Droit maritime — La notion de « baraterie criminelle ».

Rutilius
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Droit maritime — La notion de « baraterie criminelle ».

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Bonsoir à tous,

La notion de baraterie sous l’Ancien régime


I. – L’expression « baratterie de patron » figurait à l’article 28 du Titre VI. – « Des assurances. » – du Livre III. – « Des contrats maritimes. » – de l’Ordonnance de la Marine du mois d’Août 1681. Cette disposition était ainsi rédigée :

« Ne seront tenus les assureurs, de porter les pertes & dommages arrivés aux vaisseaux & marchandises par la faute des maîtres & mariniers, si par la police ils ne sont chargés de la baratterie de patron. »

— René Josué VALIN, avocat et procureur du Roi au siège de l’Amirauté de La Rochelle : « Nouveau commentaire sur l’Ordonnance de la Marine du mois d’Août 1681. Où se trouve la Conférence des anciennes Ordonnances, des Us & Coutumes de la Mer, tant du Royaume que des Pays étrangers, & les nouveaux Règlements concernans la Navigation & le Commerce maritime. Avec les Notes historiques & critiques, tirées de la plupart des divers Recueils de Manuscrits conservés dans les dépôts publics. Dédié à S.A.S. Mgr le Duc de Penthièvre, Amiral de France. A La Rochelle, chez Jérôme Legier, Imprimeur du Roi, au Canton des Flamands. M. DCC LXVI. [1766]. Avec approbation et privilège du Roi. », Tome second, p. 79.

Selon Valin, la « baratterie de patron » était, sous l’empire du droit maritime d’ancien régime, « la faute du maître & des mariniers, si les marchandises reçoivent du dommage lors de leur chargement, faute de bons guindages & cordages, ou parce que la manœuvre est mal faite, & que le navire n’est pas bien amarré, ou, pendant le voyage, pour n’avoir pas bien fermé les écoutilles. [...] De même si les marchandises ont été mal placées dans le navire, [...] comme si se sont des marchandises sèches, mises sous des barriques d’huile, d’eau de vie, vin, Etc. ; si le navire est surchargé, s’il y a soustraction ou altération d’une partie des effets. » (Ibid.).

Et, concluait-il, « par la nature du contrat d’assurance, l’assureur n’est chargé en droit de répondre que des pertes qui arrivent par cas fortuit, par fortune de mer ; ce qui est tout à fait étranger aux fautes que peuvent commettre le maître & les mariniers. »

Néanmoins, ajoutait-il, « par convention, les assureurs peuvent être obligé d’en garantir les assurés. [...] Et il ne faut pour cela [...] que les charger par la police de la baratterie de patron ; termes énergiques qui comprennent absolument tout le dommage qui peut résulter du fait du maître & des gens de son équipage, soit par impéritie, imprudence, malice changement de route, larcin ou autrement : sauf les assureurs, comme subrogés de plein droit aux assurés, à se pourvoir en garantie contre le maître, dans tous les cas où les propriétaires ou les chargeurs auraient actions contre lui, pour la réparation du dommage. » (Ibid.).


II. – La « baratterie de patron » se distinguait de la « baratterie frauduleuse », infraction pénale – et non faute civile – visée par l’article 35 du Titre I. – « Du capitaine. » – du Livre II. – « Des gens & bâtimens de mer. » – de l’Ordonnance de la Marine du mois d’Août 1681, disposition ainsi rédigée :

« Si le maître fait fausse route, commet quelque larcin, souffre qu’il en soit fait dans son bord, ou donne frauduleusement lieu à l’altération ou la confiscation de marchandises ou du vaisseau, il sera puni corporellement. » (op. cit., T. I., p. 459 et 460).

Selon Valin, la « fausse route » « ne s’entend que d’une véritable fausse route qui expose le navire, qui l’écarte du lieu de sa destination, ou qui allonge considérablement le voyage, le tout par le fait propre du capitaine, en fraude & par affectation. Car s’il ne l’a fait que pour un bon motif, comme par exemple, si sur un avis vrai ou faux qu’il y avait des vaisseaux ennemis sur sa route, il a changé la sienne ; & de même si sans avis, il ne l’a changée que de concert avec ses officiers, dans la crainte de rencontrer l’ennemi dans les parages de sa route à droiture, il n’y a aucun reproche à lui faire. » (Ibid).

Quant à la notion de « larcin », cet auteur apportait les précisions suivantes :

« A l’égard du larcin, soit que le capitaine le commette par lui-même ou par le ministère de quelques-uns de ses gens ; soit qu’il le laisse commettre, il est très également & très justement sujet à punition corporelle, à raison de son manquement de fidélité, & de l’abus qu’il a fait de la confiance des propriétaires & de l’armateur, envers lesquels il s’est rendu coupable par-là, d’avoir violé le dépôt qu’ils lui ont mis en mains.
» Mais pour ce qui est du larcin commis par autrui ; afin qu’il soit censé l’avoir souffert & par-là en être réputé complice, il est entendu qu’il doit en avoir eu une pleine connaissance soit dans le temps ou depuis, & qu’il y en ait preuve, sans qu’il ait fait les diligences & perquisitions convenables pour découvrir le coupable & l’arrêter pour le faire punir.
» Ces vols à bord sont assez communs, tant à la décharge qu’au chargement des navires à l’Amérique ; mais il est extrêmement rare qu’on en découvre les auteurs. La police qui s’observe pour dédommager du vol le propriétaire de la chose volée, lorsque le voleur ne peut pas être reconnu, est d’en faire supporter la valeur à tout l’équipage indistinctement ; aussi bien au capitaine qu’aux officiers & matelots, le tout au sol la livre des gages de chacun. C’est une perte qui se régale sur eux tous, non par têtes précisément, mais eu égard au prix de leurs gages.
» Il n’est certainement pas de tempérament plus judicieux à prendre, quoiqu’on ne doive pas présumer naturellement que le vol puisse avoir été fait par les officiers majors, encore moins que par le capitaine ; & qu’ainsi c’est leur faire supporter, pour une bonne partie les friponneries des matelots : mais enfin l’ordre l’exige. Ce n’est donc pas parce qu’on les soupçonne d’avoir concouru au vol qu’on les oblige à contribuer à la perte ; mais seulement pour les rendre plus attentifs par leur intérêt personnel à empêcher ces vols, en veillant de plus près sur la conduite des matelots.
» Qu’il s’agisse d’une chose aisée à cacher, ou d’un gros volume, telle qu’une futaille de sucre ou d’indigo, d’une balle de coton ou autre marchandise ; dès qu’elle ne se trouve pas au recensement des effets, à la charge ou à la décharge du navire, & qu’il est vérifié qu’elle a été envoyée par le marchand chargeur pour être embarquée, & qu’elle a été prise en compte par l’officier préposé pour tenir l’état général du chargement ; elle est réputée volée, & par conséquent c’est le cas de la contribution dont il est parlé, sauf la preuve de l’erreur, ou qu’elle a été volée par quelque particulier. » (Ibid).


Le concept d’« altération des marchandises » était exposé de la sorte par Valin :

Pour que le capitaine puisse être inquiété pour altération des marchandises, « il faut qu’il y ait fraude de sa part, pour qu’il subisse à ce sujet la peine corporelle ; & c’est ce qui résulte du terme " frauduleusement " employé dans cet article. Or il y aura fraude s’il soutire en tout ou en partie des barriques de vin ou d’autre liqueur ; s’il en procure le coulage par quelqu’autre voye ; s’il tire d’excellent indigo d’une futaille pour en substituer d’une mauvaise qualité ou inférieure, etc. Mais si c’est seulement par impéritie, négligence ou étourderie ; comme s’il fait mal placer les marchandises en mettant des marchandises sèches ou de prix sous d’autres sujettes à coulage ; s’il les laisse sur le tillac ; s’il manque de tenir fermées les écoutilles & les sabords du navire ; si par contravention à l’Ordonnance de 1689, liv. I., tit. 3, art. 2 obligeant un capitaine de vaisseau du Roi à lui lâcher quelques coups de canon, sur son refus d’aller à bord lui montrer ses instructions ; les marchandises en reçoivent quelques dommages, etc. Dans tous ces cas il est responsable sans difficultés des dommages & intérêts, mais ce ne peut être que par action purement civile. » (Ibid).
Dernière modification par Rutilius le jeu. mai 16, 2024 8:13 am, modifié 1 fois.
Bien amicalement à vous,
Daniel.
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La notion de « baraterie criminelle » au XIXe siècle et au début du XXe siècle


I. – Loi du 10 avril 1825 pour la sûreté de la navigation et du commerce maritime (Bull. des Lois 1825, n° 28, Texte n° 663, p. 213 et s.), articles 11 à 15.


TITRE II. — Du crime de baraterie.


Art. 11. – Tout capitaine, maître, patron ou pilote , chargé de la conduite d’un navire ou autre bâtiment de commerce, qui, volontairement et dans une intention frauduleuse, le fera périr par des moyens quelconques, sera puni de la peine de mort.

Art. 12. – Tout capitaine, maître ou patron, chargé de la conduite d’un navire ou autre bâtiment de commerce, qui, par fraude, détournera à son profit ce navire ou bâtiment, sera puni des travaux forcés à perpétuité.

Art. 13. – Tout capitaine, maître ou patron, qui, volontairement et dans l’intention de commettre ou de couvrir une fraude au préjudice des propriétaires, armateurs, chargeurs,
facteurs, assureurs et autres intéressés,
Jettera à la mer ou détruira sans nécessité tout ou partie du chargement, des vivres ou des effets de bord,
Ou fera fausse route,
Ou donnera lieu, soit à la confiscation du bâtiment, soit à celle de tout ou partie de la cargaison,
Sera puni des travaux forcés à temps.

Art. 14. – Tout capitaine, maître ou patron, qui, avec une intention frauduleuse,
Se rendra coupable d’un ou de plusieurs des faits énoncés en l’article 236 du Code de commerce,
Ou vendra , hors le cas prévu par l’article 237 du même code, le navire à lui confié,
Ou fera des déchargemens en contravention a l’art. 248,
Sera puni de la réclusion.

Art. 15. – L’article 386, §. 4, du Code pénal, est applicable aux vols commis à bord de tout navire ou bâtiment de mer par les capitaines, patrons, subrécargues, gens de l’équipage et passagers.
L’article 387 du même code est applicable aux altérations de vivres et marchandises commises à bord par les mêmes personnes.


TITRE III. — Poursuites et compétence.

............................................................................................................................................................................................................................................................

Art. 20. – Les individus prévenus des crimes ou de complicité des crimes spécifiés au Titre II de la présente loi, seront poursuivis et jugés suivant les formes et par les tribunaux ordinaires.



II. – Décret-loi du 24 mars 1852 disciplinaire et pénal pour la Marine marchande (Bull. des Lois 1852, n° 524, Texte n° 4.006, p. 1.133 et s.), modifié par la loi du 15 avril 1898 (J.O. 19 avr. 1898, p. 2.558).

[Abroge implicitement la loi du 10 avril 1825 précitée]


SECTION III. — Des crimes.


Art. 89. – (L. 15 avr. 1898, art. 1er) Tout individu inscrit sur le rôle d’équipage qui, volontairement et dans une intention criminelle, échoue, perd ou détruit par quelque moyen que ce soit, autre que celui du feu ou d’une mine, prévu à l’article 434 du Code pénal, le navire sur lequel il est embarqué, ou qui en occasionne, par un refus d’obéir aux ordres
donnés, l’échouage, la perte ou la destruction, est puni de dix à vingt ans de travaux forcés.
Si le coupable était, à quelque titre que ce soit, chargé de la conduite du navire, il lui sera appliqué le maximum de la peine.
S’il y a eu homicide ou blessure par le fait de l’échouement, de la perte ou de la destruction du navire, le coupable sera, dans le premier cas, puni de mort, et, dans le second, puni des travaux forcés à temps.

Art. 90. – Tout capitaine, maître ou patron qui, dans une intention frauduleuse, détourne à son profit le navire dont la conduite lui est confiée, est puni de vingt ans de travaux forcés, sans préjudice de l’action civile réservée à l’armateur.

Art. 91. – Est puni des travaux forcés à temps tout capitaine, maître ou patron qui, volontairement, et dans une intention criminelle, fait fausse route, ou jette à la mer ou détruit sans nécessité tout ou partie du chargement, des vivres ou des effets du bord.

Art. 92. – Est puni de la réclusion tout capitaine, maître ou patron qui, dans une intention frauduleuse, se rend coupable de l’un des faits énoncés à l’article 236 du Code de commerce, ou vend, hors le cas prévu par l’article 237 du même code, le navire dont il a le commandement, ou opère des déchargements en contravention à l’article 248 dudit code.

Art. 93. – (L. 15 avr. 1898, art. 1er) Les vols commis à bord de tout navire par les capitaines, officiers, subrécargues ou passagers, sont punis de la réclusion.
La même peine est prononcée contre les officiers mariniers, marins, novices et mousses quand la valeur de l’objet volé excède vingt francs (20 fr.), ou quand le vol a été commis avec effraction ou à l’aide de fausses clefs.

Art. 94. – Sont punies de la même peine toutes personnes embarquées, à quelque titre que ce soit, qui altèrent volontairement les vivres, boissons ou autres objets de consommation par le mélange de substances malfaisantes.

Art. 95. – (L. 15 avr. 1898, art. 1er) Tout acte de rébellion commis par plus du tiers de l’équipage est puni de la réclusion.
Si les rebelles sont armés, quel que soit leur nombre, la peine des travaux forcés à temps sera prononcée.
Les rebelles sont réputés armés s’il se trouve parmi eux un ou plusieurs hommes porteurs d’une arme quelconque.
Les couteaux de poche à la main des rebelles sont réputés armes par le seul fait du port ostensible.

Art. 96. – Tout complot ou attentat contre la sûreté, la liberté, ou l’autorité du capitaine, maître ou patron, est puni de la réclusion.
La peine des travaux forcés à temps sera prononcée contre tout officier impliqué dans le complot ou attentat.
On entend par complot la résolution d’agir concertée et arrêtée entre deux personnes au moins, embarquées à bord d’un navire.
Bien amicalement à vous,
Daniel.
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