autres 15, tous en civil, sous les ordres d'un sergent, on marchait la nuit par deux ou trois pour se ravitailler mais les Anglais s'étaient trop montrés. On apprit que les Allemands allaient faire une battue et tous les quarante, on déguerpit vers l'autre forêt d'où nous venions. Là les gens du pays voisin nous ravitaillaient. Tous les jours, on nous apportait dans un débit à 2 kil. de la lisière du bois, un pot de 20 litres de lait, des pommes de terre, du pain. Nous avions affaire à de braves gens bien dévoués.
"Un jour que j'étais de corvée avec Schwetzer pour aller au ravitaillement, il nous survint une aventure. On entrait dans le débit, quand sur la route, on voit arriver une auto, avec 4 ou 5 officiers allemands. Ils revenaient de la chasse dans la forêt et l'auto s'arrête devant la porte du débit. La débitante nous dit : "Vite, asseyez-vous, je vais vous servir un verre de cidre comme à des consommateurs !" On s'assied tous les deux et les officiers entrent. L'un deux était le chef de la kommandantur d'un pays voisin. Il s'assied à côté de moi et me fixant, il me dit "Toi soldat !" - "Non, que je lui réponds, je suis trop jeune, j'ai 18 ans !" - "Tu es français !" - "Pour sûr que je suis français que je réplique"- "Si tu étais anglais !" et en roulant des yeux furieux, il me prend à la gorge et me met le poing sous le nez. Moi pendant ce temps je fermais soigneusement mon gilet pour cacher le matricule de ma chemise. Un homme du pays étant entré, nous a parlé à tous deux en nous appelant par notre petit nom. C'était pour que le boche n'eût pas de soupçons. Vous pensez si le verre bu on s'est défilés rapidement, sans le ravitaillement, malheureusement. On retourna le soir chercher les victuailles.
"Le commandant boche avait dû avoir des doutes par la suite, car deux jours après, un de nous en éclaireur en bordure du bois nous prévint que les soldats boches, il y en avait bien 200, venaient vers la forêt. Ils voulaient faire une battue. Chacun tira de son côté et l'on dut abandonner toute la nourriture qu'on avait gardée en réserve. Toujours nous trois et 6 anglais qui s'étaient joints à nous, on partit à l'aventure. On était trop nombreux et on quitta les Anglais.
Bonne soirée
Vincent
Allez, quelques pages des aventures de notre jeune Normand :
[g]De forêt en forêt[/g]
"Nous autres 15, tous en civil, sous les ordres d'un sergent, on marchait la nuit par deux ou trois pour se ravitailler mais les Anglais s'étaient trop montrés. On apprit que les Allemands allaient faire une battue et tous les quarante, on déguerpit vers l'autre forêt d'où nous venions. Là les gens du pays voisin nous ravitaillaient. Tous les jours, on nous apportait dans un débit à 2 kil. de la lisière du bois, un pot de 20 litres de lait, des pommes de terre, du pain. Nous avions affaire à de braves gens bien dévoués.
"Un jour que j'étais de corvée avec Schwetzer pour aller au ravitaillement, il nous survint une aventure. On entrait dans le débit, quand sur la route, on voit arriver une auto, avec 4 ou 5 officiers allemands. Ils revenaient de la chasse dans la forêt et l'auto s'arrête devant la porte du débit. La débitante nous dit : "Vite, asseyez-vous, je vais vous servir un verre de cidre comme à des consommateurs !" On s'assied tous les deux et les officiers entrent. L'un deux était le chef de la kommandantur d'un pays voisin. Il s'assied à côté de moi et me fixant, il me dit "Toi soldat !" - "Non, que je lui réponds, je suis trop jeune, j'ai 18 ans !" - "Tu es français !" - "Pour sûr que je suis français que je réplique"- "Si tu étais anglais !" et en roulant des yeux furieux, il me prend à la gorge et me met le poing sous le nez. Moi pendant ce temps je fermais soigneusement mon gilet pour cacher le matricule de ma chemise. Un homme du pays étant entré, nous a parlé à tous deux en nous appelant par notre petit nom. C'était pour que le boche n'eût pas de soupçons. Vous pensez si le verre bu on s'est défilés rapidement, sans le ravitaillement, malheureusement. On retourna le soir chercher les victuailles.
"Le commandant boche avait dû avoir des doutes par la suite, car deux jours après, un de nous en éclaireur en bordure du bois nous prévint que les soldats boches, il y en avait bien 200, venaient vers la forêt. Ils voulaient faire une battue. Chacun tira de son côté et l'on dut abandonner toute la nourriture qu'on avait gardée en réserve. Toujours nous trois et 6 anglais qui s'étaient joints à nous, on partit à l'aventure. On était trop nombreux et on quitta les Anglais.
Bonne soirée
Vincent
Site Internet : Adolphe Orange du 28e RI http://vlecalvez.free.fr
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
- vincent le calvez
- Messages : 1335
- Inscription : mer. nov. 10, 2004 1:00 am
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
Rebonsoir,
Je poste ici un extrait du JMO du 28e RI pour tenter de recadrer le récit dans le contexte de la retraite :

Remarquez le cas des soldats restés endormis : s'agit-il de nos trois soldats ?
Bien à vous
Vincent
Je poste ici un extrait du JMO du 28e RI pour tenter de recadrer le récit dans le contexte de la retraite :

Remarquez le cas des soldats restés endormis : s'agit-il de nos trois soldats ?
Bien à vous
Vincent
Site Internet : Adolphe Orange du 28e RI http://vlecalvez.free.fr
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
En ce moment : le 28e RI à Sissonne en octobre 1918 http://vlecalvez.free.fr/nouveaute.html
- mireille salvini
- Messages : 1099
- Inscription : jeu. déc. 15, 2005 1:00 am
Re: Huit mois dans les lignes allemandes, Raymond Pître I
bonjour à tous
bon alors Vincent,j'aimerais bien savoir la suite moi,parce que ça fait un petit moment qu'on est sans nouvelles de Raymond et de ses aventures
c'est pas bien de jouer avec le moral des troupes (des fans)
à part ça....merci pour l'extrait du J.M.O.:ça fait drôle de voir "soldats endormis"...dans quel état d'épuisement ils devaient être pour que les officiers écrivent cela aussi simplement,sans cacher la vérité,ni les conséquences
amicalement,
Mireille
bon alors Vincent,j'aimerais bien savoir la suite moi,parce que ça fait un petit moment qu'on est sans nouvelles de Raymond et de ses aventures

c'est pas bien de jouer avec le moral des troupes (des fans)

à part ça....merci pour l'extrait du J.M.O.:ça fait drôle de voir "soldats endormis"...dans quel état d'épuisement ils devaient être pour que les officiers écrivent cela aussi simplement,sans cacher la vérité,ni les conséquences
amicalement,
Mireille