Il y a cent ans, le 1er juillet 1916, après une préparation d'artillerie exceptionnelle, le 1er Corps d'Armée Colonial réussissait à percer le front allemand au sud de la Somme.
Pour la première fois de la guerre, l'Artillerie Lourde à Grande Puissance (A.L.G.P) française est engagée en masse après des utilisations ponctuelles au cours de l'année précédente. A la fin de la bataille, l'A.L.G.P française comptera pas moins de 152 pièces en action dont 87 d'Artillerie Lourde sur Voie Ferrée (A.L.V.F).
Dans ce concert des pièces des calibres les plus forts (jusqu'aux obusiers de 400 mm), la pièce de 305 mm "Jeannette" va succomber au premier jour de l'assaut d'infanterie.
En effet, la 21e batterie du 6e Groupe d'Artillerie à Pied d'Afrique fait partie de cette masse d'Artillerie. Elle est armée de deux canons de 305 mm modèle 1893-96 sur affût à châssis Saint-Chamond dont le rôle initial est d'interdire à l'ennemi l'utilisation de la station de Nesle. La batterie a préparé deux épis de voie ferrée à proximité de Rosières (position 29 de l'A.L.G.P) et il est prévu de n'employer d'abord que la pièce "Jeannette", la seconde pièce "Blanche" étant maintenue provisoirement en réserve.
Ces deux bouches à feu appartiennent à une série de 12 canons de côte commandés au tournant du siècle par la Marine mais non installés après le passage de la défense des côtes à la "Guerre" en 1901. Depuis l'achèvement de leur construction, les 12 canons et leurs 8 affûts sont stockés neufs à Cherbourg. En 1914, la firme de Saint-Chamond construit un affût A.L.V.F à châssis, suivi par 7 autres en 1915 afin d'employer ces canons très puissants. Les huit matériels construits portent tous un prénom féminin, le dernier construit ajoutant le nom de "Guilbert" à celui du prénom "Yvette" pour honorer la populaire chanteuse Yvette Guilbert.
Sur l'épi de Rosières, la pièce de 305 mm "Jeannette", immatriculée R 1902 n° 4, devait commencer à tirer le 28 juin 1916 mais les conditions climatiques empêchent l'observation aérienne et les tirs ne peuvent commencer que le 29 juin où 30 coups sont tirés sans incident sur Nesle.
Le lendemain, un second tir sur Nesle ne peut avoir lieu du fait de la brume et le tir est reporté au 1er juillet, date de l'assaut de l'infanterie.
Le 1er juillet 1916, le tir reprend mais à 11h22, au 20e coup tiré sur Nesle, une détonation du projectile dans l'âme détruit complétement la pièce "Jeannette" et une partie de son affût en causant de graves blessures à un officier, un sous-officier et onze artilleurs.
Dès le lendemain, la pièce "Blanche" sera déployée sur le second épi de tir pour continuer la lutte d'artillerie.
Cet événement, certes mineur, au milieu d'une offensive générale a néanmoins été photographié.
J'ai publié dans la Revue "Voie Etroite" un article détaillé sur ce sujet.
Pour le Forum, je publie trois photographies illustrant les faits.
Si le tube "Jeannette" est irrécupérable, son affût sera réparé et, en 1917, il sera équipé après quelques modifications d'un canon de 240 mm modèle 1893-96 M "Colonies", canon de côte dont la puissance moindre est mieux adaptée à une utilisation sur l'affût à châssis Saint-Chamond. De leur côté, les autres affûts de 305 mm châssis seront équipés en 1917 du même type de canon de 240 mm tandis que leurs tubes initiaux de 305 mm et un nouveau tube de 305 mm seront montés sur 8 nouveaux affûts à glissement Schneider, mieux adaptés à tirer partie de la puissance du canon de 305 mm modèle 1893-96.
Les photographies:

Deux canons de 305 mm modèle 1893-96 sur affût à châssis Saint-Chamond à Mailly, au premier plan, la pièce "Thérèse" de la 24e batterie du 6e G.A.P.A.

"Jeannette" éclatée le 1er juillet 1916, les artilleurs indemnes de la 21e batterie du 6e G.A.P.A observent le désastre.

L'affût endommagé de "Jeannette" est réparable mais le tube est entièrement détruit.
Cordialement,
Guy François.