Dans cet article je vous présente des lieux dits que vous connaissiez tous « le bois de la Gruerie, le Four de Paris, Lachalade, la Hazarée, les Islettes ainsi que l’histoire d’une famille implantée sur ces lieux et qui perdit avec la guerre son fils et ses propriétés
L’origine du calvaire du Four de Paris
Charles de Bigault de Granut et sa sœur Lucie, qui avait épousé Maurice de Charmacé habitaient le château d’Aulnois, sont à l’origine du calvaire du Four de Paris. Durant la grande Guerre 1914/1918 qui venait de s’achever .Charles avait perdu son seul fils Louis et Lucie son deuxième gendre Eugène de Benoist, le premier Henri de Noüe ayant été tué dans un accident d’aréostat en 1913.
De plus une grande parie de leurs biens «maisons de famille, usines à bois avaient été rasés lors des durs combats de l’Argonne et de Champagne».
Au début des années 20, Charles voulant honorer la mémoire de Louis, proposa avec sa sœur Lucie, d’associer sur un monument, les autres membres de leur famille victimes de la guerre. Ils contactèrent leurs cousins Boullenois de Senuc, Beaumont, Bonnay de Breuille, Dubouché, Mairion, Thierion de Monclin
L’idée prit corps et le principe du calvaire fut retenu.
Pour le choix de l’emplacement, Charles et Lucie proposèrent une implantation en Argonne, au carrefour du Four de Paris, berceau de leur famille où ils étaient nés, en bordure du bois familial de la Gruerie, tristement célèbre par ses durs combats de 1915.
En 1792, le Four de Paris était un hameau qui comprenait les bâtiments d’une verrerie construite et exploitée par les seigneurs Bigault de Boureilles jusque vers 1850, des maisons pour les ouvriers, une modeste chapelle construite par les moines de l’abbaye voisine de Lachalade et de l’autre côté de la route une hostellerie relais, avec écuries et granges, à l’enseigne du père Gobinet.
Charles et Lucie faisaient parties d’une famille de gentilshommes verriers exerçant leur art depuis des siècles, au milieu de la forêt de l’Argonne qui offrait un sable et le charbon de bois nécessaires.
Les Bigault 5 verreries dans la vallée de la Biesmes : Les Senades, la Hazarée, le Neufour, les Islettes et le du Four de Paris où ils résidaient dans l’ancien relais de Poste
La dénomination Four de Paris provenait du type de bouteille produite qui répondait aux standards de la ville Paris. Le travail était dur et la concurrence sévère.
Le père de Charles et Lucie (1828/1894) qui épousa, en 1859, Isabelle de Boullenois de Senuc, et son frère prirent la décision osée d’éteindre une partie des fours de la vallée, devenus peu rentables et de déporter leur activité dans la banlieue nord de Reims à Loivre. En, 1853, ils se portèrent acquéreur du domaine des Fontaines, château et fermes et édifièrent en bordure du canal de l’Aisne, une verrerie moderne pour répondre au marché des bouteilles de champagne. Leur beau-frère Henry de Boullenois les rejoignit. Avec des millions de bouteilles, d’excellente qualité, produites chaque année, elle fut rapidement célèbre et rentable. Dès, 1855, la verrerie Granut frères occupe un stand à la première exposition universelle de Paris ?
La verrerie du Four de Paris sera fermée en 1884 et celles des Islettes confiée à un cousin Bigault de Granut.
A la fin du XIXéme, Eugène racheta aux demoiselles de Bigualt de Belvaux, le manoir de Belvaux, situé au croisement des routes au Four de Paris, non relais du relais de Poste. Il fut restauré en 1912 par sa fille Lucie de Charnacé. Eugène se rendit acquéreur, en1859, des 1500 hectares des bois de la Gruerie, dont il ne reste aujourd’hui que les 38 ares du calvaire.
En 1864, Eugène acheta le domaine de Maison-Rouge, aux Alleux dans les Ardenne, 600 hectares en partie clos de murs, avec 3 étangs. Il y fit construire la nouvelle maison de famille des Bigault, une maison de style Napoléon III comportant autant de portes et fenêtres que de jours de l’année. La maison, le parc, avec un élevage de daims et de chevreuils, faisant de Maison-Rouge, l’un des plus beaux domaines de France. A la fin XIXéme, Lucie s’y maria en 1882. Après la mort d’Eugène, Isabelle y vécut jusqu’à sa mort en 1908, puis le domaine trop lourd à entretenir, fut vendu en 1910 à Léon de Tassigny
Eugène est mort en 1894 à Loivre, au château des Fontaines et inhumé dans le cimetière des Alleux. A la vente de Maison-Rouge, la tombe fut transférée à Senuc le pays de son épouse. Charles succéda à son père et repris le titre Maître verrier, d’abord en société avec sa mère et sa sœur Lucie, puis seul à partir de 1899. Il épousa en 1892 Paule de Puget de Barbentane. Ils habitèrent le château des Fontaines à Loivre et le Four de Paris. Ils eurent deux enfants.
En juillet 1914 Lucie de Charnacé arriva au le Four de Paris pour y passer un mois. Sa fille Marie-Thérèse de Noüe (veuve) et ses enfants la rejoignirent. Les menaces de guerre étaient sérieuses.
Lucie écrivait ses mémoires :
Revenons à notre départ du Four de Paris. Nous le quittions le 31 juillet le cœur serré nous demandant si on le reverrait ? Arrivés à la Chalade, notre bonne cousine Marthe était sur la route pour nous dire adieu.
Nous étions tous très émus.
Au début de la guerre, en septembre 1914, les Allemands après la bataille de la Marne, poursuivis par les Français, reculèrent vers l’est, sur des terrains nus, jusqu’au relief de l’Argonne. Lors de l’invasion, ils avaient évité d’entrer dans ce massif forestier de 70Km sur 15Km, entaillé de profondes vallées et de défilés.
Mais fin septembre 1914, ils s’y enterrèrent et les Français firent de même. Ils s’installèrent face à face dans une guerre de position qui dura de long mois.
L’historique du 150éme R.I relate :
« Période à jamais mémorable dans l’histoire du régiment, pendant 7 mois, sous les pluies et dans les boues de l’Argonne, sur un terrain que la poussée de l’ennemi empêche d’organiser convenablement, le 150éme R.I soutient victorieusement une lutte incessante une lutte incessante contre les troupes puissamment outillées et entraînées à la guerre de siège ».
Les Allemands mieux préparés que les Français, à la guerre statique, disposaient d’un armement approprié : obusiers, lances grenades, minenwerfers dont ils firent un large usage pour démolir tous les ouvrages, tranchées, abris, casemates …. Autant dire que les bois dont celui de la Gruerie, furent déchiquetés et toutes les constructions de la forêt, pouvant servir d’abris, furent systématiquement démolies. Le château et la verrerie furent rasés dès 1914. Le manoir de Belvaux tint debout jusqu’en 1918, mais fut ensuite totalement détruit.
Un Ardennais, fuyant l’invasion et cherchant un toit
relatait dans ses mémoires :
En Argonne, à l’intersection de deux routes, une seule maison subsiste (Belvaux). Toutes les autres sont anéanties. On y va, on y reste. Des brancardiers s’y sont installés et dans une grande salle, on dit la messe.
C’était une maison agréable et cossue. On peut imaginer les jours faciles que des gens heureux y coulèrent. Pavillon de chasse, des fauteuils confortables offraient, au soir de journées de pleine air, un repos aimables aux chasseurs fatigués. Le piano est encore là. J’avoue qu’on s’en sert. Lors des dîners de chasse, j’entends les rires solides de bons vivants qui, par les baies, sous le clair de lune voyaient le plus beau et le plus émouvant paysage ; celui de l’Argonne, celui de la noire et mystérieuse Argonne. Pauvre pavillon délabré, abîmé ! On n’y conte plus d’inépuisables histoires de chasse et le gibier n’apparaît plus sur la table.
Les Bigault perdirent tout. Charles qui n’avait donc qu’un fils pour lui succéder, abandonna ses activités de verrier et partit dans le var, pays de son épouse, reprendre une exploitation.
Louis de Bigault, soldat du 132éme R.I, écrivait à sa mère le 7 juillet 1915 :
«Ma chère maman, je suis passé hier devant notre pauvre maison. Il n’en reste en effet que quelques pans de mur que la distance ne m’a pas permis de préciser. De la grange, il ne subsiste que quelques bandeaux de torchis du 1er étage qui sont restés collés aux poutres. Le moulin est fauché au ras du sol et le château de Bellevaux est toujours debout, en assez bon état. Il en est de même de la maison de l’oncle Léopold ».
Le comte de Hennezel d’Ormois, sous officier au Service Sanitaire 44 durant la grande guerre, rejoignant Verdun via Ste Menehould, fin 1916, relatait dans ses mémoires.
Les bombardements avaient soufflé les constructions comme des châteaux de cartes, souvent même par simple déflagration des obus. Partout se dressaient des carcasses de bâtiments, habitations, étables ou granges, découpant dans le ciel leurs lugubres enchevêtrements de bois.
La vision d’une de ces ruines m’avait particulièrement frappé. Celle d’un petit château, en bordure de la route au Four de Paris. Un corps de logis carré, flanqué aux angles de petits pavillons aussi carrés. Seule restait l’ossature du manoir et au milieu d’un cimetière de croix blanches, labouré par les obus, l’ancien jardin entourant la propriété. Comme fond de tableau, la pente sud-ouest du bois de la Gruerie, hérissée de troncs d’arbres déchiquetés à quelques mètres au dessus du sol.
Le poste de secours du Four de Paris se trouvait dans les cagnas creusées dans le talus, de l’autre côté de la route, les tranchées Allemandes de la Haute Chevauchée, dominaient si bien certains endroits du chemin qu’il avait fallu, pour les dérober à la vue de l’ennemi, les camoufler avec des branchages. J’avais pris plusieurs photographies de ce paysage de mort.
Source: le calvaire du Four de Paris – Gilles Thierion de Monclin
(prochain épisode l’édification du calvaire de Paris)
bonne journée à tous
J.Fouré
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