Premiers engagements
Bonjour à tous,Comme pour apporter une confirmation de réponse au récent message d'Alain Chaupin , Edouard a bien été engagé avec sa section de mitrailleuses dès le début des hostilités. La censure n'était pas encore ce qu'elle allait être quelques temps plus tard et nous pouvons profiter de ses récits au travers de ses lettres.
Bonne lecture,
Frédéric Avenel
Pont-à-Mousson, le 1 août 1914
Ma chère Maman,
Mon cher Abel,
Je reçois ta lettre à l’instant, je suis très étonné que vous n’ayez pas reçu ma dernière lettre.
Ici, la situation est changée totalement. Nous avons mobilisé complètement. Depuis deux jours nous sommes sur pied de guerre et depuis hier le Bataillon a pris les avants-postes. Pour mon compte, je me trouve actuellement à l’Hôtel de la Poste où l’on a abrité la mitrailleuse. Hier soir à minuit, on a rappelé les réservistes, beaucoup de ceux-ci sont déjà partis rejoindre les compagnies.
Je ne veux pas vous cacher que la situation est grave. On s’attend à marcher un jour ou l’autre que dis-je d’une minute à l’autre. Pont-à-Mousson est complètement en l’air. Le commerce ne fonctionne plus. Tous les habitants se promènent dans les rues. Ils n’ont pas l’air gais je vous assure et les femmes pleurent toutes. Les paysans des environs arrivent tous ici avec quantité de bagages. En somme c’est tout-à-fait l’image de la guerre avec cette différence que demain nous serons dans la réalité.
Surtout ne vous faites pas de mauvais sang. Acceptez, je ne vous dirais pas joyeusement, la situation telle qu’elle est. Certainement il y aura du danger. Mais efforcez-vous de n’y pas songer.
L’état moral du Bataillon est extraordinaire. Tous les chasseurs sont contents. Pour eux c’est une partie de plaisir.
Seulement, à noter un petit incident assez pénible. Hier soir au moment de partir dans la cour du quartier à 7 heures, un officier des chasseurs à cheval s’est affaissé brusquement. Est-ce l’émotion, est-ce la peur ? Je ne sais. Toujours est-il que les chasseurs ont été vivement impressionnés par cet incident. Tout est arrangé et quelques instants après, cet officier franchissait la porte du quartier à la tête de son peloton, un peu pâle il est vrai, mais tout de même à son poste.
Je termine. Excusez mon écriture, je suis pressé et je dispose de peu de temps pour mon compte personnel. Comme je vous le disais sur ma dernière lettre, je tâcherai de vous écrire souvent, mais il pourrait se faire que mes lettres n’arrivent point.
Au revoir et encore une fois pas d’émotion, il n’y a pas lieu. Je vous embrasse tous.
Edouard
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Pont-à-Mousson, le 4 août 1914
Ma chère Maman,
Mon cher Abel,
Jusqu’à présent, toujours rien de nouveau.
Les évènements cependant se précipitent. Les allemands ont pénétré en territoire français. Ce soir nous avons eu un chasseur à cheval de tué*. Nous attendons.
Les Cies du Bataillon sont portées au Nord et à l’Est de Pont-à-Mousson. Toutes nos précautions sont prises pour les recevoir.
La section de mitrailleuses est toujours à l’hôtel de la Poste.
Excusez ma brièveté.
De Paris nous ne savons rien. Nous sommes dans un complet état d’isolement.
Je vous embrasse tous.
Edouard
* Le 26e BCP et le 1er escadron du 12e Régiment de Chasseurs à Cheval partageaient la même caserne à Pont-à-Mousson. Il s'agit du cavalier Pouget dont il a été récemment question ICI
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Pont-à-Mousson, le 8 août 1914
Ma chère Maman,
Mon cher Abel,
Toujours rien de nouveau. Ce matin, à 4h30 nous avons été alertés et la mitrailleuse s’est portée sur le Mousson. Mais c’était une fausse alerte et une heure après nous nous retrouvions de nouveau à l’hôtel de la Poste.
Du côté de Pagny-sur-Moselle, Mars-la-Tour, le canon tonne. C’est le notre qui tire sur les forts avancés de la place de Metz.
Nous faisons toujours des prisonniers. Mon lieutenant est monté sur un cheval pris à un lieutenant saxon, lieutenant qui a été blessé grièvement, fait prisonnier et que l’on soigne actuellement à l’hôpital.
Voici mon adresse
Sgt P.
26 Bon chasseurs
section de mitrailleuses
79e brigade
40e division
6e corps d’armée
Je vous embrasse tous.
Edouard
Les alentours de Pont-à-Mousson sont défendus merveilleusement. Les allemands peuvent venir.
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Pont-à-Mousson, le 8 août 1914
Ma chère Maman,
Mon cher Abel
Je viens de recevoir votre lettre datée du 1er août.
J’espère que vous avez reçu les miennes.
Nous sommes toujours à Pont-à-Mousson et moi à l’hôtel de la Poste.
L’autre jour, la section de mitrailleuses a été faire le coup de feu à Nomény. Nous y sommes allés en auto, une pièce dans chaque. En arrivant à la gare de Nomény nous nous sommes rencontrés avec une patrouille de chevaux légers. Aussitôt nous avons ouvert le feu avec nos carabines puis nous nous sommes mis en batterie sur le pont face dans la direction de Raucourt et là, nous avons tiré avec les 2 pièces sur un groupe de cavaliers. Après quoi nous sommes remontés dans nos autos et à toute vitesse nous sommes revenus à Pont-à-Mousson. Résultat, quelques minutes après, Nomény était noir de cavalerie allemande. Depuis celle-ci nous cherche dans les environs. C’est rigolo. La nuit dernière, nous avons eu un sous-lieutenant de tué par une balle à la tête. Des prisonniers, nous en avons déjà fait quatre. En somme, pas grand chose de nouveau. Je crois qu’on nous réserve pour l’investissement de Metz. J’apprends à la minute que la cavalerie et de l’infanterie arrivent par Pagny et Champey. Gare à eux. Nous sommes décidés à leur rentrer dedans.
Je vous embrasse tous.
Edouard
C’est le papier à lettres du magasin de ma petite danseuse. Celle-ci est charmante. Elle vient me voir tous les jours et m’apporte tout ce que je lui demande.
Le papier à lettre est à en-tête du magasin "Le Petit Louvre" situé à un angle de la place Duroc à Pont-à-Mousson.
Le sous-lieutenant tué évoqué dans ce courrier est le sous-lieutenant Honoré, considéré comme le premier officier tué au cours de cette guerre.
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Pont-à-Mousson, le 11 août 1914Ma chère Maman,
Mon cher Abel,
L’hôtel de la Poste m’abrite toujours.
Nous ne voyons rien, nous n’entendons rien.
J’ai la peine de vous annoncer que Maillot est blessé à la jambe droite par deux balles, l’une qui a traversé la cuisse, l’autre qui est rentrée dans le pied. J’ai été le voir hier à l’hôpital, il souffre légèrement. Ses blessures ne sont pas graves mais néanmoins il est immobilisé pour tout le reste de la campagne. Voici comment cet accident lui est arrivé. Il était en patrouille avec un sergent et un autre chasseur tout près de Pagny-sur-Moselle. La patrouille suivait la voie ferrée. Arrivée à hauteur d’une maison de garde, Maillot y pénètre, mais au moment ou il s’apprêtait à rentrer par la fenêtre, il reçoit de l’intérieur un coup de feu à bout portant. Heureusement il n’a pas été touché. Tout aussitôt il se replie dans un champ d’avoine, se couche et ouvre le feu sur la maison. C’est à ce moment qu’il a reçu ses balles. Le sergent qui était avec lui a été mortellement blessé, on l’enterre aujourd’hui.
Je termine. J’attends de vos nouvelles. Que devient Aristide et Emile. Je vous écris au son du canon, celui-ci tonne du côté de Nomény. Je ne sais si c’est le notre ou celui des boches.
Je vous embrasse
Edouard
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Pont-à-Mousson, le 12 août 1914
Ma chère Maman,
Mon cher Abel,
Aujourd’hui la mitrailleuse a eu chaud. Les cochons d’allemands ont tiré sur le pont avec des pièces d’artillerie lourde. 30 à 40 coups répartis tout autour du pont mais sans l’atteindre. Au Bon il y a eu ni mort, ni blessés mais dans la population civile on a enregistré quelques morts et blessés. Le bombardement a duré près d’une heure. Les allemands ne respectent guère les établissements de la Croix-Rouge. Le collège, transformé pour la circonstance en hôpital, a ce matin été traversé par plusieurs obus. Maintenant je puis me vanter d’avoir eu le baptême du feu. Ca produit une sale impression surtout quand les obus passent quelques mètres seulement au-dessus de la tête. Enfin.
Une nouvelle : depuis hier je suis aspirant. Décision du Ministre. Donc appelez-moi « aspirant » et non sergent. Je suis toujours à la mitrailleuse.
Je reçois peu de vos nouvelles.
Je vous embrasse tous.
Edouard
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Pont-à-Mousson, le 17 août 1914
8 h.10 matin
Ma chère Maman,
Mon cher Abel,
J’ai reçu hier seulement la lettre datée du 10 août.
Le Bataillon est toujours sur l’expectative et nous ne savons pas grand-chose de ce qui peut se passer ailleurs.
Vous avez dû apprendre par les journaux que Pont-à-Mousson avait été bombardée 3 fois. Heureusement que les allemands sont maladroits (ils n’ont tué ou blessé aucun chasseur du Bataillon) sans cela à l’heure actuelle nous pourrions numéroter nos abatis ; jusqu’à présent ils ont juste tué 3 civils et blessés une dizaine environ. Pendant le deuxième bombardement je me trouvais sur le milieu du pont avec une pièce. Je suis resté là un bon moment, presque tous les obus passaient par dessus. A un moment donné, l’un d’entre eux est passé à quelques mètres au-dessus de nous, a coupé les fils télégraphiques dont quelques-uns sont tombés à nos pieds, puis ensuite est tombé dans la Moselle. Craignant d’être touché par le suivant j’ai ramené mes hommes en arrière et je les ai mis dans une maison à l’entrée du pont. Le 3ème bombardement a été plus long, mais les résultats sont identiques aux précédents c-à-d nuls. Les allemands visaient particulièrement le pont et la Poste ; ils n’ont touché ni l’un ni l’autre. Seulement l’hôpital a reçu au moins 40 obus et les maisons dans le centre de la ville ont été assez endommagées.
Voici quelques renseignements au sujet du bombardement de Pagny. Je crois que les journaux ont donné comme motif la chute d’un avion allemand, chute qui serait due aux habitants de Pagny. Je ne crois pas cela très exact. Voici les faits, je puis vous en parler savamment puisque la mitrailleuse faisait partie de l’expédition. La 5ème Cie du Bataillon et une Cie du 25ème Bataillon devaient exécuter à Pagny une réquisition. Celle-ci était déjà commencée quand tout-à-coup les allemands envoient sur Pagny toute une salve d’obus et cela pendant ¾ d’heure. Les deux Cies se sont retirées sans aucune perte quoique en plein sous le feu. La mitrailleuse qui était en position d’attente sur le canal à 400 m de Pagny n’a rien reçu. Quant à l’avion il est vrai que nous l’avons descendu mais à Vandières qui se trouve à 5 km de Pagny et c’est ma Cie qui l’a atteint. J’ai vu les deux aviateurs. Ils avaient une sale binette. En résumé, les allemands ont bombardé Pagny afin de déranger notre réquisition.
Les obus qu’ils nous envoient sont de gros calibre. Les pièces appartiennent aux forts de Metz et font partie de leur artillerie lourde.
Vous avez dû savoir que j’ai été promu aspirant. Sur mon adresse ne mettez plus l’indication de la Brigade, de la Division et du Corps d’Armée.
Je vous embrasse tous.
Bonjour à tous.
Encore un mot : le moral du Bataillon est extraordinaire. Jamais je n’aurais crû qu’il atteindrait …[partie manquante]