L'ami Burth
27 août 1914
6 h 15 du soir
Ma Chère Maman,
Mon Cher Abel,
A la hâte, je vous envoie ces quelques lignes afin de vous rassurer sur mon sort.
Vous avez dû apprendre par les journaux que le 6e corps avait été engagé tout entier ces jours-ci. Vous avez dû apprendre également que les Bataillons de Chasseurs avaient été particulièrement éprouvés. En ce qui concerne le Bataillon, les pertes s’élèvent à près de 700 hommes dont 5 capitaines*. Notre Bataillon [le 26e]est un de ceux qui a eu le plus de pertes.
Quant à moi, je suis sain et sauf. Mes mitrailleurs également. Un seul a reçu un éclat d’obus dans la fesse, mais ce n’est pas grave puisqu’il a continué à assurer son service.
En ce moment-ci, nous nous reposons à l’abri des forts de Verdun. Dans quelques jours, nous nous reporterons en avant, pour ne pas reculer nous l’espérons tous.
J’ai rencontré Mr Jacquenet le libraire de la rue d’Alésia. Nous nous sommes reconnus simultanément et serrés la main.
Pour remettre le Bataillon en mains, nous recevons à l’instant 500 réservistes. Burth fait partie du nombre. J’en suis très content.
Au revoir,
Bonjour à tous et courage,
Edouard
* Parmi eux, le capitaine Bécourt, gendre du maréchal Foch
__________
Edouard va effectivement entretenir son amitié avec Burth dans la promiscuité des tranchées des Hauts de Meuse pendant quelques mois. Il se feront photographier ensemble près de leur abri et je ne désespère pas de découvrir un jour cette photo.Amitié malheureusement brutalement rompue...
Bonne lecture,
Frédéric Avenel
__________
Mercredi le 24 Mars 1915
36, rue Chevert
Cher Monsieur,
Frappés de douleur par la mort de notre pauvre Henri et vous sachant un de ses amis, je prends la liberté de vous écrire et de vous demander si vous pouvez nous donner quelques détails sur sa mort.
Où a-t-il été enterré ? S’est-il vu mourir ?
Tous dans la désolation, quelques renseignements sur sa triste fin serait pour Madame Burth, sa mère et moi sa sœur, une bien légère consolation à notre douleur. Nous serions bien heureux si nous pouvions faire revenir son corps et l’enterrer ici près des siens.
Excusez-moi cher Monsieur, et sachez que quelques lignes de vous seront pour nous un grand réconfort.
Recevez cher Monsieur, mes remerciements anticipés ainsi que ceux de Madame Burth sa veuve et de sa mère.
Eva Sponville
36 rue Chevert
25 Mars 1915
Mon cher Edouard,
Je suis comme toi navré d’apprendre la mort de notre pauvre ami Burth en même temps que révolté de voir une balle stupide tirée froidement à 200 mètres peut-être, venir faucher un garçon de cette valeur et une intelligence si vive.
Bien que séparé de lui pendant cette guerre, j’en suis gravement touché car c’était pour moi un véritable ami.
J’ai pris toutes les mesures pour que sa femme et sa mère soient averties avec tous les ménagements. Mon amie allait les voir régulièrement et je l’ai chargée de cette triste mission et je me charge moi-même d’avertir sa marraine, Madame Maes qui doit toujours habiter Lagny.
Tu as peut-être su par Burth que j’ai perdu moi-même mon frère**, officier d’active qui venait d’être promu capitaine. Tout le monde est touché dans ses affections dans cette terrible guerre.
Burth m’avait paru un peu désabusé dans sa dernière lettre. Il est certain que les résultats ne sont pas toujours en rapport avec les sacrifices. Il faut peut-être admettre que ce n’est pas sur notre front que se dérouleront maintenant les évènements décisifs.
Burth me parlait de toi et du capitaine Buchet. Transmets lui mon souvenir. Encore un qui a dû être vivement touché. Ils vivaient presque ensemble. Burth avait de la sympathie pour lui et dans cette vie côte à côte, ce devait être réciproque.
Quoique j’ai été souvent paresseux pour écrire à Burth, je serai heureux de correspondre avec toi et d’avoir ainsi de tes nouvelles et de celles du 26 que je n’oublie pas.
Pour les affaires personnelles de Burth, vous devez avoir son adresse. Je sais seulement que sa maison de commerce était 7 rue Froimont. Je vais savoir l’autre du reste en cas de besoin. Ses affaires seront à renvoyer je pense à sa femme s’il n’avait pas donné d’instructions particulières.
Ici, nous jouissons d’un secteur relativement bien calme : peu d’obus et une distance de 300 à 800 mètres, mais nous y moisissons.
Au revoir mon cher Edouard. Je ne désespère pas malgré tout de te retrouver. Nous pouvons et devons avoir confiance et crois à ma bien sincère amitié.
André Lecomte
** Victor Lecomte, capitaine au 163e RI, tué le 15 décembre 1914
5 avril 1915
Mon cher Edouard,
Deux mots pour te dire que j’ai reçu des nouvelles de Paris du beau frère de Burth et de Me Maes sa marraine de Lagny. L’on était déjà au courant par la mairie de la triste nouvelle.
Peux-tu me donner un renseignement sur ce qu’on a fait de ses affaires personnelles : portefeuille et papiers que Burth portait sur lui ? Je pense que sa femme pourra les ravoir par le dépôt de Vincennes. Si vous les avez encore au Bataillon, vous pourriez les envoyer directement à Me Burth, 14 rue Mayet.
Je t’écrirai bientôt plus longuement.
Bien à toi,
A. Lecomte
__________
André Lecomte sera tué lui aussi le 13 juillet suivant...
__________
Paris, le 7 avril 1915
36 rue Chevert
Cher Monsieur,
Si la mort de mon frère est pour nous la cause d’un grand chagrin, grâce à votre amabilité vous avez atténué un peu notre peine en nous donnant les détails sur les derniers moments d’Henri.
Sa femme, sa mère et moi sommes, dans notre douleur, heureuses de savoir qu’il n’a pas eu le temps de songer aux peines et ennuis qu’il laisserait derrière lui et que nous pourrons un jour ramener son corps près de nous tous.
C’est donc de tout cœur que nous vous remercions toutes trois ainsi que mon mari bien sincèrement de ce que vous avez fait pour notre cher disparu. Nos sincères remerciements aussi pour monsieur le lieutenant Ferry qui nous a fait parvenir les photographies et clichés d’Henri. Henri n’avait pas été photographié depuis son enfance. Voyez ce que ces photos représentent pour nous.
Monsieur André Lecomte s’était bien acquitté de nous prévenir aussi délicatement que possible du malheur qui nous frappait, mais l’avis officiel était arrivé avant.
Mercredi 24 Mars, ma mère se trouvait seule chez elle, ma belle sœur étant sortie, lorsqu’un Monsieur de la mairie est venu la demander. Ma pauvre maman était loin de penser au terrible malheur qu’on venait lui annoncer. Les lettres d’Henri qu’il écrivait quotidiennement à sa femme étant toujours pleines d’espoir et de confiance, nous avaient donné à nous aussi l’espoir qu’il échapperait au triste sort et qu’il nous reviendrait. Seul mon mari connaissait par lui exactement la position dangereuse d’Henri et de vous tous. Ma mère m’a fait appeler aussitôt et lorsque la femme d’Henri est rentrée, j’ai eu le douloureux devoir de lui annoncer la triste nouvelle. Pauvre petite restée seule aussi jeune et perdre un soutien dont vous connaissez aussi bien que moi toutes les qualités.
Nous étions tous prévenus lorsque la lettre d’André Lecomte est arrivée.
C’est donc pour sa femme, sa mère et moi que je viens vous remercier et mon mari se joint à nous.
Que Dieu vous protège et évite à ceux qui vous sont chers le chagrin de vous perdre.
Recevez cher Monsieur, tous nos bons vœux et l’assurance de notre sincère sympathie.
Eva Sponville