Véracité du témoignage

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Titeuil
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Re: Véracité du témoignage

Message par Titeuil »

Bonjour à tous,

N'étant pas spécialiste du sujet, pouvez-vous me dire ce que vous pensez du témoignage de ce soldat à propos de l'armement français et de ses pièces d'artillerie pour la période décrite ?

21 mai 1916
(...) Il se décourage pas lui car il me dit qu’il faut prendre patience que nous les aurons que nous avons des 400, 380 et même des 510. Cependant jamais personne de nous en a vu sur le front si on fait de ces gros canons pour les exposer à Paris dans les musées, ils nous serviront guère. Jamais ils nous aurait mieux servi qu’à Verdun. Et on a jamais vu qu’où nous étions comme grosses pièces que des 120 et des 150 et ils étaient même rares, tandis que les Boches avait une quantité de grosses pièces que ceux qui ne l’on pas vu ne peuvent s’imaginer. Si nous avons résisté nous avons vu les sacrifices qu’il nous a fallu faire, les journaux ne vous le racontent pas tels que cela s’est passé. (...)

Mardi, 23 mai 1916

(…) Je t’ai écris il y a deux jours et je t’ai mis la lettre qu’Alexandre m’as écris pour te faire voir comme il a confiance à la victoire. Si les pièces de canon qu’il me dit de 380, 400 et 510 à l’intérieur de la France. Nous constatons tous qu’il y en a pas sur le front. Tu vois comme cela marche bien chez nous. Où nous sommes les boches ont plusieurs mitrailleuses où nous nous en avons rien qu’une. Pour égaler les boches en armement il nous faut encore des années alors tu vois que nous nous commencerons à être prêt seulement quand la guerre va se terminer. Au début, nous avions des vivres en abondance. C’était l’armement qui nous manquait, et quand nous aurons l’armement suffisant pour pouvoir les repousser chez eux nous n’aurons peut-être plus rien à nous mettre sous la dent. (…)

D'avance merci,

Bien à vous tous

Christophe
ALVF
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Re: Véracité du témoignage

Message par ALVF »

Bonsoir,

Ce témoignage me semble refléter la vérité à la date du 21 mai 1916, à cette date, l'artillerie lourde de la II° Armée française est essentiellement composée de pièces anciennes système de Bange, les rares pièces modernes (155 CTR, 105L modèle 1913) sont déplacées dans les différents secteurs du front de Verdun en fonction des circonstances.Les rares pièces d'Artillerie Lourde à Grande Puissance ne sont guère visibles des combattants de Verdun (14 cm, 16 cm Marine, 19 cm et 24 cm sur Voie ferrée, batterie d'obusiers de 200mm sur voie ferrée), les deux pièces les plus puissantes de 305 mm ne peuvent être déployées dans les premiers jours de la bataille compte-tenu de la supériorité allemande en pièces très lourdes et à grande portée.
La situation ne s'améliore pas à Verdun avant l'automne car Joffre a envoyé sur la Somme toutes les pièces les plus puissantes, c'est en octobre 1916 qu'arriveront enfin à Verdun les pièces d'A.L.G.P. nécessaires à la contre-offensive et à la reprise de Douaumont et Vaux.A cette époque, la II° Armée dispose désormais de mortiers de 280 et de 370 mm, d'obusiers de 400, de canons longs de 274 mm, 305 mm et 32 cm.
Quelques dates d'entrée en service sur le front des matériels très lourds de l'artillerie française:
-mortier de 370 mm: septembre 1915.
-canons de 274 mm: septembre 1915.
-canons de 305 mm: été 1915.
-canons de 32 cm: avril 1916.
-canons de 340 mm: juillet 1916.
-obusier de 370 mm: automne 1916.
-obusiers de 400 mm: juin 1916.
-obusier de 520 mm: achevés en juillet 1918, jamais employés sur le front en 1918 du fait de difficultés de mise au point des projectiles.
Ces dates prouvent au moins une chose: une armée moderne ne s'improvise pas en quelques mois et il faut au moins deux années pour mettre en service des nouveaux matériels.
On a souvent reproché aux généraux français d'être "en retard d'une guerre", c'est un argument commode pour masquer les responsabilités des dirigeants du pays, en effet, dans les années 1890, la France mit en service les premiers matériels d'artillerie lourde moderne à frein hydraulique(120C et 155C) quand l'armée allemande construisait encore des matériels lourds d'une technicité archaïque.
De 1900 à 1912, tous les chefs militaires prônant la nécessité d'une artillerie lourde furent "écartés" car les dirigeants pensaient avoir fait un effort, il est vrai sans précédent, en adoptant le célèbre "75" qui coûta très cher aux finances du pays.Pendant la même décennie, l'Allemagne fit de son côté un effort gigantesque en créant une artillerie lourde moderne comprenant toute une gamme de matériels du 10 cm au monstrueux 42 cm.
Un (petit) exemple français: le Chef d'Escadron Filloux étudia en 1908 son mortier de 370 mm dont la construction fut sans cesse retardée jusqu'en 1914, à tel point, qu'en 1912, le C.E Filloux partit dans l'industrie privée, il commandait un groupe de 75 mm mobilisé au début de la guerre et on le rappela en catastrophe fin 1914 pour superviser la construction de son mortier de 370 mm qui put être employé en septembre 1915 sur le front.
Il est juste de rappeler que les dirigeants du pays furent "conquis" par la "stratégie" de Joffre et de ses "jeunes turcs", stratégie rappelant les grandes heures de la "levée en masse" de 1792 et permettant au pays de s'économiser les dépenses une coûteuse artillerie lourde.Il faudra payer du sang de nos soldats cette criminelle inconscience, qui n'est pas du fait des seuls militaires mais qui concerne aussi largement les responsables de l'époque.
Cordialement, Guy.
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Titeuil
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Re: Véracité du témoignage

Message par Titeuil »

Bonsoir à tous, bonsoir Guy,

Un très grand merci pour ce brillant exposé.
Une précision : "mon soldat" témoigne de son expérience, à savoir celle du fort de Vaux, à un moment critique (la première quinzaine de mars 1916).
Une question : à votre avis, partant de vos affirmations, peut-on considérer que "mon soldat" avait plutôt une estimation juste de l'état des forces en présence, et que son analyse fut plutôt bonne ?

D'avance merci.

Bien à vous tous,

Christophe

ALVF
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Re: Véracité du témoignage

Message par ALVF »

Bonjour,

L'analyse de "votre" soldat est malheureusement exacte pour les mois de février à avril 1916 et même un peu après.Je pense qu'il n'appartient pas à l'artillerie car il aurait entendu parler des calibres réels employés par l'artillerie française: 370 mm et non 380, 520 et non 510.
L'infériorité de l'artillerie lourde française est très marquée à Verdun au début de la bataille, le 21 février 1916, les chiffres suivants ne concernent que les canons d'un calibre supérieur à 120 mm:
-les allemands alignent :
-en mortiers et obusiers 13 pièces de 42 cm, 11 de 30,5 cm, 2 de 28 cm, 140 de 21 cm, 276 de 15 cm.
-en canons longs: 3 canons de 38 cm Marine, 1 de 21 cm Marine, 63 de 15 cm, 14 de 13 cm.

-les français ne disposent que des pièces suivantes:
-mortiers et canons courts: 8 de 220 mm, 36 de 155.
-canons longs: 2 de 305 mm,4 de 240 mm, 6 de 19 cm, 2 de 16 cm, 33 de 155L, 12 de 14 cm.

Ces chiffres se passent de commentaires, il faut même prendre en compte le fait que 90% des pièces allemandes sont des canons à tir rapide alors que la proportion des pièces à tir rapide côté français ne dépasse pas 20%.
Ces chiffres sont accablants pour tous les dirigeants civils et militaires du pays de la décennie 1900 à 1910.
Il faut savoir que le "rendement" d'un canon à tir rapide est quatre fois plus élevé qu'un canon à tir lent.Il ne faut toutefois pas prendre en compte la seule cadence de tir maximum qui ne peut être soutenue très longtemps mais le nombre de coups tirés par heure, là encore les pièces à tir rapide "valent" au minimum 2 à 3 pièces anciennes.
Un fait peu connu tout de même, les obus allongés français contiennent 60% d'explosif de plus que leurs homologues allemands, leurs effets sont donc plus considérables.C'est une maigre consolation car la lutte d'artillerie est très inégale jusqu' en avril 1916 où la situation française s'améliore, mais c'est vraiment à l'automne que les français pourront faire "jeu égal" en matière d'artillerie lourde et même domineront l'artillerie lourde à grande puissance allemande, ce qui explique les succès du Général Nivelle à Verdun en octobre et décembre 1916.
Cordialement, Guy.
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Titeuil
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Re: Véracité du témoignage

Message par Titeuil »

Bonjour à tous, bonjour Guy

Merci pour toutes ces informations très instructives. "Mon soldat" est un simple seconde classe, agriculteur de son état, mais très lucide sur bien des sujets, en étant capable de fournir de nombreuses analyses fines et particulièrement bien fondées, comme celle-ci, qu'il émet toujours au printemps 1916, à propos de l'avenir économique des pays européens :

" (...) Il faut bien nous rendre compte que nous allons vers une ruine complète.(...)"

Bien à vous tous,

Christophe
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