De la dispersion

ALVF
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Re: De la dispersion

Message par ALVF »

Bonjour,

En s'appuyant sur une conférence du Colonel Wilmet, commandant le 83ème R.A.L.T, datant de décembre 1916 et intitulée "De la dispersion", j'ouvre ce sujet relatif à la précision des tirs d'artillerie et aux mesures de précaution à prendre dans le cas d'une guerre de position où les lignes des adversaires sont parfois très rapprochées.
D'abord un petit rappel théorique de quelques définitions en usage dans l'artillerie:
-écart probable en portée (epp): il s'agit de la longueur de la bande de terrain où se trouvent la meilleure moitié des coups longs par rapport au point moyen du tir et la meilleure moitié des coups courts.
-écart probable en direction (epd): il s'agit de la largeur de la bande de terrain où se trouvent la meilleure moitié des coups à droite par rapport au point moyen du tir et la meilleure moitié des coups à gauche.
L'écart probable d'un tir varie en fonction du projectile, de la charge employée et de la distance du tir, cet écart est indiqué dans les tables de tir.En règle générale, 25% des coups tirés sur une même hausse et avec les mêmes projectiles et charges sont contenus dans un rectangle dont les dimensions sont de l'ordre de 2epp X 2 epd.
L'écart probable en portée est beaucoup plus grand que l'écart probable en direction.
Voici, le rectangle de la dispersion théorique d'un tir en prenant comme référence de l'échelle un epp et un epd, bien entendu sur une surface plane car le cas où la pièce n'est pas dans le plan du rectangle de dispersion nous entraînerait trop loin dans les caculs:
Image
Rectangle de disprersion par rapport à l'axe du tir et au point moyen du tir.

Quelques données sur les variations de la dispersion avec les distances de tir et avec trois pièces usuelles de calibre différent:
Image
Valeur de la dispersion: 155 L Mle 1877-1914, 155 C mle 1881-1912, 75 modèle 1897.

Un graphique très parlant sur la variation des epp et epd de l'obus à balles tiré par le 75 modèle 1897 en fonction de la distance de tir:
Image

Une première constation:
-les rectangles de dispersion sont très allongés (epp important et epd faible), il faut donc privilégier le tir d'enfilade beaucoup plus efficace que le tir de front.
-la dispersion croît avec la distance du tir et une vitesse initiale élevée des projectiles augmente l'écart probable en portée.
Une illustration de ce dernier principe:
-l'obusier de 400 mm tirant à 12.000 mètres a un epp de 54 m et un epd de 11 mètres.
-le canon de 340 mm Mle 1912 tirant à 12.000 m a un epp de 72 m et un epd de 5 m.
-le même canon de 340 Mle 1912 tirant à 26.000 m a un epp de 158 m et un epd de 15 m.

Conséquences pratiques: certains hommes politiques critiquaient les artilleurs en 1918 car ils ne pouvaient pas faire taire les "Paris Kanonen" tirant sur Paris.L'emplacement circulaire d'un "Pariser Kanone" mesure environ 20 m de diamètre.Un coup d'oeil sur l'epp et l'epd d'un 340 mm tirant à 26.000 m montre que sur 100 coups tirés (en supposant le point moyen du tir amené sur l'objectif, ce qui n'est pas une mince affaire!) 25 seulement atteindraient un rectangle de 316 m de long sur 30 m de large et dans ces conditions il faudrait tirer au moins 1000 coups pour avoir une probabilité d'obtenir un coup au but et encore en priant Sainte-Barbe!
Il était évidemment assez difficile de faire comprendre ce fait simple à "l'irascible" Président du Conseil Clemenceau et encore beaucoup plus difficile de convaincre des journalistes de la réalité de faits pourtant simples (les journalistes de 1918 étaient à peu près aussi omniscients que ceux de notre époque!).Il faut aussi savoir que tirer 1000 coups de 340 aurait signifié l'usure complète de quatre de ces rares canons de 340 à longue portée.
Il est facile de toucher une grande ville à grande distance et d'y tuer des civils car la dispersion de plusieurs kilomètres des obus ne nuit pas aux "résultats", par contre vouloir atteindre un emplacement aussi restreint que celui d'un canon lourd à grande distance tient du miracle!

Si ce sujet intéresse les lecteurs, nous pourrons expliquer certains "tirs amis" et aussi pourquoi il était prudent d'évacuer la première ligne française avant d'effectuer un tir de destruction sur des tranchées ennemies situées à moins de 150 mètres de nos propres lignes.
Cordialement,
Guy François.
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Cne C
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Re: De la dispersion

Message par Cne C »

Et pour compléter les dires de mon camarade, l'objectif pour un artilleur n'est pas le "tir au but" même si le chef de pièce va désigner "l'arbre en boule (enfin quand ils en restent) ou le mouvement de terrain, le but et de tendre vers cet objectif sans faire un 100 millième.
leuques

Re: De la dispersion

Message par leuques »

Bonjour

oui, oui, moi ça m'intéresse !



cordialement
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Alain Dubois-Choulik
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Re: De la dispersion

Message par Alain Dubois-Choulik »

Bonsoir
Oui, des précisions sont les bienvenues, car quant on voit le canon reculer, ou sauter sur ses roues et le coup suivant partir dans la foulée, on se demande !!!
D'autant que passer des statistiques aux probabilités demande de ne pas changer les paramètres.....
Impatiemment
Alain
PS : les epp/d, c'est bien, mais les coups en dehors ( les 4 plus mauvais) ne sont pas théoriques , c'est un peu plus gênant qu'un trou beaucoup trop grand dans une tôle ....
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leuques

Re: De la dispersion

Message par leuques »

Bonsoir

et moi qui croyait que le canon de 75 avait un frein !
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Mike55
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Re: De la dispersion

Message par Mike55 »

Bonjour Guy, bonjour à tous,

Très intéressant Guy ce petit exposé, j'attends d'en savoir plus.

J'ajouterais une chose, que les journalistes et politiques de l'époque n'avaient certainement pas en tête. Il est plus facile de régler un tir quand la cible est à 3 km que quand cette dernière se trouve à 26 km.

De plus, si l'EPP varie plus vite que l'EPD ce ne serait pas dû à notre cher gravité qui influence plus l'EPP que l'EPD.

Cordialement,
Mikaël.
alain13
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Re: De la dispersion

Message par alain13 »

Bonjour,

Paru dans "le Pays de France" du 25 avril 1918..... (peut-être à l'attention de Clémenceau), :)

Image
Image

La réciproque devait donc être vraie concernant la neutralisation des "Parizer Kanone" qui tiraient sur Paris.
Mais n'y avait-il pas d'autres moyens , aériens par exemple, pour les faire taire ?

Cordialement,
alain

Quelqu'un a-t-il une idée de l'identité du Capitaine de Vaisseau V.... qui a rédigé cet article ?
ALVF
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Re: De la dispersion

Message par ALVF »

Bonjour,

Avant de passer à des cas concrets, une réponse à la question d'Alain:

-le fait pour un canon ancien, type de Bange ou "Ringkanone" des allemands, de "sauter" joyeusement en l'air ou du moins de se "cabrer" sur sa plateforme au moment du tir n'a aucune incidence sur la précision et la dispersion d'un tir si, bien entendu, "on" prend le soin de bien vérifier les éléments initiaux du tir et de reprendre son niveau de réglage et sa visée.Ce qui est fastidieux et explique qu'il faut au moins une batterie complète de canons de Bange pour délivrer dans un temps donné le même nombre de coups qu'un seul canon moderne à frein hydropneumatique permettant le "tir rapide".
-ces canons anciens présentaient de bonnes caractéristiques de tir, ainsi pour un tir à 10.000 mètres:
-le 155L de Bange modèle 1877 a un epp de 36 m et un epd de 8 m.
-le 105L modèle 1913 Schneider a un epp de 51 m et un epd de 3,9 m.
Ces deux types de canons constituent de 1915 à 1917 l'essentiel de la dotation de l'Artillerie Lourde affectée aux Corps d'Armée et étaient surtout utilisés en tir de contrebatterie, le "vieux" canon n'est pas ridicule au plan des caractéristiques balistiques.
Je traiterai ultérieurement un "cas d'école" qui a divisé les artilleurs à la fin de la Grande Guerre:
Quel était le meilleur canon lourd moderne français d'action lointaine et de contrebatterie en 1918, du 155 GPF ou du 155L modèle 1917 Schneider ou du 145 mm modèle 1916 Saint-Chamond?
Cordialement,
Guy François.
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Alain Dubois-Choulik
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Re: De la dispersion

Message par Alain Dubois-Choulik »

le fait pour un canon ancien, type de Bange ou "Ringkanone" des allemands, de "sauter" joyeusement en l'air ou du moins de se "cabrer" sur sa plateforme au moment du tir n'a aucune incidence sur la précision et la dispersion d'un tir si, bien entendu, "on" prend le soin de bien vérifier les éléments initiaux du tir et de reprendre son niveau de réglage et sa visée.Ce qui est fastidieux et explique qu'il faut au moins une batterie complète de canons de Bange pour délivrer dans un temps donné le même nombre de coups qu'un seul canon moderne à frein hydropneumatique permettant le "tir rapide".
Bonsoir,
Guy, j'ai en mémoire un 75 (tenu par des américains ?) tirant "à saturer", et je ne me souviens - dans ce court film d'époque- de personne reprenant le réglage - vu la cadence c'était d'ailleurs impossible !
Je ne sais si se saurais le retrouver, mais ça m'avait interpellé.
Florian avait dit à ce propos
tir intense sur une position, la rendant invivable, voire inaccessible.
je pencherais pour la dernière hypothèse ...
Cordialement
Alain

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Re: De la dispersion

Message par ALVF »

Bonjour,

Il faut tenir compte d'un point important la stabilité au tir du 75 dont le tube reprend sa position initiale et qui ne nécessite, le plus souvent, aucune correction de visée s'il est bien ancré.
Bien sûr, lors des "tirs sur zone" qu'affectionnaient particulièrement les britanniques et les américains jusqu'en 1918 (et encore en 1944, les villages normands en témoignent douloureusement!), il n'est pas question de corriger le tir mais les français et les allemands avaient appris dès 1916 l'inutilité de cette débauche de tirs à peine réglés qui a atteint son apogée lors des offensives britanniques des Flandres de l'été 1917, symboles de la tenacité mais aussi de "l'incapacité" de certains généraux britanniques!
Côté français et allemand, on effectue du "tir à démolir" en 1917-1918 qui ne vise que des points forts, judicieusement choisis, sur lesquels sont appliqués tous les moyens, le procédé est plus efficace que le tir intensif sur zone, surtout s'il a été bien préparé (un terme que j'expliquerai en détail plus tard).
L'expérience fut longue à acquérir: certains généraux français dans des circonstances difficiles donnaient en août 1914 à leurs artilleurs la seule consigne de "faire du bruit"!C'était la négation même de l'action de l'artillerie, les généraux avaient complétement "renversé la tendance" en 1918, peut-être même trop comme nous le verrons dans des exemples concrets.
Cordialement,
Guy François.
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