Bonsoir à tous,
Voici une lettre de mon grand-père Paul THOMAS à son père, lettre relatant le départ du 140 RI de Grenoble et son arrivée dans les Vosges (l’écriture a été respectée).
Je ne possède pas la suite !
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Le 140e d’Infanterie embarque le 6 Août 1914 à 2 heures de l’après-midi pour Belfort.
Après un magnifique défilé à travers Grenoble, après avoir soulevé les applaudissements et les pleurs des Grenoblois, nous arrivons sur le quai d’embarquement. Là nous saluons une [??] ville de Grenoble, qu’un grand nombre d’entre nous ne devaient pas revoir et nous montons en wagons.
16 heures sonnent, le train part lentement dans la direction de Chambéry, où nous nous arrêtons quelques instants, vers 7h du soir.
J’ai beau regarder à droite, à gauche, mais impossible de voir aucune connaissance.
Un quart d’heure après, le train se remet en marche et nous filons sur Culoz, Besançon et Belfort où nous arrivons le lendemain vers midi.
Pendant le trajet, de gracieuses réceptions sont faites par les Dames de la Croix rouge, spécialement à Lule , gare après Belfort où l’on nous sert pâté, café, pain etc…
Le 7 Août à 11 heures du soir nous arrivons à Bruyères et débarquons sous une pluie battante pour aller cantonner dans une ancienne caserne (nous venons de faire 36h de chemin de fer).
Le 8 Août nous quittons Bruyères vers 6h du matin pour se diriger sur Lépanges, charmant pays où nous fûmes assez bien reçus. Nous étions cantonnés (le Colonel, le Capitaine ?? et moi) chez un médecin.
Après avoir passé 2 jours bien tranquilles nous filons sur Corcieux le 10 Août à 4h20 du matin. La marche est longue et fatigante. Il fait une chaleur tropicale. Les malades tombent le long des chemins comme des mouches. Bref nous arrivons à Corcieux. Mais hélas le soir même il faut repartir.
Le Régiment se dirige alors sur Haute-Fontaine, Anould et Fraize.
Là, très bien reçus par les habitants, nous arrivons juste pour le dîner. Mais, pour changer, ¾ d’heure après, il fallait déjà repartir. Par un soleil épouvantable nous nous dirigeons alors sur le Col Sainte Marie (frontière). Après plusieurs étapes toujours pénibles, nous arrivons le 12 Août 1914 à 8h du soir à Wisenbach, dernière commune à 2 km de la frontière.
Là, nous sommes logés chez le Curé.
Très bien reçus, nous passons la nuit sans difficultés, mais nous commencions à entendre quelques fusillades dans le bois vers le Col formant la fameuse frontière.
Le pauvre Curé a eu du travail ce soir là je me rappelle, car sans aucun doute le lendemain nous devions recevoir le baptême du feu.
C’était vrai…
A 2h30 le lendemain 13 Août, l’ordre arrive de se porter sur le Col de Sainte Marie aux Mines.
Nous quittons alors ce brave curé, qui nous offre encore la soupe à une heure aussi matinale et nous voilà partis vers les Boches.
2 Compagnies sont placées en soutien d’artillerie, les autres retranchées, surveillant le côté de l’ennemi, le feu commence à plusieurs reprise, les troupes sont soumises à une violente canonnade (pas de blessés chez nous) (je ne puis vous décrire ici ma première impression sur les obus français et allemands).
La nuit arrivant, le calme se rétablit. Sauf quelques coups de feu de patrouilles qui se rencontrent, troublent le silence de cette 1ère nuit de combat. Nous couchons évidemment sous un sapin, éclairés seulement par les étoiles du firmament.
Le lendemain 14 Août quelques reconnaissances lancées à la pointe du jour se heurtent à des tranchées allemandes. Le feu de l’artillerie ennemie recommence et ne fait pas beaucoup de dégâts heureusement, leur tir étant des plus mal ajusté.
Mais hélas dans la journée les éclats d’obus font quelques morts et plusieurs blessés.
Le 15 (jour de l’Assomption) la lutte continue (nous avons un officier de tué et quelques blessés). Ce jour de fête passe sans que l’on s’en aperçoive, comme beaucoup d’autres d’ailleurs ont passé et passeront.
La suite plus tard.
Le 16, le régiment reçoit l’ordre d’avancer et de se porter sur la ville de Sainte Marie (ville située en Alsace). Petit à petit nous avançons, nous franchissons la frontière et nous voilà sur la fameuse terre d’Alsace. Nous marchons pendant plusieurs heures sur cette route, laquelle quelques heures auparavant, était encore foulée par des Allemands.
Cela sent mauvais, une odeur de cadavres en décomposition nous passe sous le nez et cela pendant plusieurs kilomètres. Enfin vers 9 h du soir on entre dans la ville ci-dessus. Les gens sont contents de voir des Français, mais la crainte des Allemands les empêche de fêter notre arrivée. Je suis logé ce soir-là chez 2 braves ouvriers qui m’offrent un matelas. Quel luxe ! après avoir couché sur la terre pendant plusieurs jours, on ne se fait pas bercer lorsque ces occasions se présentent.
Nous rentrons donc en Alsace 4 jours. J’en profite pour voir un peu partout ce qui se passe. Nous sommes logés les 2 derniers jours chez le Curé d’une paroisse dont je ne me souviens pas du nom. Il a été des plus gentils. Nous avons bu quantité de bière allemande et fumé à bon marché. La vie devenait superbe, mais par un beau soir, il a fallu repartir.
la suite à plus tard
Le 20 Août, à 1 h du matin, le Régiment reçoit l’ordre de quitter la ville de Sainte Marie aux Mines (Alsace) pour rentrer en France et se porter sur la commune de Saales (20 km de Saint Dié).
Etant cantonné, ainsi que mes secrétaires, chez le Curé de Sainte Marie, et ayant donné le soir avant de me coucher l’ordre à un factionnaire de nous réveiller une heure avant le départ du Régiment, celui-ci l’oublia et nous fûmes réveillés par le vicaire juste au moment où la queue du Régiment quittait la localité. Nos réussissons à rejoindre le Colonel ½ heure après, sans aucun inconvénient.
Après une marche très pénible, sur des routes encombrées, nous allons ce soir-là cantonner à Saulxures.
De là, me reste un ? souvenir pas très gai. Arrivé à 8h du soir et cantonné chez des gens ayant plutôt l’air prussien que Français, pas ravitaillé, je fus cependant heureux de pouvoir trouver là un bol de lait écrémé, lequel avec un morceau de pain fût mon souper, et un lit, ce qui me permit de me déshabiller ce soir-là, chose qui ne m’était pas arrivée depuis un mois au moins.
Le lendemain 21 Août à 3h30 du matin, nous nous mettons en route sur le point ci-dessus. Une fraction du Régiment se détache par ordre du Général de Division et va se porter sur Salm, pour coopérer à l’attaque du front de Schirmeck-Vaquelon.
A 8h commence l’attaque. Le 3ème Bataillon placé sous bois est dans l’impossibilité de progresser vers la position ennemie fortement retranchée. Mais les 2 autres Bataillons manoeuvrant par la gauche, obligent l’ennemi à battre en retraite (pertes=8 tués, 34 blessés). A 18 h, le même jour, le Régiment quitte la position occupée avec mission de se porter au Kiosque , endroit très pittoresque, situé sur le haut d’une montagne assez élevée. Là, survinrent beaucoup de difficultés pour notre ravitaillement, l’eau en particulier était très rare. Il fallait faire 1 heure ½ de chemin dans un bois de sapin pour avoir un peu d’eau courante.
Le 22 Août, retranchement des Compagnies sur les points importants. Couchage à la belle étoile ou plutôt sous de petites baraques construites en branches de sapin.
23 Août, même situation. La 1 ère Compagnie du 140e portée sur Salm est accrochée par un détachement ennemi et ne peut occuper ses positions (3 blessés)
24 Août, rien de modifié, quelques petites attaques sur les colonnes allemandes. A 11h50, le Colonel reçoit l’ordre de se retirer sur La Chapelle, La Petite-Raon et Sénones. Départ du Kiosque à 16h10. A 19h50 cantonnement à La Petite-Raon. Là, les gens quittaient déjà le pays en abondant maison, mobilier, provisions etc…(c’est pénible de voir ainsi des familles entières fuirent dès que la troupe va occuper un pays ; en vérité, elles ont raison, elles évitent ainsi l’augmentation des pertes).
Mais un café restait encore ouvert, j’ai eu le bonheur de me faire servir une salade de pommes de terre et une bouteille de vin. Quel luxe !! Par la même occasion, je fis l’achat d’un ½ litre d’eau de vie que j’ai gardé précieusement, pendant 2 mois……lequel fut ensuite bu par les Allemands. Nous nous couchons ce soir-là vers 11h attendant les ordres de départ pour le lendemain.
25 Août. A 3h30 le Régiment quitte la Petite-Raon pour se porter sur La Chapelle, où se joint à lui le 3ème Bataillon qui s’était cantonné. Des dispositions sont prises en vue d’une attaque éventuelle.
(Ici un fait pénible pour nous se passe. Notre Colonel relevé de son commandement, nous fait ses adieux et quitte son Régiment en pleurant). Le Commandement du Régiment est aussitôt repris par un Lieutenant Colonel venu du 13e Corps d’Armée. Voilà pour moi un changement ennuyeux, soit dans mes habitudes, soit dans mon travail…..ce n’est pas fini….Bref, chaque Bataillon prend ses positions, se porte vers l’objectif déterminé et passe la nuit sur ses positions.
Inutile de dire que pendant toutes ces opérations, le canon tonne et quelques sérieux engagements ont lieu. Enfin pendant cette journée nous perdons 2 officiers, 2 hommes, 19 faits prisonniers et quelques blessés.
26 Août. Les Bataillons occupent toujours les mêmes positions que la veille. Les obus partent de chaque côté comme d’habitude, mais sans grand acharnement. Même situation jusqu’à 14 h. A partir de ce moment la canonnade devient plus violente des 2 côtés. Les marmites (gros calibres allemands) tombent à profusion. (C’est un autre bruit que celui des canons de Bissy ).
Etant à ce moment avec le Drapeau, nous avions (la garde et moi) toutes les peines du monde pour se mettre à l’abri de ce duel d’artillerie, qui devint de plus en plus effroyable. Les blessés succédaient aux blessés, de même pour les morts…
Mon Capitaine (le capitaine adjoint au Colonel) se trouvant avec le Colonel, à 50 mètres environ en avant de nous, est grièvement blessé par un éclat d’obus tombé à 80 mètres de lui. Cherchant à résister d’abord, il s’affaisse peu après sous le poids de la douleur, ayant la colonne vertébrale brisée. En apprenant cette triste nouvelle et ayant à exécuter un ordre qu’il m’avait donné quelques jours avant le combat, je pars en courant (sans même faire attention aux obus qui ne cessent de pleuvoir) vers l’endroit indiqué. Là, je trouve ce brave officier couché sur un matelas souffrant horriblement. Mais dès qu’il a entendu ma voix, il me prononce quelques paroles entrecoupées (vos êtes gentils, je vous aime tous, ah ! les cochons ils me font souffrir). Voyant son état s’aggraver, je le laisse entre les mains d’un brancardier et je file à toute jambe à la recherche d’un médecin. Je parcours rapidement quelques rues encombrées de débris de toiture démolie, de fils télégraphiques tombés à terre, de voitures renversées et déchiquetées par les obus, sans oublier encore les nombreux blessés couchés à droite et à gauche de la route qui me demandaient du secours ; mais impossible, je n’avais pas le temps de m’arrêter. Ma course n’eût pas de succès à travers cette ville déserte, aussi de médecin je ne pus en trouver. Je retourne donc sur mes pas et à mon retour, la mort hélas avait déjà fait son œuvre.
Rangeant soigneusement dans ma sacoche les objets, argent que j’avais ordre d’enlever, je partis rapidement pour rejoindre mon Régiment, laissant à la garde d’une pauvre femme de la maison, le Corps de mon capitaine et aux Allemands (qui, quelques jours plus tard entraient dans la ville), le soin de l’inhumer.
Paul
La suite dans quelques jours.
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1- je pense qu’il s’agit de Lure
2- le Capitaine Louis FRELAUT d’après la liste des officiers morts pour la France dans le livre historique du 140
3-Hautes-Loges d’après le livre historique
4-Colonel MAILLOT d’après le livre historique
5-Lieutenant-Colonel CLEMENT de l’ E-M de la 13e D.I. d’après le livre historique
6-Bissy dans la banlieue de Chambéry
NB : mon grand-père (ainsi que moi_même) est originaire de Chambéry, ce qui explique certains passages
Départ du 140 RI de Grenoble et arrivée dans Les Vosges en Août 1914
- christian1
- Messages : 114
- Inscription : mar. mars 14, 2006 1:00 am
Re: Départ du 140 RI de Grenoble et arrivée dans Les Vosges en Août 1914
Bonjour,
Superbe récit j'attends avec impatience la suite, merci de nous faire participer aux souffrances de nos vaillants poilus
Cordialement
Superbe récit j'attends avec impatience la suite, merci de nous faire participer aux souffrances de nos vaillants poilus
Cordialement
Christian
"Je meurs sans regret c'est pour la France"
Auguste HUSSON mort pour la France le 19 juin 1915
"Je meurs sans regret c'est pour la France"
Auguste HUSSON mort pour la France le 19 juin 1915
Re: Départ du 140 RI de Grenoble et arrivée dans Les Vosges en Août 1914
Salut Paul 73
La suite c'est pour quand?
Avant d'etre en Alsace ,j'ai travaillé 16 ans en Haute Savoie (74)
Degoutas
La suite c'est pour quand?
Avant d'etre en Alsace ,j'ai travaillé 16 ans en Haute Savoie (74)
Degoutas
Re: Départ du 140 RI de Grenoble et arrivée dans Les Vosges en Août 1914
Bonsoir à tous, bonsoir Paul,
Merci pour ce beau récit de ce secteur, cher à notre coeur.
Dommage que vous n'ayiez pas la suite....!
Bien cordialement.
Evelyne et Marc.
Merci pour ce beau récit de ce secteur, cher à notre coeur.

Dommage que vous n'ayiez pas la suite....!
Bien cordialement.
Evelyne et Marc.