Bonjour,
Comme promis j'étrenne cette nouvelle rubrique en remerciant vivement Joël.
Voici une lettre très surprenante
Lettre de Maurice OLIVIER du 331° R.I. 22° Cie mon Grand Oncle vadressée à son frère Gaston du 274° R.I. dans les tranchées aux environs de Reims, mon Grand-Père.
Orléans, le 12 Novembre 1914
Cher Gaston,
J’ai reçu ce matin de tes nouvelles du 7 et tu comprends ma joie car il y a 3 mois que j’ai reçu un mot venant de toi.
Félicitations pour ta tonicité car il faut que tu sois un vieux dur pour résister aux intempéries et Cie. Enfin tout va bien c’est l’essentiel. Tu as sans doute reçu ma lettre il y a quelques jours, c’est sans changement, à part que je passe encore une visite ce soir à 5 heures, je retarderai d’ailleurs ma lettre jusque là pour te donner des nouvelles plus fraîches.
Berthe ta femme m’écrit assez souvent ce qui me fait passer le temps en me donnant tout ce qu’elle sait de nouvelles, car tu ne peux croire ce qu’on se fait chier au dépôt. J’ai appris il y a quelques jours que Lille a du être évacuée par les lillois et les boches par suite de l’infection que produit la mort d’environ 8000 « boches » dans cette ville. Ceci vient des soldats blessés dans Lille même, qui disent la joie que la vue des français a produit chez l’habitant, or, argent, tabac, vivres tout a sorti par enchantement des cachettes malgré les réquisitions faites avant par les ennemis. Cette nouvelle doit dater d’au moins le 1er Novembre, les journaux d’Orléans en ont causé, mais sur aucun des journaux de Paris j’en ai vu la confirmation.
Tu m’as demandé, mon cher Gaston, de te causer un peu de mon odyssée avant de me faire blesser (j’allume ma pipe et je suis à toi).
Cà ne me dit rien de raconter les misères passées ou plutôt j’aurais plus de plaisir à le faire si c’était fini mais qu’importe.
Je suis parti le 4 Août de Lille, nous avons quitté Orléans le 9 pour arriver le 12 à Sempigny. A partir de ce pays et de ce jour nous avons fait des marches manœuvres jusqu’au 21 pour arriver à Longwyon. Il faut dire que la dernière marche a été de 50 km en marche forcée pour arriver le matin sur le plateau de Longwy (je n’ai plus l’orthographe).
Nous arrivons vers 9 h.00 du matin au dit plateau et on nous fait grouper l’artillerie et nous dans une petite vallée pour être soi-disant de réserve. Ah ! mon ami, dix minutes n’étaient pas écoulées qu’on entend un drôle de bruit venant de haut, c’était des marmites de 280mm, jamais on ne peut se figurer le résultat tout le monde se sauve, un ou deux caissons sautent emportant toute une rangée d’arbres qui bordaient la route, des hommes qui disparaissent comme par enchantement, ainsi que des chevaux, nous étions tout simplement conduit par notre général dans un beau traquenard, qui devait être connu de lui, vu qu’il est en cellule ou fusillé.
Voilà mon baptême du feu, pour ma part j’ai sauté sur un caisson d’artillerie et on nous a arrêté à 14 km de là. Ensuite ça a été la continuation ou a peu près jusqu’au 29 Août. Le 29 qui était un dimanche je crois, repos, repos relatif car à 3 h00 du soir, on nous fait partir en 1ère ligne à Fossé, le 46ème était bousillé il fallait le soutenir. Depuis 5h00 jusque 10 h00 du soir nous avons été entre deux feux. Les boches qui nous appelaient (Eh ! camarades) et nous tiraient dessus et un de nos régiments de renfort qui nous tirait dans le dos, pas une égratignure ce jour là, mais ma capote, dont j’avais replié le col vu la température a été percée à hauteur du 2ème bouton de gauche par un schrapnel qui a fait sauter le bouton, traversé les 2 épaisseurs du drap, la doublure, les bretelles, la chemise, la flanelle et puis s’est aplati contre ma plaque d’identité qui heureusement se trouvait là et je n’ai eu aucun mal, j’ai d’ailleurs ressenti la dégringolade brûlante le long de mon corps et j’ai retrouvé la balle quelques jours après dans mes caleçons.
Je me suis égaré, avec plusieurs copains dans les bois pendant 3 jours, n’ayant pour nourriture que des navets que nous trouvions dans les clairières. Nous avons retrouvé les autres le 1er Septembre au soir. Le 2 Septembre on reçoit l’ordre de défendre Cierge, on nous met en réserve dans un bois jusqu’à 4 h00 du soir, les balles sifflaient autour de nous et on entendait le claquement des balles explosives dans les arbres, mon voisin qui était assis reçoit une balle dans le talon de sa chaussure, résultat le talon disparaît et le bonhomme a son pantalon coupé sur 20 cm de long sous le cul, sans aucun mal, en sortant du bois nous partons nous mettre en tirailleur dans un pré sans tranchée naturellement et en seconde ligne, vers 6 h00 on nous fait faire un bond, je me prépare en attendant le coup de sifflet et j’attends, j’entends le coup de sifflet et plus rien, sans aucun mal, aucune sensation, je suis revenu à moi vers 8 h00 au moment où on voulait m’arracher ma plaque d’identité, les brancardiers m’avaient retourné car j’avais le nez dans la terre et je suis revenu à moi juste pour ne pas être enterré. - J’ai été verni quoi ! Ils m’ont indiqué la route à suivre et je suis parti tranquillement en crachant car j’avais de la terre plein la gueule. Les obus avaient beau éclater autour de moi je m’en foutais. J’avais laissé mon fusil là car j’ai essayé de le ramasser sans y parvenir, le bras droit était paralysé. Je suis arrivé à la ferme infirmerie et on m’a dit que j’avais une balle dans la tête. J’ai dû faire 20 km à patte pour prendre le train à Clermont en Argonne, nous sommes arrivés à Angoulême le 6 à minuit et le 9 à 8 h00 on m’opérait, il était temps car je commençais à battre la breloque. On m’a lavé, rasé à l’endroit de la balle, coupé la peau et tout juste pour extraire la balle qui était dans les méninges dans une profondeur de 18mm. Le pus s’est mis à couler à chaque pulsation du cœur et le cœur à cesser de battre, je me sentais bien partir et j’avais dit adieu à tout et à tous. Au bout de quelque temps le cœur reprit et je remerciais les sœurs qui disaient les prières d’agonie à mes côtés. J’étais paralysé du côté droit, y compris l’œil, l’oreille, la joue, la langue et le bras droit, je ne pus plus parler le soir et cet état dura 15 jours après j’ai pu me lever. Comme j’étais au troisième étage j’essayais de descendre et une fois je dégringole 4 ou 5escaliers ou plutôt 4 ou 5 marches, à partir de ce moment j’ai commencé à parler et ma paralysie a peu à peu diminué, ça a été de mieux en mieux et me voilà. J’ai passé 8 semaines à l’hôpital et 3 semaines dans un château puis 8 jours à Rouen et le reste au dépôt. J’attends la sentence du butor qui va me visiter tout à l’heure, car je ne vois plus de l’œil droit et s’il n’est pas trop vache il me proposera pour la réforme. Je te dirai cela tout à l’heure.
Albert Lemahieu n’ira pas au feu. Fernand est disparu, j’ai cherché partout le 8ème étant au feu, j’en ai revu 6. Depuis j’en ai vu bien souvent et dans tous les coins. Peut-être nous reviendra-t-il. Espérons pour Lille, tout n’est pas perdu.
A tout à l’heure, Cher Gaston, et toujours j’espère la bonne réussite de ma visite.
6 h00 j’arrive de l’infirmerie et ne trouve pas l’oculiste, je retourne demain. Je t’écrirai demain soir.
Au revoir, Cher Gaston, aye bon courage, je t’envoie mes bons baisers et à demain Ton Frère
Maurice
(Dans un courrier du 24/11/1914 adressé à sa femme, Gaston lui disait avoir reçu d'autres nouvelles de son frère Maurice dans qui lui annonçait avoir passé la visite et qu’il en repassera une autre dans 10 jours, son médecin ne veut pas le reconnaître invalide, il prétend que l’œil gauche est bon et qu’il s’habituera à tirer de l’œil gauche ! ! Maurice sera renvoyé au front quelque temps plus tard). Il fit toute la guerre et rentra dans ses foyers à l’armistice, borgne et sourd du côté droit.)
TEMOIGNAGE D'UN MORT-VIVANT - 331° R.I.
- alain chaupin
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Re: TEMOIGNAGE D'UN MORT-VIVANT - 331° R.I.
Ceux qui reviendront de cette guerre et qui auront comme moi passés par toutes les misères qu'un homme peut endurer avant de mourir, devra s'en souvenir, car chaque jour qu'il vivra sera pour lui un bonheur."
Gaston Olivier - mon Grand-Père
http://www.
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Re: TEMOIGNAGE D'UN MORT-VIVANT - 331° R.I.
Bonjour,
Comme promis j'étrenne cette nouvelle rubrique en remerciant vivement Joël.
Voici une lettre très surprenante
Lettre de Maurice OLIVIER du 331° R.I. 22° Cie mon Grand Oncle vadressée à son frère Gaston du 274° R.I. dans les tranchées aux environs de Reims, mon Grand-Père.
Orléans, le 12 Novembre 1914
Cher Gaston,
J’ai reçu ce matin de tes nouvelles......... je t’envoie mes bons baisers et à demain Ton Frère
Maurice
Que dire de plus? Un document extra-ordinaire.
- Stephan @gosto
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Re: TEMOIGNAGE D'UN MORT-VIVANT - 331° R.I.
Bonsoir Alain,
Tu m'as déjà donné à lire cette lettre
Mais tout de même : hal-lu-ci-nant !! Heureusement que certaines familles ont eu la présence d'esprit ou la chance de pouvoir conserver de tels documents. Merci !
Amicalement,
Stéphan
Tu m'as déjà donné à lire cette lettre

Mais tout de même : hal-lu-ci-nant !! Heureusement que certaines familles ont eu la présence d'esprit ou la chance de pouvoir conserver de tels documents. Merci !
Amicalement,
Stéphan
- mireille salvini
- Messages : 1099
- Inscription : jeu. déc. 15, 2005 1:00 am
Re: TEMOIGNAGE D'UN MORT-VIVANT - 331° R.I.
bonsoir Alain,
tout simplement merci...merci de nous avoir fait lire cette lettre,ce document de vie..
mais mon Dieu,quelle vitalité,quelle farouche envie de vivre avait votre grand-oncle,c'en est réellement remarquable,stupéfiant,je ne me lasse pas de le lire entre ces lignes.
cette lettre est une leçon de Vie à elle toute seule.
amicalement.......Mireille
tout simplement merci...merci de nous avoir fait lire cette lettre,ce document de vie..
mais mon Dieu,quelle vitalité,quelle farouche envie de vivre avait votre grand-oncle,c'en est réellement remarquable,stupéfiant,je ne me lasse pas de le lire entre ces lignes.
cette lettre est une leçon de Vie à elle toute seule.
amicalement.......Mireille
" Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants." (Jean d'Ormesson)
- alain chaupin
- Messages : 996
- Inscription : lun. oct. 18, 2004 2:00 am
Re: TEMOIGNAGE D'UN MORT-VIVANT - 331° R.I.
Merci pour eux,
Ma mère, filleule de Maurice, fille de Gaston mon grand-père a 93 ans, elle est en train de s'éteindre tout doucement sur son lit d'hôpital, pour aller rejoindre ce père qu'elle n'a jamais connu.
Bien cordialement
Alain
Ma mère, filleule de Maurice, fille de Gaston mon grand-père a 93 ans, elle est en train de s'éteindre tout doucement sur son lit d'hôpital, pour aller rejoindre ce père qu'elle n'a jamais connu.
Bien cordialement
Alain
Ceux qui reviendront de cette guerre et qui auront comme moi passés par toutes les misères qu'un homme peut endurer avant de mourir, devra s'en souvenir, car chaque jour qu'il vivra sera pour lui un bonheur."
Gaston Olivier - mon Grand-Père
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- Localisation : Couternon cote d'Or amagasaki
Re: TEMOIGNAGE D'UN MORT-VIVANT - 331° R.I.
bonjour
Merci pour ce superbe temoignage comme on les aime !! il est regretable que l'on en voit pas plus souvent des temoignages de 1er ordre comme celui ci sur le forum ,encore merci .
Roger
Merci pour ce superbe temoignage comme on les aime !! il est regretable que l'on en voit pas plus souvent des temoignages de 1er ordre comme celui ci sur le forum ,encore merci .
Roger
Re: TEMOIGNAGE D'UN MORT-VIVANT - 331° R.I.
Bonsoir Alain,
Témoignage boulversant que cette longue et belle lettre.
Merci .
Avec toute notre sympathie.
Bien cordialement.
Marc et Evelyne.
Témoignage boulversant que cette longue et belle lettre.
Merci .
Avec toute notre sympathie.
Bien cordialement.
Marc et Evelyne.