PETITE MARIE Barque de pêche d'Audierne

olivier 12
Messages : 4029
Inscription : ven. oct. 12, 2007 2:00 am

Re: PETITE MARIE Barque de pêche d'Audierne

Message par olivier 12 »

Bonjour à tous,

PETITE MARIE

Barque de pêche d’Audierne
Immatriculation 1897

Rencontre avec un sous-marin

Note du Commissaire Spécial de Quimper au Général Commandant la XXe région. 18 Mai 1918

J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que de pêcheurs d’Audierne et de Poulgoazec (nota : aujourd’hui Plouhinec) ne veulent plus depuis quelques jours se livrer à la pêche aux maquereaux qui se pratique à environ 80 km des côtes françaises vers l’Ouest. Des marins pécheurs de ces localités ont appris par des pêcheurs d’autres ports, entre autres Douarnenez, que des sous-marins allemands sont signalés dans ces parages.

Après enquête, j’ai recueilli les renseignements suivants :

Le nommé Joseph HASCOËT, 49 ans, de Poulgoazec, bateau n° 784, a déclaré que le 17 Mai au matin, étant à la pêche au gros maquereau, il a rencontré le PETITE MARIE, n° 1897, de Douarnenez, patron DILER, qui lui a fait savoir que le 16 à 15h00, étant à 85 milles au SW d’Armen, un sous-marin allemand peint en gris et long de 50 m a accosté son bateau et lui a demandé s’il n’avait pas vu dans les parages d’autres sous-marins allemands. Il s’est ensuite informé de l’équipage du bateau et a semblé étonné de compter 12 hommes à bord d’une si petite embarcation. Il a demandé à DILER de lui livrer du poisson, ce que celui-ci a fait. Il lui a donné 5 paniers de maquereaux, soit 15 douzaines. Le commandant du sous-marin a voulu remettre de l’argent à DILER, mais celui-ci a refusé. Le commandant a alors fait jeter dans le bateau de pêche des boites de conserve de viande et des conserves de légumes. Puis il a disparu à 16h00.

Selon HASCOËT, avant de plonger le commandant du sous-marin a dit à DILER de prévenir tous ses camarades de rentrer immédiatement au port pour éviter tout accident possible. Mais il ne semble pas que DILER ait dit cela à HASCOËT, à moins que ce dernier n’ait mal interprété ces paroles, car le 1897 est resté sur les lieux de pêche jusqu’au lendemain 17, où il a rencontré le 784.

Pour compléter ces renseignements, je dois vous dire que le même jour, 16 Mai, l’équipage du bateau de Douarnenez n° 1740, patron Eugène NOURY, a perçu à 80 milles au SW d’Armen, un deuxième sous-marin peint en noir, long de 50 m, sans mât ni cheminée, muni à l’avant d’un canon de calibre inconnu. Il était 13h15 et ce sous-marin marchait en surface à environ 1 nœud, vers l’Est. Il est passé à 200 m du 1740 qui l’a revu dans l’après midi naviguant lentement en demi-plongée. Il a disparu vers 18h00.

Enfin vers 18h00, le bateau de pêche MOÏSE, n° 2076, patron Helias, a aperçu à 80 milles au SW d’Armen un sous-marin filant 3 ou 4 nœuds qui a disparu vers 18h30, a reparu vers 19h00 pour disparaître définitivement à 19h45. Il était peint en gris, sans mât ni cheminée, et sans signe distinctif sur la coque. MOÏSE avait croisé le matin du même jour une chaloupe gréée en voilier, avec voiles blanches de même forme que celles des bateaux de pêche de Camaret. Mais ce voilier ne devait être autre chose que le sous-marin de l’après midi, maquillé en bateau de pêche.

Le 17 Mai à 08h30, dans les mêmes parages, le patron DILER a aperçu un sous-marin faisant route vers Penmarch en demi-plongée, à 4 ou 5 nœuds, d’au moins 50 m, mais qui avait deux mâts et une cheminée.
Pour terminer, les boites de conserve données à DILER ont été consommées par l’équipage du 1897. En arrivant à Douarnenez, DILER a fait un rapport à l’Administrateur et lui a remis les boites vides, ainsi que les boites pleines qui lui restaient. Elles ont été transmises à Monsieur l’Amiral, Préfet Maritimes de Brest.

Malgré la présence des sous-marins, les pêcheurs de Douarnenez ont repris la pêche aux maquereaux comme d’habitude. Ceux de Poulgoazec et d’Audierne avaient momentanément cessé par peur. Sur nos conseils et les exhortations de Monsieur l’Administrateur, ils ont décidé de reprendre la mer.
Aucun incident ne s’est produit jusqu’à présent. La pêche continue et elle est fructueuse. Les marins pêcheurs recueillent de gros bénéfices en vendant le produit de leur pêche aux mareyeurs.

Rapport du LV WEVERBERGH, commandant le torpilleur 299 au CV Chef de Division. 18 Mai 1918.

(Notons que nous avons déjà rencontré ce Lieutenant de Vaisseau qui quelques mois plus tard, ayant été nommé à Constantinople et regagnant son poste, fera naufrage avec le CHAOUIA qui sautera sur une mine à l’entrée Nord du détroit de Messine. Il aura d’ailleurs une belle conduite et s’en sortira.)

J’ai procédé à une nouvelle enquête en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles des pêcheurs ont été amenés à donner du poisson à un sous-marin et à en recevoir des boites de conserves. Les résultats se résument ainsi :

Un groupe de pêcheurs de Douarnenez parti du port le 14 avant le jour se trouvait à une quarantaine de milles d’Armen, en ordre très dispersé. Malgré les recommandations faites par moi-même et renouvelées au cours des réunions tenues à Douarnenez, ce groupe opérait indépendamment du groupe principal des pêcheurs au maquereau composé de gens de Penmarch. Le nombre de garde-pêches dont on dispose permet de protéger seulement le groupe principal des pêcheurs spécialisés dans ce genre de pêche.
Dans la nuit du 15 au 16 Mai, plusieurs fusées rouges pas très puissantes semblent avoir été observées, ainsi qu’un pinceau lumineux fugitif assez semblable à celui d’un projecteur (déposition du patron ANSQUER du 2079).

Un sous-marin de petites dimensions, peint en gris, en bon état de propreté, possédant un kiosque central, deux filières ou antennes TSF allant de l’avant à l’arrière et soutenues au dessus du kiosque, a été aperçu le 16 au matin à 08h00 par divers bateaux du groupe. Il semblait faire des routes variées. Avant et arrière plat, canon entre 90 et 120 mm, pas de coupes-filets en dents de scie. Aucune marque. Le patron de la barque 1897 estime sa longueur à 35 m. Entre 14h00 et 15h00, il s’approche prudemment de PETITE MARIE (n° 1897), patron Joseph DILER, armé par 12 hommes d’équipage. Il dispose une mitrailleuse sur son kiosque et la maintient en direction des pêcheurs qui sont absolument terrorisés.
Il y a calme plat et 1897 a amené ses voiles. Le commandant du sous-marin est sur le kiosque avec un autre officier. Ils n’ont pas de galons, mais seulement une casquette avec écusson. Trois hommes sont sur le pont avant près du canon. Le commandant parle mal le français et s’aide d’un dictionnaire.
Les deux officiers se réjouissent fort de la terreur des pêcheurs et les photographient à plusieurs reprises. Le dialogue suivant s’échange, à quelques mètres de distance :

- Vous êtes des pêcheurs ?
- Oui.
- Avez-vous du poisson ?
- Oui.
- Voulez-vous nous en donner ?
- Oui.

Les poissons sont envoyés sur le sous-marin dans un panier, au moyen d’un va-et-vient. Les Allemands les mettent dans des sacs et renvoie le panier.

- Avez-vous d’autre poisson ?
- Oui.
- Donnez-nous encore du poisson.

Nouveau va-et-vient et vingt douzaines de maquereaux sont ainsi envoyés à bord du sous-marin.

- Avez-vous fait bonne pêche ?
- Non. Il y a peu de poisson aujourd’hui.
- Combien êtes-vous à bord ?
- Douze hommes.
- Pourquoi êtes-vous si nombreux ?
- Parce que les filets sont difficiles à mettre à l’eau et à rentrer.
- Avez-vous vu d’autres sous-marins dans le voisinage ?
- Non. Aucun.
- Voulez-vous de l’argent pour votre poisson ?
- Non.
- Voulez-vous de la julienne (sic) ou de la viande ?
- Non, nous en avons.
- Cela ne fait rien. Prenez toujours ceci.

Les Allemands jettent quelques boites de conserves à bord de PETITE MARIE.

- Quel est l’âge des gens qui sont à votre bord ?
- Un peu tous les âges entre 17 ans et 58 ans.
- Au revoir.

Le commandant rit et soulève sa casquette. Les pêcheurs saluent en ôtant leurs bonnets. Le sous-marin s’éloigne après avoir rentré sa mitrailleuse. La conversation a duré un peu moins d’une demi-heure.
Ce même sous-marin a été vu par plusieurs autres pêcheurs, notamment le soir du 16 Mai à 19h00 à 30 milles au SW d’Armen par le patron HELIAS, du MOÏSE (2076 Treboul), qui, une heure auparavant avait rencontré un patrouilleur. Ce patrouilleur pourrait être le garde pêche PUTOIS qui était en surveillance aux abords de la chaussée de Sein, mais je n’ai pu vérifier ce point, le PUTOIS ayant repris la mer.
Le patron NOURY, du 1740, a déclaré avoir vu à 30 milles au SW d’Armen, dans l’après midi du même jour, un sous-marin répondant aux mêmes caractéristiques, mais peint en noir. Il l’a bien observé puisqu’il est resté stoppé plus d’une heure à quelques centaines de mètres de distance. Le lendemain 17 à 08h00 du matin, à 15 milles au SW d’Armen, un sous-marin beaucoup plus grand a été vu par plusieurs pêcheurs vers 10h00. Il faisait lentement des routes diverses. Les pêcheurs l’ont vu de loin et les explications ne sont pas très précises à son sujet. Le patron ANSQUER, du 2079, déclare que c’était un gros sous-marin accompagné de deux autres très petits, un à bâbord et un à tribord. Le patron DILER dit qu’il n’y avait qu’un seul grand sous-marin avec l’avant en guibre.
Les pêcheurs disent que ce gros sous-marin devait avoir rendez-vous dans les environs d’Armen avec un ou plusieurs bâtiments. Les fusées aperçues et les questions posées par le commandant du sous-marin relatives à la présence d’un autre, ainsi que la longue durée du séjour au même endroit le font penser.

Les boites de conserves ont été rapportées à Brest. Elles sont d’un modèle particulier. Deux ont été consommées par les pêcheurs, « pour voir comment on mange en Allemagne » disent-ils….
Les boites portent la marque suivante : « Leipziger Allelei + mot illisible, Larsener Conserves Fabrik Lieburg & Pforten Lehndorf Braunschweig »

Note du CV Chef de Division. 19 Mai 1918

Malgré des recommandations renouvelées plusieurs fois, ces pêcheurs se sont séparés, peut-être malencontreusement, du groupe principal et ont échappé à toute protection des gardes pêche armés qui, de ce fait, n’ont pu intervenir contre le sous-marin ennemi.
Je soumets à votre approbation une demande de sanction à l’égard de ce personnel.

Nota : on remarque que le raisonnement de ce capitaine de Vaisseau est particulièrement absurde, puisque si ces barques de pêche étaient demeurées avec les patrouilleurs, personne n’aurait vu le sous-marin qui n’était pas sur les lieux de pêche du groupe principal.
En réalité, on comprend que ce qui déplaît fortement aux autorités, c’est cet échange de nourriture fraîche - en l’occurrence des maquereaux- contre des conserves entre Français et Allemands. En temps de guerre cela leur semble inadmissible. Il fallait donc à tout prix punir ces malheureux pêcheurs. Toutefois, il semble qu’aucune sanction ne fut prononcée.


Le sous-marin acheteur de maquereaux

N’est pas identifié.

Mais ce pourrait être l’UB 74 de l’Oblt z/s Ernst STEINDORFF qui vers le 18 Mai descendra jusqu’à l’île d’Yeu, venant de la Manche.
Toutefois, si c’est lui, nous ne le saurons sans doute jamais car il disparaîtra avec tout son équipage (et son journal de guerre) le 26 Mai, coulé dans Lyme Bay par une charge du patrouilleur LORNA.

UB 74 était un sous-marin de type UB III identique à l’UB 64 ci-dessous.

Image

Cdlt
olivier
Répondre

Revenir à « Navires et équipages »