Réflexions d'un brancardier

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Eric Mansuy
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par Eric Mansuy »

Bonjour à tous,

Voici ce qu’écrivait un brancardier du 133e R.I., dans les Vosges, en mai 1915 (orthographe et autres fautes de langue et coquilles en l'état) :

« Devant mon créneau, le soleil brille avec éclat, et la chaleur qu’il répand sur la campagne contracte singulièrement avec la fraicheur de la tranchée.
C’est alors que l’on regrette sa liberté perdue, et sa famille laissée si loin… Tout cela pourquoi ? Pour faire la chasse à l’homme. Tout cela pour faire depuis 9 mois ce métier atroce et barbare qu’on appelle « la guerre » !
Devant moi, à quelques mètres derrière d’autres créneaux, d’autres êtres humains, pères de familles, fils, frères, fiancées, nous guettent le fusil en mains et nous envoient à toute minutes des balles qui souvent font resonner le fer de nos créneaux et parfois blessent ou tuent quelques uns des notres.
A eux comme à nous on leurs a dit « Marchez » et ils ont marché. On leurs a dit « Tuez » et ils tuent, sans raison, sans pitié, comme ailleurs ils ont tué, violé, incendié !
C’est la guerre, impitoyable faucheuse qui sans aucune distinction moissonne les jeunes comme les vieux, les pères de famille et les garçons. Et sur ce spectacle douloureux auquel la grosse voix du canon prete ses rugissements, le soleil, le soleil pâle et chaud du printemps jette ses rayons !
Et pour que rien ne manque à la fête, voici qu’un ronflement se fait entendre dans loin, dans lazur du ciel. Soudain, un grand oiseau blanc se détache. C’est un aéro qui fait une reconnaissance. Car ces oiseaux, si gentil en temps de paix, sont devenus, eux aussi, des instruments de morts.
Ainsi que les hirondelles aux beaux jours, eux aussi quittent leurs hangard aux premiers rayons du soleil et parcourent le firmament pour préparer à la sinistre moissonneuse de nouvelles et nombreuses victimes.
J’ai lu autrefois que dans l’homme il y avait l’ange et la bête. La guerre a tué l’ange, il est resté la bête. La bête qui mange et boit, par instinct et par necessité. La bête qui marche et obeït, par quelle ne peut plus faire autrement. La bête enfin qui souffre et n’ose crier sa douleur par crainte du fouet.
Sous la peau de cette bête, il y avait autrefois des citoyens qui se vantaient d’être libres. On leur a dit « Prenez garde », la guerre vient et l’on vous ménera à l’abatoir. Mais ils ne l’ont pas cru, certains ont ri, d’autres ont fermé les yeux.
Aujourd’hui le crime est consommé. Depuis plus de 9 mois le citoyens est devenu la bête enchainée. Depuis 9 mois, la lutte se poursuit sans trêve et la bête se grise de sang. Depuis plus de 9 mois, la bête vit dans la terre des tranchées comme le renard dans son terrier, guettant une autre bête à tuer sans avoir seulement l’excuse de la faim.
C’est la guerre, c’est l’humanité, c’est la civilisation. Et dire que nous voulions civiliser les Marocains et que les Boches voulaient porter leur « Kultur » aux nègres du Congo. Il y aurait de quoi mourir de rire si le rire était permis, quant on sent monter près de soi tant de sanglots de veuves et d’orphelins.
Beau soleil de printemps, puisses-tu secher toutes ces larmes et faire bientôt luire sur nos têtes les rayons d’une paix bienfaisante et durable. »

Le 6 juin 1915, le brancardier C. eut le genou broyé dans les environs de Metzeral. Il fut évacué sur Gérardmer, Epinal où il reçut la croix de guerre le 14 juillet, Montpellier, puis Palavas-les-Flots. Il ne retourna pas au front.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
marie-france ganansia
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par marie-france ganansia »

Bonjour,

Eh oui! Les guerres sont une chose atroce. Quand on pense à toutes les guerres en cours sur la planète actuellement. Il aurait fallu que l'Alsace et la Lorraine nous soient rendues par la voie diplomatique !! pour que cette boucherie qui a décîmé la France n'ait pas lieu.

MFG
marie-france ganansia
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par marie-france ganansia »

Re bonjour,

Je voulais juste ajouter que le ton de cette lettre me semble bien actuel.

MFG
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Eric Mansuy
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par Eric Mansuy »

Bonjour,
Je ne saisis pas bien ce que vous (sous-)entendez par "le ton de cette lettre me semble bien actuel". S'il faut comprendre par là qu'elle n'a pas été écrite en 1915 (mais dans ce cas, pourquoi ne pas mettre en doute l'authenticité des autres témoignages présentés sur ce forum ?), je vous rassure : ne perdez pas votre temps en conjectures. Le brancardier Joseph-Eugène C., matricule 011550, de la 1re compagnie du 133e R.I., n'a rien de fictif. Sa blessure est en outre mentionnée par son lieutenant dans A la Mémoire de mon fils Louis [de Corcelles], aspirant du 23e d’infanterie tombé pour la France à 21 ans à Maurepas (Somme) le 30 Juillet 1916 (Macon, Imprimerie Protat, 1921, 86 pages).

Eric Mansuy
"Un pauvre diable a toujours eu pitié de son semblable, et rien ne ressemble plus à un soldat allemand dans sa tranchée que le soldat français dans la sienne. Ce sont deux pauvres bougres, voilà tout." Capitaine Paul Rimbault.
marie-france ganansia
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par marie-france ganansia »

Bonjour,

Loin de moi l'idée de mettre en doute l'authenticité de ce document:-) J'ai peut être été maladroite dans ma formulation. Je voulais dire que le ton de cette lettre est actuel, il pourrait s'appliquer à notre époque présente (référence à l'action positive de la colonisation, par exemple).

MFG
marie-france ganansia
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par marie-france ganansia »

Mais, maintenant que vous m'y faites penser, vous vous êtiez bien livré à ce genre de facétie sur un autre forum (faire passer le devoir d'un de vos éléves pour un document authentique:-))?
invite
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par invite »

Bonjour à tous,

Voici ce qu’écrivait un brancardier du 133e R.I., dans les Vosges, en mai 1915 (orthographe et autres fautes de langue et coquilles en l'état) :

« Devant mon créneau, le soleil brille avec éclat, et la chaleur qu’il répand sur la campagne contracte singulièrement avec la fraicheur de la tranchée.
C’est alors que l’on regrette sa liberté perdue, et sa famille laissée si loin… Tout cela pourquoi ? Pour faire la chasse à l’homme. Tout cela pour faire depuis 9 mois ce métier atroce et barbare qu’on appelle « la guerre » !
Devant moi, à quelques mètres derrière d’autres créneaux, d’autres êtres humains, pères de familles, fils, frères, fiancées, nous guettent le fusil en mains et nous envoient à toute minutes des balles qui souvent font resonner le fer de nos créneaux et parfois blessent ou tuent quelques uns des notres.
A eux comme à nous on leurs a dit « Marchez » et ils ont marché. On leurs a dit « Tuez » et ils tuent, sans raison, sans pitié, comme ailleurs ils ont tué, violé, incendié !
C’est la guerre, impitoyable faucheuse qui sans aucune distinction moissonne les jeunes comme les vieux, les pères de famille et les garçons. Et sur ce spectacle douloureux auquel la grosse voix du canon prete ses rugissements, le soleil, le soleil pâle et chaud du printemps jette ses rayons !
Et pour que rien ne manque à la fête, voici qu’un ronflement se fait entendre dans loin, dans lazur du ciel. Soudain, un grand oiseau blanc se détache. C’est un aéro qui fait une reconnaissance. Car ces oiseaux, si gentil en temps de paix, sont devenus, eux aussi, des instruments de morts.
Ainsi que les hirondelles aux beaux jours, eux aussi quittent leurs hangard aux premiers rayons du soleil et parcourent le firmament pour préparer à la sinistre moissonneuse de nouvelles et nombreuses victimes.
J’ai lu autrefois que dans l’homme il y avait l’ange et la bête. La guerre a tué l’ange, il est resté la bête. La bête qui mange et boit, par instinct et par necessité. La bête qui marche et obeït, par quelle ne peut plus faire autrement. La bête enfin qui souffre et n’ose crier sa douleur par crainte du fouet.
Sous la peau de cette bête, il y avait autrefois des citoyens qui se vantaient d’être libres. On leur a dit « Prenez garde », la guerre vient et l’on vous ménera à l’abatoir. Mais ils ne l’ont pas cru, certains ont ri, d’autres ont fermé les yeux.
Aujourd’hui le crime est consommé. Depuis plus de 9 mois le citoyens est devenu la bête enchainée. Depuis 9 mois, la lutte se poursuit sans trêve et la bête se grise de sang. Depuis plus de 9 mois, la bête vit dans la terre des tranchées comme le renard dans son terrier, guettant une autre bête à tuer sans avoir seulement l’excuse de la faim.
C’est la guerre, c’est l’humanité, c’est la civilisation. Et dire que nous voulions civiliser les Marocains et que les Boches voulaient porter leur « Kultur » aux nègres du Congo. Il y aurait de quoi mourir de rire si le rire était permis, quant on sent monter près de soi tant de sanglots de veuves et d’orphelins.
Beau soleil de printemps, puisses-tu secher toutes ces larmes et faire bientôt luire sur nos têtes les rayons d’une paix bienfaisante et durable. »

Le 6 juin 1915, le brancardier C. eut le genou broyé dans les environs de Metzeral. Il fut évacué sur Gérardmer, Epinal où il reçut la croix de guerre le 14 juillet, Montpellier, puis Palavas-les-Flots. Il ne retourna pas au front.

Bien cordialement,
Eric Mansuy
Bonjour à tous
Bonjour Eric

Merci de nous faire revivre le 133ème de ligne

Philippe
KROLE
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par KROLE »

Bonjour Eric,

Merci pour la réflexion de ce brancardier... effectivement il y avait des hommes qui arrivaient à exprimer ce qu'ils ressentaient, et les horreurs de cette guerre. Et dans ces cas là les mots sont si terribles.

Amicalement
Carole


PS : de retour près de votre secteur
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Stephan @gosto
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par Stephan @gosto »

Bonjour Eric,

Cet extrait est remarquable ! Il nous montre qu'il y a "Carnet de guerre" et "Carnet de guerre"... Si chaque jour noté est source de telles réflexions, le document complet doit être d'une richesse rare. Ahhh... Si j'étais éditeur... :lol:

Merci en tous cas, et... quand tu veux pour la suite !! ;-))))

Amicalement,

Stéphan
ICI > LE 74e R.I.
Actuellement : Le Gardien de la Flamme

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pierret
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Re: Réflexions d'un brancardier

Message par pierret »

Bonsoir M. Mansuy.
Un grand merci à vous de parler du 133° RI.

Bien cordialement.

Jean-Louis
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