Bonjour à tous,
Naufrage du SAINT ANDRE le 19 Décembre 1917.
Rapport du capitaine
Parti du Havre le 17 Décembre 1917 à midi avec un chargement de fûts vides pour Oran. Navigué en convoi par coup de vent d'E à NE, mer très grosse, grains de neige. Passé Sainte Catherine à 08h00 le 16 et longé la côte anglaise. Passé Portland à 15h00 pour prendre les ordres qui sont de continuer jusqu'à Falmouth. Contourné la baie de Lyme en zigzaguant. Le vent ne mollit pas. Mer très grosse. Brume pendant la nuit. Doublé Start Point à 22h30, tous feux éteints. Passé à 4 milles au Sud d'Eddystone à 01h00 le 19.
A 01h00, violente explosion sur le travers bâbord. C'est une torpille. La machine stoppe aussitôt et le navire prend une forte bande sur tribord. Chaufferie et machine sont envahies.
Les deux embarcations sont brisées et enlevées.
Le navire s'enfonçant, je fais disposer les radeaux et le youyou. Fait des signaux de détresse au canon et brûlé des gargousses après avoir essayé en vain de faire fonctionner le moteur de la TSF. A ce sujet, je signale qu'il est indispensable d'installer un poste de secours dans les hauts afin que ceci ne se renouvelle pas.
Fait embarquer l'équipage sur les radeaux. Il manque deux hommes qui étaient de quart dans la machine, sans doute tués sur le coup car la torpille a frappé dans la chaufferie. Jeté par dessus bord les papiers confidentiels et quitté le navire en dernier à 02h00.
Restés sur les radeaux en essayant de nous maintenir en vue du navire dont la bande s'accentuait. L'arrière commençait à s'immerger. Mais la houle, très grosse, nous en écartait toujours et nous l'avons perdu de vue. Je suis convaincu qu'il n'a pas tardé à couler.
Vers 02h30, aperçu un vapeur qui nous a recueillis. . C'était le BORGA dont le capitaine, craignant d'être torpillé à son tour, a fait route à toute vitesse sur Falmouth où nous sommes arrivés à 08h00 le 19.
Je signale la conduite tout particulièrement bonne de l'équipage qui, malgré les conditions très défavorables du sauvetage, a conservé une parfaite discipline et exécuté les ordres avec beaucoup de sang-froid. Je signale aussi les soins empressés reçus à bord du BORGA.
Signé : SIMON CLC Capitaine du SAINT ANDRE
Commentaire :
Il faut noter que ce rapport est un modèle du genre, précis, concis, ne se noyant pas dans les détails et ne faisant que des observations de bon sens. Ce capitaine était un véritable professionnel et il n'est pas étonnant qu'il soit parvenu à ramener presque tout son équipage sain et sauf malgré les conditions météo terribles et la rapidité du naufrage.
Signalons que le navire sauveteur, le norvégien BORGA, vapeur de 1046 t construit en 1907, sera finalement coulé par torpille le 1er Mars 1918 à 9 milles de Beer Head, pas très loin de l’endroit où il avait récupéré les marins du SAINT ANDRE, par l’U 55 du Kptlt z/s Wilhelm WERNER, alors qu’il effectuait une traversée Swansea – Dieppe avec un chargement de charbon Il appartenait alors au gouvernement britannique. Il y aura 5 victimes.
Déposition du radiotélégraphiste Robert MASSEAUX
Le poste de TSF se trouvant sur le pont au dessus d’un panneau de soute, et cette partie ayant volé en éclats lors de l’explosion, le plancher rapporté de la cabine de TSF s’est soulevé, déplaçant le groupe convertisseur. Le manque complet de lumière n’a pas permis de se rendre compte exactement des dégâts. Immédiatement, nous avons essayé de pénétrer dans le compartiment de la machine où l’atmosphère créée par les gaz de l’explosion et l’échappement de la vapeur était irrespirable. Aidé du chef mécanicien, je me suis efforcé de mettre en marche le moteur à essence placé à côté du servomoteur. Malgré tous nos efforts, nous n’avons pu réussir et j’attribue à la mauvaise carburation cette panne subite d’un appareil qui habituellement partait au quart de tour. Force nous fut d’attendre l’épuration de l’atmosphère.
Mais une 2e tentative faite un quart d’heure plus tard fut aussi vaine que la première.
Le bâtiment prenait peu à peu une forte gite. Bien que l’atmosphère du compartiment fut devenue plus propice, nos essais restèrent pour la troisième fois sans résultat. Quelques minutes avant l’abandon du navire, je suis allé une 4e fois au moteur et, bien qu’ayant à deux reprises introduit quelques gouttes d’essence par le robinet de décompression, je n’ai pu obtenir la moindre explosion. Je présume que quelques éclats de ferraille ont dû endommager soit le moteur lui-même, soit la magnéto ou le tuyautage.
La présence d’un poste de secours dans les superstructures du bâtiment apparaît une véritable nécessité dans des circonstances semblables. Un appel eût pu être lancé immédiatement et la présence certaine de nombreux patrouilleurs comme la proximité de la terre nous eut sans doute permis de sauver le bâtiment et sa cargaison. Une lampe électrique portative serait dans les postes de la plus haute utilité.
Rapport de l’officier AMBC
SAINT ANDRE de la Société Navale de l’Ouest, réquisitionné par la Marine, avait quitté Le Havre le 17 Décembre avec 100 tonnes de haricots et des fûts vides à destination d’Oran. Le 19 à 01h45, alors qu’il se trouvait à 5 milles dans le Sud du feu d’Eddystone il fut torpillé par bâbord milieu, sur l’arrière de la cloison étanche séparant la cale 2 des chaufferies, à 3m sous la flottaison.
La veille était assurée par le servant de la pièce avant, et sur la passerelle par l’officier de quart et un homme de veille de l’équipage commercial, tous deux munis de jumelles, à l’arrière par le breveté canonnier Abgrall.
Le navire filait 9 nœuds, route à l’Ouest vrai, le vent était fort de NE, la mer grosse, la visibilité très réduite à environ 1 mille. Les feux étaient clairs, suite à la présence de nombreux pêcheurs.
Aussitôt l’explosion, le capitaine Simon appela aux postes de combat et fit tirer par la pièce un coup d’exercice et deux coups de combat pour appeler du secours. Il fit brûler 4 gargousses, ne possédant ni fusées, ni Costons. Le bâtiment s’inclina fortement sur tribord. Le télégraphiste essaya par trois fois de lancer un appel, mais le moteur ne put être mis en marche. Le capitaine donna l’ordre de mettre les deux radeaux et le youyou à la mer. Les deux baleinières de sauvetage placées à bâbord et à tribord sur les porte-manteaux avaient été écrasées par la gerbe d’eau au moment de l’explosion.
Le personnel militaire resta à son poste aux pièces, prêt à faire feu sur le sous-marin en cas d’émersion, jusqu’au moment où le capitaine crut devoir donner l’ordre d’évacuer le SAINT ANDRE, trois quarts d’heures environ après l’explosion. Le chef de section omit de donner l’ordre aux chefs de pièces de rendre le matériel inutilisable. L’évacuation se fit sans panique et avec sang froid.
Les rôles de veille, de combat et d’évacuation, visés par le commandant du centre AMBC de Rouen, étaient affichés dans les postes. Les documents confidentiels furent jetés à la mer dans un étui lesté.
Le capitaine ne vit pas couler le navire. Quand il le perdit de vue, il avait une forte gite sur tribord et l’eau était au niveau du couronnement arrière.
Critique : Avec le personnel militaire dont disposait le capitaine Simon, la veille aurait dû être effectuée sur le gaillard par 2 canonniers veillant chacun un secteur de 90° et le matelot de bossoir de la passerelle aurait dû se trouver dans la mâture muni de jumelles. Une veille ainsi mieux répartie et plus attentive aurait peut-être permis d’apercevoir l’ennemi et de prendre des dispositions appropriées aux circonstances.
Rapport de la commission d’enquête
Celle-ci précise que le SAINT ANDRE avait quitté Le Havre en convoi, mais que le convoi s’était disloqué dans la nuit du 17 au 18, et qu’aucun passage dangereux n’avait été signalé. SAINT ANDRE avait contourné la baie de Lyme et doublé Start Point tous feux masqués, mais le capitaine avait ensuite fait démasquer ses feux par crainte d’abordage, des feux blancs de pêcheurs apparaissant des deux bords entre 2 et 5 milles. A 01h00, il avait croisé par bâbord un vapeur avec ses feux clairs.
La machine a stoppé dès l’explosion, la chaudière s’étant éteinte et la vapeur fusant de toutes parts. Dans la machine, le 3e mécanicien était occupé au graissage des pompes. Le chauffeur et le soutier furent tués par l’explosion, et l’officier n’eut que le temps de remonter. Malheureusement, la porte du tunnel n’avait pas été fermée. L’eau qui montait dans la machine et la chaufferie n’a pas tardé à faire irruption dans la cale arrière.
La commission reprend ensuite tout le déroulement de l’évacuation, précisant que le capitaine partit le dernier dans le youyou après s’être assuré que personne ne restait à bord et prit en remorque les radeaux. Les destroyers anglais arrivés plus tard sur les lieux ne trouvèrent que quelques fûts en dérive, mais plus aucune trace du SAINT ANDRE.
Elle ajoute que SAINT ANDRE, alors commandé par le capitaine Simon, avait déjà été attaqué le 8 Juin précédent dans le golfe de Gascogne. Le 15 Septembre, le capitaine Simon avait été torpillé et coulé sur le SAINT JACQUES dont il assurait le commandement par intérim. Ce torpillage est donc la 3e attaque dont il est victime et son expérience lui fait dire que c’est bien une torpille et non une mine.
En conclusion, la commission reconnaît que le capitaine Simon avait retiré des enseignements de ses précédentes rencontres et appliquait à son bord un esprit d’ordre et de discipline. Toutes les instructions, rôles de veille, combat, embarcations, TSF, documents confidentiels…etc, étaient fidèlement observées.
Elle estime que les feux auraient dû être réduits à leur minimum comme le spécifie le règlement. La veille semble avoir été insuffisante selon l’officier AMBC. Les moyens du bord auraient permis de l’intensifier et, malgré la houle et l’obscurité, d’augmenter la possibilité d’apercevoir l’ennemi.
Suite au manque de personnel, le personnel machine était trop restreint. Trois personnes seulement étaient dans la machine au moment de l’explosion et l’officier mécanicien faisait office de graisseur, ce qui est anormal et a entraîné une faute grave. Cet officier n’a pu fermer la porte du tunnel et la porte de la cloison étanche, se trouvant au graissage des paliers arrière. L’eau s’est aussitôt engouffrée dans la machine et dans la chaufferie, ce qui explique la position du SAINT ANDRE au moment de l’évacuation, avec son couronnement à fleur d’eau alors que l’avant flottait toujours.
D’ailleurs, l’enquête a révélé que la porte du tunnel était rarement fermée. Cette négligence, si elle engage la responsabilité de l’officier mécanicien de quart, engage surtout celle du chef mécanicien qui dès l’explosion aurait dû s’efforcer de manœuvrer d’en haut la commande de fermeture de cette porte. L’exemple en a été donné récemment par l’un de ses camarades lors du torpillage de l’AMIRAL ZEDE.
Bref, l’effectif mécanicien de nos vapeurs devrait être calculé pour que le fonctionnement normal du détail soit assuré sans nuire à la surveillance générale.
Le sous-marin étant resté invisible et aucune attaque ne s’étant produite quand SAINT ANDRE était encore à flot avec son équipage, il ne s’est sans doute pas rendu compte que SAINT ANDRE était dans l’impossibilité d’utiliser sa TSF. Quoiqu’il en soit, le non fonctionnement des appareils du SAINT ANDRE a contribué pour une large part à la perte du bâtiment et de sa cargaison. Les causes du non fonctionnement sont sans doute inhérentes à l’explosion de la torpille, comme l’indique le télégraphiste. Une vérification du moteur avait été faite le même jour à 09h00 du matin, au large de Portland, et le fonctionnement était normal. Cette même vérification avait été faite le 15 Décembre au départ du Havre par le LV Besson, du service général de la TSF. La commission ne peut s’empêcher de reconnaître le service capital qu’aurait rendu en la circonstance l’adjonction d’un poste auxiliaire de secours comme le prévoit le règlement. Le remorquage de SAINT ANDRE aurait alors été possible et la côte étai très proche. Selon le télégraphiste, une réclamation avait été adressée un mois auparavant au bureau TSF de Brest (Mr. De Sagazan). Par une coïncidence malheureuse, le BORGA, venu à son secours, ne possédait pas de TSF.
Vu la situation précaire, le capitaine a décidé d’évacuer son bâtiment et de sauver son équipage. Il ne pouvait faire autrement et l’évacuation s’est faite avec ordre et discipline. Chacun à bord a fait son devoir sans défaillance. La commission félicite le capitaine et l’équipage sur la manière dont chacun s’est efforcé avec dévouement d’assurer le salut commun.
Récompenses
Témoignage Officiel de Satisfaction
Vapeur SAINT ANDRE
Pour l’attitude disciplinée et le dévouement de chacun au cours de l’évacuation de ce vapeur coulé par l’ennemi le 19 Décembre 1917.
Le capitaine SIMON, qui commandait SAINT ANDRE, peut reprendre un autre commandement.
Le sous-marin attaquant
C'était l'UB 58 du Kptlt z/s Werner FÜRBRINGER
A propos de cet officier, voir ce lien :
http://www.uboat.net/wwi/men/commanders/81.html
Cdlt