Je vous propose un petit résumé de l'histoire du mortier de tranchée de 240 LT modèle 1916.
C'est un mortier de tranchée à grande puissance dérivé de son prédécesseur le mortier de 240 CT modèle 1915.Ce premier mortier de 240 mm ne provient pas d'une étude demandée par les Armées mais d'une demande du sous-secrétaire d'état à la guerre Albert Thomas qui réclame un mortier de tranchée capable de riposter au Minenwerfer lourd allemand et en confie l'étude à la Société des Batignolles.
Ce premier mortier entre en service en septembre 1915 et est employé avec succès en Artois et en Champagne lors des offensives.
Son projectile est très puissant, c'est une bombe de 87 kg contenant une charge de 47 kg d'explosif mais sa portée est jugée médiocre, de l'ordre de 1025 m.
La Société des Batignolles améliore le matériel en le dotant d'un canon long et d'un appareil de mise de feu perfectionné, l'amélioration est spectaculaire car si le matériel de 240 LT modèle 1916 est plus lourd de 200 kg, sa portée est doublée et atteint 2140 mètres avec la bombe S de 85 kg, chargée de 42 kg d'explosif.
Le seul défaut du matériel est son poids de 3600 kg en ordre de tir dont 2400 kg pour la plateforme, composée d'une plateforme métallique s'appuyant sur une lourde plateforme en madriers.Pour le transport, le mortier est fractionnable en trois éléments portés sur une voiturette.Chaque voiturette peut être remorquée par un cheval ou "à la bricole" par 4 ou 8 hommes en fonction de la nature du terrain.
La précision des bombes à ailettes est initialement médiocre et sera très améliorée en 1918 par la mise en service des nouvelles bombes AB et Dh, la dernière, bombe légère, peut porter jusqu'à 2850 m.
Le mortier de 240 LT modèle 1916 est construit à 477 exemplaires, il sera employé par tous nos alliés qui l'adoptent ou le copient (Italie, Etats-Unis, Grande-Bretagne notamment).C'est le seul mortier de tranchée, avec le 150 Fabry, à être conservé pour l'équipement des Armées d'après-guerre.
Quelques illustrations:

Mortier de 240 LT en batterie avec schémas des bombes AB et Dh de 1918.


Schéma du tube de 240 LT, la bombe est introduite par la bouche et la douille contenant la charge par la culasse.Schémas des voiturettes de transport (voiture porte-tube, voiture porte-affût, voiture porte-plateforme métallique).

La douille du 155 CTR est employée pour contenir la charge de poudre du 240 LT modèle 1916.

Bombes des mortiers de 240: la n°1 est la bombe M du 240 CT, les n°2 et n° 3 sont les bombes S et T du 240 LT.

Bombes AB de 83 kg et bombe Dh de 50 kg modèles 1918.

Mortier de 240 LT modèle 1916 en batterie, on distingue la plateforme de madriers supportant la plateforme métallique.
Pour les opérations des 13 et 18 mars 1918, les mortiers ont été ainsi mis en batterie" à l'air libre" sur des emplacements sommairement construits compte tenu de la rapidité de la mise en oeuvre et des changements de position.Dans ces conditions, il faut tout de même de 12 à 24 heures pour creuser l'emplacement de la plateforme et mettre la pièce en batterie.
Dans les secteurs "agités", les emplacements profondément enterrés du front continu exigent des dizaines de jours pour "enterrer" les pièces dans des ouvrages profonds.
Ce tableau donne les effets des bombes de l'artillerie de tranchée:

L'effet d'une bombe de 240 LT dans les terres se caractérise par un entonnoir de 6 à 10 mètres de large et d'une profondeur de 2 à 3,50 m en fonction de la nature du terrain.
Il convient toutefois de considérer les effets en profondeur, les études "Génie" et "Artillerie" sur les effets des projectiles vont toutes dans le même sens, il est écrit que "l'éclatement des gros projectiles au dessus ou à côté des couloirs d'ouvrages ou des galeries souterraines provoque des ébranlements profonds et la compression du sol des effondrements".Concernant les galeries "les dislocations en profondeur conduisent à des effondrements".
Les textes concernant les effets du 240 LT sont encore plus explicites: "la bombe de 240 peut défoncer et disloquer la plupart des abris, elle tombe avec plus d'avantage à côté que sur l'abri".Il n'est donc pas nécessaire de perforer le ciel de la galerie, un coup latéral est susceptible de provoquer des effondrements par la compression du sol.
Il aurait été souhaitable d'analyser sur place les effets du tir sur la galerie du "Kilianstollen", j'espère que les archéologues y ont pensé.Une consultation de "sapeurs" ou "d'artilleurs" aurait été certainement aussi utile pour analyser ces effets.
En tout cas, les dizaines de soldats allemands morts dans le "Kilianstollen" ne sont pas morts "par hasard" du fait d'un tir de riposte mais ont été les victimes d'une opération de destruction massive, deux des batteries de 240 LT ont tiré chacune 250 coups de 240 LT et la troisième près de 150, une telle concentration de projectiles lourds avait de fortes probalités d'atteinte d'un ou plusieurs ouvrages importants de l'ouvrage bulgare.
La dotation en projectiles a été faite en caculant le chiffre moyen de projectiles à tirer sur une surface donnée.Ces chiffres varient en fonction de chaque matériel et de ses caractéristiques propres, ils varient aussi en fonction de la distance du tir.
Dans les rapports d'opération rédigés juste après les tirs, les officiers indiquent ne pas connaître les effets produits sur l'ennemi.Peut-être des rapports ultérieurs ou des renseignements de prisonniers ont ils donné d'autres détails.Il y a encore du travail pour les chercheurs car "quand on cherche, on trouve"!
Sources:
-Cours d'Artillerie de Tranchée de Bourges, édition 1918.
-Note sur les munitions d'artillerie de tranchée, 22 mai 1917.
-Mon livre: "Les canons de la Victoire", tome 3, l'artillerie de tranchée, 2010.
Cordialement,
Guy François.